Discours de François Hollande à Lorient le 23 avril 2012
Mesdames, Messieurs, chers amis, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, je ne me suis pas posé de question : je savais que je devais venir en Bretagne. J’avais tant de raisons d’être parmi vous ce lundi ! La première, c’est le résultat que m’a donné la Bretagne. Et si je suis sorti en tête du scrutin du premier tour, c’est bien parce que les Bretons l’ont décidé ainsi. Et donc, je voulais vous exprimer ma gratitude. Vous allez me dire, il y a d’autres régions qui l’ont fait. Je les visiterai. Et j’irai même voir les régions qui ne m’ont pas donné encore le plein de leur suffrage. (Huées !) Mais ne les accusez pas, j’aurais besoin de tout le monde – enfin, de toute la France.
Mais je voulais être ici à Lorient, parce que je suis venu tant d’années à Lorient pour préparer le socialisme du XXIe siècle. J’ai bien fait de m’entraîner, j’y suis ! Avec Jean-Yves, avec Norbert, chaque fois j’ai fait en sorte de rassembler la Gauche bretonne – oh, ce n’était pas la plus turbulente. Et j’ai aussi une dette à l’égard de la Bretagne : c’est à Brest que j’avais été élu premier Secrétaire du Parti socialiste. C’était en 1997. Cela paraît très loin. Mais dans une vie politique, tout à un sens. Ce sont les premières étapes qui parfois conduisent à la destinée que l’on s’est donnée à un moment parce qu’une responsabilité a été confiée. Et c’est parce que les Socialistes un jour m'ont choisi – et Lionel Jospin y avait contribué – comme Premier secrétaire du Parti socialiste que, des années plus tard, je peux être aujourd’hui en situation d’être le prochain président socialiste de la République.
Je voulais aussi dire combien la France attend de la Bretagne. Bretagne, grande région agricole, industrielle, économique, qui avec son littoral est une grande région maritime. Je me souviens qu’en 1981, François Mitterrand élu président de la République avait composé son gouvernement et avait nommé Louis Le Pensec comme ministre de la Mer. Si les électeurs en décident, bientôt – le 6 mai c’est tout de suite, vous avez commencé à faire votre choix (Oui !) –, eh bien si les Français décident de me confier la responsabilité de la France, il y aura de nouveau dans le gouvernement de la République un ministre de la Mer.
Le Bretagne a aussi, d’une certaine façon, inventé la décentralisation. Ici pendant des années – les plus jeunes ne peuvent pas s’en souvenir –, dans les années 60-70, des hommes et des femmes qui n’étaient d’ailleurs pas tous de gauche réfléchissaient à ce que pouvait être l’avenir des territoires. Ils avaient formé des comités, des bureaux. Et ils avaient convaincu, et notamment les Socialistes, d’engager l’étape de la décentralisation. Ce fut fait en 1981. Mitterrand, Mauroy, Defferre ont laissé leur nom pour ces grandes lois de la République. La décentralisation – et ici je salue les élus, présidents de département, président de région, Jean-Yves, maires de grandes villes, de villes moyennes –, tous ces élus, Claudy Lebreton pourrait en témoigner, ont fait vivre nos territoires, ont considérablement changé la vie quotidienne de nos concitoyens. Et en même temps, moi-même, élu local, président d’un conseil général qui ai été également maire et qui veux rendre tous mes mandats le 6 mai pour servir la France, je mesure que notre décentralisation a besoin d’une étape supplémentaire. A la fois des transferts de compétences, qui devront être confiées aux assemblées régionales, départementales, locales, une clarification des interventions de chaque niveau, une réforme profonde du financement des territoires et puis des défis nouveaux que nous devons porter ensemble : la réforme de la dépendance, essentielle pour assurer la fin de vie de beaucoup de nos concitoyens ; la petite enfance, parce que c’est la condition de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale – oui, nous le ferons ensemble, le service public de la petite enfance ; l’action économique ; le soutien aux entreprises ; les interventions y compris au capital d’un certain nombre d’entreprises intermédiaires qui ont besoin de l’apport des collectivités locales et de la future banque publique d’investissement. Oui, nous aurons à agir ensemble pour les infrastructures, et pour l’écologie, pour la transition énergétique. Nous aurons besoin d’un Etat qui travaillera avec les collectivités locales. Et c’est la raison pour laquelle j’annonce ici qu’au lendemain du 6 mai, j’engagerai un nouvel acte de décentralisation.
Enfin, je suis en Bretagne, en Bretagne fière de sa langue, fière de sa culture, fière de son histoire, qui attend depuis des années que l’Etat enfin ratifie la charte des langues minoritaires et régionales. Eh bien nous le ferons ensemble ! Et nous ferons en sorte que la langue française ne soit en aucune façon menacée, mais que la langue bretonne puisse être enseignée, parlée, diffusée, comme les langues minoritaires. Voilà le message que je voulais vous adresser ici, amis bretons.
Mais d’abord, je reviens à ce qui s’est passé hier, premier tour de l’élection présidentielle. Nous avons franchi une étape majeure vers le changement. La première, celle qui ouvre. La seconde permettra la victoire et la transformation de notre pays. Je suis arrivé en tête du scrutin. C’était l’objectif. Nous avions même été prudents. J’avais dit « le meilleur score possible » — et je n’étais pas sûr d’être le premier. Eh bien nous y sommes parvenus ! Nous avons même fait le meilleur résultat pour un candidat socialiste depuis François Mitterrand en 1988, président sortant. Nous avons fait mieux, même, je le disais à l’instant à Quimper – et sans vouloir le froisser, lui qui nous regarde, François Mitterrand –, nous avons même fait mieux que lui en 1981. Il avait fait 26, nous faisons 28,6. Il était second, nous sommes premiers. Et qu’est-ce qui s’est produit ? Il a gagné l’élection présidentielle. Alors qu’est-ce qui va se produire maintenant ? Nous allons gagner l’élection présidentielle ! Oh, je suis prudent. Rien n’est encore décidé. Les Français n’ont pas voté. Enfin, je sens un mouvement. Je sens une confiance qui se lève. Je sens une volonté de changement. Et puis je regarde les autres – c’est toujours intéressant de se comparer. Le candidat sortant est arrivé second. C’est la première fois – première fois ! (Hou !) Oui ! Il ne mérite pas vos compliments –, c’est la première fois dans l’histoire de la Cinquième République qu’un président sortant arrive second. A droite, ils ont toujours réponse à tout. J’en entendais un, de ces conseilleurs qui fut autrefois ministre de l’Intérieur – pas le meilleur, mais enfin il y en a aussi eu de plus mauvais – et qui disait : « Il valait mieux ne pas arriver premiers ». A ce compte-là, ils auraient pu arriver troisièmes !
Mais, au-delà d’ailleurs de cet ordre d’arrivée, le candidat sortant fait cinq points de moins qu’en 2007. Et donc il est dans cette situation paradoxale où il vient de vivre un échec qui finalement est celui de son quinquennat, un désaveu de ce qu’il a pendant cinq ans présenté comme autant de titres de gloire et qui se sont révélés autant de désillusions – mais le voilà qui présente ce piètre résultat comme un tremplin, comme un ressort. C’est d’ailleurs tout ce qu’il a fait depuis cinq ans : une somme d’échecs qu’il essaie de faire passer comme une agrégation de réussites. Et comme certains mauvais élèves qui ne sont pas satisfaits de la note qui leur a été attribuée, demande maintenant des oraux de rattrapage à ceux qui ont fait mieux que lui ! Avant le premier tour, il me proposait deux débats. Après le premier tour, voilà qu’il en veut trois. Et après le second tour, combien en voudra-t-il ?
Je veux mettre d’ailleurs un terme à cette polémique nouvelle : il n’y aura qu’un seul débat, un grand débat, un vrai débat, un long débat, comme il y en a toujours eu depuis l’élection présidentielle. Et d’ailleurs, en 2007, avait-il proposé, Nicolas Sarkozy, trois débats à Ségolène Royal ? Pas du tout, il n’y en a eu qu’un seul ! Que s’était-il passé en 2002, hélas, avec le fait que Le Pen ait surgi ? Il n’y avait même pas eu de débat face à Jacques Chirac. En 1995 un débat, en 1988 un débat, en 1981 un débat — et on s’en souvient, parce que ce fut pour François Mitterrand l’occasion de remettre en cause, déjà, le bilan d’un candidat sortant.
Eh bien oui, il y aura donc un grand rendez-vous. Et d’ici là, j’ai le devoir de rassembler. Rassembler d’abord la Gauche qui s’est dès dimanche soir placée clairement derrière ma candidature. Je veux remercier Jean-Luc Mélenchon, qui a fait un bon résultat, saluer Eva Joly et les écologistes qui ont permis, là aussi sans bargouiner, sans négocier, le soutien à ma candidature. Et puis d’autres qui nous rejoignent. Tant mieux ! Je dois être le candidat du rassemblement le plus large. Je suis socialiste, je suis de gauche, et en même temps je dois comprendre tous les messages qui ont été adressés par le peuple français au premier tour, les colères, les frustrations, les doutes. Je suis comme vous, je suis conscient aussi qu’il y a eu parmi nos concitoyens la tentation d’aller vers l’extrême-droite, parce qu’ils ne savent plus aujourd’hui comment traduire leur déception, leur désillusion. Ils avaient été séduits il y a cinq ans par le candidat qui se présentait à eux, qui leur avait tant promis. Et les voilà aujourd’hui désemparés. J’en connais qui, agriculteurs, s’interrogent même sur la pérennité de leur exploitation, et de peur de l’avenir se réfugient dans le repli. J’en connais d’autres, ouvriers, qui ne savent pas ce que sera l’avenir tant leur entreprise paraît fragile, les délocalisations hélas trop nombreuses, et puis cette mondialisation, cette Europe trop ouverte, trop offerte, qui vient les frapper dans leurs conditions de vie. Je n’excuse rien, mais je cherche à comprendre. Je ne séduis pas ces électeurs par je ne sais quelle surenchère. Je laisse ça à d’autres ! Moi, je ne ferai pas de l’étranger, de l’immigré, la question qui nous séparera dans cette élection présidentielle !
Je ne dirai pas aux travailleurs qu’ils doivent d’abord s’en prendre aux chômeurs, je ne dirai pas que les chômeurs sont des assistés ! Je ferai attention aussi à ne pas séparer les habitants des banlieues de ceux qui vivent en zone rurale. Parce que je veux être le président, demain, de tous les Français !
Le responsable de la montée de l’extrême-droite, c’est celui qui a utilisé parfois les mots de l’extrême-droite pour essayer de contrecarrer sa progression. Le responsable de la montée de l’extrême-droite, c’est celui qui depuis cinq ans a fracturé un certain nombre de droits fondamentaux. Le responsable de la montée de l’extrême-droite, c’est celui qui a laissé le chômage atteindre 10 % de la population active, qui a laissé l’industrie française dans l’état que l’on sait — 400 000 emplois industriels qui ont été perdus. C’est celui qui a laissé faire une politique européenne de libre-échange, de libre circulation. C’est celui qui n’a pas dominé la finance, et qui viendrait se plaindre aujourd’hui des désordres qu’il a lui-même mis en œuvre, et qui se veut candidat du peuple alors qu’il n’a protégé que les privilégiés, les puissants et les forces de l’argent !
Non, si nous voulons surmonter l’épreuve — elle est là, devant nous, le redressement de notre pays, le redressement de notre industrie, le développement de notre agriculture —, si nous voulons donner une perspective à chacune et à chacun, notamment à celles et ceux qui souffrent de la situation d’aujourd’hui, il nous faut d’abord nous appuyer sur nos atouts, sur nos forces, sur nos énergies, sur ce qui nous rend fiers, c’est-à-dire ce qui nous permet d’être capables de donner le meilleur de nous-mêmes. La France ne se redressera pas en se repliant, en se fracturant, en se divisant. La France mérite mieux. La France mérite d’être fière de ce que notre histoire nous a donné et de ce que notre avenir nous prépare !
J’entendais le candidat sortant annoncer pour le 1er mai qu’il allait organiser une fête du « vrai travail ». Cela voudrait dire qu’il y aurait un faux travail en France ? Qu’il y aurait, finalement, une opposition à organiser ce jour-là, le 1er mai, entre les travailleurs eux-mêmes ou entre les travailleurs et les chômeurs, ou entre les travailleurs et les assistés ? Non ! Si la fête du travail a été instituée aux XIXe siècle, c’est parce qu’il y a eu des hommes et des femmes qui voulaient se réunir, se rassembler, se mettre ensemble pour la dignité du travail, pour la valeur du travail, pour le travail pour tous, pour la reconnaissance du travail, pour la rémunération du travail. Et cette grande idée, qui est d’ailleurs venue des Etats-Unis d’Amérique, cette grande idée du travail a fédéré, a réuni, a permis à des syndicats de se constituer, puis ensuite à des salariés de s’organiser et de venir tous les 1er mai à la fois demander que l’on respecte leur travail, et en même temps qu’on les rémunère et qu’on lutte contre le chômage. Parce que ce doit être cela, la priorité première de l’action publique ! Le 1er mai, c’est la fête du travail pour les syndicats. Et moi je respecte les syndicats, leur indépendance, leur responsabilité, leur rôle dans la société française !
Rassembler, vous disais-je, c’est mon devoir. Rassembler la Gauche, rassembler les Français, rassembler les hommes et les femmes qui veulent le changement. Je veux dire aussi à celles et ceux qui n’ont pas voté au premier tour pour ma candidature et qui s’interrogent aujourd’hui sur le sens à donner à leur vote le 6 mai, que ma première exigence sera l’exemplarité de l’Etat. C’est-à-dire le respect que doit avoir le président de la République à l’égard de tous les pouvoirs, de ce qu’on appelle les corps intermédiaires, c’est-à-dire les élus de nos territoires, les syndicats, les organisations professionnelles, les associations, les militants engagés. Oui, être à l’écoute, considérer chacune et chacun pour ce qu’il peut apporter, donner du sens à l’action publique et en même temps, à chaque fois, être conscient que l’exemple doit venir d’en haut et qu’il ne peut pas y avoir une demande d’effort supplémentaire, de sacrifice pour le redressement du pays, sans qu’au tout premier chef, celui qui est président montre la voie à suivre et l’exemple lui-même de cet effort, de ce respect, de cette retenue, de cette réserve, de cette modestie.
Impartialité aussi de l’Etat. Moi, je ne placerai pas mes amis — je ne veux pas ici les décevoir… — dans toutes les fonctions publiques et même à la télévision, et encore moins dans certaines industries. Le suffrage universel n’autorise pas tout ! Autant il est normal de constituer un gouvernement avec ceux qui vous ont soutenu dans l’élection présidentielle au premier tour, au second tour — je n’irai pas chercher plus loin, nous avons tout ce qu’il faut chez nous ! Nous n’irons pas capter tel ou tel, ni même récupérer les autres, on les laissera ! Mais en même temps, autant un gouvernement doit être respectueux de ce qu’a été la majorité présidentielle ou de ce que sera demain la majorité parlementaire, pour les responsables de l’Etat — préfets, ambassadeurs, directeurs d’administration centrale — autant il n’y a nul besoin d’aller mettre des amis, des proches ou des soumis ! Il y a suffisamment de compétences dans l’administration sans qu’on ait besoin d’aller faire ce lien-là, qui devient un lien de soumission et de subordination. Il n’y aura de loyauté à exercer que vis-à-vis de l’Etat, et non du chef de l’Etat.
De la même manière, l’indépendance de la Justice sera pleinement garantie. Les magistrats du Parquet seront soumis aux mêmes règles de nomination que les magistrats du Siège. Il n’y aura plus d’intervention du ministre de la Justice, voire même du président de la République — quand ce n’est pas le ministre de l’Intérieur lui-même — sur les magistrats.
Les journalistes n’auront rien à craindre pour la protection de leurs sources, et nous n’aurons pas besoin de nommer les présidents des chaînes publiques de télévision. Des instances seront constituées pour cela, et ceux qui seront membres de ces instances seront désignés par l’Assemblée nationale et par le Sénat à une majorité des deux tiers, ce qui fera que l’opposition sera associée à ces décisions.
Moralisation également de la vie politique. Tout élu, même s’il est de notre sensibilité politique, qui sera condamné pour fait de corruption ne pourra plus se présenter devant les électeurs avant dix ans. Nous n’avons pas besoin de donner cette image de l’impunité !
Le chef de l’Etat n’aura plus de statut spécial le protégeant. Il n’y aura plus de justice de la République pour les ministres. Le droit commun s’imposera comme pour tout citoyen. Voilà ce que nous devons démontrer !
Et puis, nous montrerons aussi un changement : le gouvernement sera constitué à la parité, autant de femmes que d’hommes. Il n’y aura plus de cumul de mandats. La proportionnelle sera introduite à l’Assemblée nationale pour une part de députés. Je dis cela non pas simplement pour vous convaincre, vous l’êtes déjà, mais pour dire à ces électrices, à ces électeurs qui n’ont pas choisi au premier tour de soutenir notre candidature qu’ils peuvent le faire. Parce que le changement ne sera pas simplement sur la politique économie et sociale — ce sera nécessaire —, sur les services publics, sur le redressement de l’école. Non, le changement sera aussi dans la conception de l’Etat, dans la vie de nos institutions, dans la répartition des pouvoirs et dans l’exercice même de la fonction présidentielle. Chacun pourra faire la différence entre ce qui s’est, hélas, fait ou défait depuis cinq ans, et ce que nous proposons maintenant pour le pays.
J’avais dit : je veux être un candidat normal. Certains avaient souri. Je dis si, je veux être un président normal. Ça nous changera !
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