Le 20 juillet, je
décrivais la balsamine qu'on appelle poliment l'anthropologie
politique. Cette belle effarouchée ressemble à la sainte-Nitouche
qui dit à tout le monde: "Ne me touche pas". J'annonçais également
que, le 31 août, j'exposerai quelques rudiments d'une anthropologie
dont l'audace irait jusqu'à traiter du sujet, à savoir la bête
du rêve, du sang et de la mort.
Les évènements de
l'été se sont révélés propices à un projet aussi intrépide.
La vassalisation de l'Europe a été plus cruellement démontrée
que jamais par la descente de la police de Londres dans les
sous-sols où le Guardian cachait les disques durs de la Stasi
américaine à laquelle feu la fierté anglaise se trouve désormais
asservie.
Mais, le 30 août,
le parti travailliste anglais, soutenu par les suffrages inattendus
de plusieurs dizaines de députés du parti au pouvoir, ont purement
et simplement interdit à l'Angleterre de s'aligner, une fois
de plus, sur les Etats-Unis et d'aller bombarder la Syrie dans
leur sillage. La veille, la chambre des lords avait affiché
la même récalcitrance à perpétuer la vassalisation de la nation,
ce qui était explicable chez des aristocrates, mais ce qui l'était
moins, c'était que l'Etat le plus satellisé par les Etats-Unis
et par Israël depuis la fin de seconde guerre mondiale, le Canada,
affichât subitement la même volonté d'émancipation de la tutelle
de la Maison Blanche.
Le 13 juillet, j'avais
annoncé que les vrais acteurs de la pièce allaient très prochainement
débarquer sur la scène - c'est-à-dire qu'on verrait monter sur
les planches les protagonistes qui, depuis 1949, se cachaient
dans les coulisses du théâtre. Car la guerre froide avait permis
à Washington d'occuper l'Europe qu'ils avaient quittée depuis
1945 et de s'y incruster à jamais.
Dès le lever du rideau,
il a été révélé que l'histoire réelle du monde se trouvait autrefois
effacée par l'immersion des évènements dans l'eau de rose de
la foi. On apprêtait Clio ad usum Delphini. Maintenant
l'eau de rose se trouvait entre les mains d'un nouveau corps
sacerdotal, composé des trois ordres de la presse officielle,
de la radio d'Etat et de la télévision de masse; mais les gouvernants
occupaient un nouveau Vatican, celui d'une papauté démocratique
parcellisée et qui leur permettait de défendre en public le
nouveau badigeonnage des évènements. Le mythe du salut et de
la délivrance voyait maintenant les idéalités du Beau, du Juste
et du Bien traverser le ciel de la Liberté à tire d'aile.
En août 2013, ce
pieux camouflage était à l'apogée de son art. La Démocratie
allait châtier le dirigeant de la Syrie soupçonné d'avoir gazé
une centaine ou plus de citoyens du pays. Mais la sainteté était
devenue scrupuleuse et voulait éviter une tragique méprise.
Des doutes tardifs s'étant élevés sur l'identité des auteurs
réels de ce forfait, les croisés avaient momentanément reculé.
Mais la réalité
était tout autre: la Russie avait accéléré l'envoi des armes
les plus performantes à la Syrie menacée d'une agression en
violation du droit international; elle avait annoncé, en outre,
qu'elle pulvériserait l'Arabie saoudite au premier missile qu'enverraient
les guerriers du nouvel évangile. Et puis, non seulement le
peuple syrien ne se trouvait pas encore aussi vassalisé que
l'Europe et se montrait décidé à serrer les rangs autour du
gouvernement légitime, mais de pilotes de guerre s'étaient proposés
en Samouraï du sacrifice. Comment les apôtres de la Démocratie
apostolique auraient-ils soudainement avoué qu'ils ne reculaient
nullement afin vérifier les effluves de leur encens, mais parce
que M. Poutine avait chaussé les bottes de l'histoire véritable
du monde.
L'heure me paraît
donc venue de démêler quelque peu l'écheveau qui mélange les
fils du rêve avec ceux du réel. Car la démocratie mondiale universalise
une théologie de remplacement. Quelle est la composition de
la drogue qui permet aux Etats de plonger les peuples dans l'ignorance
de leur histoire? En l'espèce, il s'agit d'une guerre exclusivement
sioniste. On veut détruire la Syrie aux fins de couper le Hezbollah
de l'Iran, on veut permettre à Tel Aviv de peindre Téhéran en
épouvantail nucléaire - car on prétend que la Perse est folle
à lier et qu'elle se hâterait de pulvériser la planète et elle-même
sitôt qu'elle disposerait de l'arme du suicide universel. On
veut autoriser Israël à se cacher de derrière le rideau de fumée
d'une apocalypse imaginaire. On veut que le peuple de Moïse
puisse, longtemps encore, détourner l'attention de tout le genre
humain de la conquête guerrière à laquelle il se livre de la
Cisjordanie et de Jérusalem par l'extension inlassable de ses
colonies et par l'expulsion de la population autochtone.
L'enjeu réel est
donc de taille ; et c'est pourquoi le clergé de la démocratie
angélique voit ses rangs s'étoffer jour après jour de l'afflux
des légions d'Israël ardentes à en découdre avec la Syrie. C'est
dire également que si l'anthropologie scientifique ne détricotait
les mailles du sacré et du réel confondus, nous ne connaîtrions
jamais la trame de la politique et l'histoire des évadés de
la zoologie.
Sitôt que l'Europe
cesse un instant seulement de glorifier la Sainte Ampoule de
la démocratie mondiale - celle que brandissait le Général Colin
Powell - et qu'elle oublie de se rendre aussi odorante que la
balsamine, elle fait débarquer dans l'histoire du globe terrestre,
la férocité proprement théologique de l'humanité ; car la sauvagerie
originelle de la bête s'inscrit dans l'inconscient de la civilisation
monothéiste. Depuis la Genèse, le sacré exprime l'alliance originelle
des dieux avec le sang de l'histoire. L'humanisme occidental
se cachera-t-il longtemps encore la tête dans le sable? S'interdira-t-il
à jamais de citer le Dieu des autruches à comparaître à la barre
du tribunal?
Peut-être les évènements
inconsciemment religieux de l'été provoqueront-ils le déclic
cérébral attendu depuis six décennies, celui d'une Europe dont
l'audace intellectuelle irait subitement jusqu'à demander et
à obtenir le retrait pur et simple des troupes d'occupation
américaines pieusement implantées sur son territoire depuis
1949 et dont on sait que plus de cinq cents forteresses jugées
inexpugnables leur servent de bivouacs d'acier.
Mais je doute que
le Vieux Monde soit proche de prendre conscience du poids politique
et diplomatique fatalement écrasant attaché à la présence faussement
pacificatrice d'une puissance étrangère qui a fiché ses auréoles
sur nos arpents. Vingt-sept démocraties asservies par leurs
propres fantasmes parareligieux ne retrouveront jamais leur
souveraineté intérieure, donc leur liberté mentale si elles
se veulent "protégées" de génération en génération contre un
ennemi inexistant et si elles déclareront dévotement leur "sécurité"
en danger face aux spectres qui se promènent dans leur tête.
Aux yeux des futurs
historiens de la mythologie politico-religieuse actuellement
régnante, le terme de sécurité sottement évoqué par la scolastique
des Etats et par leur sophistique militaire apparaîtra comme
un témoignage incroyable de l'abaissement des esprits et de
la perte de jugement qu'entraîne la servitude benoîtement acceptée.
Mais soixante-dix ans de ce spectacle place la science historique
classique devant la nécessité d'une révolution de ses méthodes
d'observation et d'analyse: une civilisation de la raison ne
saurait demeurer motus et bouche cousue devant l'énigme anthropologique
de la domestication du monde à l'école des ombres et des songes
que sécrète l'évadé des forêts.
C'est dans cet esprit
que je me suis livré au sacrilège de toucher du doigt la théologie
de la plante traçante qu'est la balsamine du Népal ou Impatiens
glandulifera, cette mijaurée envahissante qu'on appelle
la soumission politique.
1 - Le sang et le sacré
2 - Comment négocier avec les dieux ?
3 - Une inondation merveilleuse
4 - Le sceau du sang et le Dieu de Caïn
5 - Les chirurgiens de Dieu
6 - Le sceau de la mort
7 - Le télescope tellurique
8 - La course à l'abîme de l'Europe vassalisée
9 - Les étables de la vassalisation
10 - Un salut vassalisateur
11 - Le créancier de l'absolu
12 - Qui suis-je ?
1 - Le
sang et le sacré
Commençons par une brève rétrospective des relations commerciales
que la bête du ciel entretient avec les acheteurs et les vendeurs
de son sang sur la terre.
Les
premiers linceuls ensanglantés que le simianthrope auto-sacrificateur
a exposés sur ses autels lui ont forgé, en retour, des cultes
écarlates. Cet animal est voué à hisser ses immolations dans les
nues. Les liturgies appelées à glorifier ses trépas cramoisis
se nourrissaient des offertoires où la bête recueillait l'hémoglobine
tantôt des animaux domestiques, tantôt des congénères dont, depuis
des millénaires, elle aspergeait ses propitiatoires. La liqueur
vermeille qui coulait sur les étals des piétés rédemptrices reliait
entre elles des générations de cadavres purifiés par la coulée
de leurs hématies dans l'arène de l'histoire.
D'un
côté, le rouge sanctificateur s'étale sur les champs de bataille,
de l'autre, le blanc pontifical symbolise les dévotions rémunérées
dont les patries chapeautent leurs corps sacerdotaux. Le blême,
le pâle, le blafard sont des signes de l'innocence réparatrice.
Si les massacres de la bête sont tellement rutilants, c'est parce
que l'alliance de la pourpre des vivants avec le noir endeuillé
du funèbre fait étinceler les glaives au soleil de la mort. Puis
des carnassiers célestes se sont mis à l'affut dans l'espace flamboyant;
et les filets invisibles de la grâce ont accumulé les tributs
que l'animal des sépulcres jette dans l'escarcelle de ses dieux.
Des tonneaux de sang à offrir bien frais aux Célestes de l'endroit
ont magnifié sans relâche les prières des bifaces en apprentissage
de leurs cieux dédoublés. Quels étaient les bénéfices versés par
les Immortels dans les goussets de leurs débiteurs implorants?
Une humanité apparemment comblée de se trouver prise à un prix
modique, lui semblait-il, aux pièges des caissiers du ciel a offert
en retour à ses sublimes dévoreurs la chair crue et bien saignante
de ses congénères les plus précieux. Mais les premières érubescences
de la foi n'ont pas apaisé la goinfrerie amarante des gloutons
logés sur les hauteurs du cosmos.
2
- Comment négocier avec les dieux ?
Le
carmin, le sinabre et le grenat vieillissent mal dans les fûts
où fermente le garance et le vermillon du sang des peuples de
Dieu. C'est sans interruption qu'il faut répandre ce vin enflammé.
Quand les vendeurs de leurs globules coquelicot aux animaux andrinoples
de là-haut furent parvenus à rentabiliser leurs offrandes, ils
se sont trop hâtivement détoisonnés; du coup, les fauves du ciel
ont rencontré leurs premières difficultés d'approvisionnement
aux étals de leurs bouchers. Comment vider les ciboires et les
bourses de leurs adorateurs si les victimes des rasades du ciel
se méfient maintenant des couteaux et des dieux aux aguets de
leurs proies?
Aussi les bimanes que l'on sait ont-ils disputé leur gibier à
la sainteté pateline de leurs Célestes sans perdre toute leur
mise dans un échange par trop inégal. Car les Olympe négocient
pied à pied le coût de leur marchandise aux acheteurs de leurs
rentes dans le ciel et de leurs châtiments sous la terre. A quel
prix nous fallait-il remplacer les globules rouges de nos bœufs,
de nos boucs et de nos agneaux par celles, plus dispendieuses
encore, qui couraient en fins ruisselets dans nos veines? De microscopiques
carnivores en sont-ils réduits à se laisser dévorer tout crus
par des carnassiers divins? Les animalcules prosternés devant
des fauves titanesques ne sont pas de taille à disputer leur pâture
aux cyclopes de la mort qui les déglutissent bien agenouillés.
3
- Une inondation merveilleuse
Après
quelques millénaires seulement de pingrerie dans la pratique de
ses meurtres sacrés, la bête aux dévotions fumantes a inventé
un sacrifice à la fois parcimonieux et de fort belle taille ;
d'un côté, elle acquittait toujours rubis sur l'ongle le tribut
de son sang au lion rugissant du cosmos. Mais elle le rendait
plus précieux et plus adorable que jamais à l'aide du subterfuge
sacré d'une avarice dont il faut admirer la sainte astuce. Car,
depuis longtemps, cet animal rusé se cherchait un gibet pour autel.
Il s'agissait de confondre commodément les supplices avec les
offertoires et de mêler plus aisément le sang des décisions judiciaires
et de leurs couperets avec les tranchoirs du ciel.
Pour cela, la bête et sa justice ont changé le vin clairet de
la vigne en sang jaillissant d'un tribunal; et aussitôt un congénère
trucidé pour solde de tout compte sur une potence a paru faire
l'affaire. Puis, dans la foulée, le pain bien cuit des boulangers
s'est métamorphosé en la chair d'un sauveur définitif et sanglant
à souhait. La nouvelle viande du sacrifice, on la conserve toujours
tellement fraîche qu'on la sert au saint ivrogne du ciel à toute
heure du jour et de la nuit.
Des
témoins dignes de foi attestent que des dizaines de millions de
bimanes offrent à tout instant et en tous lieux des rasades inépuisables
d'hématies dégoulinantes à leur Jupiter - ainsi que des bouchées
censées non moins appétissantes de leurs propres cadavres. Comment
se fait-il qu'ils ont hissé au rang de leur géniteur et de leur
assassin confondus un tueur adoré et un mangeur de leur chair?
Que va-t-il advenir du Dieu de Caïn? Et si nous étions inguérissables?
Et si les meurtres pieux que nos dieux nous réclament étaient
seulement à notre "image et ressemblance"? C'était le front
dans la poussière que nous nous prosternions devant nos propres
effigies divinisées, c'était la face contre terre que la bête
biphasée entre le ciel et la terre se mettait à l'écoute de son
sang. Savez-vous que, depuis plus de vingt siècles, le vin de
notre histoire monte sans relâche jusqu'au trône du créateur de
l'univers et qu'il retombe en une pluie de grâces sur toute la
surface du globe terrestre?
" Ah qu le sang de Jésus-Christ qui est coulé dans nos veines
par la vertu de ses sacrements anime le sang des martyrs d'une
sainte et divine chaleur qui le fait jaillir d'ici bas jusque
sur le trône de Dieu. (…) Quelle était la source de cette ardeur
plus qu'humaine (…). C'est qu'ils considéraient en esprit ces
torrents du sang de Jésus qui se débordaient sur leurs âmes par
une inondation merveilleuse." Bossuet, Panégyrique
de saint François d'Assise, Pléiade p. 278)
4 - Le sceau du sang
et le Dieu de Caïn
On voit qu'une anthropologie de psychanalystes des meurtres sacrés
serait désireuse de connaître l'alliance du mufle du ciel avec
le "mufle de l'histoire", comme dit Régis Debray. Comment cette
discipline ferait-elle débarquer les témoins du sang simiohumain
de grand prix dans le faux savoir des Sorbonne, comment s' initierait-elle
au décryptage de la mort achetée à prix d'or et vendue à l'encan,
comment se mettrait-elle en mesure d'entendre ce que disent du
marché des catafalques les Augustin, les Ambroise, les Tertullien,
les Bossuet, les Shakespeare, les Swift, les Cervantès ou les
Kafka? On voit qu'une anthropologie religieuse digne de ce nom
se voudrait ennemie de la frilosité intellectuelle des démocraties
de masse et qu'elle se rendrait experte à décrypter l'inconscient
de la politique et de l'histoire. Mais alors, elle devra s'interroger
davantage sur la mise en bière et les funérailles de la pensée
critique. Comment porte-t-on une civilisation pensive au tombeau?
On sait que la fermentation du vin de la pensée rationnelle avait
commencé sous d'heureux auspices. Mais nos anthropologues sont
entrés tardivement dans la connaissance du naufrage de notre cervelle.
Nous commençons à peine de fouailler les entrailles de la bête
cérébralisée. Nos prospecteurs seront contraints de conduire jusqu'au
tragique la science des relations sanglantes que l'animal schizoïde
entretient avec les bouchers qu'il a installés dans le ciel de
son entendement; et ces spéléologues découvriront que, depuis
le paléolithique, elles se rendent de plus en plus payantes, les
senteurs qui montent du sang rémunéré de la bête assassinée sur
ses autels. Et pourtant, tout à l'inverse, cette espèce se laisse
de moins en moins griser par le nectar de ses meurtres. Que se
passerait-il si, un siècle et demi seulement après la parution
de L'Origine des espèces, une raison impavide portait
le regard sur le carnassier livré au commerce de sa viande et
aux effluves de son odeur sur ses offertoires? Que se passerait-il
si une science de ce genre mettait un jour entre nos mains le
sceptre et le poignard d'un "Connais-toi" plus odorant que jamais,
mais redevenu prospectif et tranchant à souhait?
5 - Les chirurgiens
de Dieu
Les
nations et les empires dominants ont toujours disposé d'une imperceptible
avance de leur boîte osseuse et de leur denture sur celles de
leur temps, tandis que les décadences entraînent une régression
parallèle du niveau mental et des performances olfactives des
peuples et de leurs dirigeants.
Voir
: La honte! Le prix
du sang et la vassalisation de l'Europe , 13
juillet 2013
Comment
se fait-il que les élites politiques de l'animal schizoïde perdent
la moitié de leur raison dans les déclins, comme si les crocs
les plus aigus et les cervelles hautement flairantes de l'espèce
s'aiguisaient parallèlement et sur les mêmes meules? Et pourtant,
si le fer a vaincu le bronze, l'acier le fer, la poudre les catapultes,
le moteur les voilures, c'est que des bistouris privilégiés avaient
fouaillé les entrailles des religions aveugles et des cultures
superficielles de leurs congénères.
Il
faut donc nous demander de quels scalpels les chirurgiens du cerveau
semi-animal disposent depuis la nuit des temps et sur quels blocs
opératoires ils ont ouvert le crâne de nos ancêtres au trépan.
Supposons qu'un observatoire sommital du sang des fauves semi
cérébralisés serait devenu constructible au sein de notre philosophie
d'école, supposons ensuite que ce télescope géant aiderait la
nature à fabriquer des globes oculaires capables de braquer cet
instrument d'optique sur nos encéphales embrumés, supposons enfin
que nous parvenions à observer les métamorphoses du sang et des
mâchoires du carnassier métaphorique que nous avons hissé dans
le ciel. L'Europe disposerait alors de l'avance cérébrale du Pharaon
Kekrops, dont on raconte qu'il sevra les premiers habitants de
l'Attique des succulences de la chair de leurs semblables, qu'ils
jetaient jusqu'alors sans compter dans l'estomac vorace des dieux
censés tapis dans le cosmos. Pourquoi n'observons-nous pas les
oreilles et le nez de la bête dont nous sommes issus et que nous
sommes demeurés?
6
- Le sceau de la mort
Des mutants isaïaques se demanderaient en tout premier lieu comment
il se fait que des animaux autophages de naissance aient élevé
leur sang au rang de signifiant central d'un cosmos pré-intellectualisé
par leurs sacrifices et pourquoi l'alimentation des deux anthropophages
spéculaires - celui d'en-haut et celui d'en-bas - est redevenue
d'actualité au point de se situer désormais au cœur du décryptage
anthropologique de l'occupation américaine de l'Europe depuis
1945. De toute évidence, si l'hémoglobine de la bête sacrificielle
marque l'histoire universelle du sceau d'une sainteté ensanglantée,
les hématies de ce bimane symbolisent nécessairement ses offertoires.
Comment les poètes ont-ils compris l'alliance fatale que la bête
de la mort a conclue avec son sang?"
Cités
ivres de sang et de sang altérées
Qui avez soif de sang et de sang enivrées
Vous sentirez de Dieu l'épouvantable main;
Vos terres seront fer, et votre ciel d'airain;
Ciel qui au lieu de pluie envoie sang et poudre
Terre de qui les blés n'attendent que la foudre. "
(Agrippa d'Aubigné, Les Tragiques, Livre
VII)
Comment se fait-il qu'Agrippa d'Aubigné, mort en 1630, huit ans
seulement avant la naissance de Louis XIV, protestant militant
et compagnon d'armes de Henri IV, se soit montré aussi ardent
défenseur du Dieu vengeur et ivre du sang de sa créature que le
catholicisme, qui avait attendu treize siècles pour mettre en
scène les marmites du diable et les rôtissoires infernales sous
la plume de Dante, sinon parce que les religions monothéistes
oscillent entre l'engraissement de leur clergé roulant carrosse
et le retour au meurtre fondateur - celui que perpètre une divinité
chargée de tenir la foudre de l'apocalypse d'une main et le sceptre
d'un déluge exterminateur de l'autre. Comment se fait-il que le
ciel copie le génocidaire simiohumain?
7
- Le télescope tellurique
Décidément,
les anthropologues d'un Jupiter en fureur dissèqueront les dieux
tortionnaires que sécrète le cerveau d'une bête scindée entre
le ciel et la terre. Qu'en est-il des totems à la fois sacrés
et sanglants dont les semi évadés de la zoologie peuplent leur
crâne? Quand nous aurons assimilé les vérités que seuls les scalpels
et les bistouris des chirurgiens du ciel peuvent nous enseigner,
nous en apprendrons davantage sur la bête immolatrice d'elle-même
- celle que ses sosies dédoublent et miment dans les nues.
Pour nous informer de cela, il faut observer que cet animal a
passé du tribal le plus microscopique au charroi des tribalismes
nationaux, puis à un rêve de sang dont ses cosmologies mythiques
ont conquis l'universalité. Quant la vocation totalisante du sacré
eut échoué à faire tarir le sang au compte-gouttes des peuplades,
puis des nations encore maigres, cette espèce est revenue au labour
intermédiaire des patries, et celles-ci ont donné naissance aux
civilisations initiées aux sciences expérimentales. Celles-ci
se sont informées des recettes d'une raison combinatoire, donc
inapte à conjoindre l'absolu et le relatif, le symbolique et le
réel, l'intemporel et le signifiant, le sacré et l'utilitaire,
l'image et le sens, l'effigie et le vivant. Du coup, les nations
sont devenues le chaînon en charge d'assurer le destin intellectuel
d'une espèce prise en étau entre sa folie et ses mangeoires et
condamnée à voguer entre deux écueils, celui de ses rares picotins
et celui des râteliers abondants de l'abstrait.
Pour
l'instant, les écuries d'Augias des Etats semi rationnels occupent
une vaste étendue entre les modestes prétentions du tribal et
les fourrages inépuisables des promesses du ciel. Cela autorise
les astronomes de l'homme à se construire le télescope évoqué
plus haut, celui dont la lunette leur permettra d'étudier le convive
céleste condamné à partager la sainte gastronomie de la bête en
ses étables et qu'on appelle Dieu. Nous constatons que l'animal
d'en haut et celui d'en bas se portent tous deux garants de la
valeur de leurs cadeaux au grand tueur du ciel qu'ils sont tous
deux à eux-mêmes, de sorte que si le primate au cerveau biphasé
perdait en chemin les corps saignants des victimes de ses sacrifices
- celles qui lui permettent de graver son effigie en rouge sur
le cosmos - il perdrait également en cours de route les goinfres
de l'univers censés embusqués dans le néant et réputés assurer
son salut éternel.
Par conséquent, le spectacle de l'identité mentale d'un animal
en quête de son immortalité se construit sur le commerce de ses
hématies auquel il se livre avec les êtres imaginaires qu'il loge
dans le néant. Aussi l'horreur des tractations vertueusement sanglantes
de la bête avec les acheteurs de sa carcasse dans les nues soulève-t-elle
la question la plus axiale que l'anthropologie moderne se verra
contrainte de poser, celle de savoir sur quels fondements Adam
bâtit son entendement collectif, donc sa signification propre;
car le sceau du cramoisi n'est pas un aveugle, un muet et un sourd.
Ce bavard de sa folie s'entretient jour et nuit avec ses sosies
dans le ciel de sa démence. Qu'arrivera-t-il quand la bête aura
perdu l'anneau magique qui lui fournissait intarissablement l'empreinte
sanglante de son identité universelle et béatifiante, donc précieuse
à ses yeux ?
8
- La course à l'abîme de l'Europe vassalisée
Puisque le voyageur dont nous pouvons estampiller les auberges
et suivre les étapes qu'il parcourt à l'école de ses songes se
trouve, dans le même temps spectateur de l'évanouissement progressif
de ses autels, puisque ce malheureux observateur de sa cérébralisation
saccadée voit ses Olympes mourir sous ses yeux, comment se fait-il
qu'il n'ait jamais cessé de s'auto-définir à l'école de ses égorgements
sacrés ? Puisque cette bête s'obstine à entretenir des relations
tant gastronomiques que psychiques avec les guetteurs à l'affût
de sa chair dans le ciel, qu'en est-il de l' éternité à la fois
meurtrière et sacralisante qui le comble?
Puisque ce bimane en cours d'édulcoration souffre de nostalgie
au spectacle de l'évolution de plus en plus lénifiante de son
encéphale, puisqu'il déplore de se trouver lentement, mais irrévocablement
dépossédé des relations théâtralement carnassières et patelines
qu'il avait tissées avec ses totems, on ne saurait douter que
l'identité mentale de cette espèce lui fasse désirer ardemment
de passer par la vente et l'achat de son ossature dans le vide
de l'immensité. Ce candidat à sa vaporisation va-t-il donc alléger
son squelette jusqu'à le propulser avec ardeur dans le silence
de l'éternité? Le verra-t-on exorciser saintement l'infini qui
le happe avec le secours de ses mécaniciens, de ses armuriers
et de ses maçons?
Mais,
dans ce cas, il deviendrait impossible à cet animal de jamais
mettre la main sur les cierges qui faisaient, du commerce assidu
de son sang et de sa chair avec ses maîtres et ses propriétaires
invisibles, non seulement l'âme et le souffle de tous les vivants,
mais l'établissement de crédit protégé de la banqueroute et sur
lequel il tirait ses traites assermentées.
9 - Les étables de
la vassalisation
On voit la course à l'abîme que la pensée rationnelle a ouverte
toute grande, on voit le gouffre dans lequel l'évanouissement
du sang des sacrifices précipite cet animal. L'intelligence bancale
d'elle-même à laquelle se trouve désormais réduite une Europe
vassalisée par les millénaires du sang qui rémunérait ses autels,
cette raison amputée, dis-je, se reflète maintenant dans un spectacle
à la fois tragique et en attente de son décryptage anthropologique,
celui des cinq cents bases militaires inutiles que l'empire américain
arme jusqu'aux dents sur nos terres et dont les écuries nous donnent
à déguster l'offrande au dieu Liberté; et cet autel cérébral nous
réclame pied et pied et d'une génération à l'autre le tribut de
notre sang le plus succulent, c'est-à-dire le remboursement d'une
dette d'un montant tellement incalculable qu'il nous sera à jamais
impossible de l'éponger.
Dans Les Oiseaux , Aristophane soumettait les Immortels
richement rémunérés de son temps à la torture de la faim. Mais
la grève des sacrifices les plus opulents ne privait les Célestes
que de la viande de vil prix des bêtes du sacrifice. Le monothéisme
a fait changer de pâturages et de tourments au Céleste mis à la
diète: affamer le Dieu des chrétiens, c'est le priver du sang
le plus payant de ses troupeaux, celui de sa propre créature,
c'est le sevrer de la succulence des corps, c'est faire jeûner
un anthropophage-né, c'est mettre à contribution l'histoire rachetable
tout entière et cela à seule fin de rassasier le goulu suprême
dont le plat n'est autre que le temps des hommes. Le christianisme
a rendu Clio à la fois sanctificatrice et dûment comestible. Qu'est-ce
à dire?
10
- Un salut vassalisateur
Dans un texte précédent j 'écrivais à peu près: "Depuis 1945,
sept décennies se sont écoulées. Pendant tout ce temps-là, nous
avons payé jour après jour le prix du sang que l'empire américain
a versé sur nos arpents. De génération en génération, les tombes
des guerriers étrangers enterrés dans nos jardins nous placeront
sous le joug de la gratitude infinie qu'elles réclameront de nous
à jamais. Le tribut que nous paierons éternellement au trépas
de nos saints délivreurs sera-t-il aussi coûteux que celui du
Golgotha?"
Voir: L'hypertrophie
de la vassalisation atlantiste, 20
juillet 2013
Depuis que le principe coûteux de notre gratitude religieuse à
l'égard d'une divinité au grand cœur, depuis que le paiement de
notre dette sacerdotalisée est enraciné dans le mythe éperdu d'une
rédemption censée généreuse, mais interminable, notre servitude
s'est désormais christianisée en sous-main; et elle se trouve
maintenant si indéfectiblement ligotée à une piété en attente
de son décodage anthropologique que nous devons nous demander
comment nous perpétuons les rites et les liturgies d'une génération
cléricalisée à l'autre? Nous avons vu le culte démocratique se
calquer sur le modèle de la dette non remboursable et de la repentance
intarissable des chrétiens, puisque notre piété, devenue otanienne,
ne peut que se ficeler au pardon que notre vainqueur de 1945 nous
accorde goutte à goutte, mais jamais pour solde de tout compte.
Tite-Live
a usé d'une expression révélatrice pour souligner qu'à l'image
de leurs labours, les devoirs éternels des Romains envers leurs
Immortels passaient de main en main: "Tradere in manus religiones".
Mais depuis deux mille ans la religion chrétienne et les instruments
de son culte passent de père en fils avec l'argent des ciboires
et le bois des crucifix. La religion démocratique servira à son
tour les intérêts de son Céleste à l'aide des ustensiles sacrés
de la Liberté. On appellera les nouvelles hosties des idéalités
et le pain sacré de leurs évangiles sera cuit au four des mots
de la foi au service d'un mythe de la Justice mondiale. Et nous
troquerons la religion d'autrefois par nos dévotions à l'Etat
le plus puissant de la terre.
Comme s'il avait découvert quelques secrets de l'animalité de
Dieu et de l'animalité célestiforme qui sous-tend le sacré simiohumain,
Agrippa d'Aubigné a souligné, en anthropologue d'avant-garde,
dirait-on, le parallélisme frappent entre les hosties du ciel
et celles de la terre. Les terres
labourées des croix de notre salut qui s'étendent à perte de vue
en Normandie sont chargées de graver dans nos têtes le sceau rédempteur
et le soc salvifique des morts américains à rémunérer sans fin
sur cette terre.
11
- Le créancier de l'absolu
On
voit que, pour la première fois depuis que les Phéniciens ont
mémorisé notre histoire à l'école de l'écriture, une civilisation
entière ne sera sauvée de la vassalisation des esprits que si
les encéphales asservis bénéficient d'une mutation qualitative
de leurs neurones. Une telle révolution de l'intelligence politique
exige une anthropologie du sacre, donc une autopsie de "Dieu".
Certes les religions monothéistes nous ont appris que le tropisme
de la gratitude éternisée sur le modèle apostolique se grave de
génération en génération dans les chromosomes des fidèles et y
devient reproductible à titre héréditaire. Nous savons également
que la coulée des siècles d'une sotériologie cautionnée par une
révélation dite révélée a rendu immortelle une dette originelle
et contractée à jamais. Devenue un sacre, donc porteuse d'une
eschatologie délivrante, la dette des vassaux de leur sauveur
américain les ficèlera à la sainteté de leur nouveau convertisseur
sommital. Que va-t-il advenir d'un animal désormais crucifié sur
la croix d'une "Liberté démocratique" mondialisé et qui dresse
le gibet de la dette politique éternelle sur lequel son nouveau
créancier l'a cloué en apothéose? C'est le Dieu qui profite du
supplice de sa créature dûment divinisée en échange du service
grandiose qu'elle a rendu à son maître, c'est l'Amérique qui se
gonfle dans le ciel de la Démocratie mondiale de l'encens de la
servitude dont l'odeur monte à ses narines.
C'est exclusivement pour notre salut, naturellement, que des traités
éternels implantent des garnisons en acier trempé sur notre continent.
Cette catéchèse militaire se trouve imprimée dans des missels
internationaux gravés dans nos constitutions démocratiques. Aucun
Etat européen n'est plus autorisé à s'allier librement à un autre
s'il ne s'est placé au préalable sous le commandement militaire
exclusif du souverain de l'étranger dont le quartier général se
trouve à Mons en Belgique. Ce type de vassalisation apostolique,
donc sur le modèle confessionnel, répond au modèle proprement
religieux d'incrustation d'un convertisseur, donc du détenteur
de la vérité spirituelle et universelle à répandre sur les terres
du vaincu.
Le christianisme a rendu divin le glaive légitimé
par sa victoire. Le sceptre démocratique est bénédictionnel et
messianique. C'est dire que si l'anthropologie critique ne découvrait
pas les ressorts psychobiologiques qui pilotent le cerveau d'un
animal auquel son évolution a ordonné d'élever ses tombes au rang
d'une balance magique à peser le sens religieux de l'univers,
l'étranger enseveli dans nos champs nous ordonnera de brandir
sur nos têtes le sceptre et la tiare pontificaux d'un salut forgé
sur les saintes enclumes de notre vassalisateur sacré.
12
- Qui suis-je ?
Comment la question "Qui suis-je?" de Montaigne, qui a pris la
relève du "Connais-toi" de Platon, prendrait-elle un sens heuristique
nouveau si le simianthrope actuel ne sait pas encore de quel œil
il se regarde quand il se donne un Dieu unique pour spectateur?
Car le globe oculaire de cet animal n'est pas près de porter son
attention sur la rétine du Dieu unique qui le surveille et qui
lui fait conjuguer ses verbes-clés, notamment quand il dit: "Je
sais, je comprends". L'anthropologie critique ne perd plus son
temps à photographier les connaissances psittacistes des théologies,
mais à démonter pièce par pièce les appareils de prise de vues
dont usent le verbe expliquer, donc penser sous
le sceptre d'une divinité. Un humanisme incapable de dresser l'inventaire
des ressorts et des rouages de l'encéphale de "Dieu" ne connaîtra
jamais les derniers secrets de la vassalisation des civilisations,
parce que seule la pesée de la boîte osseuse de nos idoles nous
livre le véritable territoire de la politique, celui qui divise
le monde entre des vainqueurs et des vaincus.
C'est dire également qu'une anthropologie ne méritera le statut
de science qu'à l'heure où elle sera devenue réellement explicative
et qu'elle aura nécessairement fait débarquer l'étude du sang
des sacrifices payants sur les planches de l'histoire décodée
de la bête. C'est
dire, en outre, que, pour l'instant, et sur les cinq continents,
la classe dirigeante des démocraties reçoit une éducation pastorale
et catéchétique dont la naïveté produit fatalement des élites
politiques inconsciemment aveuglées par une cécité de type théologique.
C'est dire enfin que si les académiciens d'Oslo, par exemple,
ont naïvement accordé le prix Nobel de la paix au chef de l'Etat
à la fois le plus pastoral et le plus meurtrier du globe
terrestre, c'est parce que leur humanisme bi-dimensionnel ne connaît
pas le fonctionnement de la machine de la sainteté politique.
Cette
candeur-la n'a aucun accès à la connaissance de l'évolution politique
de la boîte osseuse des évadés schizoïdes de la zoologie.
Si la scolastique démocratique est demeurée l'instituteur d'une
sophistique de l'histoire du monde, c'est parce que seul le déchiffrage
de la boîte osseuse des trois monothéismes nous livre le vrai
territoire de la politique.
Si
l'on tente de fonder la simianthropologie sur la prétendue connaissance
du langage qu'affichent les linguistes, jamais la caméra du vocabulaire
et de la syntaxe ne descendra dans le puits de la spéléologie
critique, parce que l'encéphale de la bête dichotomique n'est
accessible que si l'on creuse un tunnel en direction de la rétine
de "Dieu". Ce passage souterrain est celui qui conduit à la connaissance
de la bipolarité cérébrale native qui permet aux sosies
de Jupiter d'ignorer que l'animalité spécifique de la géopolitique
se masque sous sa propre effigie dédoublée par son
auto-sanctification.
Pascal
voyait la bête sous l'ange. La vassalisation de l'Europe par l'alliance
de la voix des idéalités avec la démocratie confirme que l'ange
est le masque célestiforme de l'humanité et que la bête se cache
si bien sous le masque de sainteté de ses Jupiter que la déconstruction
du roi des dieux ne fait que commencer.
Mais
Pascal dit aussi que l'élévation spirituelle passe par l'abaissement
de la créature , parce qu'on ne saurait observer une divinité
en sa sauvagerie politique et sa férocité masquée qu'à la lumière
d'un Dieu transcendant à son prédécesseur. Peut-être l'Europe
prétendument incroyante est-elle sur le chemin du Dieu nouveau,
celui des vrais vainqueurs de la mort.
Le 31 août 2013