Déplacement de Dominique de Villepin à Vesoul
Samedi 10 avril 2010
Déplacement de Dominique de Villepin en Haute-Saône le vendredi 9 avril 2010 à l’invitation du député de Haute-Saône Michel Raison et des Jeunes Agriculteurs de Haute-Saône.
A l’occasion de ce déplacement en Haute-Saône, Dominique de Villepin a visité l’exploitation agricole de Mathieu NORMAND à Noidans près de Vesoul.
Discours de Dominique de Villepin lors de l’Assemblée Générale des Jeunes Agriculteurs de Haute-Saône.
« Je suis heureux d’être avec vous. Heureux d’être ici en Franche-Comté, sur cette terre au cœur de France.
Une terre d’histoire. Elle a témoigné de son attachement à la nation en accueillant des réfugiés alsaciens de 1870. Avec les nombreux maquis de la Seconde Guerre Mondiale (maquis du Chérimont en 1944, maquis C134).
Une terre de diversité qui mêle traditions agricoles et industrielles. La dentelle de Luxeuil. Les forges. L’industrie du bois, plus récemment l’industrie automobile.
Une terre de modernité. En témoignent encore la chapelle de Ronchamp, construite par Le Corbusier, mais aussi les initiatives économiques locales : avec quatre pôles de compétitivité en Franche-Comté : Véhicule du Futur, Plastipolis, Vitagora, Microtechnique.
Mais aussi une terre de doutes, pour l’emploi industriel, pour l’avenir de son agriculture, pour sa population face au vieillissement, qui montre les difficultés qu’affronte toute la France.
Heureux d’être avec vous dans ce temps d’épreuve. Nous traversons une crise sans précédent qui est aussi pour notre Etat un défi sans précédent.
Une crise économique qui a fait vaciller le système bancaire mondial et le commerce industriel.
Une crise qui n’est pas derrière nous, puisqu’aujourd’hui elle fait trembler l’Europe, avec la crise grecque ; de nouveaux déséquilibres s’installent avec l’accumulation des dettes des Etats, et en particulier de la France.
Une crise qui exige de dire la vérité. Il y aura de profondes reconversions. Des industries entières risquent la disparition si nous ne faisons rien.
Le défi pour notre pays c’est de répondre à des urgences mais aussi d’être ferme sur des principes.
L’urgence de la dette, avec une lutte sérieuse contre les déficits. Même si nous faisons chaque année aussi bien que les meilleures années des dernières décennies dans la réduction du déficit, il nous faudra 12 ans pour revenir réellement à l’équilibre.
L’urgence de la compétitivité. La compétition mondiale va s’accroître et s’étendre à tous les secteurs, y compris les hautes technologies.
L’exigence sociale. Il faut montrer que notre pacte social reste fondé sur la justice, à l’heure où l’opinion publique est émue par les écarts de salaires, de 1 à 200 parfois, où elle entend que parmi les 1% des plus riches, le taux d’imposition n’est que de 25%.
L’exigence d’équilibre des institutions, sans quoi le navire risque de tanguer plus encore qu’il ne le fait. L’accumulation de lois qui ne sont pas appliquées, les effets d’annonce sans lendemains, les coups de barre inattendus créent une fatigue institutionnelle de notre pays.
Heureux d’être avec vous, parce que nous sommes au moment du rassemblement et du sursaut. Nous devons tirer de nous-mêmes, de nos territoires, de notre histoire – comme ici en Franche-Comté, les ressources pour affronter l’avenir. La solution ne sera pas une solution qui descendra de Paris et irriguera d’elle-même la France.
Toutes les grandes réponses sont venues de la solidarité de nos territoires, de leur souci de prendre en main le destin commun. C’est vrai pour la Fédération en 1790. C’est vrai pour la République après 1880. C’est vrai encore pour la Résistance dans les années sombres.
Toutes les grandes réponses sont venues de la capacité à regarder l’avenir avec lucidité et courage.
Je veux saluer le monde agricole et l’engagement qui est le vôtre.
Celui du monde agricole. Car il a toujours été au rendez-vous de l’histoire de France
La Révolution Française n’aurait pas été possible sans la révolution agricole qui a permis de nourrir la France.
La République, au XIXe siècle, s’est appuyée sur eux, parce qu’elle voyait dans le petit producteur indépendant la garantie des libertés.
La Ve République a construit son essor sur le formidable effort de modernisation de l’agriculture française.
Celui du syndicalisme agricole, qui s’est construit autour d’exigences :
Défendre l’intérêt de toute une profession.
Exprimer une solidarité, entre les régions, entre les agriculteurs, entre les filières.
Faire partager la connaissance d’un bien commun qu’est l’agriculture.
Celui des Jeunes Agriculteurs
Un esprit d’audace et de modernité qui vous caractérise depuis plus de cinquante ans.
Un esprit de résistance et de fidélité à vos valeurs de mutualisme, de solidarité.
Je veux exprimer devant vous les convictions qui sont les miennes, à l’heure où, je le sais, la tâche n’a jamais été aussi rude.
Première conviction : il est temps de regarder les choses en face.
Aujourd’hui, les métiers agricoles traversent une crise sans précédent. Ils se retrouvent :
Sans revenu décent, car le revenu a été divisé par deux en deux ans. Pas le nombre d’heures au travail. Comment accepter de se lever le matin, d’accepter des contraintes que n’accepterait aucune autre profession, pour, à la fin de la journée, perdre de l’argent ?
Sans garantie d’avenir, car la transmission des exploitations demeure incertaine
En Haute Saône, plus des deux tiers des exploitants de plus de 50 ans ne savent pas qui va reprendre leur exploitation.
Sans visibilité, car l’environnement réglementaire, européen, international laisse sans cesse planer des menaces.
Que se passera-t-il avec les négociations à l’OMC, avec la PAC en 2013 ?
Que se passera-t-il avec la fin des quotas laitiers en 2014-2015 ? Elle pourrait impliquer la quasi disparition de l’élevage laitier des régions défavorisées
Aujourd’hui, les agriculteurs sont victimes d’un système doublement fou.
Une logique de marché intégral dans les échanges internationaux qui nivelait tout vers le bas, qui mettait en danger les agriculteurs du nord et détruisait les agricultures du sud, sans faire reculer la faim.
Et à l’échelle européenne, une logique d’aide devenue folle, déconnectée des productions, incapable de prendre en compte les changements et les besoins et soumise aux pressions des égoïsmes nationaux.
Deuxième conviction, l’agriculture est une chance pour la France :
L’agriculture produit des biens – céréales, fruits, viandes, laitages
A ce titre elle est source de rayonnement et d’indépendance pour la France
Avec 9,3 Mds EUR d’excédent commercial pour les produits agricoles et agroalimentaires en 2008, 5 milliards en 2009 en, dépit de la crise mondiale.
Avec une excellente image de marque. (AOC)
Elle étend toujours plus sa gamme de productions, permettant de relever le défi énergétique du XXIe siècle.
Mais elle produit aussi des bienfaits, impossibles à mesurer, mais auxquels on doit offrir une juste reconnaissance :
De la santé.
De la souveraineté en nous assurant notre indépendance alimentaire.
De la stabilité en protégeant l’héritage des paysages, des terroirs, le patrimoine de notre environnement.
C’est un enjeu d’avenir, il nous incombe donc de défendre l’agriculture :
Défendre l’agriculture, c’est défendre un projet de société, fondé sur la solidarité et la modernité.
Une solidarité qui redonne de la cohésion à notre pacte national :
Solidarité entre les générations, avec tout l’enjeu des petites retraites agricoles, mais aussi les aides à la formation et l’installation des jeunes agriculteurs.
Solidarité entre riches et pauvres.
Solidarité entre les territoires urbains et ruraux.
Nos campagnes peuvent être des gisements de richesses. Mon gouvernement avait initié les Pôles d’Excellence Rurale. Il y en a 5 dans le département, autour des TIC, de la filière du bois et des PME. Face au succès de la première génération, qui a permis la création ou le maintien de 40 000 emplois en France, Bruno Le Maire a lancé récemment l’appel à projets pour la deuxième génération.
La coupure abrupte entre urbain et rural est absurde. Pourquoi ne pas réfléchir, plutôt que de créer de nouveaux lotissements dans les périphéries des villes, à réhabiliter des villages ruraux à proximité en difficulté, pour revitaliser le tissu rural.
Une modernité.
Une agriculture qualifiée et innovante :
Plus qualifiée que jamais, grâce à un enseignement agricole qui pourrait servir de modèle pour des filières professionnelles associant tous les niveaux de qualification, des lycées agricoles (85% insertion professionnelle des élèves sortants) jusqu’à l’INA et aux différents campus agro-industriels (ENSBANA Dijon).
Plus innovante que jamais (sélection génétique), en développant les pôles de compétitivité, en soutenant la recherche, par exemple à travers une incitation forte pour les implantations de recherche sur notre territoire, grâce à une négociation au niveau européen.
Une agriculture soucieuse de répondre à la demande des citoyens, autour d’une logique globale d’alimentation. Car vous êtes bien là pour nourrir la population :
En développant l’information, la certification et la lisibilité des labels.
En l’inscrivant dans une lutte de santé publique, lorsqu’on sait que les problèmes de surpoids et d’obésité touchent de plus en plus de personnes.
En défendant la diversité de l’alimentation contre des attaques simplistes, ici contre les viandes, là contre les fromages, là encore autre chose.
Ce pacte entre la France et ses agriculteurs est au cœur de la République solidaire telle que je la conçois :
Une République dépassant les clivages partisans pour se rassembler autour de l’intérêt général.
Une République s’appuyant sur les énergies et la mobilisation de tous, parce qu’on ne fait pas de la politique à la place des gens, mais avec eux. Sinon on s’expose à l’indifférence et au mécontentement.
Une République recherchant le long terme, loin de toute agitation.
Une République fidèle à son propre chemin, à l’originalité de notre peuple parmi tous les autres peuples qui lui a permis de tracer un chemin différent de tous les autres. La France doit aujourd’hui se retrouver et renouer avec ses principes. L’agriculture, j’en ai la conviction, est et reste au cœur de ce modèle français.
Défendre l’agriculture, oui, mais la défendre par des actes et de la détermination. Le destin des agriculteurs français se joue aujourd’hui à trois niveaux :
Au niveau national, il nous faut trois éléments
Une vision.
Nous voyons bien les dérives auxquelles nous nous exposons si nous ne faisons rien :
Voulons-nous deux fois moins d’exploitations ? C’est le rythme actuel de réduction. 74 000 hectares de terres sont perdus chaque année, plus de 200 hectares par jour.
Voulons-nous une agriculture hors-sol ? Avec des circuits de distribution aberrants, des pommes venues de l’autre bout du monde pour des cantines scolaires dans des régions productrices de pommes.
Voulons-nous des territoires entiers laissés à l’abandon ? Faute de rentabilité, des régions entières risquent la désertification. Je pense aux difficultés particulières des montagnes.
Nous voulons une agriculture qui réussit et qui rassure, une agriculture
Riche de la diversité française – des terroirs, des productions, des formes d’exploitation.
Soucieuse de qualité et fidèle à ses traditions.
Une détermination sans faille,
Celle d’un gouvernement,
Celle d’un président – car l’histoire de la Ve République ainsi que mon expérience auprès de Jacques Chirac montrent que ce n’est qu’ainsi qu’on défend vraiment la cause des agriculteurs,
Celle de la nation, qui doit dépasser ses contradictions à l’égard des agriculteurs et clarifier ses attentes.
Une stratégie centrée sur les agriculteurs, avec plusieurs objectifs :
Assurer le projet personnel des jeunes qui s’installent. Il faut :
Plus de stabilité et de lisibilité, dans un environnement où toutes les variables changent tous les deux ans (prix, forme des aides) sauf les remboursements des emprunts.
Plus d’accompagnement. La démarche du gouvernement, même si elle pourrait être plus ambitieuse, mérite d’être saluée. Et je suis heureux que Michel RAISON ait accepté d’être le rapporteur de la loi de modernisation agricole.
Plus de passerelles entre le monde agricole et non-agricole. C’est une réalité, de plus en plus de jeunes qui s’installent ne sont pas issus de familles agricoles.
Plus d’écoute des difficultés concrètes sur le terrain et moins de complexités administratives.
Pérenniser les exploitations
Par de meilleures garanties pour les revenus (lissage des prix, contractualisation de la Loi discutée par le Parlement dans les prochains mois)
Par plus de compétitivité.
Il faut continuer à avancer sur le coût du travail occasionnel, sur lequel le gouvernement a proposé des avancées significatives.
Il faut renfoncer le rôle des interprofessions indispensables pour mieux orienter les prix.
Il faut développer les synergies pour adapter nos productions aux demandes et aux besoins.
La démarche de Vitagora autour de l’agro-alimentaire, s’inscrit dans cette démarche d’une alimentation pensée de la fourche à la fourchette.
C’est aussi la démarche du Pôle d’Excellence Rurale de valorisation du chanvre, du colza et du tournesol labellisé par mon gouvernement.
Par une lutte contre le gaspillage des terres agricoles.
Promouvoir une agriculture durable, dans un cadre progressif et réaliste :
Cela signifie continuer à progresser sur les normes environnementales avec méthode et réalisme.
Cela signifie harmoniser le cadre européen et tenir compte de ces contraintes face aux autres productions mondiales.
Cela signifie développer la recherche pour trouver des solutions techniques innovantes.
Au niveau européen se joue la principale bataille, celle de la renégociation de la PAC.
Aujourd’hui la Politique Agricole Commune n’est plus que l’ombre d’elle-même, une politique d’assistance dépourvue de sens :
Qu’a-t-elle encore de politique ? C’est de plus en plus un budget sans pilotage, un guichet.
Est-elle encore agricole ? Lorsqu’elle se lance dans des logiques fourre-tout de développement rural – aussi nécessaires que soient ces ambitions, elles ne recouvrent pas, et de loin, l’enjeu agricole. On ne mélange pas non plus politique industrielle et politique de la ville.
Est-elle-même commune, quand les logiques d’attribution des aides directes sont de plus en plus laissées à l’initiative des Etats, en particulier la clé de répartition.
Pourtant la PAC est un enjeu central :
Défendre la PAC, c’est défendre l’Europe, car elle a été un moteur essentiel de la construction européenne et elle peut l’être à nouveau, en prenant en compte des enjeux centraux pour l’avenir de l’Europe : la sécurité sanitaire, l’énergie.
Défendre la PAC, c’est défendre les Européens car c’est garantir la pérennité de productions de qualité répondant à des normes sanitaires, sociales et environnementales élevées. C’est prendre en compte l’alimentation, au contraire de certaines concurrences, latino-américaines notamment.
Défendre la PAC, c’est défendre l’ambition de l’Europe dans le monde.
A travers le modèle d’une agriculture soucieuse de qualité et de respect de normes exigeantes.
A travers – pourquoi s’en cacher- un pouvoir vert sur les marchés mondiaux. Ne laissons pas demain aux Etats-Unis ou à de grands pays émergents le monopole des productions.
Négocions les instruments adéquats pour une PAC pérenne après 2013. L’Appel pour une PAC forte de décembre dernier, signé par de nombreux partenaires européens est un premier pas.
Constituons des stocks stratégiques et des mécanismes adéquats d’intervention sur les marchés, dans toutes les filières, pour obtenir une régulation des marchés.
Préservons un niveau cohérent d’aides directes.
Maintenons des exploitations dans les zones difficiles.
Ainsi en Haute Saône, la politique de compensation des handicaps a montré son efficacité et particulièrement dans les Vosges saônoises.
Au niveau mondial se posent les seules questions qui vaillent :
Comment nourrir le monde ? Bientôt nous serons 9 milliards d’hommes. Il faudra, nous dit-on, doubler la production agricole mondiale. Aujourd’hui près d’un milliard souffre encore de la faim.
Il faut se donner les moyens d’une nouvelle révolution verte, d’une diffusion d’une agriculture productive et durable.
Il faut se donner les moyens d’une révolution alimentaire, grâce à l’accès de tous à une alimentation saine et diversifiée. On entend vouer aux gémonies un jour la viande, un autre les laitages, un autre je ne sais quoi encore. Nous avons un patrimoine alimentaire diversifié que nous avons la mission de faire partager au monde en y restant fidèles.
En un mot il faut une gouvernance alimentaire mondiale, sous l’égide de la FAO.
La France par la voix de Bruno Le Maire a montré sa détermination en ce sens au dernier sommet de Rome de la FAO et il faut encourager ces initiatives.
Le Partenariat Mondial pour l’Agriculture et la Sécurité Alimentaire impulsé en 2008 par la France pour stabiliser les prix mondiaux et favoriser l’investissement agricole mondial est une très bonne initiative.
Nous pouvons aller plus loin, pourquoi pas en envisageant une Organisation Mondiale de l’Agriculture avec de réels pouvoirs, face à l’OMC en particulier, pour lui donner corps.
Qui va nourrir le monde ? Alors que le marché fragilise les producteurs du nord et écrase les producteurs du sud.
La logique du tout-libéral, on le voit bien, a mené à l’impasse et à la crise – pour la finance, pour l’environnement, pour l’agriculture.
La logique des prix administrés n’est pas possible dans un monde aussi complexe.
Mais la régulation est possible avec des mécanismes internationaux destinés à anticiper les évolutions de récolte et de cours, des instruments de marché pour stabiliser et lisser les cours, des incitations pour le développement agronomique et le soutien des paysanneries locales. Je salue les efforts de la communauté internationale pour réformer le Comité de la Sécurité Alimentaire Mondiale, mettant autour d’une même table les institutions de l’ONU, la Banque Mondiale, le FMI, les organisations professionnelles de paysans.
Jeunes agriculteurs, vous êtes l’avenir de notre agriculture. Nous avons besoin de votre passion, de votre détermination. Vous avez su organiser le Concours national de Labours en Haute Saône. Cela prouve votre amour du métier et votre témérité. Pour aujourd’hui et pour demain, je retiens votre exemple : labourons toutes les terres de France. Et comme l’a si bien dit Eugene Forget, le fondateur du syndicat unitaire, à l’aube de ses 90 ans : « pour tracer un sillon bien droit, il faut toujours regarder l’étoile au loin ». »
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