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10 août 2007

ROSE DES SABLES

ROSE DES SABLES

Auteur : Lucienne Magalie PONS ( 2007)


« Mignonne, allons voir si la rose ……Qui ce matin avoit désclose ….. Sa robe de pourpre au Soleil … A point perdu cette vesprée … Les plis de sa robe pourprée … Et son teint au vostre pareil … » récitait Lucile en se promenant dans la roseraie. Elle venait d’apprendre ce poème de Ronsard et le répétait en admirant les rosiers tout en suivant les conseils de son institutrice qui désirait que tous les enfants de la classe le récite sans faute en chœur , en ouverture de la fête des écoles, qui devait avoir lieu dans quelques jours avant la fin des classes, la veille des grandes vacances.

Les roses rouges de juin étaient en pleine floraison et exhalaient sous le chaud soleil leur parfum suave.

- Ah belles roses ! Belles fleurs ! … Je voudrais tant vous cueillir, mais mes parents me l’ont interdit et je dois leur obéir. Ce sont eux qui choisissent les plus belles d’entre vous pour les offrir à nos voisines et à Monsieur le Curé. Et puis au fond ils n’ont pas tort, je me méfie des épines de vos tiges qui sont là pour protéger votre beauté !

Luscine tout en suivant les allées de la Roseraie trouva un banc de pierre et décida de faire une pause. Puis elle prit dans sa poche un carnet et un crayon et se mit à écrire :

Je voudrais que les roses ne meurent

Et s’épanouissent toujours belles

Que toujours jeunes elles demeurent

Et deviennent immortelles

Mais las ! Ces éphémères beautés

Par l’air et le soleil flétrissent

Oh Flora déesse des fleurs, fais

Par tes pouvoirs qu’elles ne périssent !

Belle Déesse aux dons supérieurs

Obtiens pour nous de la nature

Une Rose qui ne fane ni meure

Eternelle dans sa parure

Si tu exauces mon souhait

Je choisirais cette immortelle

Comme symbole de beauté

D’amitié et d’amour fidèle !

A ce moment de son écriture arriva dans le jardin une petite fille du voisinage qui se prénommait Ouardia ( Rose) portant sur son épaule un petit sac rempli de ces trésors que les petites filles transportent avec elle comme des talismans qu’elle ne montre qu’à leur amie préférée.

- Bonjour Lucile, je te cherchais pour m’amuser avec toi, mais avant cela regarde ! Je

veux te montrer mes nouveaux trésors secrets !

- Bonjour Ouardia, c’est une bonne idée, viens allons nous installer à l’ombre des grands arbres, il fait trop chaud ici en plein soleil.

- Un peu plus tard, Lucile, restons sur ce banc un moment, je vais te faire admirer un trésor qui ne prend son éclat qu’en pleine lumière !

Ouardia s’assit près d’elle sur le banc de pierre et sortit de son petit sac une Rose des sables de couleur ocre doré parsemé de minuscules morceaux de quartz transparents, qui sous les rayons du soleil brillaient de milles feux.

- Oh c’est merveilleux, dit Lucile, je n’ai jamais vu un si beau trésor, on dirait une Rose par sa forme mais elle est très dure comme une pierre cristallisée et de plus incrustée de brillants, ou l’as-tu trouvée ?

- Ce n’est pas moi qui l’ai trouvé, c’est un souvenir, mon père va quelques fois au Sahara pour y livrer avec son camion du Blé et du couscous aux Touaregs et encore bien d’autres choses dont ils ont besoin dans ce grand désert qu’ils parcourent sans cesse avec leurs chameaux , ne s’arrêtant qu’aux Oasis pour s’y établir quelques jours et récolter des dattes sur les grands palmiers autour ce ces points d’eau. Au retour mon père revient avec des cargaisons de dattes qu’ils leur achètent pour les faire vendre ici sur les marchés et toujours des cadeaux pour nous. Hier il est rentré et a sorti des poches de sa gandoura trois Roses des Sables en me disant « Petite, voila pour toi deux Roses, je garde la troisième pour ta mère. Ces Roses immortelles sont nées il y a plusieurs millénaires dans le sable du Désert mais sont toujours vivantes, elles ont connu des millions de tempêtes de sable et sont toujours aussi belles. Tu en garderas une Ouardia et tu donneras l’autre à ton amie Luscine, gardez les précieusement en signe d’amitié, avec elles vous traverserez toutes vos saisons et garderez comme elles votre beauté »

- Ton père est bien savant Ouardia, tu le remercieras pour moi

- Je n’y manquerai, oui mon père est savant, il a étudié à la Médersa d’Alger quand il était jeune et puis il écrit aussi des poèmes quand ses affaires lui laissent un peu de temps, mais plus tard il donnera son entreprise de transports et son commerce à mon frère aîné et deviendra Marabout pour remplacer mon Grand-père.

Tout en parlant, Ouardia fouillait dans son petit et finit par en sortir la deuxième Rose des Sables tout aussi belle que la précédente.

- Voilà, c’est pour toi mon amie ! Veux-tu l’accepter comme un gage immortel d’amitié et de beauté ?

- Oh Merci Ouardia, tu viens de réaliser mon vœux ! je viens d’écrire une poésie ou je parlais de Rose et j’implorai la Déesse Flora d’obtenir de la nature une rose de beauté immortelle ! Tu vois c’est comme un signe Ouardia pour nous dire que notre amitié est belle, immortelle et solide comme ces Roses des Sables !

Lucile détacha soigneusement du carnet la page de poésie qu’elle venait d’écrire et avant de l’offrir à Ouardia elle la lui dédicaça en écrivant ces mots :

- Ouardia la plus belle des Roses sera éternellement mon amie, et elle signa en ajoutant « de la part de Lucile ton amie pour toujours »

- Merci Lucile, pour moi aussi « tu resteras mon amie pour toujours »

Cinq années passèrent, chacune des petites amies grandirent dans une amitié qui se consolidait chaque jour, bientôt Ouardia atteignit comme Lucile ses 12 ans et ne vint plus dans le jardin retrouver son amie car selon ses traditions familiales c’était pour elle l’âge de ne plus sortir seule et de rester chez elle sous la surveillance de sa mère. Lucile de son côté partit en pension dans la Ville pour étudier chez les petites Sœurs de Saint Vincent de Paul. Dans les deux ans qui suivirent chaque fois que Lucile rentrait pour passer les vacances chez ses parents, elle ne manquait jamais d’aller rendre visite à son amie Ouardia. Elles étaient heureuse de se retrouver et assises toutes deux en tailleur sur les somptueux tapis qui ornaient la demeure du Marabout, elles se racontaient les évènements de leurs vies si différentes et pourtant si proche en amitié indéfectible. Lucile lui décrivait l’animation de la Ville, les grands magasins, les squares ombragés, les statues, le grand port, les navires, et Ouardia lui parlait de son jardin et de sa vie en famille, de tout ce qu’elle apprenait de sa mère pour se préparer à devenir bientôt une mariée, car son mariage était déjà prévu et devait se célébrer dans l’année de ses quatorze ans. Chaque fois qu’Ouardia lui parlait de son proche mariage Lucile se retenait de pleurer pour ne pas attrister son amie. Elle savait que le futur mari habitait dans une région très éloignée et que selon la coutume Ouardia irait vivre dans sa belle famille et qu’elle ne pourrait plus la voir souvent.

Et c’est ainsi que cela se passa. Un beau jour en rentrant chez parents pour les grandes vacances elle apprit que le mariage d’Ouardia venait d’avoir lieu et qu’elle était partie pour toujours dans un grand cortège aux sons des raïtas (hautbois), des flûtes et des derboukas (tam-tams algérien)

Cette nouvelle l’attristait et souvent elle allait s’assoir sur le banc du jardin emportant dans sa main la Rose des sables et la faisant briller aux rayons du soleil elle murmurait « Mon amie Ouardia, je ne t’oublierai jamais, je te le promets et quand je serais assez grande pour conduire la voiture je viendrai te rendre visite pour te prouver mon amitié fidèle ».

La maman de Lucile tentait de la consoler en lui expliquant que dans les familles musulmanes les filles se marient très jeunes, que c’est une obligation et un honneur pour les familles de respecter leurs coutumes et traditions, que les filles elles-mêmes étaient très fières d’être mariées très jeunes. Mais elle ne pouvait s’empêcher d’ajouter « Nous n’y pouvons rien, je le regrette bien, mais c’est ainsi et ce sera ainsi sans doute encore longtemps » Mais Lucile ne put jamais se convaincre à ces explications et elle pensait que plus tard elle militerait pour la liberté des femmes musulmanes.

Puis quelques mois plus tard elle apprit qu’Ouardia était déjà mère et parfaitement heureuse dans sa belle-famille.

Quelques années après vint le temps de la majorité de Lucile , elle passât alors très vite son permis de conduire et sans plus tarder partit un beau matin au volant de sa voiture pour rendre visite à son amie Ouardia qu’elle avait prévenu par une lettre dans les jours précédents ; il fallait plus de trois heures de route pour relier Alger la Blanche de Aïn El Hammam (Michelet) village perché sur le plus haut sommet de la montagne du Djurdjura où vivait Ouardia dans sa belle-famille. Partie à huit heures du matin Lucile après un long parcours arriva enfin vers midi devant une grande propriété entourée de grands arbres et d’un mur d’enceinte couronné au sommet de céramiques vertes. Les habitants du village lui avait désigné cette propriété comme la maison de son amie, située tout au commencement d’une route qui se dirigeait vers le Col de Tirourda. Elle stoppa sa voiture et à pas vifs se dirigea vers la grande porte de bois cloutée de cuivre au devant de laquelle se tenait un serviteur qui guettait son arrivée. Il la salua et du geste l’invita à le suivre.

A sa suite elle pénétra dans un grand jardin planté de cerisiers, de citronniers, de cèdres, d’orangers et de grenadiers, sous lesquels s’épanouissaient des roses et des fleurs, entourées de plate bandes de menthe , de verveine et de lavande ; tout au milieu se trouvait un grand jet d’eau , ses gerbes montaient très haut pour ensuite en courbe de perles chatoyantes redescendre dans un bassin rond, un peu plus loin une fontaine laissait couler un filet d’eau claire, des oiseaux allaient de part et d’autre voletant et gazouillant, quelques chats se promenaient dans les allées et deux chiens paisibles dormaient d’un œil, étendus devant leur niche. La grande maison bâtie en demi-cercle s’ouvrait en arcades sur le jardin, des bougainvilliers grimpaient tout autour ; pénétrant sous l’une des arcades le serviteur guida Lucile vers son amie qui l’attendait dans un grand salon garni de somptueux tapis, recouverts par endroit de coussins tissés de laines aux vives couleurs, et de tables basses. Ouardia se tenait très droite et à la vue de son amie elle s’avança les bras ouvert pour l’accueillir. Les deux amies très émues s’embrassèrent.

Puis toutes deux s’installèrent assises en tailleur sur le tapis central autour d’une table basse. Ouardia claqua légèrement dans ses mains, une servante qui se tenait près d’une porte intérieure arriva tout aussitôt pour les servir et bientôt les mets les plus raffinés se présentèrent à leur gourmandise. Il y avait là de quoi satisfaire les palais les plus délicats Puis quand la servante se fut retirée elles se mirent à parler entre elles sans arrêt, elles avaient tant de choses à se dire depuis 7 ans qu’elles n’avaient pu se voir.

Ouardia lui racontait sa vie de jeune femme, la naissance de ses trois enfants et lui apprenait leurs prénoms en les traduisant, d’abord l’ainé un garçon Ameqran (l’aîné), ensuite une fille Tadjeddit (la Fleur), et le dernier né Amêzyan (le cadet) ; elle espérait avoir encore un autre garçon et savait déjà qu’il se prénommerait Amzîn (le petit).

Lucile lui parlait de sa vie à Alger de ses études, de ses distractions, de l’opéra, du Cinéma et toutes choses et plaisirs qu’Ouardia ne connaîtrait jamais. Elle lui décrivait aussi les plages et les environs d’Alger, les bains de mer, les sorties en barques, les parties de pêches et dans les forêts les parties de chasse. Ouardia avait d’autres distractions qui consistaient en fêtes de famille, mariages, baptêmes, principalement, et aussi en grandes fêtes religieuses. Il ne lui déplaisait pas que Lucile lui parle de la vie à l’extérieur et de sa liberté, mais elle se demandait comment Lucile pouvait vivre sans se perdre dans ce qui lui paraissait un tourbillon.

A la fin de leur collation, Ouardia claqua une deuxième fois dans ses mains, cette fois deux servantes arrivèrent l’une après l’autre, la première débarrassa promptement la table basse et la deuxième tout aussitôt déposa dessus un plateau chargé d’une théière fumante et de petits verres colorés.

Le soleil avait tourné et le salon devenait obscur, Ouardia alluma la mèche d’une lampe en cuivre qui se trouvait près d’elle sur une petite table ronde recouvertes de mosaïques, en minuscules losanges vernis de couleurs vertes et blanches et soudain Lucile remarqua au pied de la lampe sous l’effet de la lumière un scintillement qui accrocha son regard et elle reconnut aussitôt l’une des Rose des sables qu’elles avaient choisies, dans leur lointaine enfance, comme gage immortel de leur amitié.

Alors Lucile plongeant la main dans son sac en ressortit la deuxième Rose des sables qui ne la quittait jamais, et toutes deux émues au bord des larmes se retrouvèrent en pensée sur le banc de pierre dans la roseraie qui abritait autrefois leurs jeux et leurs rêves d’enfants.

A ce moment là rentrant de promenade avec une servante, les enfants d’Ouardia firent irruption dans le salon. Ce fut alors un vrai moment de bonheur. Le dernier né Amêzyan 9 mois ne marchait pas encore, mais l’aîné Ameqran et la fille Tadjeddit déjà grands de 6 et 4 ans, ne cessaient de se poursuivre gentiment en tournant autour des tapis ; Ouardia les présenta tous trois à Lucile qui les trouva ravissants et elle prit dans ses bras pour le bercer un peu le petit Amêzyan

Ouardia était fière autant de ses enfants que de sa maternité féconde et elle ne put s’empêcher de questionner son amie :

- Et toi Lucile quand donc tes parents vont te marier ? , regarde comme c’est beau les enfants !il faut leur dire qu’ils se pressent pour te trouver un mari ainsi toi aussi tu auras des enfants, une famille à toi !

- Ce n’est pas comme ça que ça se passe chez nous, nous choisissons le plus souvent notre mari sans que nos parents interviennent, bien sûr ils peuvent nous orienter et donner leur avis, mais c’est nous qui décidons, en toute liberté si nous sommes majeures, mais si nous sommes mineures ils doivent donner leur accord. Mais il ne suffit pas de choisir encore faut-il aimer et que ce soit réciproque, c’est d’ailleurs pourquoi je ne suis pas encore mariée, je suis trop difficile !

- Aimer ? répondit Ouardia, ça vient avec le mariage, pour moi en tout cas c’est venu après mon mariage, de jour en jour …

- Alors tu es heureuse et amoureuse ?

- Oui, répondit Ouardia, je suis heureuse mon mari m’aime et me respecte, nous avons de beaux enfants, nous sommes heureux dans notre famille.

Mais elle n’avait pas prononcé le mot « amoureuse » cela faisait partie des légendes, mais dans la réalité ce sentiment lui paraissait contenir mille pièges dangereux pour une jeune femme mariée, aimée, respectée et mère de famille.

Le temps de partir arriva pour Lucile, en quittant Ouardia elle savait qu’elle reviendrait et qu’elle serait toujours bien accueillie chez son amie, mais elle savait aussi avec un pincement de regret et de tristesse au cœur qu’Ouardia ne pourrait jamais venir à ALGER chez elle lui rendre visite , ce n’était à l’époque ni permit ni toléré qu’une jeune femme musulmane puisse circuler librement.

- Cela n’est pas dans leurs coutumes et traditions et je n’y peux rien hélas se dit Lucile ! Mais elle est heureuse et aimée, elle à de beaux enfants, une famille c’est l’essentiel.

Puis elle reprit sa route en pensant à la merveilleuse journée d’amitié qu’elle venait de vivre ;

Trouver un mari n’était pas à son ordre du jour, elle était passionnée par ses études de gemmologie et savait que plus tard ses recherches dans le monde entier lui prendrait beaucoup de temps et elle rêvait de voyages lointains dans des sites merveilleux, au Sahara d’abord, ensuite dans les pays d’Afrique. Cependant un an après, parcourant le Sahara dans le cadre d’une mission d’études qui regroupait des étudiants gemmologues et géologues, elle se vit offrir par Pierre, l’un des participants, une rose des sables qu’il venait de découvrir dans les sables du désert.

- Voici une merveille de la nature, elle est pour vous, comme la lumière elle est éternelle et brillera toujours ! N’est pas magnifique ?

- Oui la nature fait de bien belles choses, Merci Pierre, je suis ravie de votre attention ; j’ai déjà un Rose des sables qui m’a été offerte autrefois par une amie d’enfance et nous l’avions consacré comme gage immortel de notre amitié. Et cette Rose des Sables que vous m’offrez et que j’accepte de tout mon cœur, quel sera son gage ?

- L’avenir nous le dira, si vous consentez à m’entendre elle deviendra le symbole de notre amour fidèle et éternel !

Lucile leva les yeux avec surprise et son regard plongea dans les yeux bleus du jeune homme comme dans un lac de fraicheur sous le soleil brûlant. A cet instant même elle l’aima comme il l’aimait et sans un mot ils découvrir leur amour réciproque avec la certitude qu’il existait depuis la nuit des temps, se révélait dans le présent et vivrait éternellement dans leur futur. Leurs mains se joignirent sur la Rose des Sables et côte à côte, tendrement unis ils entrèrent dans le Paradis de leur amour. Quelques temps après ils se marièrent, et comme nous le savons « les gens heureux n’ont pas d’histoire »

Ainsi la Déesse FLORA avait exaucé les vœux de Lucile et tout au long de sa vie chaque fois qu’une Rose des Sables lui était offerte elle savait qu’un évènement heureux prenait place sur le chemin de sa destinée.

Note : Dans les déserts de sable comme le Sahara, on peut trouver de l’eau enrichie en sulfate de calcium. Au contact du sable chaud l’eau monte légèrement et s’évapore alors que le sulfate de calcium se cristallise sous le sable pour donner du gypse ; ce gypse se cristallise à son tour en agrégats qui forment les Rose des sables. Ce processus à l’échelle des temps géologiques représente plusieurs millénaires.

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