Note sur l'auteur :
Madame Aline de Diéguez est professeur c’est l’épouse du
philosophe Manuel de Diéguez, elle s’intéresse
comme son époux à la politique internationale, notamment aux aventures de
l'empire américain et au drame du Moyen-Orient. Leur intelligence et des connaissances très étendues dans différentes disciplines, les
classent bien au-dessus d’autres
écrivains limités dans le « littérairement et politiquement correct »
Nous recommandons la lecture de son important travail que nous publions ci-dessous avec son autorisation :
Nouveau sur le site de :
Aline de
Diéguez
Dieu par
lui-même
ou
Le
Pouvoir dans ses œuvres
|
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" Je suis celui qui suis ". [1] Ainsi parle le Tout-Puissant.
Cette perle stylistique, lovée sur elle-même comme un retour de
boomerang, exprime la quintessence du politique. Elle offre la définition la
plus concise et la plus parfaite qui soit du Pouvoir.
Le Pouvoir EST, tout simplement. Il EST CELUI QUI EST et n'a nul besoin
de précision, de justification ou d'explication. Le Pouvoir s'expérimente. Il
est là, sans frein, ni entrave si ce n'est celui de sa survie, de sa
maintenance ou de sa progression. Le Pouvoir est englobant, dictatorial. Il
ne connaît ni scrupules ni repentirs. Telle une colonie de termites suivant
sa reine, le Pouvoir avance, se répand dans tout l'espace disponible, aveugle
à ce qui n'est pas lui, insensible aux destructions, aux drames ou aux
souffrances qu'il provoque. Il enjambe les lois dites universelles établies
en d'autres temps et impose les siennes propres par la force. Il se diffuse comme une nappe d'huile sur l'océan. Tant
qu'il ne se cogne pas contre un autre Pouvoir, il progresse, impérial.
Le Pouvoir politique est un reflet du Pouvoir Absolu auquel le Job
symbolique a été confronté. Pour des raisons économiques, financières,
psychologiques, il arrive qu'un Etat émerge du lot et réussisse à dominer la
politique mondiale.
Telle est la situation politique qui prévaut de nos jours. En effet,
grâce aux conséquences mirobolantes de la martingale financière qu'un groupe
de banquiers astucieux a réussi à imposer la veille de Noël de l'an de grâce
1913, les Etats-Unis sont devenus, au fil des décennies, l'Etat
"exceptionnel", l'empire militarisé exceptionnellement puissant et
exceptionnellement nocif dont le monde subit jour après jour les effets
calamiteux.
Depuis la mort de l'idéologie marxiste, LE POUVOIR est incarné par
l'empire américain. Seul il dispose, pour quelque temps encore, des armes
financières qui lui permettent d'imposer sa législation intérieure au monde
entier. En conséquence, il s'adjuge le Pouvoir divin de sanctionner les Etats
qui s'avisent de résister à son expansion.
voir: Aux sources de l'escroquerie de la Réserve Fédérale -
Le machiavélisme des hécatonchires de la finance internationale
Du Système de la Réserve fédérale au camp de concentration de Gaza : Le rôle d'une éminence grise: le Colonel House La véridique histoire de l'empire américain, Il était une fois Picrocholand
Il m'a semblé éclairant de montrer à quel point le Pouvoir absolu d'une
divinité - à partir du seul texte dans lequel le Dieu s'exprime lui-même - et
le Pouvoir politique d'un Etat qui se comporte d'une manière impériale,
répondent à des règles communes.
*
Quel triste sort que celui de ce riche propriétaire d'un immense domaine,
d'un resplendissant troupeau de gros et de petit bétail, heureux père d'une
abondante descendance, victime du jour au lendemain d'un cataclysme
inexplicable!
Tout à coup, une incroyable série de catastrophes s'abat sur Job. Un
immense brasier réduit en cendres sa maison et ses dépendances, ses fils et
ses filles périssent les uns après les autres dans des accidents atroces ou
d'horribles maladies et, pour achever ce sinistre tableau, réduit à la
mendicité, ce fidèle d'entre les fidèles est brusquement atteint dans sa
chair d'une horrible et malodorante maladie de peau qui a fait fuir sa femme.
On découvre que tous ces malheurs sont voulus par le maître des mondes.
Le Pouvoir, inspiré, prétend-il, par un vilain comparse, a concocté contre
son pieux serviteur baignant dans une douce prospérité, une machination
sadique, destinée à mettre le pauvre hère à l'épreuve, en le précipitant dans
un véritable enfer sur terre. Continuera-t-il à glorifier son Dieu dans le
dénuement le plus absolu?
Candide accepte d'abord avec résignation les désastres qui le frappent.
Puisque telle est la volonté du Pouvoir, tout est pour le mieux dans le
meilleur des mondes possibles.
Quand le Pouvoir ordonne de sanctionner le rival russe, les serviteurs
européens se mettent au garde à vous et se rangent illico par ordre
alphabétique, la tête basse. Pas question de désobéir, ni même de traîner les
pieds. L'Italie s'est fait réprimander pour son manque d'enthousiasme et la
France a reçu neuf tonnes de briques sur le crâne sous la forme d'un hold-up
bancaire auprès duquel les exploits d'Al Capone sont des bluettes de
patronage. Le Pouvoir a dressé son troupeau à coups de fouet et depuis lors,
ses membres sont habités par la peur de se voir extorquer leur cagnotte.
Personne n'ose déroger aux ordres, l'auto-censure devient la norme.
Malgré les souffrances infligées à leurs économies, les Etats européens
se sont donc installés sur leur fumier. Résignés, ils encaissent en tremblant
les malheurs qui les frappent. Puisque telle est la volonté du Pouvoir, tout
est pour le mieux dans le pire des mondes atlantistes possibles.
Les imprévisibles coups de massue du sort ont fini par avoir raison de la
soumission sans murmure de Job.
Dans un sursaut de révolte et d'indignation, le misérable malmené par un
destin mauvais prend si violemment le Pouvoir à partie que celui-ci, réveillé
en sursaut, consent à jeter un coup d'œil dédaigneux sur le chétif insecte
qui gratte avec un tesson de poterie les pustules d'un eczéma purulent, au
milieu des immondices calcinées de la décharge à ordures du village.
Cet excrément de la terre ose hurler son désespoir et l'accuse, Lui, le
Maître des mondes, détenteur de la toute puissance, d'injustice et même de
méchanceté. [2] Quel sacrilège !
Les Européens asservis sont loin d'avoir manifesté le même réflexe de
dignité. L'un ou l'autre des zélés serviteurs du Pouvoir se contente de
ronchonner parfois en coulisses, mais jamais officiellement. Personne n'ose
se révolter ouvertement et accuser le Pouvoir de félonie et de mensonge.
Les Job européens sont écrasés sur leur fumier et acceptent sans murmure
que l'empire ruine leurs économies. Avec une candeur qui frise la déficience
mentale, ils intériorisent si bien l'auto-punition qu'ils clament en chœur
que les lois d'une politique dictée par leur maître sont supérieures en
dignité à celles de leurs économies, donc à la prospérité de leurs nations.
Pendant que ces soumis comptent leurs bubons, les industriels de l'empire
occupent les places vacantes en riant sous cape.
Vigoureusement interpellé par sa victime, le Tout-Puissant est
brusquement sorti de sa béate torpeur interstellaire. Il faut dire que le
pitoyable Adamien recroquevillé sur son fumier a d'abord supporté neuf
discours moralisateurs de pseudo amis, faux consolateurs sentencieux et
accusateurs perfides, qui n'ont fait qu'accroître son désespoir. N'ont-ils
pas sous-entendu que Job a mérité les malheurs qui le frappent?
Les Irakiens, les Libyens, les Afghans hier, et aujourd'hui les Syriens
et les Yéménites n'ont-ils pas mérité leur sort actuel? Ces peuples impies et
hérétiques n'ont pas chassé à temps leurs Ben Laden, et autres Saddam et Kadhafi
pestiférés pour se jeter dans les bras des prêtres de la religion
démocratique. Assad "ne mérite pas de vivre", clame un zélé
serviteur de son maître [3] . Dans un concours de servilité, un
autre domestique de l'empire a renchéri sur les ondes d'une radio nationale :
"Bachar est pire que Hitler et Staline réunis". [4] D'ailleurs le Président de la République
française n'a-t-il pas appelé officiellement à la "neutralisation"
du chef de l'Etat syrien? [5]
Le massacre d'une importante proportion de la population, la réduction de
ces pays, autrefois riches et prospères, à un tas de gravas est une broutille
au regard des merveilles qui illuminent désormais leur ciel, ont
sentencieusement déclaré certains auto-proclamés "véritables
amis" de ces nations. Une ancienne prêtresse du nouveau paradis sur
terre, dénommée Albright n'a pas jugé exagéré le sacrifice de cinq cent mille
petits Irakiens. Un agitateur politique, qui surgit chaque fois de sa boîte pour
virevolter, chemise au vent, au milieu des ruines et des cadavres [6] , s'est répandu dans tous les médias de
l'hexagone en se félicitant de ce que, grâce à lui, les Libyens connaissent
désormais les délices de la Liberté.
Quant au Dieu de Job, tel un véritable représentant du Pouvoir américain,
il feint d'ignorer que les malheurs du pauvre homme sont les fruits de sa
décision et qu'il en est pleinement et directement responsable.
A l'instar de la puissance qui a éprouvé le caprice de martyriser son
Job, les maîtres actuels de la planète se lavent les mains des conséquences
de leurs vilenies. Ainsi, l'empire et ses acolytes détruisent les uns après
les autres tous les Etats de la bordure méridionale et orientale de la
Méditerranée jugés insuffisamment dociles, puis se répandent en gémissements
sur le sort malheureux des Job orientaux qui fuient leurs crimes en prenant
des risques insensés afin de tenter de se mettre à l'abri.
Le même empire et ses vassaux, qui n'ont que les mots "droits de
l'homme" et "démocratie" à la bouche ont, en
réalité, de l'aveu même du principal metteur en scène lors d'une conférence
de presse, et au mépris de toutes les lois internationales, racolé à leur
service, entraîné et armé les hordes de coupeurs de tête cannibales, qu'ils
ont expédiés sur le terrain en Irak et en Syrie. Ces mêmes moralisateurs
feignent ensuite de bombiner hypocritement quelques bordures ou quelques
carcasses de vieux camions, alors qu'ils se gardent soigneusement de
bombarder les rassemblements réels de ces "combattants" dont
ils connaissent parfaitement la localisation.
Puis, lorsque ses mercenaires monstrueux jetés sur le terrain semblent
lui échapper, la main sur le coeur, le Pouvoir supplie le monde entier de
l'aider à faire cesser un carnage qu'il continue d'activer sournoisement en
sous-main par des "erreurs" répétées de parachutages
d'armements et de vivres qui - comme c'est étrange! - arrivent par pleins
containers entre les mains des barbares fanatiques qu'il est censé combattre,
son objectif évident étant d'épuiser les Etats envahis au moyen d'une guerre
interminable. On sait qu'une armée combat avec son ventre. Si ces terroristes
sans Etat n'étaient pas régulièrement alimentés, ils s'éparpilleraient dans
la nature en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
*
Or donc, le Pouvoir céleste, mécontent d'être dérangé par une
insignifiante et gémissante bestiole, y était allé d'une algarade ironique et
méprisante. [7] En quelques mots hautains, il faisait
comprendre à cette vermine combien il était hardi et incongru d'importuner le
père des galaxies et des tempêtes avec ses pustules et ses petits malheurs
personnels? [8]
Fort de sa toute-puissance et du nombrilisme psychologique inhérent à un
maître investi du devoir de veiller au bon ordre de la galaxie, le Pouvoir
suprême s'est livré à un interminable développement au cours duquel il a
présenté à la cantonade un tableau complet des fabuleuses réussites de son
programme de gouvernement.
Je l'ai vu détailler avec orgueil les merveilles de la nature dont il se
flattait d'être l'ordonnateur. Pendant qu'il vantait la splendeur des aurores
et les infinies richesses météorologiques qu'il avait su inventer, de la
neige à la grêle en passant par la pluie et la glace, je remarquai qu'il
omettait d'évoquer les cyclones, les tempêtes ou les ouragans qu'il
déchaînait par ci, par là, par désœuvrement, par malice ou par inadvertance.
Je l'ai entendu chanter ses propres louanges sur tous les tons et sur tous
les modes et s'extasier sur son propre talent d'avoir si harmonieusement
réglé la répartition des eaux et des terres et d'avoir assigné leur juste
place à chaque objet céleste. Il avait conclu cette séquence de son
auto-panégyrique en invitant la loque humaine dévorée par les démangeaisons,
à lever le nez de dessus ses bubons et à se concentrer sur le mystère de la
lumière et la beauté des étoiles.
Oublieux du miséreux pieusement réfugié sur les cendres de la décharge à
ordures du village afin d'éviter de contaminer ses congénères avec ses
squames, le Très-Haut n'avait rien trouvé de mieux que de continuer à
babiller avec éloquence sur la manière astucieuse dont il avait paternellement
mis au point les étapes de la naissance des antilopes [9], réglé
le galop des ânes sauvages dans les steppes [10], prévu la nourriture des lions, des
autruches, des bœufs, des aigles, des autours et des milliers d'animaux
brouteurs, volants ou rampants dont il avait imaginé la création.
Et il continuait à jacasser, évoquant les irisations de la lumière, la
caresse du vent, la splendeur des éclairs, la germination du gazon dans la
steppe ou la nourriture des corbeaux pendant que le désespéré dont le corps
n'était que plaie purulente se grattait en gémissant sur son fumier!
C'est ainsi que les hérauts des démocraties hors-sol babillent sur les
caresses du vent d'une Liberté idéale, la splendeur des droits d'un homme
abstrait et voletant dans la moyenne région de l'air, les irisations de la
prospérité matérielle que les chars du libéralisme économique occidental
offrent aux peuples "libérés" à la pointe de leurs missiles.
Certes, tels des champignons après la pluie, d'innombrables tas de fumier
fleurissent sous leurs pas, sur lesquels pourrissent par millions des Jobs
enchaînés à leur misère et à de sordides Guantanamo. Mais le Pouvoir n'en a
cure. Il va son chemin
Pas plus que le Dieu du Job mythique, le Dieu de la Démocratie idéale ne
se soucie de la mort des enfants irakiens, victimes des embargos, des bombes
ou des effets délétères des missiles à uranium appauvri, ainsi que des
dizaines de milliers de petits Syriens, de petits Afghans ou de petits
Yéménites pulvérisés par paquets entiers par des drones. Mais le Pouvoir
répand un torrent de larmes, dont le flot est susceptible de faire déborder
toutes les baignoires de la planète, sur la photo d'un petit martyr rejeté
par les vagues sur une plage de Turquie.
Le Pouvoir est à la fois pervers et futé. Afin de maintenir ses vassaux
sous le joug, en vue de bénéfices escomptés dans un futur proche, rien de tel
que d'activer les innombrables petites mains semées dans tous les médias du
monde. L'émotion larmoyante habilement distillée et barattée jusqu'à la
nausée à partir du drame de cet enfant-là, est destinée à imposer comme un
bienfait et un devoir moral l'affaiblissement des vassaux submergés par une
soudaine marée humaine financée par d'obscures mains invisibles qui auraient
brusquement ouvert les vannes d'un mystérieux barrage.
En revanche, les centaines d'enfants palestiniens assassinés par les
missiles du peuple élu sous le grand soleil des plages de Gaza, ont laissé de
marbre la presse de l'empire et de ses vassaux.
.Petit Syrien, plage de Turquie, 2015 Petit Palestinien,plage de Gaza,2006
(Ce montage est l'œuvre de Rudi Barnet . Merci à
lui)
Pendant que le Dieu de Job a brûlé une grosse ferme, celui de la
Démocratie idéale a incendié cinq Etats et détruit les traces des
civilisations antiques les plus raffinées. Alors que le premier a provoqué la
mort de la douzaine de rejetons de son fidèle serviteur, le second, beaucoup
plus gourmand, a avalé benoîtement plus de quatre millions de cadavres depuis
dix ans et une quarantaine de millions depuis la fin de la seconde guerre
mondiale. Le Moloch démocratique a faim de chair fraîche.
*
Quand on parle beaucoup, on en dit toujours trop, recommandait à son
dauphin un roi qui se voulait rival du soleil. C'est ainsi qu'emporté par son
babillage, le Très-Haut s'est finalement trahi et a révélé au grand jour sa
passion dévorante et son vice caché.
Nous savons désormais, pour notre plus grand malheur, que le Pouvoir
porte un amour ardent et esthétique à la guerre. Les champs de bataille le
ravissent, la fureur des empoignades, le sang des blessés et des morts, les hennissements
des chevaux, l'odeur de mort qui monte à ses narines sont une drogue
voluptueuse dont il ne se lasse pas.
La guerre serait donc l'objectif secret du Pouvoir. Dans une tirade
exaltée et haletante, il s'est laissé aller à entonner un chant lyrique à la
gloire du cheval de guerre, à la beauté de son engagement, naseaux fumants et
muscles tendus, quand sonne la trompette et que retentissent les clameurs du
combat [11].
Le Tout-Puissant, en esthète des carnages, n'aurait-il créé les fils
d'Adam qu'à la seule fin de parfaire, par la présence d'innombrables figurants,
la mise en scène des batailles dont il se montre si friand? Pour cela, il
fallait au Créateur des armées de cavaliers et de fantassins afin que les
fiers chevaux de combat, bondissant comme des sauterelles, donnent la mesure
de leur puissance et de leur héroïsme.
La guerra, la guerra, encore et toujours, chante
Monteverdi. Dieu le veut ! Deus vult ! Deus lo Vult, Deus lo vol, le
cri de guerre des croisés continue de résonner dans les plaines, les déserts
et les montagnes de Syrie et de Palestine. Hier comme aujourd'hui, ce cri
caresse délicieusement les oreilles du Tout-Puissant affalé sur un cumulus.
Ah! la guerre! Depuis qu'est née la nation qui se croit choisie par le
Pouvoir suprême pour montrer la voie à toutes les nations du monde dans leur
marche sur les sentiers de la Liberté, celle-ci a été en guerre deux cent
vingt-deux ans sur les deux cent trente neuf de son existence. Mais
attention, pratiquement jamais sur son propre sol - sauf contre quelques
emplumés dans les débuts de son surgissement récent du néant - mais toujours
chez les autres.
Ah quels délices de voler, violer , piller, tuer, torturer impunément.
Cela vaut bien la volupté d'admirer les charges de cavalerie qui mettaient en
transes le Dieu de Job.
La guerre est le cœur du Pouvoir.
Le bonheur du tortionnaire (Abou Ghraib, 2003)
*
A cet instant j'entendis un clairon pleurer dans les nues, et ce clairon
me parlait, et ce clairon me révélait que le Pouvoir, éperdu d'admiration
pour ses performances et oublieux de tous les Job du monde qui croupissent
sur leur fumier, s'aime si passionnément, d'un amour si absolu, que la
vermine qui sautille sur la goutte de boue sur laquelle elle a été expédiée,
n'a rien à espérer de lui.
Mes réflexions sur l'éthique du Pouvoir, partant du lobe préfrontal
médian activèrent mon cortex dorsolatéral et poursuivirent leur bonhomme de
chemin en direction d'un jugement moral. Parvenues à destination, elles
conclurent tristement que tous les Pouvoirs sont la proie d'un narcissisme
pathologique et souffrent d'une désolante sécheresse affective.
Mes cellules morales affinèrent leur diagnostic et délivrèrent
l'inquiétant verdict que le Pouvoir présente toujours les symptômes d'une
dangereuse schizophrénie qui le rendent sujet à des bouffées de violence
imprévisibles, à des caprices meurtriers ou à une royale indifférence à
l'égard du sort des créatures qui subissent ses volontés. Nous sommes à la
merci de pulsions morbides qui se traduisent par mille et un malheurs privés,
dispensés au hasard ou par la pulvérisation de villes entières.
J'ai entendu chuchoter ici et là que le Créateur des mondes continue de
s'amuser malicieusement, de temps à autre, à éternuer si bruyamment qu'il
libère dans la stratosphère des poussières incandescentes et des vapeurs
ardentes. Lorsqu'il est rassasié de la béate contemplation des aurores
boréales, son espièglerie alliée à sa toute-puissance, le portent à faire
jaillir de temps à autre des fleuves de feu.
Qui sait si demain le Pouvoir ne sera pas tenté par le spectacle d'un
sublime champignon atomique, qui nous effacerait tous de la surface de cette
terre…
*
Mais un autre secret m'a été révélé.
C'est alors que j'entendis un murmure céleste qui m'informait que le
Pouvoir, honteux d'avoir mis tous ces malheurs en mouvement, tentait de
justifier ses vices et ses méchantes actions. Comme tous les grands malades
qui refusent de reconnaître leur état ou les politiciens toujours prêts à se
chercher des excuses, le Pouvoir céleste est un cachottier à la recherche
d'un bouc émissaire afin de se décharger sur ses épaules des malheurs du
monde .
- Ce n'est pas moi, c'est l'autre. C'est Satan, le pervers, qui m'a
soufflé le conseil perfide de persécuter ce pauvre Job. A moi les aurores
boréales, à lui les tremblements de terre ! A moi les paradis, les délices de
Capoue, les fleuves de lait et de miel, à lui les calamités, les maladies,
les châtiments et les enfers ! C'est lui, c'est Satan qui est responsable de
tous les maux de la terre!
- Ma toute-puissance ne peut rien contre les vilenies de Satan,
poursuivait-il, se parlant à lui-même comme un frère parle à son frère. Il
est vrai que j'aime par-dessous tout la docilité de mes créatures. En mon for
intérieur, je me demande même, dans mes moments de lucidité, si je ne serais
pas sensible à la corruption, tellement les agenouillements, la soumission et
les marques de vénération de mes fidèles flattent délicieusement mon ego.
L'éminent Adamien qui m'avait traité de Grand Trompeur avait peut-être
raison!
*
Les écailles me sont alors tombées des yeux et je vis.
Je vis le ciel ouvert et des myriades d'anges entouraient la boîte
crânienne béante du Pouvoir.
Dans cet antre grouillaient ses petites ruses et ses gros mensonges.
Et je vis que tous les anges pleuraient.
Dans le crâne ouvert du Pouvoir, au milieu d'un fourmillement d'animaux,
de Jobs gémissants sur des montagnes de fumier, de plantes et de plantules,
de planètes tournoyantes et de galaxies en fuite dans le vide, de colonnes de
réfugiés fuyant la mort, de décapités, de crucifiés, de torturés, de noyés,
un Satan hideux ricanait et dansait.
Et ce Satan habitait dans le crâne du Pouvoir et Satan était le Pouvoir.
Pendant que celui-ci ouvrait largement une paume remplie de douces
bénédictions, de promesses de Liberté et de prospérité, de vapeurs de
démocratie et de droits de l'homme, son autre main activait les feux de
l'enfer et barattait les drames, les maladies, les persécutions politiques,
la misère de millions de Job écrasés par les famines et les guerres. Mais sa
main droite ignore ce que fait sa main gauche.
*
Les anges pleurent depuis la nuit des temps.
Les anges pleurent car ils savent que Dieu et Satan sont un duo
indémêlable, non pas des jumeaux, ni même des frères siamois, mais une
dualité, Un en deux Personnes. Le Pouvoir est une entité unique, tantôt
aimable, tantôt féroce, un Janus à deux visages, Docteur Jekyll et Mister Hyde.
Les anges pleurent car ils savent que le satanique Mister Hyde finit par
tuer le bon Dr Jekyll.
*
Les anges sont l'innocence d'un monde d'avant Dieu, d'avant le Pouvoir.
Et maintenant, ils pleurent d'avoir découvert la perversité de Dieu, ils
pleurent d'avoir touché du doigt la duplicité du Pouvoir.
Car le Pouvoir s'avance masqué. Nimbé de la lumière d'un paradis, il
s'illumine des feux de la Démocratie, il scintille des miroitements de la
Liberté, il baigne dans la suavité sucrée des Droits de l'Homme et des bons
sentiments, mais il traîne à sa suite le cliquetis satanique des chaînes de
ses châtiments et de ses enfers. Il progresse par les guerres et le sang et
se lave les mains des crimes, des destructions, des trahisons, des
forfaitures, des rapines, des malversations et des sinistres Guantanamo qu'il
sème partout où il passe.
Les anges pleurent d'avoir découvert la noire épaisseur du monde. Ils ont
compris que le Tout-Puissant EST le Pouvoir et que le Pouvoir EST Dieu, parce
que l'un ne va pas sans l'autre.
Alors les anges ont brusquement senti le poids du temps sur leurs
épaules. Les ailes séraphiques de leurs illusions enfantines et de leur
candeur se sont détachées de leur dos et insensiblement, tout doucement, une
lente métamorphose s'est produite dans leur corps vieilli. Leur coeur est
demeuré frais et ardent, mais il cohabite désormais avec une lucidité
nouvelle, la froide lucidité, la cruelle lucidité de l'intelligence.
Ils découvrent alors qu'ils sont désormais des millions de Job, une armée
de Job debout qui ont cessé de gratter les squames de leur soumission .
*
Redressé, fièrement debout, Job a quitté son fumier et se présente en
juge de Dieu, en juge et en accusateur du Pouvoir..
*
[1] - Exode 3 :14 : " Dieu dit à
Moïse : "JE SUIS CELUI QUI SUIS. Et il ajouta : c'est ainsi que tu
répondras aux enfants d'Israël : Celui qui s'appelle " JE SUIS "
m'a envoyé vers vous ".
![]()
[2] - C'est Eloah qui m'a fait tort. (…) Je crie à
la violence et reste sans réponse, j'appelle au secours, et point de jugement
! Il a muré ma route et je ne puis passer. (…) Il me démolit de toutes parts.
(…) Il a déraciné , comme un arbre, mon espoir, il a enflammé contre moi sa
colère et m'a traité comme un adversaire. Job, 19, 6-11.
![]()
[5] Autrement dit, à son
assassinat. Le 25 août 2015, à l’occasion de la conférence annuelle des ambassadeurs
![]()
[7] - Quel est celui qui obscurcit mon plan par des
paroles dépourvues de science ? (…) Qui enferma la mer à deux battants ? (…)
As-tu dans tes jours commandé au matin, indiqué sa place à l'aurore ? (…)
As-tu pénétré jusqu'aux sources de la mer, et au tréfonds de l'abîme t'es-tu
promené ? Te sont-elles apparues les portes de la Mort ? (…) As-tu pénétré
dans les réserves de neige, et les réserves de grêle, les as-tu vues ? (…)
Qui compte les nuages avec sagesse, et les outres du ciel, qui les incline ?
(…) . Job, 38, 4-38.
![]()
[11] -
Job, 39, 19-25 : Donnes-tu au cheval la vigueur, revêts-tu son cou d'une
crinière, le fais-tu bondir comme la sauterelle? Son fier hennissement répand
la terreur. Il piaffe dans le vallon et exulte avec force, il s'élance au
devant des armures, il se rit de la peur et ne s'effraie pas: il ne recule
pas devant le glaive. Sur lui résonne le carquois, la lance étincelante et le
javelot ; il frémit, il bouillonne, il avale la terre et ne se contient plus
quand sonne la trompette. A chaque coup de trompette, il crie Hourrah ! Et de
loin il flaire la bataille, le tonnerre des chefs et la clameur du combat.
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