Le procureur de la République de Paris a annoncé vendredi matin à Europe 1 qu'il allait faire appel du jugement dans lequel M. de Villepin a été relaxé.

M. de Villepin, y a vu "une décision incompréhensible" et "même un scandale politique et judiciaire". "Le procureur considérerait que l'analyse qui a été la sienne, l'idée d'une complicité par abstention, n'a pas été étudiée par le tribunal. Mais le tribunal a consacré dix pages à cette analyse pour écarter point par point l'idée de complicité!", a argumenté le dernier Premier ministre de Jacques Chirac.

"J'ai été témoin du procureur de Paris disant, quelques jours avant de prendre la décision du renvoi, qu'il n'y avait rien dans le dossier qui puisse être reproché à Dominique de Villepin. Je l'ai entendu de sa bouche", a-t-il rapporté. Le magistrat "s'est fait tordre le bras pour (le) renvoyer devant le tribunal. Il l'a fait sous la pression de la Présidence de la République", a-t-il accusé.

"Quand le président, qui est en même temps partie civile, dit "je ne ferai pas appel" et que quelques instants après, le procureur fait appel, cela s'appelle de la duplicité", a-t-il encore dénoncé.

"La haine l'a emporté chez Nicolas Sarkozy, ou la peur politique, sur ce que devrait être le seul intérêt d'un président: l'intérêt général. Je pense personnellement qu'il ne s'est pas rendu service", a estimé M. de Villepin.

Il dit refuser "toute guerre fratricide": "j'étais aux premières loges de la bataille entre Edouard Balladur et Jacques Chirac et je ne prêterai pas la main à cette division-là".

Après sa relaxe, il dit avoir eu en ligne Jacques Chirac, Alain Juppé, d'autres membres de sa famille politique, mais aussi Ségolène Royal et d'autres membres de la gauche. "Je n'aurais pas trouvé anormal", dit-il, de recevoir un coup de fil de Nicolas Sarkozy disant: "la justice s'est prononcée sans ambiguité, tournons la page"".

Sur l'issue du futur procès en appel, il se dit serein: "quand vous êtes innocent la première fois, vous l'êtes la seconde fois".

Source: Agence France Presse



Dans le Figaro: La charge de Dominique de Villepin contre Nicolas Sarkozy

L'ancien premier ministre affirme que la décision de faire appel de sa relaxe a été prise à l'Élysée.

La rémission aura été de courte durée pour Dominique de Villepin. Lui qui savourait sa relaxe, jeudi soir, sur le plateau de France 2, a été cueilli à froid le lendemain matin, en apprenant la décision du procureur de Paris, Jean-Claude Marin, de faire appel. Jeudi, moins de deux heures après le jugement, l'Élysée avait publié un communiqué apaisant, qui semblait indiquer que le chef de l'État était prêt à tourner la page. Volonté sincère d'arrêter les frais ou habile manœuvre pour ne pas être accusé d'acharnement ? L'Élysée jure que rien n'a été fait pour influencer la décision du procureur de Paris.

Mais les justifications de l'Élysée n'ont pas convaincu Villepin. Après avoir fustigé dans la matinée « l'acharnement du président dans sa haine », l'ex-premier ministre s'est déchaîné hier soir sur Canal + contre l'Élysée. « Quand le procureur dit “J'ai décidé”, c'est faux. Il y a eu une réunion hier après-midi à l'Élysée où cette décision a été prise », a affirmé Villepin en évoquant une « décision scandaleuse ». Pour étayer son propos, il a assuré avoir eu « une information par des fonctionnaires de la présidence de la République ». L'Élysée a immédiatement réagi en affirmant ne pas vouloir « répondre aux allégations mensongères » de Villepin. Mais, interrogé par parismatch.com, le secrétaire général de l'Élysée, Claude Guéant, a tenu à assurer hier soir n'avoir eu « aucun » contact avec le parquet depuis le jugement de jeudi. Et a ajouté que le parquet n'était « absolument pas sous l'influence de Nicolas Sarkozy ou du ministère de la Justice ».

La charge de Villepin sur Canal + a pris des allures d'entrée en campagne, bien éloignée de la sobriété de son propos de la veille sur France 2. « La peur politique l'a emporté chez Nicolas Sarkozy sur l'intérêt général », a-t-il asséné avant de regretter que le président ne lui ait pas passé un coup de téléphone. « Ce qu'ont fait, a-t-il dit, Jacques Chirac, Alain Juppé, Ségolène Royal et beaucoup d'autres responsables politiques de droite et de gauche. »

Les villepinistes ont relayé la colère de leur champion en dénonçant une « faute politique ». « On a bien vu que l'Élysée s'était lancé dans un exercice d'hypocrisie, qui consistait à dire : “Ce n'est pas nous qui faisons appel, c'est le procureur.” On a compris aussi qu'on voulait scotcher Villepin un an de plus », déplore l'ancien ministre François Goulard.

Forcément, ce procès en appel freine son nouvel élan. Contraint de retourner devant la justice au plus tôt au début de l'année 2011, il ne pourra pas se mobiliser à 100 % pour son combat politique contre Sarkozy. Mais les villepinistes avaient aussi envisagé ce scénario. « L'appel, cela veut dire que la guerre est ouverte. Ce que je sais, c'est que Villepin se présentera en 2012, c'est désormais une certitude car ce second procès va le radicaliser », parie un de ses amis.

Du côté des avantages, le renvoi en appel de l'ex-premier ministre lui offrira une tribune gratuite à un an, voire moins, de la présidentielle de 2012. Il pourra encore une fois se présenter en victime injustement persécutée par le chef de l'État, comme il l'a déjà fait cet automne. Et consolider un courant de sympathie à l'égard de Villepin « l'outsider ». Mais du côté des inconvénients, ce procès complique beaucoup la tâche d'un candidat sans troupes, sans parti et sans argent. C'est sans doute ce qu'en attendent les amis du président. « Est-ce que ça le remet en selle ? Encore faudrait-il qu'il ait un cheval pour ça », ironise le porte-parole de l'UMP, Frédéric Lefebvre.

Une chose paraît acquise : la paix des braves ne viendra plus. Depuis quinze ans que les deux hommes se défient, se toisent, se provoquent... Sarkozy a gagné la première manche en s'affichant en victime de l'affaire Clearstream. Villepin a remporté la deuxième, en se posant en martyr d'un président qui le persécute. La belle se jouera donc en 2011 devant la justice. Avec peut-être des prolongations politiques en 2012.

Source: Charles Jaigu et Bruno Jeudy (Le Figaro)

Dans le Journal du Dimanche: Les coulisses des nouveaux épisodes de la "ténébreuse affaire"

Jusqu’à la dernière seconde, les hommes de l’Elysée auront cru à la condamnation de Dominique de Villepin. Mercredi soir encore, le jugement restait secret et seule une vieille rumeur de relaxe, émanant d’une juge assesseuse, laissait penser à un coup de Trafalgar. Il n’est venu que quelques minutes avant que les juges n’entrent dans la salle d’audience. Juste avant de s’installer dans la salle bondée, le président Dominique Pauthe a discrètement prévenu sa hiérarchie de la "relaxe" Villepin. Le président du tribunal de Paris a donc eu presque deux heures d’avance sur tout le monde. Mais dans la salle d’audience, à 10h30, tous les prévenus ignorent encore ce qu’ont décidé les juges. L’ancien Premier ministre est arrivé avec sa famille. Nerveux.

Thierry Herzog, l’avocat du président de la République, entre dans les derniers dans la salle. Tendu. La relaxe pleine et entière tombe en fin de matinée. Il a fallu de longues minutes à Dominique de Villepin, embrassant sa femme et ses enfants pour quitter la salle. "Gergorin, lui, au fur et à mesure de la lecture du jugement, vieillissait à vue d’œil… sa peau semblait se parcheminer", raconte Olivier Pardo, l’avocat d’Imad Lahoud. Le mathématicien, lui, est resté impassible, comme à son habitude. Il a quitté le tribunal sans faire la moindre déclaration.

Par précaution, Lahoud était venu au tribunal avec un petit sac de sport contenant un nécessaire de toilette au cas où il aurait été envoyé directement à la Santé. A l’Elysée, la réunion sur les déficits se termine. Nicolas Sarkozy reçoit un SMS sur son portable, envoyé par Thierry Herzog. "Gergorin et Lahoud condamnés à de la prison ferme. Villepin relaxé!" Le président ne réagit pas. Il ironise face à des journalistes qui l’interpellent, évoque son anniversaire, un peu grinçant. Il renvoie un SMS à Herzog, lui demande de venir à l’Elysée. "Dès que possible."

Jeudi 13 heures. A l’Elysée: "Il y avait complot"

Réunion autour du Président, tandis que montent les cris de triomphe des villepinistes. Autour de Nicolas Sarkozy, "en colère froide", selon un participant, Me Herzog, très ému, Claude Guéant, Raymond Soubie, le "Monsieur Social", Franck Louvrier, le communiquant, et Pierre Charon, l’ami et homme des réseaux, et coplaignant dans l’affaire, dont le tribunal vient de rejeter la constitution de partie civile. Brice Hortefeux, qui aurait dû être là, est parti au cimetière juif profané. Lui aussi a été retoqué comme partie civile. Sarkozy interroge Herzog: "Pourquoi?"

L’avocat évoque les différences entre la vérité et la vérité judiciaire. Il souhaite poursuivre le combat. "Je suis pour faire appel, il y aura appel de Gergorin et Lahoud", dit-il. Donc, repartir à la charge… Mais Herzog est seul de cet avis, tout à son dossier. Patrick Ouart, l’ancien conseiller aux affaires de justice, est partisan de jeter l’éponge. Sarkozy choisit une position politique: "Il y a des condamnations lourdes, cela montre que j’avais raison de porter plainte. Il est bien dit qu’il y avait un complot. Ca me suffit." C’est la ligne officielle. Explicitée par les sarkozystes, elle aura l’avantage de la subtilité: le citoyen Sarkozy portait plainte, le président Sarkozy n’ira pas à un procès en appel…

Les six hommes lisent les attendus du jugement. Ils s’accordent à les trouver "sévères" pour Villepin. Ils sont les seuls. Travaillent au communiqué qui sortira vers 14h, et donnera le la des partisans du Président. Celui-ci est formulé étrangement, évoquant un Nicolas Sarkozy qui refuse de "faire appel": or, une simple partie civile en correctionnelle n’a pas ce droit. Il s’agit plus d’un mot politique, une manière de dire que la justice, si elle continue de poursuivre Villepin, aura agi seule.

Jeudi après-midi. Chirac appelle Villepin

"Allô Dominique. Je voulais juste vous dire que je suis content pour vous. je me réjouis de vous revoir bientôt." En quelques mots affectueux, au téléphone, jeudi après-midi. Jacques Chirac acte la victoire de son fils spirituel, relaxé dans l’affaire Clearstream. L’instant du triomphe, fragile encore, pour Villepin et les siens, quelques heures après le jugement du tribunal correctionnel. A ce moment, tout semble possible, politiquement et humainement. Le vieil homme d’Etat a été interdit de rencontrer son "fils" depuis des mois par la justice. Fin du tunnel, début de la revanche?

Jeudi soir. Les sarkozystes en off

Le procureur Marin sera l’invité d’Europe 1 demain matin, a-t-on appris. "S’il y va, c’est qu’il y a une annonce, le parquet va faire appel", se disent les observateurs des deux camps. La plupart des sarkozystes du premier cercle donnent la même version: celle "d’une divine surprise", d’un parquet refusant d’être humilié par le verdict. Mezza voce, en off, ils sont beaucoup plus durs, parlant d’un jugement honteux, qui épargne l’instigateur du complot. Dans la soirée, les bruits persistants confortent les hommes du Président. Brice Hortefeux affirme avoir su qu’il y aurait vraisemblablement appel le jeudi soir.

Les villepinistes s’interrogent

"Mais pourquoi continuent-ils à exposer le Président? Il a perdu, la sentence est claire, ils donnent un sentiment d’acharnement, pour rien!" C’est un intime de Villepin qui s’interroge, après avoir entendu Me Herzog attaquer sur RTL. Cela, plus les sorties anti-Villepin des porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre et Dominique Paillé, jettent le trouble. Les villepinistes sont tellement sûrs de leur victoire qu’ils n’imaginent pas un autre round. Villepin travaille à son intervention télévisée du 20 heures de France 2, où il peaufinera sa stature de rassembleur sans rancune. Cette violence maintenue du camp d’en face ne l’alerte pas. "Enfin, on va en sortir, on va être débarrassé de cette histoire, on va pouvoir travailler", reconnaît le député Axel Poniatowski, en marge d’un meeting UMP. Lui aussi ignore que tout va reprendre.

L’anniversaire de Sarkozy

"On ne parle pas de Clearstream, c’est mon anniversaire maintenant", lance Nicolas Sarkozy à cet ami qui l’interpelle. Ce soir, le Président a 55 ans, sa famille et ses proches sont là, dont quelques protagonistes du dossier: Hortefeux, Herzog, Charon. Au menu, fondue savoyarde et gâteau au chocolat. Le Président, à l’Elysée, console son avocat, marri du mauvais résultat, et dépité de ne pouvoir aller lui-même au bout de l’affaire. A la chancellerie, la décision de faire appel a déjà été prise.

Vendredi matin. Les villepinistes au combat

Sur Europe 1, Jean-Claude Marin annonce l’appel du parquet. Sur RMC, Villepin tombe de haut en quasi direct, perd son équanimité de la veille, et attaque Sarkozy, réendossant l’habit du persécuté, qui ne cédera jamais. Les villepinistes font chorus. La veille, la relaxe, expliquaient-ils, donnait à Villepin la légitimité pour relancer sa carrière politique. Le discours change, mais les conclusions restent les mêmes: "Relaxé, Dominique se banalisait, dit un proche. Là, il devient l’adversaire visé par le pouvoir. Son procès en appel, ce sera l’affrontement du président sortant et de son rival!" Tout recommence… Ou plutôt, tout continue…

Source: Claude Askolovitch, Soazig Quéméner, Laurent Valdiguié (Le Journal du Dimanche)