J'ai reçu en communication une synthèse qui fait le point de ce que
nous connaissons actuellement du terrorisme, en relation avec l'argent, les
services secrets au travers des implications de la CIA ,de l' Arabie Saoudite
et du Qatar.
Ce document de Maître Elie Hatem,
nous permet d'y voir un peu plus clair dans le jeu et les objectifs du
terrorisme et les moyens dont ses trois
acteurs internationaux disposent pour terroriser les pays et leurs
populations, mais comme le souligne
l'auteur dans sa conclusion : "il faut
attendre la déclassification des archives et des documents publics pour
espérer avoir la lumière sur l'interaction entre les services secrets et
déterminer leur rôle dans la machine de terreur qui a pour objectif, de nos
jours, de manipuler l'opinion publique en vue de réussir des projets
politiques. "
Je pense que ce document intéressera nos lecteurs :
TERRORISME, ARGENT ET SERVICES SECRETS : LE CAS DE LA CIA, DE l'ARABIE SAOUDITE ET DU QATAR
ELIE HATEM - LUNDI 12 DÉCEMBRE 2016
Traditionnellement, le terrorisme
est le recours à des actes d'une extrême violence et cruauté en vue d’asseoir
un pouvoir politique, imposer une situation ou un projet politique. Cette
notion a acquis cette signification depuis le régime de la Terreur, exercé en
France lors de la Révolution.
Deux éléments caractérisent le
terrorisme : matériel et psychologique. C'est ce dernier qui lui permet
d'arriver au résultat escompté. C'est la raison pour laquelle nous avons
assisté à une évolution du terrorisme qui eut s'exercer principalement voire
uniquement par des moyens de pression psychologique sur la masse1 afin de
l'amadouer et de la maîtriser, en vue de réussir à bouleverser les situations.
De la même manière, les
opérations terroristes sont devenues spectaculaires, cherchant à bouleverser
l'opinion publique par l'intermédiaire des médias. Ceux sont ces derniers qui
contribuent à irriter, à façonner, faire réagir et orienter l'opinion par des
images et par une interprétation d'actes matériels.
Principal vecteur de l'exercice
du pouvoir politique en agissant sur la masse, les médias servent à relayer les
opérations terroristes en les mettant en valeur.
Par conséquent, nous assistons à
une évolution permanente du terrorisme qui s'adapte à l'évolution des différents
types de médias et qui devient de plus en plus violent et spectaculaire.
Il convient donc, à ce sujet, de
distinguer les actes purement terroristes, la plupart du temps individuels,
spontanés et peu voire mal préparés des opérations terroristes de grande
ampleur, nécessitant une préparation logistique minutieuse et une planification
médiatique, scrupuleusement étudiée pour atteindre l'objectif psychologique
escompté. Ces opérations, faussement qualifiées d'« actes » , façonnent
l'opinion et peuvent, à long terme, provoquer une situation où des actes
spontanées, effectués par des individus incontrôlés, victimes de la
manipulation de la machine médiatique, peuvent se multiplier.
Les opérations terroristes sont
organisées et effectuées par des services secrets qui, comme leur nom
l'indique, ont recours à des méthodes feutrées et secrètes. Cela implique le
mise en place de divers réseaux qui, par leur complexité, collaborent ensemble
sans nécessairement le savoir. Ces opérations ont pour objectif de faire
réussir les projets politiques non seulement des pouvoirs politiques ou des
gouvernements, mais aussi ceux des multinationales politico-financières , des
organisations voire des sociétés secrètes qui préparent des projets dans le
cadre de cercles de réflexion rassemblant spécialistes et personnalités
d'influence. Les services secrets contribuent ainsi à l'exécution de cette
ingénierie politique qui nécessite de fonds importants.
Nous nous tiendrons à ces
aspects, autrement dit aux modes de financement des services secrets qui
participent d'une manière confidentielle voire occulte à l'exécution de projets
politiques, en illustrant ces propos par les liens entre l'Arabie saoudite mais
aussi le Qatar avec la CIA en particulier.
I- Les modes de financement des
services secrets : le cas particulier de la C.I.A
Le financement officiel et public
des services secrets ne leur permet pas d'effectuer des opérations de grande
ampleur. C'est la raison pour laquelle la plupart des services secrets ont
recours à des mode de financement parallèles. C'est le cas aussi bien pour les
services américains que la MI6 (services secrets britanniques), le ISI
pakistanais (Inter-Service Intelligence) ou l'ex-KGB. Ce dernier avait besoin
d'un budget dépassant largement celui qui lui était octroyé officiellement pour
fournir des subvenions discrètes aux partis communistes dans le monde , livrer
des armes à des groupes en vue de déstabiliser des régimes politiques et
entraîner leurs membres, mener des opérations d'infiltration des cercles
intimes de certains dirigeants politiques voire même d'autres services
secrets, procéder à des campagnes de désinformation par l'intermédiaire des
médias, etc...
Nous nous limiterons, dans ce
sujet, au cas des services secrets américains dont le nombre s'élève à 16
agences, y compris la CIA qui, selon des documents révélés par Edouard Snowden,
est considérée comme étant la plus importante agence de renseignement au monde
avec un budget de 14,7 milliards de dollars.
A l'instar du KGB de l'ex-Union
soviétique, la CIA a néanmoins besoin d'un budget beaucoup plus important que
celui qui lui est officiellement accordé pour mener des opérations
internationales de grande ampleur : déstabilisation de régimes et d'Etats par
l'intermédiaire d'une multitude de réseaux, des subventions et une rémunération
d'agents directs et indirects, des campagnes de propagande menées d'une manière
discrète et insidieuse, dans le cadre du « soft power » par des organisations
parallèles sans lien direct avec les services pour écarter tout soupçon...
Mais il arrive souvent aux
services d'avoir recours à des méthodes détournées pour obtenir officiellement
un budget plus important que celui qui leur est prévu par le Parlement ou le
Gouvernement.
Ainsi, dans les années 90 et en
vue de déstabiliser l'Irak et la Syrie, la CIA faisait voter un budget plus
important au Congrès en se faisant prévaloir de la nécessité de ces fonds pour
alimenter des organisations importantes chargées de ces opérations de
déstabilisation. Mais, en réalité, une maigre partie de ces fonds était
destinée à ces institutions. La majeure partie était transférée sur des comptes
bancaires de sociétés appartenant à la CIA. Ces fonds étaient destinés à mener,
d'une manière beaucoup plus discrète, des opérations aussi bien dans ces pays
que dans d'autres.
Parallèlement à ces modes
officiels de financement, les services secrets, y compris la CIA, ont recours à
d'autres procédés pour se procurer des fonds et pour fructifier leurs actifs.
Certaines méthodes sont illégales mais elles bénéficient d'une couverture pour
occulter cet aspect comme le trafic de drogue ou l'argent en provenance de ce
trafic. En effet, la plupart des services secrets du monde ont recours à ce
marché pour obtenir des fonds, d'une manière discrète, en dehors du regard des
organes officiels des Etats.
Durant la guerre du Vietnam, la
CIA a développé des réseaux afin d'expédier et de distribuer d'énormes
quantités d'héroïne fabriquées à partir de l'Opium, en provenance du « Triangle
d'Or » en Asie du Sud vers les Etats-Unis et l'Europe. Il s'agit de la méthode
du « syndicat Lansky » du nom de son instigateur, Meyer Lansky : une structure
permettant à la CIA de diriger et de contrôler la récolte et la transformation de
l'Opium en héroïne, de l'acheminer et la distribuer en Europe et aux
Etats-Unis.
Par ailleurs, sans être impliqué
directement dans la direction et la gestion du trafic, la CIA bénéficiait d'un
financement en provenance de la drogue, en aidant et facilitant l'activité des
réseaux de ce trafic, contre une rémunération au pourcentage. Ce processus
s'est en particulier développé durant la guerre des Contras en Amérique
latine. Par l'intermédiaire de structures compliquées et enchevêtrées de
sociétés -écrans, la CIA fournissait notamment des avions-cargo aux trafiquants
de drogue mais aussi leur permettait de blanchir l'argent en provenance de ce
trafic.
En 1998, le rapport de Frédérick
Hitz accabla l'agence de renseignement américaine. Il révéla notamment
l'existence de liens entre les services américains, y compris la CIA, avec des
trafiquants de drogue d'Amérique du Sud.
Ceux sont les comptes bancaires
révélés à l'occasion du scandale « Iran Gate » (our « Iran-Contras ») sur
lesquels était versé le prix de vente d'armes à l'Iran (qui était sous embargo
américain à l'époque) qui ont permis de dévoiler ces opérations.
Par ailleurs, l'Afghanistan a
permis aux services américains d'obtenir des sommes exorbitantes nécessaires à
leurs opérations.
En effet, la guerre d'Afghanistan
aurait coûté, officiellement, plus de six milliards de dollars, supportés à
moitié par les Etats – Unis et l'Arabie saoudite. Néanmoins, parallèlement à
ce budget officiel, des sources occultes contribuèrent au financement aussi
bien de cette guerre qu'à la mise en place des Talibans et, plus tard, d'Al
Qaïda. Il s'agit du commerce de la drogue qui a resurgi dans cette région
appelée « le croissant fertile » qui rapporte entre 100 et 200 milliards de
dollars par an. En effet, la région de l'Asie centrale constitue,
parallèlement à ses réserves de pétrole, une plate-forme stratégique pour le
commerce de la drogue, notamment de l'opium.
La production de l'héroïne qui
était réduite en Afghanistan avant la guerre a repris dans les années 90. Les
territoires près de la frontière pakistano-afghane devinrent le principal
fournisseur de l'héroïne sur le marché mondial . Sous l'impulsion de la CIA,
les Moujahidines donnèrent l'ordre aux paysans de cultiver de l'opium sur les
parcelles qu'ils contrôlaient. Des laboratoires de fabrication de l'héroïne à
partir de l'opium furent mis en place grâce à l'entremise d'hommes d'affaires
et de dirigeants afghans avec la collaboration des services secrets, au
Pakistan.
En 1995, le directeur des opération
de la CIA en Afghanistan, Charles Cogan admit que « la CIA en Afghanistan avait
sacrifié la guerre contre la drogue pour se consacrer à la guerre froide. (…)
Notre mission principale était d'infliger le plus de dommages possible aux
Soviétiques. Nous n'avions pas vraiment les ressources et le temps requis pour
enquêter sur le commerce de la drogue ».
Ainsi donc, la production de
l'opium avait augmenté de 15 fois, depuis le début de la guerre en 1979. Elle
n'a cessé de s'accroître, bénéficiant de l'aide aussi bien des Talibans (avant
qu'ils interdisent sa plantation en 2000, un an avant les attaques aux
Etats-Unis que celle des combattants
d'Oussama Ben Laden, dans une zone chaotique de non-droit.
Une fois traitée dans les
laboratoires, l'héroïne était ensuite acheminée, par des réseaux, en Europe
mais aussi aux Etats – Unis, bénéficiant d'une protection assurée par une
coopération entre certaines branches des services secrets. Arrivée sur le
marché, la drogue était distribuée et écoulée d'une manière très
discrète, ne permettant pas de déterminer la tête des réseaux (système du
syndicat Lansky ou système dit des « arts clandestins ».
Les bénéfices des ventes
étaient ensuite blanchis dans des comptes bancaires secrets. Certaines
liquidités étaient déposées dans des coffres. D'autres étaient placées à la
bourse de New York avec la complicité de certaines institutions financières.
Une cascade de sociétés écrans, dont le siège social est situé notamment à
Delaware, appartenant à la CIA, bénéficiaient de ces placements à la fois pour
blanchir l'argent sale et pour gagner encore plus de dividendes d'une manière
totalement légale et transparente. Les sommes provenant de ces montages
servaient à alimenter les « budgets noirs » des services, en dehors des circuits
légaux institutionnels, pour échapper ainsi aux regards des parlementaires et
des politiques, et assurer à leurs opérations le secret et la plus stricte
discrétion.
Par ailleurs, les services
secrets américains auraient bénéficié de la complicité de certains politiques
et de personnalités haut placées pour faciliter le transport, la distribution
et la collecte des bénéfices de vente du commerce de la drogue. Ces opérations
ont été révélées à l'occasion d'enquêtes judiciaires à l'instar d'un rapport
d'inspection générale de la CIA précité, établi en 1998. Ce rapport révéla
les connexions entre la CIA et des institutions de l'appareil d'Etat
américain, facilitant ces opérations, notamment les liens avec des fabricants
de la drogue en Amérique du sud, associant également des organisations
humanitaires pour camoufler ce trafic.
Ces méthodes déjà connues car
dévoilées à l'occasion d'enquêtes judiciaires ont été utilisées en Afghanistan.
Le commerce de la drogue en Asie centrale servit à financer également l'armée
musulmane bosniaque depuis 1990 ainsi que l'armée de libération du Kossovo
(UCK).
Nerf secret de la guerre, le
commerce de la drogue a été associé à d'autres sources de financement officiels
mais également occultes, contribuant aussi bien aux opérations militaires qu'à
l'entreprise de propagande, mais aussi à l'émergence de groupes ou « mouvements
» tels que « Al Qaïda ».
Il est donc incontestable que les
services américains aient fourni une aide logistique mais également financière
en Afghanistan, non seulement pour contrer les Soviétiques mais, au - delà de
cet objectif, pour expérimenter davantage l'instrumentalisation de la religion
à des fins politiques aussi bien en Afghanistan qu'en Europe de l'est et dans
d'autres pays de la planète.
Dans son livre « Partners in Time
», l'ancien responsable au sein de la CIA, Charles Cogan, rapporte une
déclaration de l'ancien conseiller du Président américain, Zbigniew Brzezinski,
qui a eu le courage de révéler ce projet : «Cette opération secrète était une
excellente idée. Elle a eu pour effet d'attirer les Russes dans le piège Afghan
et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont
officiellement franchi la frontière, j'ai écrit qu Président Carter, en
substance : « nous avons maintenant l'occasion de donner à l'URSS sa guerre du
Vietnam ». De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre
insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et
finalement l'éclatement de l'empire soviétique ». L'ancien conseiller du
Président Carter ne regretta pas d'avoir alimenté l'intégrisme islamiste,
d'avoir livré des armes, formé idéologiquement les meneurs de l'opinion et
assurer toute une propagande pour arriver à cette fin : « Qu'est ce qui est le
plus important au regard de l'histoire du monde ? Les Talibans ou la chute de
l'empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l'Europe
centrale et la fin de la guerre froide ? Il faudrait, dit-on que l'Occident ait
une politique globale à l'égard de l'islamisme. C'est stupide : il n'y a pas
d'islamisme global. Regardons l'islam de manière rationnelle et non démagogique
ou émotionnelle. C'est la première religion du monde avec 1,5 milliard de
fidèles. Mais qu'y a-t-il de commun entre l'Arabie Saoudite fondamentaliste, le
Maroc modéré, le Pakistan militariste, l'Egypte pro-occidentale ou l'Asie
centrale sécularisée ? Rien de plus que ce qui unit les pays de la chrétienté
».
II- Les liens entre la CIA,
l'Arabie saoudite et le Qatar :
Il convient de rappeler la nature
des liens entre l'Arabie saoudite, le Qatar et les Etats-Unis afin de mieux
comprendre les méthodes par lesquelles les services secrets américains
utilisent ces deux Etats pour leur faire endosser la responsabilité dans le
financement du terrorisme.
Les éléments révélés à l'opinion
publique à l'issue de la déclassification des documents de la CIA font état de
manœuvres effectuées dans le cadre d'une opération en Afghanistan ayant pour
nom de code « Opération cyclone », plus généralement connue sous le nom «
programme afghan ». Il s'agissait de procurer, au delà de l'aide militaire,
médicale et financière, une formation idéologique, un endoctrinement et une
méthodologie de communication (propagande) aux combattants, nécessitant des
fonds colossaux.
Le facteur religieux expérimenté
en Afghanistan servira plus tard aux services américains de transposer cette
expérience à d'autres pays de la planète, où se trouvent des communautés
musulmanes. Une large campagne sera effectuée, avec un budget gigantesque, pour
islamiser ces dernières et les pousser à combattre, sous la bannière de
l'islam, aussi bien les gouvernements ou les régimes en place que les autres
pays ou sociétés diabolisés, dans le vrai sens du terme : des athées mécréants,
ennemis de Dieu et des croyants musulmans.
Un travail minutieux à la fois
théologique, sociologique, géopolitique était préparé, en tablant sur des
éléments associant le politique au religieux , faisant de l'islam une idéologie
socio-politique complète, démontrant que cette religion et ses adeptes sont
victimes des régimes politiques et des sociétés mécréantes occidentales, enfin,
pousser des éléments perturbateurs à combattre pour un idéal religieux.
Cette méthode a été expérimentée
en Afghanistan où l'endoctrinement des combattants et des mercenaires se
faisait dans des institutions spécialisées à cet effet : des Madrasas (écoles
théologiques musulmanes) bénéficiant d'une assistance indirecte de la part de
formateurs de la CIA et des spécialistes du Pentagone. La CIA procéda à cette
opération, par des voies distinctes et multipliées, afin d'arriver au résultat
escompté : encourager les combattants de la Jamiat-e Islami qui était un
mouvement faible voire marginal afin de devenir une force de résistance, fondée
sur la notion du « Djihad ». Une pléthore de mouvements djihadistes émergea
alors. Ces mouvements prirent le nom de « Moujahidines » (Djihadistes). Ils se
transformèrent progressivement en « Al Qaïda ».
Deux principaux pays, alliés des
Etats-Unis, servirent de relais à l' « opération Cyclone », en procurant une
aide active de premier plan, par l'intermédiaire de leurs services secrets
respectifs, afin d'occulter l'action entreprise par la CIA : le Pakistan et
l'Arabie saoudite.
En effet, les services secrets
américains approchèrent leurs homologues saoudiens pour les impliquer aussi
bien dans l'« opération Cyclone » en Afghanistan que dans le développement
d'une stratégie de déstabilisation planétaire, fondée sur l'instrumentalisation
de la religion à des fins politiques, opérée à l'échelon planétaire, depuis la
fin de la bipolarisation.
Il faut rappeler que l'Arabie
saoudite est liée aux Etats-Unis depuis le Pacte de Quincy.
Les Américains promirent aux
Saoudiens, en 1979, en contre partie de l'aide qu'ils pourraient leur fournir
dans le cadre de l'«Opération cyclone », de leur permettre de jouer un rôle de
direction au niveau régional, au-delà des pays arabes, et de se prémunir
contre le danger que l'Iran constitue dans la région. A cette époque, il était
difficile de les convaincre d'un « danger chiite », en alimentant un conflit «
sunnite-chiite » compte tenu de l'absence de facteurs conflictuels entre ces
deux confessions. Néanmoins, les pays de la région étaient effrayés de voir
leur régimes chuter par l'extension du phénomène révolutionnaire sur un
fondement religieux islamique à l'instar de l'Iran. Sur cette base, une
coopération entre les services secrets américains et saoudiens eût lieu.
Les services secrets saoudiens
(Al Moukhabarat Al Aama) étaient alors dirigés par le Prince Turki Al Fayçal
Ben Abdel Aziz, qui avait succédé à son oncle Kamal Adham à ce poste, en 1977.
Le Prince Turki est le plus jeune
fils du Roi Fayçal. Il fit ses études secondaires et universitaires aux
Etats-Unis avant de devenir conseiller du Roi et de succéder à son oncle.
Hautement cultivé, discret, sympathique et fin analyste, il a réussi à faire
des Moukhabarat Al Aama l'un des
services les plus efficaces des pays arabes. Il occupa ce poste jusqu'au 1er
septembre 2001, soit dix jours avant les attentats du 11 septembre, où il
présenta sa démission, ce qui suscita les spéculations des analystes et des
observateurs à son sujet. Le parcours du Prince Turki Al Fayçal attire encore
la curiosité des chercheurs car, malgré sa démission des services secrets de
son pays, il continue à jouer un rôle majeur notamment au cours de la situation
conflictuelle qui oppose l'Arabie saoudite à l'Iran.
Il a fallu attendre le scandale
de Wikileaks, ensuite les révélations médiatiques confirmées par des
déclarations de personnalités haut placées en Israël, pour découvrir les liens
entretenus entre le Mossad israélien et les Moukhabarat Al Aama saoudiennes.
Ces révélations ont notamment fait état de relations très étroites récentes
entre le Prince Turki Al Fayçal, son homologue israélien, Amos Yaldin mais
aussi le Directeur du Ministère des Affaires Etrangères du pays hébreu, Dore
Gold. Des rencontres régulières entre des responsables des services de ces deux
pays ont eu lieu en Inde, en Italie, en France, en Belgique et en République
Tchèque.
En effet, la zizanie entre
sunnites et chiites a réussi finalement à gagner du terrain, progressivement.
La rivalité entre l'Iran et ses voisins arabes, accentuée lors de la guerre
irano-irakienne, s'est transformée en une situation conflictuelle opposant
musulmans sunnites aux chiites, protégés par l'Iran qui, depuis le XVIème,
siècle s'est érigé en « protecteur du monde chiite ». L'Iran ne constitue plus
un danger d'exportation de sa révolution islamique aux pays musulmans, compte
tenu de la tension émergente entre les différentes confessions musulmanes. Il
est alors considéré comme une puissance cherchant à établir un « axe chiite »
au Proche et au Moyen – Orient.
Convaincus par cette
démonstration, les Saoudiens (mais aussi les Turcs) ont cherché à devenir les
protecteurs du « monde sunnite » (en particulier dans les pays
arabo-musulmans). Par ailleurs, les Américains glissèrent à l'oreille des
Saoudiens un projet de création d'une « Force arabe commune », placée sous les
auspices de la Ligue arabe, sous commandement israélien. L'ensemble de ces données justifie le
développement des relations saoudo-israéliennes, l'Iran chiite constituant aux
yeux des Saoudiens un ennemi plus dangereux qu'Israël. Cette vision voire ces
dissensions se sont sont développées progressivement, depuis la guerre
d'Afghanistan où les services américains mirent à contribution le Prince Turki
Al Fayçal.
Ce dernier fit alors appel à
Oussama Ben Laden qui est issu d'une grande famille richissime saoudienne
d'origine yéménite, en qui il faisait aveuglément confiance, afin de collaborer
avec lui et avec la CIA. Le jeune Oussama Ben Laden venait de terminer ses
études et envisageait une carrière au sein du groupe familial. Discret et
timide, il devint agent des services saoudiens et de la CIA qui lui attribua le
nom de code « Tim Osman ». Il acquit alors une formation et fut placé à la tête
d'un réseau chargé de recruter et de former des mercenaires prêts à combattre
en Afghanistan. Il mena alors une campagne de propagande, aidé par la CIA, afin
de recruter ces mercenaires. Pour cela, il bénéficia d'un soutien de la part de
la CIA qui lui a permis d'adopter des méthodes de communication et de «
marketing » efficaces et modernes, similaires à celles qui ont permis le succès
de Daech dans le recrutement de ses mercenaires et combattants. Certes, les
moyens technologiques dans les années quatre-vingt étaient moins développés que
ceux de nos jours, notamment au niveau de l'internet, des multimédias et des
réseaux sociaux. Néanmoins, cette entreprise a permis de mettre en place les
principes idéologiques de captation de mercenaires (ou d'adeptes) étrangers,
prêts au combat pour défendre un idéal construit à partir de concepts
religieux. Il s'agissait d'appels « au secours » ciblant principalement des
ressortissants de pays arabes avant de ratisser plus large pour atteindre des
individus d'autres pays, vivant notamment en Occident, déçus du matérialisme de
la société de consommation, voire des personnes qui ont un différend avec
l'ordre social en général, qui furent attirés par la diffusion de cassettes
vidéo VHS montrant des combattants en Afghanistan menant une vie communautaire
presque monacale. Ces cassettes mais aussi des pamphlets et des fascicules
pointaient les difficultés sociales ainsi que la faiblesse et l'inertie des
gouvernements à y apporter des solutions. Ils montraient les atrocités commises
par les troupes soviétiques contre des populations musulmanes et lançaient un
appel de solidarité afin de défendre aussi bien les Afghans que l'honneur de la
religion musulmane bafouée à la fois par les Soviétiques que par l'Occident,
voire les autres pays musulmans qui pratiquent un « islam tiède ». Issu d'un
pays qui pratique le wahhabisme, Oussama Ben Laden et Abdallah Azzam lancèrent
une doctrine d'un « islam révolutionnaire », fondé à la fois sur le Salafisme
et sur l'idéologie politique des Frères musulmans.
Le « Réveil islamique » lancé par
l'imam Abdallah Azzam et Oussama Ben Laden jumela la prédication salafiste
centrée sur la piété et la morale avec le discours politique des Frères
musulmans. Ces derniers sont un mouvement politico-religieux d'inspiration
maçonnique, cherchant à infiltrer les institutions politiques des pays
arabo-musulmans, de renverser les régimes nationaux en vue d'établir un « monde
musulman » unifié et restaurer le Califat. Les deux pères fondateurs de ce
mouvement révolutionnaire intégrèrent à leur doctrine des éléments empruntés à
la fois au salafisme traditionnel (ou quiétiste) et au salafisme réformiste, en
mettant en cause les pratiques religieuses des Frères musulmans mais aussi en
critiquant les salafistes quiétistes. A l'instar de tous les mouvements
révolutionnaires, y compris le communisme, le « Réveil islamique » appelait à
l'insurrection contre les régimes en place, y compris ceux de l'Arabie
saoudite.
Cette campagne permît à Oussama
Ben Laden de recruter plus de 100.000 mercenaires au sein de cette«
internationale djihadiste »59, prêts aussi bien au combat sur le territoire
afghan qu'à effectuer toute opération commanditée par les besoins du « djihad
». Des milliers de personnes furent ainsi transformés en islamistes
révolutionnaires (qu'on appelle « radicaux »), venant de plus d'une quarantaine
d'Etats principalement de pays arabes mais aussi de l'Europe (des convertis par
les opérations de propagande). Ces mercenaires venus combattre pour le « djihad
» contre les mécréants soviétiques prirent le nom d' « Afghans Arabes ». Arrivés
en Afghanistan, ils reçurent un entraînement militaire très sophistiqué et
spécialisé par la CIA, selon le Centre Al – Aram d'Etudes Stratégiques du
Caire61. Progressivement, cette organisation prit le nom d' « Al Qaïda » (la
base). Une base d'une « internationale djihadiste » installée dans un pays
qui bénéficia pendant des années d'une situation de non-droit et facilita,
ainsi, la formation de ses membres. Un établissement appelé par certains
chercheurs « université du terrorisme » fut installé à Khost, l'un des fiefs
d'Oussama Ben Laden, dispensant une formation aux méthodes de sabotage et
d'actes de terrorisme. Cet établissement était connu par la CIA américaine qui
aida Ben Laden à le construire, selon le New York Times.
Cette « internationale islamiste
» fut financée certes par les fonds propre d'Oussama Ben Laden mais la fortune
de ce dernier, toute entière, ne pouvait pas à elle seule permettre le
financement de cette entreprise et de ses ramifications. Des fonds occultes
sont venus contribuer à ce financement. Il en est de même, de nos jours, pour
les groupes militaires révolutionnaires dont le financement est attribué aux
Wahhabites de l'Arabie saoudite.
S'il est vrai que ce royaume se
trouve sous l'emprise des Américains, il n'en demeure pas moins que, d'une
part, il ne se permet pas de dilapider des capitaux d'une manière officielle
pour financer des organisations terroristes aussi bien dans les pays arabes
qu'en Occident et, d'autre part, risquer de participer à la création d'un monstre
qui pourra porter atteinte à la sécurité et l'existence même de son Etat. Le
financement des groupes wahhabites religieux est peut-être effectué, dans une
certaine mesure, par l'Etat saoudien ou par des institutions religieuses
saoudiennes voire des particuliers, mais la transformation de ces groupes en
mouvements terroristes ainsi que la propagande effectuée auprès de leurs
membres nécessitent d'autres sources, octroyées d'une manière plus occulte
ainsi qu'une formation et une structure qui dépasse les capacités et les compétences
du royaume saoudien.
A l'instar du recours au Pakistan
comme source parallèle et nécessaire à camoufler le rôle et la participation de
la CIA dans l' « opération Cyclone »,
les services américains entraîneront le Qatar afin de faire de lui,
comme de l'Arabie saoudite, une vitrine et une matrice des mouvements
révolutionnaires fondés sur l'islam (en particulier l'islam sunnite de rite
wahhabite).
Doté d'une superficie de 12.000
Km2, le Qatar a une population de 1,8 millions d'habitants dont 1,5 millions
d'étrangers. Le nombre des Qataris est de 300.000 personnes. Ce pays tient sa
richesse grâce à l'exploitation de l'hydrocarbure depuis les années 30. A cette
époque, la Standard Oil du New Jersey, appartenant à la famille Rockefeller
(qui deviendra par la suite Exxon-Mobil), avait le monopole de l'exploitation
de ses gisements pétroliers avec la BP (ou BP/Amoco) ainsi que la Royal Dutch
Shell, détenue en parie par les Rotchild. Progressivement et avec la création
de la société Qatar Petroleum par l'Etat qatari, Exxon – Mobil est devenue la
principale compagnie pétrolière participant au capital de Qatar Petroleum. Elle siège dans le Conseil du Commerce Qatari ainsi que dans le Conseil
d'Administration de Qatar Petroleum, à l'instar de la firme Northrop-Gruman,
une société d'armement liée directement au Pentagone américain.
Après des études effectuées en
Grande Bretagne, le fils de l'émir Khalifa Ben Hamad Al Thani, l'émir Hamad
renversa son propre père et prit le pouvoir. Progressivement et sous son règne,
le Qatar se rapprocha des Etats-Unis qui ont construit dans ce minuscule Etat
leur plus grande base militaire (à l'extérieur des Etats-Unis). Une chaîne de
télévision phare est créée, inspirée de la CNN : Al Jazeera67. Cette chaîne a
réussi à attirer l'attention de l'opinion publique du monde arabe car elle a
commencé à s'ériger comme défenseur de la liberté d'expression dans le monde
arabophone. Elle diffusait des émissions et des débats mettant en cause les
dirigeants et les gouvernements des pays arabes. Plus tard, elle a acquis une
notoriété internationale à la fois lors de la guerre du Golfe en couvrant sur
le terrain les offensives militaires, mais surtout depuis les attentats du 11
septembre 2001, quand elle diffusait en exclusivité les messages d'Oussama Ben
Laden. Dans un deuxième temps et après avoir réussi à devenir la référence
médiatique dans le monde arabophone, elle changea de ligne éditorialiste et
procéda à une islamisation de la société arabo-musulmane, en diffusant des
programmes religieux et des prêches ayant pour objectif de façonner les
sociétés musulmanes dans le monde arabe. Son nouveau directeur, Wadah Khanfar,
supposé être pro-islamiste et dont le frère activiste au sein du Hamas,
encouragea cette démarche.
Curieusement, en 2011, il
démissionna de son poste à l'issue de la révélation de ses contacts avec des
officiels de la CIA, selon The Guardian.
Malgré ses bonnes relations avec
Israël et les Etats – Unies, le Qatar à l'instar de l'Arabie saoudite est accusé
de financer les groupes révolutionnaires se proclamant de l'islam, mais aussi
les institutions de propagande islamiste en Occident. Le gouvernement qatari a
récemment réfuté ces accusations en attribuant certains financements à des
particuliers voire à des sources incontrôlées.
En effet, la législation qatarie,
notamment le Commercial Companies Law (CCL), permet la création de sociétés
où les parts ou actions peuvent être détenues par des nominées (porteurs de
parts), gérées par un directeur (Director) local. Des personnes physiques ou
morales peuvent ainsi détenir des parts, par porteur (nominee), au sein de ces
sociétés qui peuvent ouvrir des comptes bancaires et procéder à des virements à
l'étranger.
Des structures compliquées et
opaques peuvent ainsi bénéficier de ce système législatif malgré la loi AML
(Anti-Money Laundering Law) de 2010 dont les dispositions ne s'opposent pas aux
dispositions de la CCL. Par conséquent, ces structures peuvent permettre à des
sociétés situées à Delaware de participer dans leur capital social qatari.
Grâce à ce système et en dehors
des richesses pétrolières qataries, ces structures de droit local peuvent
participer au financement d'opérations et de projets. Officiellement, ces
sources de financement sont considérées comme étant qataries, écartant tout
soupçon quant à l'implication de personnes aussi bien morales que physiques
étrangères à ce pays. Cela explique aussi le fait que les montants investis et
dépensés officiellement par le Qatar dépassent largement les revenus de ce
pays.
Il convient donc de procéder à
des investigations profondes, avec le concours des Etats dont des
ressortissants (personnes morales et/ou physiques) sont impliqués dans ce
processus afin de déterminer l'origine de ces fonds. Certes, il s'agit d'une
tâche délicate car elle risque d'impliquer différents services secrets, à
l'instar des actions judiciaires entamées aux Etats-Unis qui ont pu donner des
indices relatifs à l'implication des services secrets avec le trafic de la
drogue. La plupart de ces affaires n'ont malheureusement pas abouti. Certaines
personnalités citées ou poursuivies invoquèrent la raison d'Etat pour se
soustraire aux enquêtes.
Il faut donc attendre la déclassification des
archives et des documents publics pour espérer avoir la lumière sur
l'interaction entre les services secrets et déterminer leur rôle dans la
machine de terreur qui a pour objectif, de nos jours, de manipuler l'opinion
publique en vue de réussir des projets politiques.
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