L'UE et l'OTAN
de Johannes Gernert
Lorsque l'UE discute d'une défense européenne commune, la question de son rapport avec l'OTAN surgit rapidement. De nombreux membres de l'UE font partie de l'OTAN, mais pas tous. Jusqu'où peut aller la coopération de ces deux institutions ?
Jaap de Hoop Scheffer, le secrétaire général de l'OTAN, est presque obligé de mendier auprès des membres européens lorsqu'il s'agit d'augmenter les troupes d'intervention en Afghanistan. Même lors de la dernière conférence des ministres de la Défense des pays de l'OTAN, qui s'est tenue fin octobre 2007 à Noordwijk, aux Pays-Bas, le secrétaire général de l'Alliance a renouvelé sa demande de renforcement. Plusieurs Etats, dont la République tchèque et la Slovaquie, ont donné leur accord pour quelques centaines de soldats.
Les difficultés et les tensions auxquelles se trouve confronté le Traité de l'Atlantique Nord en Afghanistan ne sont pas résolues pour autant. La France et l'Allemagne, par exemple, ne veulent augmenter que le nombre des instructeurs militaires. La France, qui a un statut particulier au sein de l'OTAN, est toutefois prête à faire intervenir les instructeurs dans le Sud du pays en proie aux combats.
D'autre part, les ministres de la Défense ont décidé de réduire à une réserve minimum la troupe d'intervention rapide, la Nato Response Force, qui vient tout juste d'être formée, car de nombreux membres de l'OTAN voient leurs armées trop fortement grevées par la mission en Afghanistan. Pourtant, les pays de l'Alliance pourraient "lever sans problème" et les troupes pour l'Afghanistan et la Response Force, estimait Martin Winter dans le Süddeutsche Zeitung du 26 octobre 2007. "S'ils ne le font pas, c'est parce qu'il y a un problème d'identité. Cette hésitation à intervenir reflète leur incertitude face au devenir de l'Alliance."
Cette incertitude pourrait tenir au fait que plusieurs questions d'orientation fondamentales se posent aux membres européens de l'OTAN. Pour des pays comme l'Allemagne ou la France, il ne s'agit pas seulement de la direction dans laquelle évolue l'OTAN, mais aussi de l'avenir d'une défense européenne commune.
Une OTAN à la carte ?
En septembre dernier, le président français Nicolas Sarkozy a donné une nouvelle impulsion au débat sur les relations entre l'OTAN et l'UE en matière de politique sécuritaire, lors d'un entretien avec le New York Times : il laisse entrevoir le retour de la France dans les structures de commandement de l'OTAN, alors que le général de Gaulle, en 1966, avait retiré les forces françaises de la structure militaire intégrée.
Dans le Daily Telegraph du 21 septembre 2007, le député travailliste britannique Denis MacShane réclamait également le retour de la France dans l'Alliance Transatlantique : "Il est difficile de mettre en œuvre une politique de défense européenne commune tant que la France reste en dehors de l'OTAN." La France et la Grande-Bretagne pourraient accélérer ensemble le renouvellement depuis longtemps nécessaire de la stratégie de défense européenne. Car l'Europe aussi, expliquait MacShane, doit lutter contre les "ennemis de la démocratie" dans l'Hindoukouch ; non pas seulement avec une soft power, comme le font les Allemands en Afghanistan en formant la police et l'armée, mais aussi avec une hard power militaire.
En France, c'est surtout la gauche anti-atlantiste qui s'oppose à ce rapprochement. Elle préfère une OTAN "à la carte" plutôt que de commander d'emblée un menu complet, écrivait Arnaud La Grange dans le Figaro, le 26 septembre dernier.
Rapprochement envisagé en Suède et en Finlande
Le poids de l'Europe au sein de l'OTAN pourrait augmenter à long terme, et non pas seulement grâce au retour de la France. Actuellement, 22 des 26 pays de l'OTAN sont membres de l'Union européenne. Et la Finlande et la Suède, qui jusqu'à présent étaient neutres, commencent à envisager d'entrer dans l'OTAN.
Aujourd'hui déjà, les soldats suédois sont plus nombreux à servir l'OTAN que les Nations Unies, constatait le 16 juillet 2007 le journal suédois Expressen avant de conclure : "Il pourrait s'avérer très utile pour nous d'être mieux informés de ces opérations et de pouvoir les influencer davantage." Le gouvernement suédois refuse néanmoins, pour l'instant, d'adhérer à l'OTAN, essentiellement à cause de l'opinion publique, qui est sceptique.
La situation est semblable en Finlande. Le ministre de la Défense, Jyri Häkömies, a récemment déclaré que "la Russie représentait le plus grand défi pour son pays en matière de sécurité". Björn Mansson écrivait le 12 septembre 2007 dans le Hufvudstadtsbladet que le ministre tentait ainsi de raviver le débat sur l'adhésion de la Finlande.
L'UE compromet-elle la neutralité?
Tandis que les pays scandinaves et la France discutent de leur éventuel rapprochement de l'OTAN, l'Autriche se demande si la seule appartenance à l'UE ne compromet pas déjà la neutralité du pays inscrite dans le droit constitutionnel. Le parti conservateur ÖVP a brisé un tabou, durant l'été 2007, en proposant d'abolir le principe de neutralité.
Dans le quotidien autrichien Standard du 29 août 2007, Nina Weißensteiner jugeait "hypocrite" la protestation des autres partis contre cette proposition. "La politique de sécurité commune de l'UE, soutenue par une majorité d'entre eux, signifie naturellement un abandon total de la neutralité, à laquelle il aurait fallu de toute façon renoncer dès l'adhésion à l'UE."
Le spécialiste du droit international Manfred Rotter a indiqué dans le même journal, le 25 octobre 2007, que le nouveau traité de l'UE contenait une sorte de "casus foederis" pour l'UE. Manfred Rotter reconnaît cependant qu'une défense européenne commune n'est toujours pas d'actualité. Selon lui, "il manque également la possibilité d'influencer les Etats membres qui ont tendance à mener une politique de défense à haut risque dans leur coin, comme par exemple la Pologne et la République tchèque avec le bouclier antimissile américain."
L'OTAN, un rempart contre la Russie ?
Le cas de la Pologne et de la Russie met bien en évidence les divergences qui opposent les différents membres de l'UE dans leur perception de l'OTAN. Nikolas Busse faisait remarquer le 1er octobre 2007 dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung que l'Europe était en train de se diviser en deux camps avant le sommet de l'OTAN qui se tiendra en 2008 à Bucarest. Comme au début de la guerre en Irak, explique-t-il, les anciens membres s'opposent aux nouveaux.
Dans le camp de la "New Europe", le chroniqueur tchèque Luboš Palata, entre autres, exprimait la crainte, dans le Lidové noviny du 9 mars 2007, que les membres de l'OTAN restent en recul derrière la Russie "en train de s'armer lourdement" et qu'ils se fassent même distancer par la Chine et l'Inde. Le Times avait déjà constaté en novembre 2006 qu'un grand nombre de nouveaux membres est-européens considéraient toujours l'OTAN comme "un rempart contre une agression soviétique", comme à l'époque de la Guerre froide.
Les nouveaux Etats membres critiquent également le fait que l'OTAN ne soit pas équipée pour certains enjeux. Lorsque le gouvernement estonien a été attaqué via Internet, en mai dernier, la vice-présidente du Parlement, Kristiina Ojuland, a évoqué la première guerre du XXIe siècle menée avec les armes de la technologie moderne. L'UE et l'OTAN devraient toutes deux s'interroger "sur la réaction à adopter."
Des troupes surchargées
Les représentants de la "Old Europe", de leur côté, n'ont pas très envie de provoquer la Russie. Les membres occidentaux de l'UE ont plutôt un regard global, exhortant l'UE, comme l'a fait récemment le ministre de la Défense portugais, à prendre sa responsabilité dans le monde. Elle le fait en collaboration avec l'OTAN – comme en Macédoine, en Bosnie et en Herzégovine – mais également toute seule. L'UE est en train de planifier une mission au Tchad dans le but de soutenir les réfugiés ayant fui la guerre civile au Soudan.
Mais dans ce cas aussi le recrutement des troupes est difficile. Le journal autrichien Die Presse en donnait la raison suivante le 28 octobre 2007 : la plupart des Etats membres de l'UE sont aussi membres de l'OTAN et se trouvent donc surchargés par le grand nombre des interventions. C'est pourquoi le quartier général de l'OTAN a récemment exprimé le souci que la réserve existante de soldats bien formés ne suffise plus à couvrir les besoins des triples missions de l'UE, de l'ONU et de l'OTAN.
Mettre fin à la rivalité
L'UE et l'OTAN doivent donc se compléter, suggérait Jacques Lanxade, ancien chef d'état-major des armées françaises, dans le Figaro du 28 septembre 2007. L'OTAN manquerait, selon lui, de moyens non militaires alors que l'UE en a à profusion, tandis que ses capacités militaires sont limitées. "Il faut donc s'efforcer de réduire la rivalité politiquement désastreuse qui oppose UE et Otan et s'attacher avec détermination à organiser leur coopération", estime Jacques Lanxade.
Mais cela risque d'être difficile, et la rencontre des ministres de la Défense des pays de l'OTAN à Noordwijk n'a pas été la seule occasion de s'en rendre compte. Valenti Puig écrivait le 25 septembre 2007 dans le quotidien espagnol ABC : "Dans l'UE, on parle de politique extérieure commune et d'armée européenne, mais les difficultés de coordination de l'OTAN en Afghanistan suffisent pour comprendre que tout va lentement."
Johannes Gernert, âgé de 27 ans, écrit pour des journaux et des magazines. Il a étudié les sciences de la presse et l'anglais à Berlin ...
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