Comment un chef d'Etat qui se serait quelque peu informé du degré
d'avancement des sciences humaines d'avant-garde de notre temps et des
progrès de la spectrographie anthropologique du cerveau religieux de notre
espèce profitera-t-il de ses premiers pas de méta-zoologue des miracles?
Son premier devoir de praticien et d'observateur distancié de l'encéphale
des Etats et de leur apprentissage des relations de l'homme avec le sacré
sera de placer le scalpel de la réflexion éclairée avant la charrue aveugle
de l'action publique. A quoi bon, se dira-t-il, interdirai-je à un sexe
condamné par le ciel à demeurer illettré de s'attifer des vêtements imposés
de là-haut à leur pudeur: rien n'aura bougé dans la lecture formaliste et
effrayée qu'on leur aura inculquée d'un livre d'images du septième siècle
de notre ère?
Revenons donc à l'analyse para-zoologique des démocraties mythiques
d'aujourd'hui. Elles illustrent la politique et l'histoire de la bête
rendue semi-réflexive. Son bréviaire est celui du messianisme que propage
la bannière américaine. Nous avons vu que les autels du symbolique que le
simianthrope d'outre-Atlantique se construit se nourrissent des assassinats
sacrés qui servent d'assise au culte de la Liberté.
Mais que dirait-on d'un Périclès qui aurait rejeté, certes, avec audace
les pratiques infantiles de la piété de ses concitoyens, mais qui n'aurait
réfuté en rien la sottise de leur croyance en l'existence objective des
acteurs rémunérés du cosmos qui se promenaient encore sous tous les os
frontaux? Il faut sommer les Athéniens du IIIe millénaire de mériter le
titre de maîtres d'école de l'Europe, il faut leur demander de se saisir de
l'occasion qui leur est soudainement apportée de lancer un défi triomphal
au vieil Ouranos et à tous ses successeurs. Mais il se trouve que, depuis
la nuit des temps les peuples et les nations ne se sont révélés
gouvernables que par un usage habile de leurs rêves d'enfants fascinés par
le merveilleux.
2 - Comment
forger des Etats pensants
Une
République devenue rationnelle se couvrirait donc de ridicule si elle
n'avait pas conquis, au préalable, la stature d'un géant de l'instruction
publique. Un Etat redevenu relativement rationnel, donc investi d'une
mission d'éducateur sommital saura qu'il vaut mieux réfuter la croyance en
l'existence réelle des dieux campés dans toutes les boîtes osseuses que de
ne tourner en dérision que les colifichets ridicules qu'ils vous font arborer.
Mais si la vocation socratique des Etats devenus pensants doit se révéler
compatible avec la survie politique du simianthrope semi-réflexif et si
cette survie enseigne, hélas, que seule la peur inspire le respect pour
leurs dirigeants aux évadés de la nuit animale, il en résultera que
l'autorité publique ne reposera jamais sur la bonté d'un Etat désarmé. Et
la pensée ne s'enseigne pas à l'école des armes.
L'heure a
donc sonné, pour l'Europe craintive et pour les peuples condamnés à la
candeur démocratique d'un côté et à la maturité civique, de l'autre, de
s'armer d'une politique de la raison suffisamment adulte pour guider
l'intelligence de la civilisation mondiale entre les récifs de la peur.
Mais comment une méta-zoologie universelle assumera-t-elle la survie
cérébrale d'un continent apeuré si l'avenir de la pensée rationnelle et
mondiale dépend des progrès de la connaissance expérimentale des arcanes
anthropologiques des cosmologies mythiques?
En 1882,
une laïcité encore étroitement associée aux candeurs de la Révolution de
1789 croyait connaître la clé de toutes les naïveté religieuses de la
terre; en 2014, en revanche, ce sont les Etats devenus de plus en plus
pseudo rationnels qui se trouvent au pied du mur et qui paient le prix le
plus lourd à leur ignorance des ressorts psychobiologiques de la bête
agenouillée devant sa propre image magnifiée, alors que ces prosternations
effarées devant un maître glorifié du cosmos sont canalisables depuis des
millénaires et, le plus souvent, pour le plus grand profit du bien commun.
Aussi les Etats devenus les cancres d'aujourd'hui ont-ils, plus que jamais,
la charge de prendre sur leurs épaules une philosophie abyssale des songes
publics et de leurs tréfonds dans la psychobiologie encore mal explorés des
fuyards du règne animal. Il y faut des dirigeants plus pensants que les
cieux pour enfants de leur temps, il y faut une maïeutique des rêves utiles
ou nuisibles de l'humanité! Car le temps s'achève où l'ignorance et la
sottise se révélaient utiles à l'humanité.
3 - L'ignorance des Etats modernes
Exemple: le
christianisme des premières candeurs reposait sur l'abolition de la
propriété privée. L'infantilité originelle des agrandissements oniriques de
cette religion de la délivrance a mis plusieurs siècles à seulement
convaincre les Césars des rêves anciens de jeter aux orties les Célestes
rudimentaires du passé; et maintenant, ce sont les Etats laïcs qui n'osent
prendre la relève de la réfutation radicale des premiers Olympes du
simianthrope. Certes, la guerre des cerveaux avait été couronnée de
quelques succès locaux et provisoires face à un Ouranos à bout de souffle
et qui ne faisait plus le poids sous l'assaut tenace des premières sciences
exactes. Mais maintenant, comment une divinité scindée entre les gâteries
posthumes qu'elle distribue à des ossatures ravies de la longévité qu'on
leur accorde et les tortures enragées, mais inutiles auxquelles elle
s'exerce encore sous la terre pèserait-elle plus lourd dans la tête des
adorateurs qu'un Ouranos fatigué de déglutir les nourrissons que la
fécondité inlassable de Gaia ne cessait de lui servir?
Encore une
fois, si les Etats modernes sont devenus aussi résolument acéphales qu'au
Moyen-Age, c'est qu'une laïcité qui se prendrait au sérieux et qui
formerait la jeunesse à une lucidité digne de notre époque rencontrerait
des obstacles politiques titanesques : on ne remplacera pas aisément et du
jour au lendemain un cosmos habité depuis des millénaires par un seul
Céleste ou par une équipe de campeurs hissés sur des Olympes par un cosmos
désespérément désert et privé de délivreur. Certes, Luther et Calvin
auraient jugé stupide d'interdire à titre préjudiciel aux réformés la
croyance de l'époque aux prodiges matériels réputés se produire sans
relâche sur l'autel de la messe. Mais quels arguments les Réformateurs
présentaient-ils aux foules si le Zeus des chrétiens demeurait intouchable
et inébranlable aux yeux de tout le monde et si une spiritualité de la
solitude, inaugurée par l'Eveillé attendra des siècles encore?
4 - Le spirituel et le tragique
C'est qu'en
ce temps-là, l'ignorance religieuse des catholiques ne présentait rien de
tragique, bien au contraire, puisque leur Dieu, privé des prodiges de
l'autel par le scalpel de Calvin était plus berceur que le précédent et
pouponnait plus gentiment tout le monde. Et voici que l'ignorance de notre
temps se révèle de nature si peu rassurante qu'elle fait frémir les
candidats les plus vaillants à la connaissance rationnelle du cosmos. La
tutelle d'une catéchèse réformée et privée seulement de prodiges suffocants
demeurait un jardin d'enfants: on pouvait y grandir sans perdre son jouet
principal - un Dieu assagi et privé de ses miracles les plus intrépides,
mais également de tortures suffisamment épouvantables pour imposer le plus
grand respect à tout le monde. Et maintenant, un univers matériel que la
lumière met quinze milliards d'années à parcourir ne sert que de sautoir
minuscule en direction d'une éternité mariée à l'immensité! Quant au bond
suivant dans le vide de l'éternité, il met bien davantage de distance entre
notre science de la matière et le récit tranquillisant de la Genèse que les
Grecs du temps d'Homère ne s'étaient éloignés de l'assaut des Centaures.
Le vide
actuel d'un cosmos non mesurable rend les religions à la fois plus
existentielles que du temps d'Homère et plus aporétiques que jamais,
tellement aucune théologie ne saurait leur prêter leurs échafaudages
microscopiques. Mais, dans le même temps, les évadés partiels de la
zoologie ont à relever un défi digne de l'évolution de leur embryon de
cervelle: il leur faut changer radicalement de nature et se convertir à un
exploit plus extraordinaire que de passer par le trou d'une aiguille
qu'évoque l'Ecriture: il leur faut apprendre à rivaliser à visage découvert
avec leur divinité grossièrement masquée par leur propre petitesse, il leur
faut prendre résolument la place de "Zeus" lui-même, il leur faut
observer sans trembler le solitaire du néant qui a pris leur place
d'ermites du silence et du vide. Aussi nos Etats, devenus tout tremblants,
rivalisent-ils maintenant d'ignorance sur la scène internationale avec les
camouflages ecclésiastiques de la vérité. Et surtout les secrets politiques
et psycho-ecclésiaux fatigués dont les sacerdoces pelotonnés dans leurs catéchèses
ont besoin se révèlent des énigmes prometteuses dans un univers devenu
idéalement silencieux et muet.
5 - Les rendez-vous de la pensée moderne
Pourquoi
une école publique timorée a-t-elle perdu l'ambition et le courage
d'instruire les démocraties veuves des théologies, mais non du spirituel,
de la marche de la pensée et de la raison sinon parce que la laïcité se
révèle épouvantée à son tour? Pourquoi l'éducation nationale a-t-elle
enfanté des prêtres désarmés et des bedeaux effarés au sein des républiques
petitement hiérarchisées et fièrement fondées sur des abstractions pseudo
salvifiques? Que de concepts pseudo rédempteurs et de catéchèses pseudo
délivrantes! N'est-ce pas avec le tragique de l'infini que la pensée
moderne a pris rendez-vous?
Un nouvel
héroïsme et une nouvelle grandeur nous attendraient-ils au terme de ce
chemin-là ? Serait-ce une bénédiction, pour les civilisations moribondes de
rendre à la pensée le tragique et la noblesse de défier des croyances si
elles ont perdu leur toge rassurante et si leur ruine est le premier pas
d'une ascèse nouvelle qu'on jugeait rassurantes?
Le
débarquement de l'angoisse dans l'univers de la connaissance rationnelle et
du tragique dans la politique, quel privilège. Le sang et la mort sont les
vrais interlocuteurs de l'homme à la ciguë.
C'est ce
que nous verrons dans les six réflexions qui nous attendent et qui mettront
un terme à ces commentaires de la stérilité des réactions de l’État à
l'attentat du 7 janvier.
Le 6 mars 2015
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