1 - Qu'est-ce
qu'un chef d'Etat
Il arrive
qu'un chef d'Etat se révèle de surcroît un administrateur de la politique
locale. Dans ce cas, on le juge à l'attention qu'il veut bien porter à la
misère du peuple; mais sa tâche principale demeure celle d'un ardent
défenseur des intérêts supérieurs de la nation. Seule la scène
internationale lui paraît un théâtre digne de sa vocation.
Mais si
l'essentiel de sa mission n'est jamais de s'apitoyer sur le sort des
"humbles et des opprimés", il faut néanmoins que la pauvreté et
l'ignorance de la population n'affaiblissent pas outre mesure la nation
dans l'arène du monde - sinon il court à vive allure au secours des
miséreux. Trois siècles après la poule au pot d'Henri IV, Napoléon III a
rédigé un bréviaire intitulé De l'extinction du paupérisme. Mais
Bourguiba ou Pierre le Grand ont mis toutes leurs forces à délivrer leur
pays des ténèbres de la fossilisation théologique des cerveaux et à faire
couper aux illettrés une barbe par trop ridiculement copiée sur celle du
créateur de l'univers.
2 - L'exemple de l'empire américain
Et
pourtant, ce ne sont pas des théoriciens de la prééminence d'un Etat
conquérant, mais trois présidents démocrates qui ont conduit l'empire
américain à la surpuissance navale de ce temps, Roosevelt, Truman et
Kennedy. Quand un président démocrate n'a pas la poigne de fer d''un César
du mythe de la Liberté, on lui montre la porte. Carter a paru faible des
bras et des jambes. L'acteur de cinéma qui lui a succédé à la Maison Blanche
avait appris son métier à l'école des shérifs de Western et il est allé
bombarder Kadhafi dans son palais à dix mille kilomètres du bureau ovale;
et l'on a vu un scénario de Hollywood débarquer parmi les dorures et le
protocole des chancelleries du monde entier -tandis que Jimmy Carter
recevait dans son coin le lot de consolation fort recherché, mais qu'on
réserve aux catéchètes des démocraties, le prix Nobel des anges de la paix.
Certes, M. Bush senior n'était pas un homme d'Etat manqué; et pourtant, il a
été remplacé par un Bill Clinton qui allait siéger au sein du gouvernement
de Tel-Aviv. Mais il faut chercher la cause de sa disgrâce, non point dans
l'échec de sa politique, mais dans l' initiative téméraire qu'il avait
prise de défier l'expansion territoriale illimitée d'Israël en Palestine.
Vingt ans
plus tard, un autre démocrate, Barack Obama, s'est cassé les dents sur ce
petit Etat de fer et acier. Mais la nature même de sa fonction l'a
contraint à se risquer dans cette enceinte en béton armé, puis d'y
expédier, et inutilement, le vice-Président des Etats-Unis et enfin, une
quinzaine de fois, le chef de la politique étrangère du pays; mais ce
dernier échouera à faire plier Tel-Aviv. Du coup, l'hôte de la Maison
Blanche se trouvera rayé de la liste des vrais chefs d'Etat aux yeux de la
postérité - du reste, il s'est d'ores et déjà résigné à sa rétrogradation
perpétuelle, puisqu'il se rabattra peu à peu sur le volet social de son
emploi.
Pourquoi
les hommes d'Etat dignes de ce nom et qui se sont pourtant souciés du
bien-être de leur population se comptent-ils sur les doigts d'une main?
Parce que l'officialisation du socialisme nationaliste n'est pas pour
demain. Mais Kennedy a mieux asservi l'Europe que Nixon ou Eisenhower et
Truman que Reagan. C'est qu'un homme d'Etat qualifié de démocrate peut
s'offrir le luxe de s'envelopper dans le châle d'un apostolat de la
domestication évangélique de ses adversaires et de tout l'univers, tandis
que l'homme d'Etat républicain se trouve contraint de jouer cartes sur table.
On n'évangélise pas le réalisme - seuls les rêves sacrés sont de taille à
se rire des frontières.
3 - La bête auto-cérébralisée
Depuis les
origines de la mémorisation écrite du temps, notre astéroïde s'est révélé
le théâtre d'une guerre tour à tour ouverte et larvée entre les empires
vigoureusement présents sur la planisphère des dévotions et des piétés
musculaires de leur époque d'un côté et, de l'autre, les empires oublieux
des glaives glorieux que brandissait un mythe ou une divinité. C'est
pourquoi il est absurde de peser les relations tempétueuses de l'Iran avec
les saintetés hérissées des piques et des cierges de la démocratie idéale
sur la balance de l'enseignement de la seule religion à exercer un monopole
sur le concept de Liberté. Ce parfum de paroisse se nourrit désormais d'un
songe catéchisé à l'échelle du globe terrestre. Une Eglise de la laïcité
dont l'argumentaire universel se trouve étroitement calqué sur celui de
l'orthodoxie totalisante du Moyen-âge n'est jamais qu'un masque sacré, donc
armé des crocs de la sainteté d'aujourd'hui.
Hier
encore, Téhéran se trouvait cloué au pilori des hérétiques et voué à la
damnation éternelle en raison de son refus diabolique de confesser une
vérité doctrinale bien connue et dont l'évidence était censée crever les
yeux à l'humanité tout entière. La vérité n'avait-elle pas été révélée une
fois pour toutes et à tous les peuples rationnels, donc armés d'avance du
plus élémentaire bon sens sur cette terre? C'est pourquoi quatre-vingts
millions de descendants de Darius et d'Artaxerxes se trouvaient hissés sur
le bûcher par des armées d'affameurs, tous bons apôtres de la Justice et de
la Liberté universelles. Si la démocratie n'était pas inquisitoriale, elle
ne serait pas convertisseuse et il serait impossible de la magnifier à
l'école des nouveaux croisés du monde.
Aussi
est-il équitable, n'est-ce pas, que les anges et les séraphins de
l'apocalypse thermo-nucléaire excommunient l'ambitieux qui voudrait se
donner, lui aussi, le prestige d'une foudre inutilisable par nature, donc
mythologique par définition. Toute orthodoxie fonctionne à sens unique;
c'est pourquoi le Dieu tenu à la fois pour vrai et pour armé de piquants
redoutables se trouve toujours et exclusivement entre les mains du
propriétaire qui en tient le manche et qui en allume la mèche, donc le
mieux armé. Mais songez que l'esprit de charité est censé inspirer la
démocratie de la foudre majoritaire de l'atome.
4 - Les ventres affamés ont maintenant des oreilles
Voyez
l'esprit évangélique avec lequel l'Eglise du nucléaire s'affaire pour le
salut du malheureux hérésiarque: il s'agit, n'est-il pas vrai, et le cœur
sur la main, de rétablir des relations saines et vertueuses avec les saints
détenteurs du monopole de la pulvérisation terminale. Le nucléaire
démocratique se veut apostolique et fulminateur, pacificateur et
apocalyptique. Au demeurant, l'esprit sotériologique et rédempteur qui
inspire le mythe de la Liberté ne veut jamais que le bonheur du coupable:
qu'il confesse seulement sa pestifération, qu'il affiche seulement sa
repentance sur la scène de la damnation internationale, qu'il renonce
seulement à l'arme diabolique dont il est censé faire peser la menace sur
les épaules de ce pauvre monde - et l'enfant mais la corde au cou.
Qu'attend
ce malheureux pour se confesser, se convertir, passer aux aveux? Comment se
fait-il que les ventres affamés aient désormais des oreilles et qu'ils
refusent tout net d'écouter les prêches des dispensateurs de leur salut?
Comment se fait-il que le pauvre homme gémisse sous la torture et proteste
du traitement qu'on lui inflige? Comment se fait-il que les héritiers de la
Perse des ancêtres refusent les bienfaits d'une sotériologie si profitable
à celui qui en tient seul le fouet entre les mains? Qu'en est-il des
vassalisations tapies dans les outres de la sainteté démocratique? Qu'en
est-il de l'asservissement des peuples sous le sceptre du ciel de la
Liberté? Que dit de la bête son anthropologue transcendantal, le
spécialiste prodigue sera tout subitement reçu à bras ouverts par la
communauté des fidèles. Le paradis de la démocratie mondiale attend le
pénitent avec charité, des carapaces mentales du simianthrope?
L'Iran est
devenu le laboratoire mondial d'une anthropologie nouvelle, celle dont
l'onirisme pieux des démocraties alimente les anges et les séraphins. On y
expérimente les cuirasses cérébrales des évadés de la zoologie, on y
examine la dimension théologique du genre simiohumain à l'école de son
langage, on y soupèse les neurones vaticanesques des orthodoxies verbales,
on y décode les secrets psychobiologiques de la bête auto-cérébralisée par
le fantasmagorique grammatical qui l'habite.
5 - La nouvelle distanciation anthropologique
Un cours de
syntaxe de la géopolitique parareligieuse des démocraties dont les
prémisses et la problématique seraient devenues simianthropologiques
donnerait enfin à la politologie mondiale la balance qui permettait à cette
discipline de peser les croyances et les mécréances en promenade sous le
crâne des descendants d'un primate velu. Par bonheur, l'intelligibilité de
l'histoire des détoisonnés n'a jamais été durablement localisée et
légitimée dans l'enceinte d'une méthodologie rigoureuse. C'est qu'une telle
discipline s'égarerait à recruter des informateurs qui transmettraient des
informations inaltérables d'une génération à la suivante. Mais il se trouve
que la frontière entre les simples chroniqueurs d'un côté et les peseurs
souverains des problématiques-pilotes de l'autre n'a jamais été clairement
tracée. C'est que les constats des huissiers de la mémoire erratique du
genre humain sont irréfutables, mais aveugles, sourds et muets, tandis que
les interprétations des philosophes de la durée sont macroscopiques, mais
d'une profondeur désespérément inégale. Qu'en est-il du recul proprement
anthropologique de la caméra, qu'en est-il de la distanciation progressive
du regard de la raison sur ses propres savoirs depuis la découverte du
passé zoologique de l'humanité, qui ne remonte qu'à un siècle et demi?
Par chance,
pour l'observateur du degré de cérébralisation actuelle de notre espèce,
les mentalités théologiques vainement refoulées depuis la Révolution
française ont rompu la digue des idéologies évangélisantes qui avaient pris
le relais des orthodoxies révélées. Pourquoi les idéalités s'étaient-elles
sacralisées sur le même modèle dogmatique et mythologique que les
théologies doctrinales d'autrefois? Pourquoi n'a-t-on pas remarqué que le
débarquement d'une sanctification eschatologique de l'histoire et de la
politique ne date pas d'hier? Le nazisme reposait sur une sotériologie, le
marxisme sur une recoction de la rédemption judéo-chrétienne - un
réchauffement définitif du royaume de Dieu allait débarquer sur la terre.
En 1945 la
démocratie mondiale a pris la relève des anciens finalismes théologiques,
ce qui démontre qu'une raison durablement tenue pour salvifique est devenue
congénitale au détoisonné adamique. Du coup, il sera bien impossible de
jamais construire une balance à peser l'encéphale simiohumain actuellement
branché sur le mythe d'un salut planétaire si l'on ne décrypte pas au
préalable quelques secrets anthropologiques élémentaires du fonctionnement
cérébral des mythologies religieuses ou idéologiques. Car la bête au
cerveau schizoïde se veut dominatrice et conquérante, mais elle s'avance
masquée sous les auréoles de ses auto-sanctifications langagières. Il faut
donc étudier la démocratie mondiale en tant que masque parathéologique dont
la machinerie cérébrale tour à tour déchaînée et crispée se trouve
étroitement calquée sur celle de l'expansion guerrière et pseudo
apostolique du christianisme romain des premiers siècles. La grâce
démocratique a substitué aux aigles des légions la tiare et le sceptre
d'une délivrance désormais universellement transmise par la médiation d'un
mythe séraphique et dentu nouveau, celui de la Liberté. Le drapeau d'un
salut garanti par un songe flotte à nouveau sur la planète entière d'un
ressuscité.
C'est la
mise en évidence d'un camouflage du réel par le discours des empires en
guerre ou aux aguets et la révélation de l'enracinement d'un au-delà
mythique dans les chromosomes de la bête semi cérébralisée, c'est la
découverte du défaussement originel de l'évadé des forêts sur un langage
révélé et auréolé qui assigne au pape François une place suréminente dans
l'histoire d'un dynamitage iconoclaste du christianisme ecclésial des âges
primitifs. Qu'en est-il du songe démocratique démasqué à l'école d'une
psychanalyse encore rudimentaire des idéalités politiques communes à la
religion de la Croix et à la révolution de 1789?
6 - La bête masquée de sainteté
Pour le
comprendre il faut plonger dans l'abîme où le mystique porte sur l'animal
évadé du "jardin d'innocence" le regard d'une lucidité
visionnaire. Une pensée religieuse fondée sur une symbolique originelle de
la condition simiohumaine conduit tout droit à une spéléologie
anthropologique de la fable cosmologique, donc au décryptage du
dédoublement collectif d'Adam entre l'image socialisée qu'il se fait de
lui-même et qu'il transporte dans les nues et le réel qui l'accable sur la
terre. Il faut comprendre que le pape François puise dans la joie
intellectuelle, donc solitaire du Poverello un feu et une lumière
spectrographiques dont il importe de capter les sources transanimales. Quel
est le pont qui relie Socrate dansant de joie dans sa prison et le saint
qui vous dit: "Je meurs dans l'allégresse"? Comment se
fait-il que ce soient la flamme et le flambeau de l'intelligence
visionnaire qui réchauffent et éclairent aussi bien les Isaïe que les
François d'Assise?
Quand le
pape François écrit à Vladimir Poutine pour lui demander de l'aider à
arrêter la guerre de Syrie, c'est avec des yeux d'anthropologue
transcendantal qu'il regarde la bête masquée de sainteté et qui se hisse
péniblement sur le piédestal de ses idéalités spéculaires. Le saint est un
regardant. Il voit l'humanité réfléchie dans les miroirs qui la flattent.
Si l'humanisme occidental demeurait à l'écart des leçons de la lucidité
ascensionnelle qui inspire les grands contemplatifs de la condition
simiohumaine, l'évolutionnisme n'aurait plus de destin intellectuel.
Quelle est
l'identité cérébrale du singe blasonné de la sainteté narcissique de type
démocratique ? Le mystique est le blasphémateur suprême, celui qui dit,
avec Nicolas de Cuse et Jean de la Croix, que " Dieu " n'est
autre que l'incandescence de sa raison de visionnaire des arcanes, des
rouages et des ressorts d'un animal semi-cérébralisé.
7 - La démocratie des barbares et les mystiques de la lucidité
Pourquoi la
géopolitique contemporaine attend-elle avec impatience une anthropologie
dont le regard se porterait enfin de l'extérieur sur la condition cérébrale
de l'évadé des forêts, sinon parce que la dégaine du récit historique le
plus banal résiste désormais à la narration événementielle? A l'heure où la
raison des mystiques se révèle plus explicatrice que les relevés de comptes
des mémorialistes et des chroniqueurs, à l'heure où un pape campe hors des
murs du palais des somptueux successeurs de Pierre, à l'heure où une raison
politique en marche surplombe le cirque des idéalités mondiales et commence
d'observer la spécificité de la barbarie de type démocratique, à l'heure où
le Vatican apostrophe la patrie des droits de l'homme et rabroue vertement
ses dirigeants, à l'heure où le saint d'Assise enflamme un milliard et demi
de chrétiens assoupis et fait débarquer dans l'arène de la politique
internationale le spectacle d'une gigantesque profanation, à l'heure où
l'audace d'une Curie branchée sur de féconds sacrilèges s'en prend aux
idoles les plus vénérées d'une époque, celles qui chapeautent son langage,
à l'heure où un faux culte de la Justice et de la Vérité
dévoile une falsification mondiale de l'Eden des démocraties, on voit
subitement courir à Rome M. Benjamin Netanyahou, M. Poutine et demain une
reine d'Angleterre âgée de quatre-vingt huit ans, accompagnée d'un duc
d'Edimbourg de quatre vingt treize ans, François ne se révélait-il
l'électrochoc que la nef des fous attendait ? Croit-on que
l'historien-anthropologue, le philosophe-anthropologue, le
politologue-anthropologue peuvent persévérer à se mettre un bandeau sur les
yeux et feindre que rien ne s'est passé dans le royaume de la mémoire
pensante du monde?
Quand le
"spirituel" tourne le dos à un mythe politique fondé sur les
défaussements, les subterfuges et les mascarades de la sainteté, quand
Tartuffe se révèle le Titan de la Liberté et le Cyclope mondial de la
justice, le feu de l'intelligence et de la raison s'allume au cœur du temps
des peuples et des nations et la mystique retrouve la parole pour demander
à la mémoire ossifiée du monde: "Quel est le télescope dont le miroir
vous racontera à nouveaux frais les secrets du temps des Etats?"
La semaine
prochaine, je tenterai d'approfondir la postérité anthropologique d'ores et
déjà déclenchée du pape François. Le 21 mars, je tirerai les premières
conclusions d'une spectrographie de la condition humaine - par une
coïncidence journalistique, La Croix publiera une enquête sur ce sujet qui
illustrera la superficialité de l'humanisme semi théologique de la
démocratie mondiale. Le 28 mars, j'observerai enfin la question
anthropologique qui se cachait derrière les décors de la pièce en
représentation depuis deux mois en Ukraine et qui fait salle comble sur la
scène internationale - la question de l'occupation militaire américaine de
l'Europe depuis 1949. Que signifie le terme Liberté dans l'arène de
la géopolitique contemporaine?
le 8 mars 2014
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