Éditorial de lucienne magalie
EXTRATERRITORIALITÉ LOIS AMERICAINES : SAVOIR RÉSISTER POUR DÉFENDRE NOTRE
SOUVERAINETÉ
Membre Honoraire du Parlement
Maire de Maisons-Laffitte
Président du Cercle Nation et République
President de l'Académie du Gaullisme
Le 28 Juillet 2019
Au moment où la France entame une partie de bras de fer avec les Etats-Unis
sur la taxation des GAFAM - l'action de la France est plus que légitime - vous
trouverez ci-dessous mon intervention sur l'EXTRATERRITORIALITÉ des lois
américaines lors du colloque organisé le 13 Juin 2019 à l'Assemblée nationale
par l'institut IVERIS, dirigé par Leslie Varennes, et par l'Académie
géopolitique de Paris, dirigé par Ali Rastbeen, avec le soutien du député
Olivier Marleix.
Début de l'intervention :
Je vais vous parler de l’extraterritorialité, comme je la vois, entre réalités
et dérives. J’ai passé dix ans de ma vie à la Direction des Affaires Juridiques
du Quai d’Orsay, où je me suis quelques fois opposé vivement aux Américains. Il
nous est arrivé plus d’une fois de les bloquer et de réussir , parce qu’il y
avait une volonté politique de les bloquer.
Comme le relatait Olivier Marleix, le point central est de savoir si on
veut s’opposer ou si on se couche ... Telle est la réalité.
L’extraterritorialité a toujours existé, il ne faut pas s’y tromper ... Les
dispositions de notre Code civil traitent d’un certain nombre de délits commis
par les Français ou sur des Français à l’étranger.
La loi SAPIN2 de décembre 2016 (aux articles 435 et suivants du Code civil)
prévoit des dispositions d’extraterritorialité juridique sur la corruption. Je
ne m’y attarderai pas à ce stade.
Et puis l’Union européenne a aussi, en quelque sorte, eu recours à l’extraterritorialité
: je me réfère en particulier aux arrêts de la Cour de Justice, et au Règlement
648-2012 du Parlement européen et du Conseil sur les produits dérivés, qui
traitait de la prise en compte, notamment dans des transactions avec des tiers,
des effets directs sur le marché européen.
Il s’agit donc de la théorie des effets, qui a notamment joué, y compris en
Europe. La Commission européenne a condamné ou accepté des fusions qui avaient
lieu aux Etats-Unis mais qui emportaient des effets sur la concurrence loyale
et non faussée en Europe. Les abus de position dominante peuvent avoir des
effets en Europe.
Alors pourquoi le problème se pose-t-il avec les Américains puisque l’on
pourrait arguer que nous agissons de façon similaire ?
Ce n’est pas tout à fait la même chose, et Olivier Marleix, Pierre
Lellouche vont sans doute encore en dire davantage.
Quand on dresse la liste des lois américaines qui ont des connotations ou
des finalités extraterritoriales, leur nombre et la variété des sujets
concernés sont pour le moins étonnants.
Citons le fameux Foreign Corruption protection Act de 1977 sur les
problèmes de corruption, complété par la Convention de l’OCDE de 1997 sur
laquelle on reviendra et qui est gérée par l’OFAC, l’Office of Foreign Assets
Control, une agence du département du Trésor ;
L’International Emergency Economic Powers Act de 1977 instaure des pénalités
pour non respect des embargos , et il existe un nombre considérable d’embargos :,
la loi « interdisant de « commercer avec l’ennemi » de 1917, la loi RICO de
1970 qui est d’abord une loi anti-mafia mais qui comporte des effets
extraterritoriaux, la loi Helms-Burton contre Cuba de 1996.
Je dois mentionner encore la loi Sarbanes-Oxley, de 2002, sur le droit
boursier qui fait suite à l’Affaire Enron, le FATCA - Foreign Account
Compliance Tax Act - qui pose le problème, comme nous l’avions examiné avec
Pierre Lellouche lors de l’élaboration du rapport parlementaire sur l’extraterritorialité,
de ces « Américains malgré eux » :
le cas typique est celui de l’enfant qui est né aux Etats-Unis, y est resté
un mois et qui, rentré en France avec ses parents, se voit intimer par l’administration
américaine : « tu dois rendre des comptes au fisc américain parce que tu es Américain
! ».
Il me faut encore nommer le Patriots Act de 2001 de lutte contre le
terrorisme ;
Le Cloud Act promulgué en mars 2018 qui permet aux agences de renseignement
américaines d’obtenir des données stockées sur leurs serveurs et situées aux
Etats-Unis ou à l’étranger.
Il faut y ajouter les actions privées du Sénateur américain au titre du
United Against Nuclear Iran pour révoquer l’Accord nucléaire avec l’Iran, le
Joint compréhensive Plan of Action (JCPOA). Les entreprises françaises qui
continueraient de commercer avec ce pays sont menacées de procès aux
Etats-Unis.
Le droit extraterritorial américain est une idéologie nationale. Que
constate-t-on ? Bien sûr, les Américains prétendent, la main sur le cœur, qu’ils
luttent contre le Mal et qu’il n’est pas acceptable que l’on couvre l’état de
corruption. Mais il ne s’agit plus de lois d’influence, de soft power mais de
lois d’instrumentalisation qui marquent la volonté de l’Amérique impériale.
L’historien Raymond Aron avait dit des Etats-Unis que c’était une «
puissance impériale». Elle est même devenue impérialiste parce qu’elle veut
tout contrôler.
Le système d’extraterritorialité juridique repose sur un seul élément, le
critère de rattachement d’un acteur étranger avec les Etats-Unis, qui sert de
base aux poursuites.
En effet, le droit international distingue deux compétences, une compétence
territoriale et une compétence personnelle.
Le lien de rattachement était, en droit international classique, assez
simple et bien défini, notamment par la Cour permanente de Justice dans l’affaire
Lotus de 1927.
Aujourd’hui, on sait qu’avoir utilisé le dollar par le biais d’une chambre
de compensation aux États-Unis, ou utilisé une adresse « gmail », c’est- à-dire
les serveurs américains, donnent à la justice américaine ce lien de
rattachement qu’ils réclament pour être compétents.
J’estime que ce n’est pas acceptable.
Alors comment lutter ? Indépendamment de la volonté politique à agir contre
cet impérialisme juridique, il faut savoir déceler un certain nombre d’ambiguïtés.
La première ambiguïté, ce sont les attitudes de nos propres sociétés. Dans
l’affaire BNP-Paribas, le gouvernement français a été mis au courant par la BNP
au moins sept à huit ans après les faits, les dirigeants de cette banque
prétendant se débrouiller eux-mêmes.
Le rôle ambigu des avocats doit être aussi souligné : il a été rapporté que
le Directeur des affaires juridiques d’Alstom avait proposé des solutions, mais
que les avocats américains ont protesté vigoureusement : il fallait plaider
coupable !
Quelle est la logique de ce système ? Les avocats américains se gratifient
d’un monticule d’honoraires qui n’a rien à avoir avec tout ce que les avocats
parisiens qui sont tarifés ou presque, vont percevoir.
C’est parfois 2 à 3 millions de dollars, et on comprend qu’ils essaient d’attraire
les affaires là où le cash va tomber, aux États-Unis.
Il faut compter encore avec le DOJ, c’est-à-dire le Département de la
justice américaine, dont on voit très bien que les membres travaillent en
connivence avec les services américains ; il n’y a que les imbéciles pour ne
pas y croire.
Et puis, n’oublions pas les moniteurs, qui sont placés dans un certain
nombre de sociétés françaises, pour vérifier la "compliance " pour
parler franglais, la conformité des normes et des comportements anti-corruption dans la société.
A mon sens, avoir sur le territoire national des moniteurs qui sont
directement liés à la « Justice américaine » constitue une violation directe de
notre souveraineté. Je m’aperçois à regrets qu’ il n’y a pas un juge français
pour s’en saisir, ce qui est scandaleux.
Les conventions d'entraide judiciaire sont foulées au pied, radicalement
ignorées ! C'est à peine croyable !
La France dans le domaine de la lutte contre la corruption a répondu avec
la loi SAPIN ; c’est une réponse sur le principe non bis idem : si nous, Français,
poursuivons, vous Américains, vous ne nous poursuivrez pas, on s’en charge,
Le problème est que l’on se fonde sur la Convention OCDE de 1997, et
notamment sur l’Article 4, assorti d’un commentaire qui fait partie du texte de
la Convention, où il est écrit en substance que le lien de rattachement à l’État
qui poursuit peut être faible.
Utiliser le dollar va permettre à la justice américaine d’être compétente,
utiliser une adresse gmail, parce qu' il y a des serveurs aux États-Unis,
risque aussi de vous conduire devant les tribunaux.
Il est nécessaire de réformer les dispositions de cette Convention et de
refonder la compétence juridictionnelle sur des liens réels avec l'Etat qui
veut poursuivre des personnes ou entreprises devant ses tribunaux.
Enfin il y a toutes les autres lois qui ne relèvent pas de la corruption,
comme les lois d’embargo. Quand la BNP se fait condamnée parce qu’elle a
commercé avec Cuba alors que, de notre côté, nous n’avons pas d’embargo avec ce
pays, ce n’est pas acceptable.
L’Union européenne avait élaboré le règlement 297196 Anti-boycott mais
visiblement, il n’a pas l’air d’être très efficace.
Si cette affaire ne remonte pas au niveau de la protection diplomatique de
nos entreprises et des personnes françaises, on capitule devant ce qu’il faut
bien nommer l’ennemi.
On capitule devant l’ennemi, car on n’a pas affaire, dans ce cas-là, à des
alliés, mais à des gens déterminés à déstabiliser nos entreprises, à prendre
des parts de marché avec des méthodes qui sont indignes.
J’ajoute que j’avais proposé à l’ancien ministre Laurent Fabius lorsque j’étais
député, de recourir à l’arbitrage inter-étatique sur ces sujets. Silence Radio.
Jamais le gouvernement n’a voulu élever cette affaire au niveau de protection
diplomatique et aller à l’arbitrage inter-étatique. Il serait pourtant possible
d’y recourir en application de la Convention d’établissement de 1959, son
article 13 prévoit une clause d’arbitrage.
Je n’ai pas peur d’évoquer un autre moyen à notre disposition, les mesures
de rétorsion.
Si vous ne démontrez pas la force vis-à-vis des États-Unis, il est certain
qu’ils continueront.
Ainsi que me l’a dit un jour Nicolas Sarkozy : « Ils ont des chaussures de
67 et ils vous marchent sur les pieds » La belle affaire !
Des mesures de rétorsion sont possibles. Je suis intimement convaincu, pour
en avoir encore discuté avec quelques ex-collègues du Quai d’Orsay, que Trump -, et on vient de le voir dans l’affaire
franco-mexicaine - y va au bluff. Il fait monter les enchères comme tout
commercial qu’il est, et ensuite il négocie. il est donc nécessaire de s’opposer
mordicus a ces méthodes.
Frédéric Pierucci dans son livre " Le piège américain ", fait la
somme des amendes qui aboutissent à un montant astronomique ; on ne peut pas
accepter ça.
Alors quelles mesures de rétorsion ? Pour ma part, j’en avais proposé une,
demander à Goldman-Sachs de nous rembourser ce que nous ont coûté l’adhésion de
la Grèce et la falsification des comptes.
Il y en a pour plus de cent cinquante milliards d’euros ! On pourra bien
dire : « hep ! Par ici la bonne soupe ! Vous, Goldman-Sachs, on vous fait un
procès en France ! », et on négocie !
Vous savez ce qu’est Goldman-Sachs : c’est l’école nationale d’administration
américaine : quand vous êtes au gouvernement, vous êtes au Trésor, et quand
vous êtes dans l’opposition, vous êtes dans les banques et souvent chez Goldman-Sachs.
Laissez-moi vous citer un cas, tiré de mon expérience. On me dit : « Mais
les Américains sont puissants, on ne peut rien faire ! » ... Ce n’est pas vrai.
Qu’est-ce que l’Affaire Ourengoï ? Elle se passe au moment où les Soviétiques
entrent en Afghanistan à la grande indignation de tous.
Un embargo américain est mis en œuvre à l'encontre de l'URSS, notamment sur
une succursale et filiale européenne américaine, Dresseur, qui livrait les
compresseurs pour le gazoduc d'Ourengoï.
Or les gouvernements de l’époque en 1980-81 voulait livrer les compresseurs
pour maintenir le dialogue avec les Soviétiques.
Comment s’opposer à cet embargo ?
Au cours d’une réunion, à laquelle je participais, qui a eu lieu à la
Direction des affaires juridiques ( DAJ ) du Quai d’Orsay, tout d’un coup un
membre de la Direction de l’aviation civile évoque une affaire où l’on avait réquisitionné
un aéronef.
Réquisition ? Je regarde l’ordonnance de 1959, et nous avons réquisitionné
Dresseur pour qu’il livre les fameux compresseurs ; cette entreprise avait donc
l’excuse légale pour effectuer les livraisons, et les Américains ont capitulé.
l'ordre de réquisition que nous avions rédigé à la DAJ a été signé par JP.
Chevènement...
C’est un problème de volonté politique, et j’en terminerai par cette
fameuse phrase du latin Virgile :
« Jamais de confiance dans l’alliance avec un puissant ! »
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