1 -Les
problèmes de succession du Dieu des chrétiens
Comment la plateforme réflexive d'une critique
réellement anthropologique des meurtres cultuels de type monothéiste se
distanciera-t-elle des autels du polythéisme d'autrefois, qui étaient
exclusivement consacrés à nos assassinats rituels les plus primitifs et
dont l'Iphigénie d'Homère est devenue le paradigme parfait parmi nous? Sans
un recul méthodologique décisif à l'égard de la bête sacrificielle, comment
donnerions-nous un sens à l'évolution singulière des intentions et des
motivations toujours meurtrières et salvatrices confondues de l'animal
désormais dûment démocratisé, donc voué à dresser ses offertoires à la fois
laudateurs et tueurs sur les propitiatoires du Dieu Liberté?
Prenez une anthropologie ambitieuse de rendre
compte de l'existence même du monothéisme, formez-la à peser et à expliquer
la généalogie, les performances et le fonctionnement du cerveau devenu
relativement métazoologique des trois dieux censés uniques et vous aurez
entre les mains une discipline, dont la vocation l'appellera à initier en
retour et pas à pas des sciences humaines demeurées acéphales à conquérir
une connaissance rationnelle de l'évolution de ce moteur triphasé de la
politique et de l'histoire.
De plus, une anthropologie de ce type se rendra
désireuse de jauger les performances théologiques particulières et le
fonctionnement collectif du cerveau relativement trans-animal dont dispose
l'humanité triplice d'aujourd'hui; et elle vous expliquera également les
liens partiellement méta-zoologiques que les trois divinités évoquées
ci-dessus se partagent et qu'elles entretiennent en commun avec la
politique et l'histoire de l'humanité. La métazoologie originelle des
religions part des sacrifices d'animaux et de victimes humaines réputés payants
auxquels notre espèce se livre encore de nos jours, mais qu'elle tente
désormais de masquer sous divers déguisements inconscients de la
psychobiologie originelle qui pilote leurs théorisations confondues. Il y
faut une anthropologie dont l'échiquier mental s'inspirera d'une
méta-théologie du sang versé et rémunéré sur la meule des immolations, donc
sur une théorisation et une modélisation des offrandes bien rémunérées.
Les bimanes désenténébrés et réputés s'être
relativement évadés de la cage de la zoologie semi-intellectualisée qui les
emprisonne depuis le paléolithique entretiennent depuis des millénaires un
dialogue de charcutiers intéressés et de bouchers pressés avec les Célestes
carnivores dont ils ont installé la charpente et les têtes dans le vide de
l'immensité. La problématique qui commande ce trafic est essentiellement
commerciale. Cet échiquier leur permet néanmoins d'exorciser en retour et
non sans succès - du moins à ce qu'ils s'imaginent - la panique
d'entrailles qui affole leur industrie du sacré. Mais rien ne les rassure
face au néant appelé d'un millénaire à l'autre à engloutir leur carcasse.
Aussi ne colloquent-ils jamais dans leur éternité qu'un seul interlocuteur
et un seul immolateur qu'ils ne cessent, en outre, de mettre en cessation
de paiement et qu'ils ligotent à l'infini qui les étrangle eux-mêmes à
petit feu.
2 - Comment départager trois dieux uniques
Puis les incarcérés dans un cosmos dont la béance
les assassine recourent, tout tremblants, à un substitut de la banqueroute
de leur chair et de leur ossature. Ce substitut éternel affiche une stature
colossale. Son gigantisme leur permettra, pensent-ils, de se décharger de
leur solitude sur les épaules d'un tiers payant. Mais il n'est pas facile
de se décorporer du fardeau de la claustration volontaire de tout le monde
dans la geôle de l'immensité. Il est inévitable que des animalcules
oscillants entre l'astuce et l'effroi que leur inspire un destin éphémère
finiront par découvrir qu'ils ne sont rien de plus que des portefaix
miniaturisés du même silence des ténèbres et de la même éternité des
galaxies que les idoles sanglantes qu'ils ne cessent de larguer dans le
néant.
Si ces embrumés aux paupières mi-closes ouvrent un
instant les yeux sur la meule de la mort qui les lamine, les broie et les
terrifie, ils se disent que le meurtrier herculéen qu'ils ont domicilié
dans sa longévité avait le devoir moral de rendre son monopole de
propriétaire du gouffre plus audible à leur cécité et à leur surdité; et
ils découvrent avec stupeur que leur dieu auto-proclamé volubile dans
l'immensité n'a pas tardé à se multiplier par trois; et que les messages
d'un ciel triphasé n'ont pas manqué de se révéler fallacieux.
C'est que leur trio langagier est aussitôt tombé
dans le piège de se diversifier en tronçons incompatibles entre eux. Un
ciel maladroitement scindé entre deux célibataires et le père d'une
progéniture masculine ordonne à la métazoologie, de s'interroger plus avant
sur les causes secrètes de l'ascension théologique continue d'un fils
extraordinaire, puisque la promotion théologique de son ossature d'héritier
périssable et indestructible tout ensemble ne s'est achevée qu'en 1950, à
l'occasion du transport tardif, mais instantané de sa mère auprès de son
démiurge de mari.
3 - L'incarnation démocratique
Comment cette procréation théologique continue
va-t-elle se concrétiser au profit de la vassalisation politique du Vieux
Monde? Car, à l'instar du mythe chrétien et d'une Eglise démocratique qui
ne cesse d'accoucher de son verbe, le continent européen a enfanté un
empire du sacré situé au-delà des mers et qui n'a cessé de grandir en
puissance et en gloire. Et voici que cet empire de retardataires frappe
comme un sourd et à coups redoublés à la porte de son géniteur, et voici
que le Fils prometteur de là-bas est devenu tellement abusif qu'il demande
sans relâche à son Père vieillissant rien moins que de quitter la scène du
monde le plus discrètement possible et de lui laisser sur la pointe des
pieds la gestion de son immense succession.
L'anthropologie du sacré simiohumain lit
l'histoire du monde avec les lunettes du symbolique, du signe, du figuré.
Elle constate que, de siècle en siècle, la parabole a gravé des effigies
durables dans l'histoire anthropologique des théologies. Les historiens
d'une histoire métazoologique à décrypter à la lumière de l'évolution de
l'encéphale de la bête observent que Jahvé et Allah, n'ayant pas de Fils
trépignant d'impatience de leur succéder, c'est-à-dire de leur arracher des
mains le sceptre du cosmos, ne courent aucun risque de se trouver
dépossédés de leurs apanages par un rival sans cesse grossissant, tandis
que le Dieu des chrétiens, lui, a beau combattre depuis vingt siècles les
ambitions illimitées de sa propre descendance, ses forces déclinent de
siècle en siècle et son grand âge le laissent de plus en plus sans ressort
devant un candidat pourtant issu de son sperme, disait-on au Moyen-Age et
qui s'attaque inlassablement aux apanages exorbitants de son vieux
géniteur.
A la veille de la Renaissance le Fils tentaculaire
s'était déjà arrogé les prérogatives principales de son Père. Voyez quelle
persévérance il a mise à s'emparer pied à pied de l'échiquier central de
toute théologie, celui de l'omnipotence et de l'omniscience de leur ciel -
et cela, dès le XIe siècle avec saint Anselme, qui a unifié le souffle
divin de l'un et de l'autre et leur a donné le même poids sur la balance
des cieux. Voyez comment ce fils modeste et maigrichon à l'origine n'a
jamais cédé d'un pouce sur l'étendue croissante de ses prérogatives. Du
coup, le mythe de l'incarnation lui-même s'est réduit à un appendice de
l'essence et quintessence surréelles d'un Fils rendu peu à peu
consubstantiel à son Père sur tous les fronts du monothéisme.
4 - L'anthropologie des théologies: scanner théologique du capitalisme
Un vieillissement inexorable frappera-t-il
également la théologie du Fils castrateur de son propre père? N'y comptez
pas: la charpente juvénile, puis despotique de l' Adonis du monothéisme est
devenue impérissable. De plus en plus oublieuse de sa filiation maladroite
avec une mortelle virginale, cette figure gère désormais un avenir
inépuisable, tellement sa migration vers son éternité a commencé dans sa
trentième année.
De plus, le protestantisme américain n'est pas
réfléchi par une potence; il n'a pas tardé à métamorphoser le volet pénal
du mythe en une incarnation de l'innocence native d'Adam. Le Nouveau Monde
n'a pas de cosmologie mythique des châtiments: punir n'est qu'une aile de
l'administration des Etats démocratiques. On ne théologise pas le carcéral,
on ne l'élève pas à une métaphysique, on se contente de le rentabiliser. Du
coup, la gestion du péché originel se trouve lessivée et rincée dans l'eau
pure d'une constitution délivrante; et, l'anthropologie de l'incarnation
n'a conduit qu'à d'étranges conciles - on assiste à des séminaires dans
lesquels les Etats et les chefs d'entreprise lancent ensemble les biens de
consommation courante du salut et de la rédemption démocratiques sur le
marché du rachat et de la grâce.
Aussi le mythe de l'innocence d'un monde délivré
du mal par l'incarnation d'un Dieu racheteur fait-il, du capitalisme, le
porte-étendard de tous les Etats démocratiques - et donc, le garant de leur
substantification dans le pain bénit du profit.
On voit que la radiographie méta-zoologique du
mythe de la Liberté politique porte le drapeau de l'interprétation
théologique de l'histoire cérébrale du simianthrope, donc de l'empire que
le protestantisme mondial est devenu à lui-même. Car cet empire est
l'incarnation démocratique de son rêve, la substance de sa doctrine
économique, la chair de son messianisme économique. La Liberté américaine
fait corps avec son apostolat boursier.
Si vous n'avez ni catéchèse du dollar, ni
métazoologie du sacré appelé à propulser cette sotériologie sur la scène
internationale, vous raconterez l'histoire du monde avec, sur le nez, les
lunettes d'une démocratie mondiale de la délivrance. Seule une métazoologie
méditante vous enseignera que la bête onirique est la chair et le sang de
ses propres songes sacrés.
Le 13 février 2015
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