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III
L'Europe
des vassaux
1 - La
philosophie politique de l'Europe des vassaux
Seule une
violente déflagration cérébrale, seule une révolution intellectuelle
foudroyante, seule une mutation subite et brutale des neurones de l'Europe
déclenchera une politologie aux paramètres prospectifs. L'accouchement accéléré
de la classe dirigeante explosive qui en résulterait accoucherait,
parallèlement, de la cervelle de l'avant-garde de ce siècle. La connaissance
psychobiologique de la servitude idéalisée des modernes s'en trouverait
tellement approfondie que le mythe tentaculaire de la Liberté n'aurait plus de
secrets pour nos psychologues et nos politologues les plus avertis. Cette
anthropologie du servage des modernes descendrait d'un pas aussi alerte que
résolu dans l'abîme de nos concepts maladroitement célestifiés. Devenus des
spéléologues de notre espèce, nos philosophes se demanderaient enfin pourquoi
les évadés les plus récents des forêts se nourrissent de mots de plus en plus
appétissants, mais trompeurs; et la philosophie redeviendrait ce que Socrate
lui demandait: une connaissance des mets délicieux, mais qui vous gâtent
l'estomac.
Aussi longtemps
que notre géopolitique ne disposera que d'une connaissance mal désonorisée et
ânonnante de nos lexiques, notre démocratie universalisante nous promènera dans
le jardin des Hespérides du mythe de la Liberté - et le genre simiohumain ne
saura comment féconder le terreau de ses abstractions vaporisées à outrance.
Comment les historiens d'un animal cérébralisé à demi et égaré dans le surréel
à l'écoute de ses vocables, comment les historiens d'une civilisation devenue
suicidaire à l'école de son idéalisation téméraire du monde,
s'expliqueraient-ils l'absurdité des sanctions auto-punitives que nous avons
édictées sur l'ordre d'une puissance étrangère et à seule fin de châtier la
Russie?
Quel était le
forfait de cet Etat? Il avait retrouvé une Crimée, qui lui avait été
arbitrairement dérobée à la suite de l'effondrement du précédent délire
langagier dont notre espèce s'était voulue à la fois le protagoniste et la
victime, le délire marxiste; car nous sommes une bête auto-sacrificielle et qui
s'immole sur les autels de sa parole. A ce titre, nous montons d'un siècle à
l'autre sur le bûcher que notre cerveau messianique nous apprête. Mais notre
masochisme commence de retourner nos châtiments contre nous-mêmes. Personne
n'avait prévu que nos punitions réputées vertueuses feraient nécessairement
descendre nos paysans dans la rue et que nous nous trouverions en butte à la fureur
légitime de notre propre population.
La
France de cette jacquerie, c'est-à-dire tout le monde, savait pourtant, primo,
que ces auto-flagellations allaient nécessairement se révéler illusoires et secundo,
que la fausse sainteté des démocraties ne brandirait jamais que le drapeau de
notre vassalisation. Nous nous fouettons nous-mêmes afin de mieux nous
démontrer que nous obéissons à l'ordre impérieux que notre souverain de là-bas
a proféré à notre encontre. Mais si nous n'avons pas encore conquis une
connaissance sérieuse, donc philosophique et anthropologique, du code génétique
qui rend les verges de notre mythe de la Liberté si efficace sur nos fesses,
comment comprendrions-nous les raisons psychobiologiques qui permettent à
l'Amérique de nous soumettre aux flagellations cuisantes que nous administre le
dieu Liberté? Comment se fait-il que nous nous soyons privés des lumières de
notre tête d'autrefois et des maigres bougies dont nos ancêtres éclairaient leurs
chaumines enfumées?
Et
puis, nos politologues de la Liberté, qui ont fait monter le pain bénit d'une
démocratie de l'abstrait, ont pris du retard dans l'art de nous mettre en
pénitence. Qu'en est-il des étrivières que nous appelons des idéalités? Comment
se fait-il que les phalanges de nos anthropologues du salut politique ne
disposent encore d'aucune science prospective du type d'auto-vassalisation qui
paralyse les neurones des civilisations les mieux auréolées de leur verbe de la
Liberté et les plus lucides en apparence face aux vassalisateurs de leur
gosier? Si nous allions regarder de plus près ce qui se passe dans nos fours?
Car nos colonies ont mis des décennies à guérir de l'asservissement de leur vocabulaire
sous notre trique. Observons au microscope la lenteur de leur apprentissage de
l'hérésie politique de peser par soi-même. Car la première génération des
élites de leur désobéissance était encore d'une maladresse pathologique.
Le
29 mai 2015, M. Giscard d'Estaing a osé se rendre à Moscou, où il a longuement
expliqué à un M. Vladimir Poutine, qui ne l'ignorait évidemment en rien,
l'évidence que l'Europe du XXIe siècle n'est plus la maîtresse des décisions
géopolitiques qu'elle présente pourtant sans relâche et obstinément pour les
siennes. Quant à la Commission de Bruxelles, elle se rend inaudible en raison
du spectacle ahurissant qu'elle présente de son asservissement déguisé en
hostie de sa Liberté.
Depuis
le 6 août 2015, cet affichage d'une forfanterie psittaciste ne donne plus le
change, puisqu'à l'occasion de la commémoration du génocide d'Hiroshima, la
France et l'Europe ont reçu sur la tête une seconde bombe atomique de la
politique, celle du renoncement définitif de Paris asservi de livrer deux
navires de guerre à la Russie. L'alliance génocidaire de 1945 de Washington et
de Londres avait provoqué un amoncellement de deux cent cinquante mille
cadavres au Japon. Hiroshima II en fera des centaines de milliers en Europe,
mais cet Hiroshima-là sera de type cérébral et s'étendra sur un demi-siècle
dans les têtes parce que les historiens de notre cervelle diront que, ce
jour-là, non seulement le rêve d'une Europe politique a été définitivement
carbonisé, mais que les cendres de l'élan et de la volonté de l'Europe ont été
répandues parmi les débris de ce grand songe. Pendant trois générations, ces
caissons d'acier sillonneront les mers en orphelins de la souveraineté de la
France et en témoins de la domestication effrénée des Gaulois de ce temps.
Quel
sort piteux que celui des nations européennes d'aujourd'hui. Vous les voyez
privées de leur fermeté d'âme comme de leur ambition naturelle d'autrefois de
demeurer autonomes! Quel crève-cœur de les voir subitement traîner la patte à
ce point! Avouons, avec un grand retard, mais du moins au grand jour de notre
lucidité, que ces loqueteux de leur propre déshonneur et ces clopinants de leur
histoire en lambeaux nous présentent une galerie de servantes court-vêtues. Que
de rubans et de dentelles d'une vassalité confite dans son silence! Nous
n'avons pas entendu de régiments d'intellectuels et d'hommes politiques avertis
et de haut rang exprimer, dans le sillage de M. Giscard d'Estaing, leur
stupéfaction ou leur colère de ce qu'un Continent d'hallucinés et de sourds-muets
se présentait garrottés sur les planches par la volonté d'un empire étranger.
La Tunisie ou l'Algérie du XIXe siècle se taisaient sur le théâtre du monde
dans le même ahurissement politique que l'Europe des vassaux d'aujourd'hui.
Cela
signifie que le mutisme des serfs est à lui-même son propre joug et que le bât
de la servitude autrement attifée de notre temps est le même que celui de
l'Afrique d'autrefois - ce qui nous appelle à un approfondissement de notre
science des fondements, toujours religieux, et au plus profond de nous-mêmes,
de toute subordination politique des neurones d'une espèce encore cérébralisée
à titre embryonnaire.
- L'avenir de la philosophie européenne2 , 5 juin 2015
- L'avenir de la philosophie européenne1 , 29 mai 2015
Nous
ne progresserons qu'à pas comptés dans la connaissance des foucades passagères
ou des errements tenaces dont le cerveau simiohumain semble le théâtre et
l'otage. Car, aussi longtemps que nous négligerons de nous demander quelles
relations les débâcles prolongées des civilisations ou les raffermissements
fragiles de notre langage entretiennent avec la microcéphalie fainéante ou
foudroyante qui frappe nos écrits dans les décadences, nous ne progresserons
jamais à grandes enjambées dans la connaissance rationnelle de notre vassalité,
tellement une langue dont la cohérence grammaticale et syntaxique aura été
restituée pourra donner passagèrement le change sur sa santé cérébrale quelque
peu retrouvée, mais, dans ses profondeurs, elle demeurera gangrenée et apeurée
à mort.
Exemple:
au VIe siècle de la chute de l'empire romain, nous n'allions pas sertir de
joyaux inconnus une langue dont nous avions accompagné la longue agonie de ses
dieux. C'était bien à tort, disions-nous, que les Célestes enfin enterrés des
païens avaient bénéficié de l'éclat solaire des Virgile et des Horace . Et
maintenant, quelle revanche stellaire, aux yeux des chrétiens, que le
vocabulaire et la syntaxe du latin des morts fussent donnés à mâchonner aux
envahisseurs barbares. De plus, les langues se mettent respectueusement à
l'écoute et à l'école des succès resplendissants et des revers humiliants de la
politique. Le grec classique était né des victoires de Platée, de Salamine et
du défilé des Thermopyles, le latin du siècle d'Auguste devait ses grandes voix
à la stabilisation de l'empire et le français de Racine et de La Fontaine a
donné ses étoiles au siècle de Louis XIV.
Mais,
à chaque fois, un régulateur de bon goût met notre écriture en garde contre les
facilités de l'éloquence redondante des patries. Platon se moque gentiment de
l'éloquence commémorative des tribuns de la gloire militaire d'Athènes, et dans
son De Oratore, Tacite sourit de quelques cadences
de convention de Cicéron. Quant à Boileau, gageons que si le siècle l'avait
permis, l'auteur de L'Art poétique aurait vertement reproché à
Bossuet d'armer le Jupiter trop solennel des chrétiens des somptueux
balancements dont se berçait déjà l'éloquence cicéronienne. Donnez à chaque
divinité le rythme qui lui appartient; ne faites pas retentir le géniteur du
cosmos dans le grandiose: Jean de la Croix a fait murmurer les cymbales
tonitruantes de l'Aigle de Meaux. Mais comment redonner sa boussole à une
langue française qui a divorcé d'avec la parole sûre et tranquille qui lui
donnait son lest, comment réarmer une langue allemande qui a perdu son
vocabulaire propre en cours de route? Observons les trépas politiques à
l'écoute de l'agonie des langues.
Supposons
que la France ait proclamé tout soudainement son ambition de recouvrer la voix
et la musculature d'une République pensante et parlante. Dans ce cas, de quelle
démocratie parlerions-nous? La nôtre croyait avoir gravé son éternité sur le
fronton d'un Panthéon de ses grands hommes, la nôtre avait prêté sa foi à
l'alliance des idéaux du genre humain avec le culte d'une patrie immortelle.
Mais sitôt qu'il s'agira de donner un contenu tangible à une nation hissée à
nouveaux frais sur l'échiquier de l'impérissable, on verra les écoles du
redressement de l'esprit de la nation se dérober l'une après l'autre à la tâche
d'appeler un chat un chat et Fréron un fripon. Qui s'étonnera de la présence
ponctuelle ou prolongée de Washington en Ukraine si personne n'ose seulement
manifester quelque surprise de la puissance des armes de l'empire qui s'est rué
de Ramstein à Syracuse et à Bagdad en 2003?
Les
acéphalies collectives se manifestent par de titanesques dérobades mentales des
nations et de leurs dirigeants. En ce début du IIIe millénaire, une seule
dramaturgie de la fuite des cervelles occupe le centre de la géopolitique,
celle de savoir si Washington et ses satellites parviendront à scinder la
civilisation occidentale entre la patrie de Descartes, de Copernic ou de Newton
d'un côté et celle de Dostoïevski, de Tolstoï ou de Rachmaninov de l'autre. Or,
tout le monde détourne le regard de cette tragédie, tout le monde s'affaire
seulement à préparer les falbalas d'une rencontre internationale protocolaire
sur le climat de la planète de demain, et cela à seule fin de bien camoufler le
vrai spectacle, celui de la désertion colossale des consciences: une
catastrophe ruineuse et dont les conséquences s'étendront sur des siècles,
celle de détourner l'Occident de lui-même se prépare dans les pépiements et les
vols d'étourneaux. On exorcise l'angoisse et l'errance d'une civilisation en
promenade sur la terrasse d'Elseneur de l'oubli - seules quelques sentinelles
font entendre la solitude d'un siècle privé de prophètes de son trépas.
Et
pourtant quelques juristes internationaux éclairés de la lumière du plus simple
bon sens, avaient estimé que le gouvernement en chair et en os de Vichy n'était
pas un personnage réel sur la scène du droit international, parce que les
nations ne sont pas représentées par leur corps, mais par le souffle qui les
inspire. Les vrais Etats, disaient-ils, n'éclaire pas la souveraineté de leur
lumière d'une frêle bougie seulement, la souveraineté d'une nation ne
s'illumine jamais à l'école de sa vassalité. Or, le corps électoral vivant de
l'Europe asservie à un maître lointain n'est nullement représenté par le corps
diplomatique éteint d'aujourd'hui, parce que les vrais citoyens d'aujourd'hui
se voient agoniser dans la main de fer d' un tyran du mythe de la Liberté.
Voici
les abaissements dont la vassalité de l'Europe présente le spectacle. Un Etat
ne prend plus lui-même les décisions qu'il affiche, mais étale seulement celles
que son maître lui a fait prendre. Puis il proclame siennes les décisions qu'un
autre a prises à sa place, parce que tout esclave cache sa honte à soustraire
ses chaînes aux regards. Enfin, l'esclave se donne des airs de liberté à bien
obéir. L'Europe fait le matamore de sa propre servitude.
La
semaine prochaine nous ferons quelques pas de plus dans le décryptage des
arcanes de la vassalité placée sous le sceptre de la Liberté.
Le
11 septembre 2015
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