Mardi 22 mars 2011 s’ouvrait à 15 heures à l’Assemblée Nationale sous la Présidence de Monsieur Bernard Accoyer une séance consacrée en Première partie à la Déclaration du Gouvernement sur l’intervention des forces armées en Libye et débat sur cette déclaration.
ooOoo
Que s’est-il déclaré hier Mardi l’Assemblée Nationale ?
Je n’ai repris en réserves dans mes documents que les interventions les plus significatives pour étudier le fond du débat,.
Remarque générale : Certains points particuliers ont attirés mon attention, en relation avec les informations des jours précédents, soit parce que dans les interventions les orateurs les accentuaient - quelquefois avec trop d’improvisation par rapport à la réalité -, soit parce qu’ils les atténuaient ou encore les plaçaient en retrait par rapport à leur faible taux de conviction..
Pour la commodité de lecture les différentes interventions seront traitées une par une dans des éditoriaux séparés
J’ai déjà publié et commenté l’intervention du Premier Ministre, aujourd’hui je reprends ci-dessous une intervention pertinente et sincère, celle de Roland Muzeau
Passons au vif du sujet :
Intervention de Monsieur Roland Muzeau ( Gauche démocrate et républicaine )
:
« Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, quand, dans tant d’autres « pays voisins, un vote a eu lieu sur l’opportunité d’entrer en guerre avec la Libye, ici, dans « notre belle démocratie, on ne donne que quelques minutes de temps de parole à la « représentation nationale pour s’exprimer. Que penser d’une telle parodie de consultation « démocratique, alors que notre pays est déjà entré en guerre ?
« Ce débat est néanmoins l’occasion pour nous d’exprimer à nouveau notre solidarité avec les « peuples arabes en lutte, et plus particulièrement avec le peuple libyen, mus par un souffle de « libération aussi profond que légitime. Cette solidarité avec le peuple libyen ne saurait pour « autant annihiler tout esprit critique à l’endroit du comportement de notre propre pouvoir « exécutif, dont les choix diplomatiques sont illisibles, contradictoires, et aboutissent in fine à « altérer notre crédibilité internationale. Un déclin que semble signifier l’ultime épisode de « l’entrée en guerre de la France contre la Libye, dans le cadre de la résolution 1973 du « Conseil de sécurité de l’ONU.
« Au-delà de l’élan politico-médiatique de ces derniers jours, l’intervention militaire en Libye « repose sur deux fictions.
« En premier lieu, l’Élysée et ses porte-parole, relayés avec une certaine cécité par la majorité « des médias, prétendent qu’il y aurait une unité de la communauté internationale pour « soutenir les bombardements en Libye. Au mieux, il s’agit là d’une erreur d’analyse. « Permettez-nous, en effet, de souligner les méfiances et les oppositions qui s’expriment « autour de cette intervention. Il suffit de rappeler la position de puissances mondiales comme « l’Inde, la Chine et la Russie, qui refusent de soutenir l’offensive militaire.
Mais l’attitude d’autres pays est plus significative encore. Il y a d’abord l’Allemagne, première puissance européenne, qui s’est abstenue sur la résolution lors du vote du Conseil de sécurité. Son vice-chancelier et ministre fédéral des affaires étrangères résumait au Guardian sa position en ces termes : « Une solution militaire semble très simple mais elle ne l’est pas. C’est risqué et dangereux, les conséquences peuvent être imprévisibles […]. Nous admirons la révolution tunisienne, mais nous voulons que tous ces mouvements soient renforcés et pas affaiblis […]. Examiner des alternatives à un engagement militaire, ce n’est pas ne rien faire. »
En cela, l’Allemagne rejoint le Brésil, première puissance sud-américaine, qui s’inquiète, par la voix de son ambassadrice à l’ONU, du risque d’exacerber les tensions sur le terrain au détriment des populations civiles, que nous nous sommes engagés à protéger. Les Brésiliens insistent sur le caractère spontané des révolutions arabes et alertent sur le risque d’en changer le récit, ce qui aurait de sérieuses répercussions pour la Libye et le reste de la région.
Des pays de l’Amérique Latine ont fait savoir, le 19 mars dernier, qu’ils rejetaient « toute intervention militaire en Libye ». Le chancelier argentin Héctor Timerman a dénoncé le fait que ces attaques contre le territoire libyen menées par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni n’aient pas fait l’objet d’un large débat au Conseil de sécurité ou à l’Assemblée générale des Nations unies. Le président uruguayen a, quant à lui, qualifié de « lamentable » l’attaque des forces armées contre la Libye.
Surtout, cette offensive militaire trouble les peuples de la région, qui rejettent la figure dictatoriale de Kadhafi mais refusent de cautionner toute nouvelle expression de l’impérialisme occidental. Le chef de la Ligue arabe, M. Amr Moussa, a critiqué dimanche les bombardements occidentaux sur la Libye, estimant qu’ils s’écartaient « de l’objectif d’instauration d’une zone d’exclusion aérienne » ; « ce que nous voulons, a-t-il ajouté, c’est la protection des civils et pas le bombardement de davantage de civils ».
D’ailleurs, en Tunisie, la presse prononce un verdict sévère contre les bombardements aériens, craignant qu’ils ne plongent le Maghreb et le Moyen-Orient dans l’instabilité, allant même jusqu’à redouter que cette intervention fasse de la région « une zone de tension et une base avancée pour les forces impérialistes qui n’ont pas intérêt à voir la région vivre un sursaut social révolutionnaire, nationaliste et démocratique » et « souille la bataille du peuple libyen contre la junte corrompue ».
La Turquie a, elle aussi, fait connaître son opposition à l’option militaire, et l’Union Africaine a, pour sa part, réclamé la fin des opérations militaires contre le régime libyen, rappelant que la communauté internationale avait rejeté son offre d’envoyer une délégation de paix en Libye.
Dès lors, quel objectif vise cette fiction d’unanimité internationale ? Il s’agit de masquer la réalité politique et géopolitique de cette guerre, qui n’est rien d’autre qu’une intervention occidentale menée par des ex-pays colonisateurs !
La seconde fiction sur laquelle repose cette offensive militaire consiste à faire de la France, et plus particulièrement de Nicolas Sarkozy, la force d’impulsion, de conception et de décision qui en est l’origine. Or la réalité est cruelle pour l’orgueil national et le narcissisme de notre président : en effet, nos concitoyens doivent savoir que, dans cette intervention, notre pays n’est que le bras armé des États-Unis. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Le Washington Post et le New York Times résument parfaitement l’ordonnancement des événements : ce sont les États-Unis, et eux seuls, qui ont décidé de se lancer dans l’opération diplomatique visant à faire adopter la résolution du Conseil de sécurité qui a décidé de l’emploi de la force en Libye ! S’ils ont créé les conditions pour laisser croire que la France avait le leadership dans cette affaire, c’est parce que cela arrangeait bien le Président Obama.
M. Éric Straumann. C’est faux !
M. Roland Muzeau. Et, contrairement au storytelling concocté par l’Élysée, ce sont bien les Américains qui commandent dans cette « Aube de l’Odyssée », sous les ordres du général américain Carter Ham. Aujourd’hui, il est même question que les forces armées passent sous commandement de l’OTAN. On ne pourrait rêver mieux pour envenimer encore la situation !
Une fois de plus, n’en déplaise à la majorité, cette guerre contre la Libye, dont la France apparaît comme l’instigatrice, s’inscrit dans la récente série noire d’incohérences de notre diplomatie qui lui a fait perdre tout son crédit international.
D’abord, parce que personne n’a la mémoire courte, même si certains peuvent être frappés d’amnésie passagère. Cette nouvelle guerre n’est-elle pas, officiellement du moins, comme le prétend le Président de la République, le moyen de se débarrasser d’un affreux dictateur sanguinaire ? Mais n’est-ce pas le même président qui a signé différents partenariats avec Mouammar Kadhafi, en juillet 2007, dont un « partenariat industriel de défense », très prometteur pour les sociétés d’armement françaises et pour les affaires de M. Dassault ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.) N’était-ce pas un ami que le Président de la République et le président de l’Assemblée nationale recevaient avec les plus grands égards en décembre 2007, quand, pour notre part, nous dénoncions et boycottions avec la plus grande fermeté l’invitation du dictateur libyen ? N’est-ce pas deux membres du gouvernement actuel, M. Ollier et M. Guéant, qui furent les artisans de ce rapprochement ?
M. Éric Straumann. Et la libération des infirmières bulgares ?
M. Roland Muzeau. N’est-ce pas l’actuel ambassadeur de France en Tunisie qui venait sur les plateaux de télévision défendre ce criminel en se vantant que celui-ci l’appelait « mon fils » ?
M. Jean-Pierre Brard. Ils lui baisaient tous les babouches !
M. Roland Muzeau. Et qui annonce que la France reconnaît le gouvernement d’opposition libyen ? M. Bernard-Henri Lévy et le Conseil transitoire libyen, au moment même où notre ministre des affaires étrangères négociait une position commune avec nos partenaires européens ! Comment peut-on espérer dès lors que l’on prenne au sérieux notre politique étrangère ?
Il faut par ailleurs se demander si cette reconnaissance a été envisagée comme il se devait. En effet, la seule chose que nous savons avec certitude de ce Conseil transitoire libyen, c’est que son président est un ancien ministre de la justice de Kadhafi, que son chef d’état-major est un ancien ministre de l’intérieur, que d’autres de ses membres enfin préfèrent conserver l’anonymat. N’aurait-il pas été préférable, dans ces conditions, que notre pays prenne plus de précautions ou, en tout cas, qu’il ne décide pas à la place du peuple libyen qui était en mesure de le représenter ?
Notre politique étrangère met aussi et surtout en évidence l’existence de deux poids et deux mesures en matière de droit d’ingérence. Nos dirigeants ont en effet fait valoir le principe de non-ingérence pour justifier de leur silence assourdissant et de leur immobilisme lors du soulèvement du peuple tunisien, une non-ingérence d’autant plus justifiée qu’il s’agissait d’une ancienne colonie française.
M. Éric Straumann. Ça n’a rien à voir !
M. Roland Muzeau. Mais le gouvernement français n’hésitait pas, dans le même temps, à proposer au dictateur Ben Ali le savoir-faire de nos forces de sécurité et à réclamer la démission de Gbagbo, s’immisçant ainsi directement dans le processus électoral ivoirien.
Incohérence toujours et encore de notre politique étrangère quand nous voulons être les premiers à lancer des tapis de bombes sur un pays qui ne nous a pas déclaré la guerre mais que notre diplomatie est totalement muette face à la violente répression du mouvement populaire au Bahreïn par le régime du roi Hamad Ben Issa Al-Khalifa, ou encore face au massacre de la population civile par le régime du président Saleh au Yémen !
M. Jacques Desallangre. Hélas !
M. Roland Muzeau. Pourquoi ne réagissons-nous pas avec humanité et discernement quand l’Arabie Saoudite ou les Émirats arabes unis, pétromonarchies amies, aident le Bahreïn à écraser la révolte citoyenne ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’interdiction de l’espace aérien pour protéger Gaza de l’aviation israélienne, qui a fait mille cinq cents morts ?
Chers collègues, vous l’aurez compris, notre voix ne s’associera pas à la vôtre pour soutenir, dans un unanimisme béat, l’intervention militaire en Libye.
M. Lucien Degauchy. Que fallait-il faire ?
M. Roland Muzeau. Il fallait vous poser la question avant.
Nous sommes intransigeants quand il s’agit de condamner le régime libyen qui réprime son peuple. Nous jugeons à cet égard que les sanctions votées par l’ONU sont légitimes. Mais, contrairement à vous, nous n’avons jamais changé d’avis sur un dictateur sanguinaire comme Kadhafi. Et nous conserverons cette même opinion demain, quand bien même la majorité nous promettrait, la main sur le cœur, que l’homme serait devenu à nouveau fréquentable et qu’il pourrait sauver notre pays en crise. Nous ne sacrifierons jamais les peuples au nom du pragmatisme.
En revanche, le discernement nous conduit à condamner les frappes militaires sur la Libye à laquelle la France participe, une intervention soutenue par la majorité des forces politiques avec un entrain qui frise l’indécence.
Nous restons convaincus, avec l’écrivain algérien Boualem Sansal, que « la guerre entre le bien et le mal n’a jamais profité qu’au mal ». Pour nous, la décision de bombarder la Libye soulève la question incontournable des risques d’engrenage et de confrontation militaire élargie, avec toutes les conséquences désastreuses que l’on connaît pour les populations civiles. La tragédie qu’a connue et que connaît aujourd’hui le peuple irakien est encore trop présente en nos mémoires pour ne pas nous conduire à la plus grande prudence quand le choix de la guerre est préféré aux initiatives qui privilégient des sorties de crise sans intervention militaire.
Nous espérons de toutes nos forces que cette guerre ne conduira pas, dans quelques mois, le peuple libyen à regretter le régime de Kadhafi, comme ce fut le cas pour les Irakiens avec le régime de Saddam Hussein.
M. Jean-Michel Fourgous. Et les droits de l’homme ?
M. Roland Muzeau. La résolution 1973 prévoit le gel des avoirs de la Libye, l’interdiction de voyager de ses dirigeants, un embargo sur les armes, un appel au cessez-le-feu, des poursuites devant la Cour pénale internationale et une zone aérienne d’exclusion. Autant de mesures légitimes pour étouffer le régime libyen et protéger les populations civiles. Mais la résolution ne s’en tient pas là puisqu’elle autorise, dans son paragraphe 4, « les États membres à prendre toutes mesures nécessaires » pour assurer la zone d’exclusion aérienne. Selon la coalition, ces termes justifient les bombardements aériens aujourd’hui. Et demain ? Demain justifieront-ils une offensive terrestre dont les conséquences seraient catastrophiques ?
La Russie et la Ligue arabe ont d’ores et déjà dénoncé cette lecture de la résolution : elles ont estimé que la coalition excédait le mandat de l’ONU, limité au respect d’une zone d’exclusion aérienne. En effet, cet objectif n’impose pas d’avoir recours à des bombardements qui, immanquablement, feront des victimes civiles. Il n’y a pas de guerre propre : plus personne ne peut croire au mythe des frappes chirurgicales et à celui de la guerre sans victimes, en direct à la télévision. La France a mis le doigt dans l’engrenage : si l’option choisie nous conduit à un tel enlisement, elle devra porter la responsabilité de l’échec, tant devant le peuple libyen que devant le peuple français.
La légèreté dénoncée par les nations étrangères, au premier rang desquelles l’Allemagne, l’Inde, la Russie ou le Brésil, nous conduit à nous interroger sur les objectifs réellement poursuivis, alors que tant de questions essentielles restent aujourd’hui sans réponse. Monsieur le Premier ministre, quelles sont les capacités de frappe de Kadhafi ? Est-il envisagé à un moment donné d’en passer par une action juridique ou politique pour sortir de la crise ? La réalité anthropologique de la Libye a-t-elle été prise en compte avec tous les risques d’affrontements tribaux ? Les leçons du fiasco somalien ont-elles été tirées ? Le pire a-t-il été envisagé ? Quel plan est prévu dans l’hypothèse probable d’un enlisement, d’une partition du pays et d’une division de la communauté internationale encore plus marquée qu’elle ne l’est aujourd’hui ?
Trop d’incertitudes pèsent sur cette intervention militaire et ses conséquences. Le risque d’une escalade est trop grand. Et s’il y a un prix à payer dans l’avenir, il faut souhaiter que ce ne soit pas au peuple libyen de le faire. Il paye déjà trop cher le maintien d’une dictature dont il ne veut plus.
Du reste, nous ne cautionnerons pas la moindre intervention qui, comme de plus en plus de voix l’affirment au-delà de nos frontières, ne viserait qu’à faire main basse sur le pétrole libyen en instrumentalisant le peuple et en en passant par la scission du pays.
Les députés communistes et républicains font aujourd’hui preuve de courage politique en refusant de mêler leur voix à l’unanimisme béat et aveugle qui semble rassembler autour du Président Sarkozy et de l’entrée en guerre de la France. Comme le dit fort justement Rony Brauman, jamais des bombardements n’ont permis d’installer la démocratie ou de pacifier un pays !
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)
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