31 août 2007

LETTRE OUVERTE


LETTRE OUVERTE A TOUS NOS ENFANTS PIEDS NOIRS

AUTEUR : Lucienne Magalie PONS (année 2005) cette lettre ouverte est publiée sur internet dans deux sites amis



En juin 1962, quelques jours avant ou quelques jours après l’indépendance de l’Algérie ancien département français, vos parents et grands parents on dût se résigner à quitter cette terre et rejoindre la métropole, pour rester français et aussi pour échapper bien légitimement à de grands dangers.

Souvenez- vous de l’expression tragique d’alors « la valise ou le cercueil ».

Pour vous sauver de ce triste sort, chers enfants et petits-enfants, nous avons choisi la valise (nous n’avions droit qu’à deux valises par personne et partions en laissant tous nos biens sur place), et par avion ou par navire nous avons rejoint cette encore grande inconnue que nous portions dans nos cœurs « LA FRANCE ». Inconnue territorialement s’entend, à part pour certains qui y étaient venus pour la libérer au cours de la deuxième guerre mondiale, où vos pères et vos grands pères ont connu l’honneur de ne pas avoir déposé leurs armes en 1940 et de les avoir portées « haut et fier » jusqu’à la victoire de 1945, et pour d’autres qui avaient le plaisir d’y venir en vacances ou en voyage d’affaires. Cette France nous la connaissions à travers les récits de nos parents et grands parents et par nos études scolaires et universitaires et nous la portions dans notre cœur comme un symbole de Liberté, Egalité, Fraternité, malgré les avatars du temps.

Vous êtes arrivés enfants en France, et d’autres enfants et petits enfants sont nés depuis ici dans nos familles et parfois vous vous interrogez sur cette expression « Pieds Noirs » que les médias d’alors avaient mis à la mode péjorativement, pour nous distinguer à notre désavantage des Français de Métropole, et que l’on utilise encore de nos jours pour nous désigner, expression que nous avons aussi nous même endossée avec une certaine dérision pour la relever et que nous utilisons parfois entre nous. Vos parents et grands parents surtout ont dû garder une petite pointe de cet accent qui est le nôtre et quelques expressions qui nous caractérisent. Mais face à votre questionnement, une sorte de pudeur nous empêchent, pour ne pas vous charger de ce passé douloureux, de vous enseigner qui nous sommes vraiment. D’abord des Français, et des Français de toutes origines Européennes, tous liés par les liens de mariage de vos grands parents et parents. Nos ancêtres lors de la conquête de l’Algérie avaient quitté la France, l’Italie, l’Espagne, les Baléares, et bien d’autres pays d’Europe, pour s’établir depuis 1830 dans ce pays conquis par la France selon la volonté du Roi de France Charles X et de son Gouvernement, contre la piraterie barbaresque et la Régence Turque d’Alger qui s’étendait sur tout ce territoire. Dans ce pays, d’immenses terres en friches et en marais s’offraient à nos travaux et à nos recherches.

L’Algérie pourquoi encore la France l’a-t-elle conquise, pourquoi s’est-elle peuplée de nos ancêtres européens ? C’était l’époque ou la France ne se laissait pas intimider par des insultes et des chantages mensongers et savait relever et venger son honneur et c’était aussi l’époque ou tous les pays d’Europe étaient persuadés de devoir porter le flambeau de nos civilisations et valeurs occidentales dans des pays que l’on pourrait considérer de nos jours comme des pays hyper-sous-développés.

Et puis au fil du temps, nous nous sommes mariés entre Français-Italiens-Espagnols… et tous autres européens et c’est pourquoi ont nous appelaient bien souvent les « Européens d’Algérie ». Et c’est pour cela que nous avons dans une même famille des blonds aux yeux bleus, verts ou noirs, et des bruns aux yeux noirs, bleus ou verts !

Sur nos tables familiales se présentent tous les plats d’Europe, nous sommes gourmets : paella, risotto, pâte en sauce tomate, escargots, civets, tomate-poivron-aubergine-courgette farcies ou finement cuisinés, artichauts à la barigoule, viandes rôties ou en sauces délicates, petits pâtés de viande ou à la soubressade mahonnaise, frotmajade, beignets sucrés ou salés, cocas, pizzas à la tomate et poivrons, frita … je ne vais pas tout citer… mais je n’oublierai pas notre gourmandise pour les fruits de mer, les huîtres, les moules, les oursins, et les poissons,(nos hommes étaient aussi bien des gens de la mer que de la terre), sans oublier les gibiers. Quant aux délicieuses pâtisseries, la mouna, ah ! la mouna de Pâques au délicieux parfum d’oranger ! (au sujet de la mouna il faut savoir que cette brioche a été introduite d’abord à Oran par les Espagnols du début de la conquête, ils avaient pour habitude de se retrouver en famille et entre amis le jour de Pâques après la messe, sur une petite colline du nom de « La Mouna » tous ensemble pour un grand pique-nique, ils emportaient pour cette réjouissance pastorale différents mets qui leur rappelaient leur pays et pour le dessert entre autres, une brioche fine et légère en forme de dôme au parfum de fleur d’oranger, dorée et recouverte de minuscules morceaux de sucre blanc concassé, ; peu à peu cette brioche a pris le nom du lieu de rassemblement pascal « La Mouna » et par la suite comme les Oranais, tous les Algérois et les Constantinois ont donné à ce gâteaux le nom de « Mouna » et l’ont mis à l’honneur et au dessert pour les Fêtes de Pâques). Que dire aussi des mentécaos petits gâteaux craquelés genre meringue à la cannelle, des oreillettes ou « merveilles », du manga-blank : lait sucré épaissi avec un soupçon d’amidon que l’on laisse refroidir après l’avoir saupoudré de cannelle, des beignets sucrés au sucre à la vanille ou à la fleur d’oranger, etc.… biens d’autres encore, tous des délices qui rappelaient à chacun son pays d’origine et que tous les européens appréciaient, les mamans échangeant les recettes de l’une à l’autre. Nous aimons aussi les fruits, pastèque, melon, raisin, abricot, prune, orange, mandarine, figues, dattes, et même les redoutable figues de barbarie hérissée de poils fins et piquants, etc … fruits rafraîchis ou bien en confiture, sans oublier les fruits secs de toutes sortes, noix, noisettes, amandes, figues sèches …

Nous sommes comme on dit « de bons vivants » et nous avons « une bonne fourchette ». Ah ! J’allais oublier le fameux couscous ou le méchoui … oui ce sont aussi des plats que nous apprécions là-bas parfois à l’occasion, une ou deux fois par an, pour nous réunir et que nous avons mis au goût du jour ici en France et les « Français de France » s’y sont mis aussi.

Nous sommes de fin mangeurs et à l’occasion des repas de fêtes nous aimons offrir et prendre l’anisette et les apéritifs sans oublier la kemia, et à la fin de ces repas, après le dessert, le café et les liqueurs. Pour les jours ordinaire, nous sommes très sobres, mais toujours avec un repas bien cuisinés.

La cuisine comme la littérature et les arts fait partie de la culture, nous aimons nous réunir et recevoir nos familles, nos amis, et c’est autour d’une bonne table que les liens se renouent ou que l’on fait mieux connaissance avec nos amis « français de France » et finalement on s’aperçoit que patos(surnom que nous donnions en Algérie aux métropolitains de passage) ou pied noir c’est du pareil au même pour ce qui est de l’appréciation des mets et des bons vins. Pour l’appréciation politique c’est un peu autre chose … mais enfin en gens bien éduqués nous sommes tolérants et nous évitons les sujets à rebrousse poils, quoique nous avons le souci d’informer et de remettre poliment les pendules à l’heure quand il le faut, sans aller jusqu’au « coup du bélier » !, même si parfois l’envie nous en prend.

Enfants et petits enfants de pieds noirs vous appartenez à une race de travailleurs, vos ancêtres ont défriché de leur main (et non en exploitant les populations originaires de l’Algérie, comme des politiciens de bas étages affairistes, véreux et pas nets du collier voudraient vous le faire croire) en Algérie des terres incultes et des marais infestés où régnaient sur des eaux stagnantes et une végétation pourrie la malaria(le paludisme) et bien d’autres maladies mortelles à l’époque et dont des milliers de pionniers sont morts quelques temps après leur arrivée. Puis peu à peu ces travailleurs ont plantés des cultures et des arbres, construit des maisons, des villages, des villes, des routes, des écoles, établit des commerces et des lieux de distractions … salle de fêtes, Opéras, Théâtres … Il y avaient aussi des hommes de lois, des médecins, des pharmaciens et des travailleurs artisans ou salariés, maçons, mécaniciens, tailleurs et spécialistes de tous autres métiers qui ne ménageaient pas leur temps et leur savoir pour édifier tous ensemble l’œuvre commune : construire un pays de liberté pour tous les habitants du pays , quelle que soit leur origine, sous l’égide de la Mère Patrie : la France, tout en gagnant leur vie quotidienne dignement.

Certains villages de basse Kabylie, construits par les Alsaciens et Lorrains arrivés en Algérie en 1870 pour rester Français, ressemblaient comme deux gouttes d’eau à certains villages anciens que vous pouvez visiter en Alsace et en Lorraine. D’autres villages ou hameaux construits par les Minorquins et les Mahonnais des Iles Baléares et les Espagnols présents dès le début de la conquête, rappelaient les maisons que l’on peut voir en Espagne dans les villages anciens. Quand aux arbres que vos ancêtres avaient plantés et acclimatés ils venaient aussi de France et des pays d’Europe et peu à peu cette terre hostile, caressée par leurs mains travailleuses, était devenue notre Belle France d’Algérie.

Les habitants originaires du pays ont acceptés, pour certains d’entre eux, de travailler avec nous, d’autre pas. Nos mœurs étaient trop modernes pour ces derniers qui craignaient que leurs femmes ne s’émancipent et il y avait aussi une différence de religion, et c’est pourquoi, tout en vivant en bonne entente socialement, nous menions une vie privée parallèle, nous dans nos coutumes et traditions européennes et eux dans les leurs, ce qui rendaient tout mariage impossible entre les deux communautés ; il y a eu très peu, presque pas de mariage mixtes français-musulmans, sauf dans des cas très rares et encore entre très grandes familles évoluées de part et d’autre et tolérante. Mais, pour les affaires grandes et petites nous étions habitués à travailler ensemble en bonne entente et efficacité progressivement depuis la conquête et jusqu’au moment ou une partie de la population d’origine ne revendique par des crimes l’indépendance en 1954 et commence à commettre des attentats et des assassinats odieux contre les Européens civils et leurs enfants, en les égorgeant à l’arme blanche, incendiant ensuite leur ferme et leur maison et en les abattant par coups de feu dans les villes et les villages. Nous avons du nous défendre et des militaires venus de France ont vaillamment combattus avec les nôtres pour garder l’Algérie à la France, mais vainqueurs sur le terrain nous avons été trahis par le Gouvernement de l’Epoque qui a accordé l’indépendance aux Algériens dans des conditions désastreuses pour les Français d’Algérie en 1962, après les fameux accords d’Evian.

Avant 1962, année de notre exode principal, nos ancêtres depuis 1830 pour les plus anciennes familles , avaient vécu là bas pendant cinq ou six générations, vos grands pères et pères sont venus à deux reprises en France métropolitaine et en Europe faire la guerre de 14/18 et celle de 39/45 pour défendre la France contre ses ennemis de l’époque, et ceux qui n’y sont pas morts tués au combat sont revenus chez eux en Algérie couverts de gloire. Nous sommes fiers de leurs actions et ils vous arrivent parfois si vous fouiller dans leurs affaires, de trouver des décorations, croix de guerre et médailles militaires. A leur honneur beaucoup d’Algériens étaient à cette époque à leur côté dans l’Armée Française. Certains jeunes Français d’Algérie ont été appelés ensuite comme militaires pour défendre l’Indochine contre le Viet Minh, et ensuite au Maroc et en Tunisie. Nous étions des Français citoyens à part entière, comme ceux de toutes les colonies d’AOF, et des protectorats Français, et quand la France était en danger et en guerre nous étions tous présents sous le même drapeau tricolore. C’est ce que l’on appelle le patriotisme et c’est ce que j’appelle moi « l’honneur d’être un homme ». Certains de vous les jeunes ne seront pas d’accord, il est vrai que les valeurs militaires, celles de l’honneur et du courage ont été injustement bafouées par des politiciens de bas étages incapables de défendre leur famille et leur civilisation, ne vous laissez influencer par cette propagande commune de basse condition intellectuelle. Mais vous que feriez-vous si vos familles étaient menacées par un ennemi féroce … ? Laisseriez-vous égorger vos pères, mères, épouses et enfants … ? Laisseriez-vous envahir votre pays les bras-croisés … ? J’espère bien que non. Il ne s’agit pas d’attaquer, nous sommes pacifistes, mais de savoir se défendre.

Pour le moment ici nous sommes relativement en paix ; Alors chacun d’entre vous selon votre personnalité, vos goûts, vos tendances, choisissez un but, profitez de votre temps d’enfance, d’adolescence et de jeunes adultes, pour vous instruire, apprendre un métier ou un art, et aussi pour vous distraire sainement, en prenant conseil de vos parents, je leur fais confiance pour cela, la fête fait aussi partie de la vie, tout est utile pour votre avenir et pour le pays, le travail et les réjouissances.

Evitez les excès de verbiage pseudo-intellectuels ou politiciens, n’entrez pas dans de vaines querelles partisanes, cela fait perdre un temps précieux. Informez vous cependant pour honorer vos devoirs civiques de citoyens. Il vaut mieux utiliser vos forces pour vous livrer à des actions concrètes utiles pour vous-même et pour votre entourage et environnement. Il ne s’agit pas de faire des exploits, mais d’agir selon ses moyens dans le bon sens de la vie. Il faut comme l’on dit trouver ses repères et se situer au mieux « dans le paysage ».

Nous faisons partie d’un ensemble qui demain formera la nouvelle Europe. Notre Belle Algérie de France avec tous ses habitants français de différentes origines européennes en était le prélude, nous avons tous travaillés ensemble et il y a encore maintenant du pain sur la planche à pétrir pour les jeunes générations afin de préserver l’identité et la civilisation et les valeurs européennes. Vous avez votre mot à dire et dans tous les pays d’Europe vous êtes chez vous, légitimement par descendances, cultures et traditions. Ne vous laissez pas marcher sur vos « pieds-noirs » ; soyez fiers de vos ancêtres, même si en plus de leurs qualités ils ont pu avoir des défauts comme tout le monde, la perfection n’est pas d’ici bas comme vous le savez, mais il faut tout faire pour s’en approcher afin de vivre sa vie dignement. Ce qui compte c’est l’œuvre réalisée en commun au fil des années et du temps.

Nous les vieux Français d’Algérie dans l’ombre de notre soir qui approche, nous sommes là pour vous passez le flambeau de nos coutumes, de nos traditions, de notre courage, de notre espoir en votre avenir, avec des gestes et des mots tout simples qui peuvent paraître dépassés par la modernité du temps, mais les modes passent et l’esprit demeure. Nous sommes la génération « mémoire-relais ». Préparez-vous à prendre le relais. Vous êtes prêts ? … Oui ! Alors prenez et partez en avant toute avec courage vers votre avenir.

Bonne vie et longue route enfants et petits enfants.



1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'ai reçu votre lettre comme une brise qui adoucit cette fièvre d'identité...
Je cherche une terre où poser mes pieds qui se déteignent au fil du temps, ils étaient noirs. Je n'ai ni terre, ni maison qui asseyent mon moi errant et je sens des mines là où je veux atterrir.
Ce regard présent porté sur moi me décompose là où je vais et je me sens étrangère sur la terre de mon père.
Montrez-moi mon image faite de ces mains travailleuses sur une terre en friche depuis si longtemps, si longtemps...
J'ai le mal de vivre et je ne tiens à aucun fil...
Hafilda

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