LES MAHONNAIS DE FORT DE L’EAU
- (CHAPITRE 2) -
Ci-dessous reprise des textes du Père Serge DUVOLLET, extraits du tome XIV de son œuvre d’historien publiée en 24 volumes tous consacrés à l’Afrique du Nord et à ses habitants.
"Exceptionnellement quand les garçons manquaient dans les familles, on employait des indigènes, car l’exploitation d’un lot de sept hectares exigeait quatre ou cinq ouvriers toute l’année. C’est à l’élément mahonnais que l’on devait l’opulent ruban de cultures maraîchères qui s’étendait le long du littoral jusqu’à
"Village de colonisation quelque peu fermé, dont toute l’économie tournait autour de l’agriculture, ses habitants formant une communauté unie par une même activité et une même culture, Fort de l’Eau commença à s’ouvrir vers l’extérieur avec l’établissement d’une petite ligne de chemin de fer d’intérêt local, en 1871. Ce système de transport facilita les déplacements des villageois comme la circulation des marchandises. Il disparut dans les années trente, laissant la place à l’automobile, et abandonnant à l’entrée de l’agglomération, sa petite gare, seul vestige dans les dernières années de ce réseau. Timidement quelques commerces et quelques petites industries s’étaient implantés dans Fort de l’Eau dont la population croissait rapidement, lorsque vers 1890 sa destinée s’infléchit. Le directeur des Annales Africaines frappé par la beauté de la place et par la fraîcheur de la brise marine qui, grâce à l’exposition favorable du centre, souffle avec plus de force qu’à Alger et procure une température agréable pendant les heures chaudes de la journée, émit l’idée d’une station estivale. Trois personnes tentèrent de réaliser ce projet, MM. Triay, Henriot et Buisson."
Observation de Lucienne : Les projets initiaux ne permirent pas à ces Messieurs de poursuivre leur tentative.
Reprise du texte du Père Serge DUVOLLET :
" C’est alors qu’un entrepreneur de travaux publics, M. Gueirrouard, se penchant sur la question, reprit les premiers plans proposés. Après de multiples discussions avec le Conseil Municipal, un accord se fit et, en 1891, les premiers travaux commençaient. Un casino, une quarantaine de villas furent construits, le lotissement aménagé et une route ouverte en bordure de mer. A cette époque le conseil municipal réclama un Bureau de Poste à Fort de l’Eau, précisant que sa population avait presque doublé en dix ans, le centre augmentant de vingt-cinq maisons en trois ans et que la création de la station balnéaire avait déjà attiré plus de 300 familles, alors que la localité ne disposait que de peu de logements."
"Un projet de construction d’un chantier naval reçut un début de réalisation : quatre hangars furent élevés avant l’abandon de la tentative et ces locaux servirent d’ateliers et de garages à
"Bien que déjà enrichie de plus de
"La seconde guerre mondiale devait porter un coup d’arrêt à l’ascension de Fort de l’Eau : son casino fût réquisitionné et ses plages abandonnées. Mais le coquet village acquit un regain d’activité, créant de nouvelles plages dans son prolongement maritime, celles du Lido, de Verte-Rive et des Dunes, rapidement bordées de belles villas"
Observation de Lucienne : Ces plages très fréquentées des Algérois et des habitants des villages avoisinant permettaient de s’y installer les jours de congés et les dimanches en famille sous une belle tente avec des chaises longues tout autour. Les hommes et souvent les femmes pêchait le poisson que la mer généreuse ne leur refusait pas, on le cuisinait sur place et on le dégustait sur de belles nappes dressées dans les tentes, au cours d’un repas improvisé, salades de tomates et poivrons, salades de riz, légumes frits ou farcis, courgettes, poivrons, artichauts etc. .., petits pâtés à la viande ou à la soubressade etc. … ou encore paëllas, cuites sur la plage même, dans d’immenses poêles surveillées attentivement par les mamans et les grand-mères, sans oublier les fruits et les pâtisseries apportés dans un grand couffin de raphia ou de paille tressés, le tout soigneusement emballés dans des torchons. Entre amis, de tente en tente, on s’offrait l’anisette ou encore l’apéritif Mélika ou Malika de fabrication locale, et on dégustait les Kémias : olives noires ou vertes, olives vertes cassées au fenouil(fabrication maison), tramousses, tranches de boudin à la viande parfumées à l’anis, escargots en sauce tomate piquante, "scaragolines"( minuscules escargots blancs) avec aïoli, brochettes d’agneau ou de foie et gésiers de volailles, merguez, etc. .....et surtout tranches de soubressade mahonnaise, nature ou grillée : si vous la goûtez un jour en allant aux Baléares," vous m’en direz des nouvelles !" On arrive à en trouver ici en France, dans quelques charcuteries, mais pour le goût ça ne vaut pas le déplacement et la dépense .... la véritable recette en est perdue, sauf à ma connaissance à NICE, à
Reprise du texte du Père ROGER DUVOLLET :
"La période immédiate d’après guerre vit aussi se former un projet d’installation d’un petit aérodrome dont la continuation ne fut jamais menée à bien, malgré un début prometteur. Peu de temps avant la guerre, le cinéaste Julien Duvivier utilisa le site de Fort de l’Eau et y créa un studio où, pendant plusieurs mois, le film "Golgotha" se tourna."
"En 1950, Fort de l’Eau avait acquis une physionomie nouvelle qui la rendait méconnaissable pour les descendants des premiers pionniers. les anciennes maisons rurales avaient disparues, remplacées par de belles maisons de campagne, tandis que le Centre et le Front de mer s’enorgueillissaient de ses magnifiques villas, extériorisant ainsi sans complexe la richesse du pays"
Observation de Lucienne : "La richesse du pays" : l’expression est juste ; en effet les pieds noirs dans leur grande majorité réinvestissaient toute suite après l’avoir gagné leur argent dans des constructions, des équipements et des matériels, pour moderniser leurs entreprises, fermes, commerces etc. ... ils n’étaient pas du genre à laisser dormir l’argent en banque en attendant des intérêts, c’est pourquoi certains, bien que possédant des biens immobiliers, des fermes et des commerces, sont rentrés rapatriés en France les mains vides.
Reprise du texte du Père Roger DUVOLLET :
"Il faut noter toutefois que les maraîchers minorquins, principaux créateurs de cette réussite, s’abstinrent longtemps de prendre part à la vie moderne de leur cité, vie qui dérangeait leur mode d’existence à caractère familial. Mais les petits-fils" (et arrières petit-fils)" de ces pionniers ne tardèrent pas à s’intégrer eux à la nouvelle population, s’y plaçant souvent au premier rang"
"Les premiers magistrats municipaux de Fort de l’Eau œuvrèrent chacun en son temps, à la réussite de cette entreprise. Ce furent, depuis la création du centre en commune de plein exercice : MM. FREY Henri (1882-1889),COURNIER Léon(1886-1898), COSTA Firmin(1898-1901), ALZINA Benoit (1901-1907), PONS Antoine(1907-1908 décédé en fonction),GUERROUARD Gabriel(1908-1911), de GHEON Victor(1911-1913 décédé en fonction), MAZELLA Joseph(1913-1921),PONS François(1921-1942), MOULIAS Maximilien(1942-1943), SCHEMBRI Michel(1945-1947), NAULIS Robert(1947-1962)".
"Jusqu’à la période noire, Fort de l’Eau demeura aux beaux jours et même en hiver, un lieu de rassemblement, une sorte de carrefour où venaient communiquer les familles d’Alger et de cinquante kilomètres à la ronde. En été, après une journée de baignades et de bronzage, on se retrouvait aux tables des nombreux établissements qui étalaient leurs terrasses sur les trottoirs des boulevards du front de mer. On y venait aussi spécialement pour déguster, en même temps que l’inévitable anisette, les brochettes de mouton si réputées, les merguez, et surtout, la fameuse soubressade mahonnaise, mieux réussie qu’ailleurs, accompagnée du non moins réputé pain mahonnais sans levure, à la mie compacte, que beaucoup rapportaient chez eux en partant. Ainsi, en toute saisons, Fort de l’Eau jouait-il un rôle d’espace-charnière garant de l’équilibre familial."
Observation de Lucienne : Sans oublier les fruits de mer, huîtres, moules, oursins etc. … et les crevettes, gambas, et poissons de toutes sortes, sépias, calamars, sardines, anchois, cachalots, rougets, merlans etc. .... les mahonnais excellents plongeurs (souvenir des Baléares ou certains étaient à l’occasion pêcheurs de perles), n’hésitaient pas à aller dans les grandes profondeurs pour y rechercher les huîtres, les moules, et les oursins les plus frais, véritable délices à déguster crus avec quelques gouttes de citron. Aussi excellents chasseurs que pêcheurs et agriculteurs, les mahonnais organisaient des parties de chasse, soit pour le gibier courant, soit des battues pour le sanglier dans les collines de basse-kabylie (Fondouk, Rivet, Saint Pierre Saint Paul, l’Arba etc. Je me souviens des récits d’histoire de chasses que parfois mon père nous relatait à la veillée, devant la cheminée ou crépitait un feu de vieux ceps de vigne odorants, en citant le nom des anciens chasseurs mahonnais qui s’y étaient rendu célèbre pour leur adresse : Barthomé (Barthélémy), Mathéo (Mathieu) etc. Bien d’autres encore.
Conclusion extraite des textes du Père Roger DUVOLLET :
"Où trouve-t-on aujourd’hui de tels lieux, alors que les structures socio-économiques se soucient moins des besoins humains que de la rentabilité ?"
Conclusion de Lucienne : La relation du Père Roger DUVOLLET sur la création de Fort de l’Eau est très élogieuse pour les anciens Mahonnais Fondateurs, de tout mon cœur je le remercie de les avoir fait surgir du passé. Comme tous, ils ont été des êtres humains avec leur qualités et leur défauts, mais au-delà des comportements personnels c’est l’ouvre collective accomplie et réussie qui compte et les honore. Le récit du Père Roger DUVOLLET correspond en tous points à ce que m’en avaient rapporté mon père et ma grand mère sur les coutumes et mœurs familiales.
Les descendants des Mahonnais fondateurs de Fort de l’Eau et villages avoisinants, se sont ensuite dispersés dans toutes les régions de l’Algérie et dans les villes, notamment dans la capitale Alger.
En effet, par le jeu des héritages et des divisions territoriales des domaines qui s’ensuivent, certains fils et filles devaient s’installer dans les campagnes d’autres régions ou se mettre à rechercher une situation à ALGER ou dans d’autres villes ou villages. C’est ainsi que bon nombre de Mahonnais ont pris des fermes importantes en gérance ou en métayage en Basse-Kabylie et dans
Bref toujours au travail comme tous les « pieds noirs », mahonnais ou pas mahonnais !
Si vous rencontrez ici en France, une Française ou un Français rapatrié au maintien réservé, mais souriant, affable, sociable, avares de paroles inutiles, mais prêt à vous entendre et à vous aider en cas de nécessité, il pourrait bien s’agir d’un(e) français(e) rapatrié(e) d’origine mahonnaise, alors un petit conseil : demandez lui de vous offrir l’apéritif avec de la soubressade, vous serez ainsi sûrs et certains de vous en faire un ami pour toujours.
(fin)
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