25 janvier 2012

Afghanistan : qui est qui, qui fait quoi, qui décide de quoi : le Chef de l'Etat, le Quai d'Orsay, Hillary Clinton ?

Éditorial de lucienne magalie pons

Le 20  Janvier quatre soldats français  étaient tués   et 16 blessés, dont huit grièvement,  par un  militaire afghan, infiltré dans l’Armée Nationale Afghane, dans l'est de l'Afghanistan., la fusillade est survenue dans la vallée de Taghab, dans la province de Kapisa où stationne le contingent français.

Selon certaines premières  sources d’informations médiatiques,   ces militaires étaient  en séance de sport et n’étaient pas armés, mais ensuite  Gérard Longuet, Ministre de la Défense, a précisé  sur iTélé  que c’est  «lors d'un entraînement, à l'intérieur d'une base» française qu'un «tireur a abattu, assassiné» les soldats et en indiquant que les militaires français n’étaient pas armés.

Le Chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy à la suite de cette fusillade mortelle avait tout aussitôt annoncé que toutes les opérations de l'armée française étaient temporairement suspendues dans le pays, et qu'un retrait anticipé des troupes n'était pas exclu.

En effet, lors de ses vœux au corps diplomatique étranger   le vendredi 20 Janvier, le Président   a  fait une longue parenthèse pour annoncer la mort de nos soldats en Afghanistan  avant de reprendre ses vœux.

Voici ce qu’il déclarait :

Extrait :

Monsieur le Ministre d'Etat,
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Quatre de nos soldats ont été tués. Je veux rendre hommage à leur sacrifice. Et pour le chef des Armées que je suis, c'est toujours un moment de grande solitude face à sa responsabilité, devant le destin brisé de ces jeunes hommes courageux, qui font honneur à l'armée française, qui ont l'esprit de sacrifice. 


L'engagement de la France en Afghanistan a été décidé il y a une dizaine d'années. J'ai poursuivi cette décision, pour être aux côtés du peuple afghan dans sa juste lutte contre les forces de l'obscurantisme, de la barbarie et d'un retour à un climat moyenâgeux dans un pays où les femmes, les petites filles étaient martyrisées.

Les gouvernements qui ont pris la décision d'envoyer l'armée française en Afghanistan, je le crois, ont pris une bonne décision. Mais l'armée française est en Afghanistan au service des Afghans, contre le terrorisme et contre les Talibans. L'armée française n'est pas en Afghanistan pour que les soldats afghans lui tirent dessus.

J'ai donc décidé d'envoyer le ministre de la Défense et le chef d'Etat-major de nos armées immédiatement en Afghanistan. D'ici là, toutes les opérations de formation et d'aide au combat de l'armée française sont suspendues.

Le ministre de la Défense nous fera un rapport, avec le Premier ministre et le ministre d'Etat, sur ce qu'il aura vu en Afghanistan. Et si les conditions de sécurité pour nos soldats, comme les conditions du recrutement des soldats afghans au sein de l'armée afghane, ne sont pas clairement précisées et sûres, la France en tirera immédiatement toutes les conséquences. Nous sommes les amis du peuple afghan, nous sommes des alliés du peuple afghan, mais je ne peux pas accepter que des soldats afghans tirent sur des soldats français.

Si les conditions de sécurité ne sont pas clairement rétablies, alors se posera la question d'un retour anticipé de l'armée française en France.

Ce retour était envisagé au plus tard pour 2014. J'évoquerai cette question avec le Président Karzai lors de sa visite en France.

L'armée française est aux côtés de ses alliés, mais nous ne pouvons accepter qu'un seul de nos soldats soit blessé ou tué par nos alliés. C'est inacceptable et je ne l'accepterai pas.

Sans doute mes propos qui vont suivre auront-ils une dimension moins dramatique. C'est une décision difficile que celle que nous aurons à prendre dans les jours qui viennent, mais je me devais de l'assumer face aux Français et face à nos soldats.

Il y a la guerre. Il y a les objectifs que nous nous sommes fixés, et puis il y a des conditions de sécurité qui, si elles ne sont pas établies clairement, nous empêchent de faire le travail que nous avons

Fin de l’extrait

Tout aussitôt  la publication d'un communiqué du département d'Etat américain,  suggérait que Paris ne procéderait pas à un retrait anticipé de ses 3600 militaires, et   alors que les Etats-Unis se montraient circonspects suite à la déclaration de Nicolas Sarkozy,  le Quai d’Orsay dans un premier temps  avait  rappelé  qu’il reviendrait   au chef de l'Etat de «tirer les conséquences» 


«Monsieur Juppé a informé Mme Clinton des décisions prises par le président de la République le 20 janvier: suspension des opérations de formation et d'appui à l'armée nationale afghane, envoi du ministre de la Défense et du chef d'état-major des Armées en Afghanistan», écrivait  le Quai d'Orsay dans un communiqué. «Au vu de leur rapport, le président de la République tirera toutes les conséquences de l'attentat perpétré contre nos forces par un membre de l'armée nationale afghane».



Mais le même jour, sans attendre le déroulement du voyage de notre Ministre de la Défense et les conclusions qu’il devait en tirer pour les soumettrai à la décision finale du Président Français, Hillary Clinton s'opposait formellement  à un tel retrait non concerté, d’après elle. . et le samedi 21, Alain Juppé  indiquait que la "mission" se poursuivrait normalement, ce qui laissait supposer qu’il n’était pas ou plus envisagé un retrait anticipé de nos troupes.

Les médias le samedi 21 rapportaient  d’après  un communiqué du Département  d’Etat américain :   « La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton et son homologue français Alain Juppé sont tombés d'accord samedi  soir 21 janvier pour "travailler ensemble" afin d'assurer la poursuite de la mission internationale en Afghanistan. ……Les deux ministres "sont tombés d'accord pour que les Etats-Unis et la France travaillent avec les partenaires de l'Isaf (la mission de l'Otan) et le gouvernement afghan afin d'assurer la solidité et l'efficacité continues de la mission", selon le communiqué.

Il est à déplorer que  passant outre la déclaration du Président  Français ce qui déjà est une faute de considération, Hilary Clinton ait précédé   la décision du Président Français,  sans attendre qu’il ait étudié le rapport de mission de Gérard Longuet et décidé de lui-même une concertation avec les Etats-Unis et l’Isaf, et l’on doit regretter qu’Alain Juppé se soit prêté à la pression d’Hillary Clinton en précédant le Chef de l’Etat.

Sur le terrain, c'est Gérard Longuet le Ministre de la Défense qui était  chargé d'évaluer la dangerosité de la mission de formation des soldats afghans par les militaires français. Arrivé samedi en Afghanistan, le ministre de la Défense s'est entretenu dimanche avec le président afghan Hamid Karzaï et les ministres afghans de la Défense et de l'Intérieur. Il  a discuté  également discuter avec le général John Allen, commandant de l'Isaf,  et le général Olivier de Bavinchove, chef d'état-major de l'Isaf. A son retour, Gérard Longuet a rendu  compte au président Sarkozy des mesures que les autorités afghanes s'engagent à prendre pour assurer la sécurité du contingent français.


Les conditions de recrutement de l’armée Afghane qui se trouve en bute à de nombreuses désertions (32 % environ en un an) sont souvent évoquées par certains  médias  comme incontrôlables  et ils soulignent que de nombreux jeunes afghans que l’on suppose proches des talibans s’engagent  dans l’armée nationale afghane et ne tardent pas de déserter en emportant leur armement militaire.

Du point de vue politique le maintien de nos troupes en Afghanistan  ne fait pas  l’unanimité, des politiques protestent de la poursuite de notre mission en Afghanistan en soulignant qu’elle n’a jamais réalisé les objectifs qui lui avaient été assignés et réclament le rapatriement  anticipé et immédiat de nos effectifs.

A l’ origine il s’agissait de lutter contre les talibans, dans un deuxième temps de faire respecter les droits de l’homme, de protéger les populations,  d’imposer ou d’aider l’instauration de  la démocratie avec le gouvernement Karzaï  …de défendre les droits des femmes et des petites filles martyrisées,  etc.…, autant d’objectifs successifs qui évoluaient avec le temps, et  en dernier lieu selon Alain Juppé d’opérer  le transfert progressif à l’armée afghane de la responsabilité d’assurer la sécurité du peuple afghan ,  d’aider l’Afghanistan à se développer, d’appuyer la réconciliation nationale entre Afghans et d’assurer un système de sécurité collective autour de l’Afghanistan.


Alain Juppé a justifié ces objectifs hier  devant l’Assemblée Nationale  en déclarant «  …….Voilà ce que nous faisons là-bas, avec des objectifs très clairs : défendre nos intérêts – c’est la lutte contre le terrorisme – et défendre nos valeurs, c’est-à-dire aider le peuple afghan à affirmer sa liberté et à conquérir la démocratie.

Nous avons déjà beaucoup fait en ce sens, et ce sera l’objet du traité d’amitié et de coopération que le Président de la République signera vendredi avec le président Karzaï, a aussi annoncé Alain Juppé.


Toujours devant  l’Assemblée Nationale hier Mardi   Alain Juppé, a  exclu tout retrait anticipé ou immédiat  de nos effectifs en 2012, applaudi par les députés UMP et NC en cours et en fin d’intervention : 

 …………. «  …je crois qu’il ne convient pas de céder à la panique. Il ne faut pas confondre retrait ordonné et retraite précipitée.  …. Quand j’entends parler de retrait immédiat ou à la fin de 2012, je ne suis pas sûr que cela ait été mûrement réfléchi et étudié. Il y a d’abord des conditions militaires à respecter, pour la sécurité même de nos soldats. C’est la ligne que la France s’est fixée ; c’est notre honneur et notre responsabilité !

"Notre mission n'est pas terminée",  a aussi  confirmé  le Premier ministre, François Fillon, devant les députés à  l’Assemblée Nationale.

Rappelons que la France compte actuellement 3.800 militaires en Afghanistan, et leur retrait est pour l'instant prévu pour s'étaler jusqu'en 2014. Depuis 2001, 82 soldats ont été tués dans le pays, dont 26 pour la seule année 2011

"Je ne peux pas accepter que des soldats afghans tirent sur des soldats français", avait déclaré. Nicolas Sarkozy vendredi 20 Janvier,  et  il  devait  évoquer la question du retrait anticipé lors de la visite du président afghan Hamid Karzaï  en France le Vendredi 27 Janvier, et ce n’est qu’a l’issue de cette visite que  la France devait faire connaître  sa décision sur une éventuelle accélération du calendrier de retrait.
Mais tenant compte des déclarations de Mardi d’Alain Juppé et du Premier Ministre devant l’Assemblée Nationale, tout  nous incitent à penser qu’il n’en sera peut-être pas trop question de retrait anticipé au cours de la prochaine visite d’Hamid Karzaï,  puisque hier mardi Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères, a exclu un retrait complet des militaires français d'Afghanistan en 2012 en répondant ainsi (à retardement)  au candidat PS François Hollande, qui s' était  prononcé  dans son meeting de dimanche au Bourget pour un retrait des forces françaises d'ici à la fin de l'année.

"Notre mission n'est pas terminée", avait  confirmé  le Premier ministre, François Fillon, devant les députés à  l’Assemblée Nationale.

Ainsi le  Ministre des Affaires Etrangères  et le Premier Ministre  dans la foulée se sont démarqués  hier devant l’Assemblée Nationale  des déclarations du Chef de l’Etat  sur un éventuel retrait anticipé, et  alors que le Chef de l’Etat est aussi le Chef des armées par ses fonctions actuelles, on se demande qui est qui, qui fait quoi et qui décide réellement  en dernier ressort  du sort de nos armées et de nos engagements extérieurs ,  l’Elysée,   Matignon ,  le  Quai d’Orsay ?

Sans compter la pression exercée par   Hillary Clinton qui doit boire du petit lait. Etait-il vraiment urgent pour la Diplomatie Française et le Chef du Gouvernement  de se  ranger  aux  pieds  de l'Américaine en passant outre l'annonce de vendredi 20 janvier du Président Français ?  Ceci fait très mauvais effet.

Et puis nous aurions souhaité connaître exactement l'opinion du Président Français sur un éventuel retour anticipé,  mais  ses hauts collaborateurs viennent de lui couper l'herbe sous les pieds et quoiqu'il en pourra dire ou conclure , à la suite de la visite de Karzaï à Paris,  sera affecté par la prise de position  du Chef de la  diplomatie française et du Premier Ministre hier devant l'Assemblée Nationale. 


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