30 septembre 2011

Karachi et les médias pro-gouvernementaux vus par TELERAMA

Un article très intéressant qui doit certainement indisposer les médias dévoués au Pouvoir actuel :


Source : TELERAMA

Par Olivier Tesquet

Le 29 septembre 2011 à 20h00 - Mis à jour le 29 septembre 2011 à 20h21

L'affaire Karachi embarrasse le pouvoir... et les médias pro-gouvernementaux. Du “Figaro” à TF1, en passant par “Les Echos”, le traitement est a minima.


Dans l’ombre de Zola, Octave Mirbeau écrivait que « ceux qui se taisent disent plus de choses que ceux qui parlent tout le temps ». Et la presse, alors ? Depuis que l’affaire dite de Karachi est entrée de plain-pied dans le débat public, certaines rédactions consubstantielles du pouvoir rivalisent d’ingéniosité pour éviter – ou traiter, aussi discrètement que possible – cet épineux sujet.

Le Figaro, droit dans ses bottes
« L’Elysée dénonce une manipulation », titrait en une Le Figaro du 23 septembre, au lendemain de la mise en examen de deux proches du Président, Nicolas Bazire et Thierry Gaubert. Et pour cause. Le 26 septembre, Etienne Mougeotte, le directeur des rédactions du quotidien, rencontrait les représentants de la Société des journalistes, épaulé par son lieutenant Jean-Michel Salvator. Ordre du jour : « Traitement des affaires et implication personnelle d’Etienne Mougeotte auprès du président de la République ».

Taquin, Libération avait publié ce qu’on pourra considérer comme le procès-verbal de cette entrevue. Laissons le bâton de la parole à Etienne Mougeotte :

« On n’est pas là pour emmerder la droite, c’est comme ça. Si ce que vous voulez, c’est qu’on aille gratter sur ces affaires, c’est non. […] Pour être bien au Figaro, il faut épouser les idées du Figaro. »

Vaillant soldat du sarkozysme, le grand patron du Figaro n’entend pas non plus servir de piñata aux chantres de la transparence et de la déontologie, comme le prouve la version « director’s cut » de sa mise au point, obtenue par Télérama (par Mediapart, aussi). « Nous faisons un journal d’opinion, politiquement engagé, qui couvre l’actualité de manière honnête », y clame Mougeotte. La SDJ, elle, « regrette que tout débat au sujet des choix éditoriaux soit systématiquement mis au compte, généralement sur le ton de l’apparente plaisanterie, d’une sorte de gauchisme larvé ».

L’ancien directeur d’antenne de TF1 s’inscrit également en faux contre les allégations du Monde, qui révélaient en août son appartenance au « groupe secret Fourtou » (un comité de réélection de Nicolas Sarkozy emmené par Jean-René Fourtou, le président de Vivendi) : « J’ai pris un café à trois ou quatre reprises chez Fourtou. J’ai décidé de ne plus y aller. Je fais ce que je veux, avec qui je veux. Je vois beaucoup de monde - pas souvent Nicolas Sarkozy ». Et d’asséner : « En tout état de cause, je reste journaliste [...] Mes loisirs, je les passe au golf, pas à l’Elysée ».


Les Echos, a minima
Encombrante pour Le Figaro, l’affaire Karachi l’est encore plus pour Les Echos, propriété du groupe LVMH, dont le numéro deux est... Nicolas Bazire. Quant à Nicolas Beytout, le futur ex-P-DG du journal, (sa succession serait en cours, selon Le Monde) c’est le prédécesseur de Mougeotte... au Figaro. Du côté de la direction, on fait pourtant savoir que « le sujet a été traité ». Et ce n’est pas faux : une épaisse brève en deuxième page de l’édition du 22 septembre, et un article – signé – dans celle du lendemain. Un traitement a minima que reconnaît un journaliste des Echos : « Si ça avait concerné un trésorier de campagne de Lionel Jospin, on aurait peut-être fait une enquête ». Un autre rappelle qu’il a fallu insister pour imposer une photographie de Bazire, et souligne l’angle « plus politique qu’industriel ». En d’autres termes, Nicolas Bazire est un proche d’Edouard Balladur avant d’être un grand ami de Bernard Arnault. Le diable est dans les détails.

TF1, la pétaudière
Chez TF1 aussi, la semaine a été chaude. Le retrait, le 21 septembre, d’un reportage consacré à Karachi, a failli déclencher une guerre ouverte dans la rédaction. Finalement diffusé le lendemain, le sujet présentait notamment les témoignages à charge de deux anciens du Conseil constitutionnel, Jacques Robert et surtout, Roland Dumas. Et comme le relève Arrêts sur Images, les interviews de cette version amputée (2 minutes 40 contre 3 minutes 30 dans sa version d’origine) dormaient sur les postes de montage de la première chaîne depuis 9 mois.

En interne, l’épisode a été particulièrement mal vécu. Plusieurs journalistes précisent que la décision de « trapper » le travail du service enquêtes est intervenue sur ordre d'un chef de service une heure seulement avant le journal, et en l’absence de Catherine Nayl, la directrice de l’information. Un excès de zèle contre-productif aux yeux de certains salariés : « On va encore y voir la main de l’Elysée », soupire l’un d’eux.

Déterminée à « laver son linge sale en famille », la Société des journalistes a profité d’une des deux conférences de rédaction du lendemain pour négocier au forceps et régler ses comptes avec le chef de service incriminé. A mots couverts, une journaliste déplore « une stratégie de la carpette ». En deux mots, elle résume l’état d’esprit qui traverse la tour de Boulogne-Billancourt, et qui court probablement jusqu’à l’immeuble haussmanien des journalistes du Figaro : « Le désarroi éditorial ». Traiter les affaires ? Quelle affaire.

Olivier Tesquet

Le 29 septembre 2011 à 20h00 - Mis à jour le 29 septembre 2011 à 20h

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