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21 mars 2020

Enquête complète publiée par Mediapart le 20 mars 2020 : " Les services de réanimation se préparent à trier les patients à sauver '

Éditorial de lucienne magalie pons

Pendant la crise sanitaire du Coronavirus et pour la durée du confinement Mediapart offre à ses abonnés la possibilité de publier ses articles ou de les transmettre par mails , j'ai reçu cette enquête et donc je la partage avec mes lecteurs, il s'agit d'une enquête complète sur une question cruciale qui préoccupe tout le monde concernant  la question de savoir  : "  comment les services de réanimation se préparent à  trier les patients à sauver", ....  un sujet qui heurte la morale éthique de la préservation de la vie de tous sans distinction d'âge ! Hélas nous devrons peut-être endurer ce drame qui pourrait venir s'ajouter à la Crise sanitaire du Coronavirus si le nombre des contaminés positifs venaient à atteindre des sommets qui dépasseraient les places de réanimation et de soins  dans les hôpitaux français.

Copié/collé de  l'enquête de source 🔻 


Mediapart


« C’est très difficile: on n’est pas là pour choisir celui qui doit vivre et celui qui doit mourir »

Dans ce « plan blanc », l'hôpital de Perpignan, en se fondant sur une épidémie qui durerait seize semaines, a réalisé deux projections pour les Pyrénées-Orientales, qui devra prendre en charge une partie du département voisin de l’Aude (soit au total 631 000 personnes) : une hypothèse « optimiste » (avec un taux de contamination qui serait « de seulement 30 % de la population totale ») et une « réaliste » (avec « un taux de contamination de 60 % (estimations actuelles des experts) »). Dans cette dernière, 1 735 patients en « forme critique » seraient admis, « soit un taux moyen de 108 patients critiques par semaine pendant seize semaines », contre soixante dans le premier scénario.
Ce « plan blanc » prévoit cinq étapes successives d’organisation, selon « la sévérité et la durée de la crise ». Actuellement en stade 3 (« Tension »), le service se prépare à toutes les hypothèses, y compris celle d’un stade 5 dit « hors de contrôle », avec une « situation de médecine de catastrophe »« Le médecin qui a fait ce plan nous a dit “on arrivera au stade 5 à Perpignan”. J’espère qu’il se trompe… », dit Laurent*, membre du service réanimation.
Extrait du « plan blanc » du service réanimation du centre hospitalier de Perpignan. © Document MediapartExtrait du « plan blanc » du service réanimation du centre hospitalier de Perpignan. © Document Mediapart
Actuellement, la « réa » – l’une des plus grosses de France avec vingt-quatre lits – est réservée à la prise en charge des patients Covid (suspects ou confirmés). Elle est, pour l’instant, submergée uniquement par moments, lorsque plusieurs patients atteints du virus arrivent simultanément. Laurent, membre du service réanimation, relate comment son unité se prépare à « la vague »« On est conscient qu’on va arriver à cette phase de tri. On sait que ça va être difficile. L’un de nos médecins est en contact avec un médecin d’Italie qui l’a prévenu : ils entassent les corps dans les églises, c’est une hécatombe, il faut qu’on se prépare. »
Ce soignant dit avoir perçu « un changement de comportement » dans son unité « depuis que l’Italie est réellement touchée »« En une semaine, on est passé de “c’est une simple grippe” à “ça va être de la médecine de guerre”. Là, tout le personnel a bien pris conscience, mais les concitoyens, c’est autre chose… »
La réanimation est déjà sensibilisée à la question, souligne-t-il cependant. « En temps normal, on a déjà des critères : des patients considérés comme non réanimables, à partir d’un certain âge, on n’est plus admis en réanimation, etc. Mais faire un tri à partir de 70 ans, comme ce serait le cas actuellement à Mulhouse, ça on ne connaît pas. C’est le baptême du feu. Actuellement, tous nos patients Covid de plus de 80 ans entrés en réanimation sont décédés. »
Laurent relate surtout l'inquiétude de son service de voir arriver massivement des patients particulièrement à risque pour cette pathologie, issus de la communauté gitane. Très présente à Perpignan, la communauté est regroupée à Saint-Jacques, quartier le plus pauvre de France, où l’on survit avec un revenu légal de 350 euros par mois (lire notre reportage)« Environ 90 % des patients Covid en réanimation sont issus de la communauté gitane. C’est une population à risque, car ils sont souvent obèses, fumeurs, diabétiques, parfois dès le plus jeune âge, estime-t-il. La plupart vivent dans une grande promiscuité et pauvreté à Saint-Jacques. » Il redoute « un gros afflux de jeunes », qui contraindrait « à faire des choix plus tôt et plus vite. Ça va être très compliqué. On a vraiment peur d’être débordés ».
Dans un CHU d'une ville de l’Est, la consigne sur la priorisation des malades est implicite, d’après un infirmier mobilisé dans l’une des unités Covid : « On ne le dit pas, car on ne peut pas mais la consigne tacite, c’est de ne plus prendre les plus de 75 ans à l’hôpital, de les laisser dans les Ehpad ou chez eux, c’est-à-dire de les laisser mourir. »
Dans son hôpital, il reste « de moins en moins de lits en réanimation » et « les masques commencent à être comptés ». Il est stupéfait par les profils des malades hospitalisés dans les unités : « Beaucoup de jeunes de 40 à 60 ans et de nombreux soignants dont un ponte de l’hôpital qui a été en première ligne ». Il raconte « la peur au ventre » de tous les acteurs de l’hôpital : « Malgré toute l’expérience que nous avons, dans des services durs comme les soins intensifs, palliatifs, nous ne sommes pas formés pour ça, une problématique de guerre, choisir des patients, ceux qu’on ne va pas prendre en charge, accepter de voir des gens partir seuls à la mort dans la solitude sans proches, dans des sacs en plastique, sans rituel pour les familles. » Les syndicats ont demandé à la direction à ce que les soignants bénéficient rapidement d’un accompagnement psychologique, car « il faut s’attendre à des syndromes et des névroses post-traumatiques comme en temps de guerre pour nous qui sommes déjà épuisés, démoralisés ».
  • L’Alsace déjà face aux choix éthiques
Cette crainte paraît justifiée, à la lueur de l’expérience alsacienne. Le centre hospitalier de Colmar était lui aussi préparé : « On avait déprogrammé tout ce qui n’était pas urgent, trouvé des renforts de personnel, réorganisé nos urgences, étendu nos lits de réanimation, créer des zones Covid dédiées », énumérait le 17 mars Yannick Gottwalles, le chef de service des urgences. Mais lorsque la vague épidémique est arrivée, « toutes les décisions prises et les aménagements sont devenus obsolètes, dépassés dans les 12 heures qui suivent. Nous sommes préparés à de graves accidents, qui mettent en tension sur une courte durée, ou à une épidémie, mais avec une pente régulière. Mais pas à ça ».
Le service de réanimation de Colmar tente d’absorber l’arrivée de patients dans un état critique « qui double chaque jour, poursuit Yannick Gottwalles. On est passés de trente à cinquante lits. Mais faute de machines, on ne pourra pas monter au-delà de soixante ». Il mettait en garde : « Il va falloir faire des choix sur nos critères d’admission, non seulement en réanimation, mais tout simplement dans une structure hospitalière ».
Un patient évacué de l'hôpital Émile-Muller, à Mulhouse, le 17 mars 2020. © SEBASTIEN BOZON / AFPUn patient évacué de l'hôpital Émile-Muller, à Mulhouse, le 17 mars 2020. © SEBASTIEN BOZON / AFP

À Mulhouse, jeudi 19 mars au soir, Frédéric Pernot, responsable du Samu du Haut-Rhin, décrit une situation de saturation totale de la réanimation sur l’ensemble du département : « Quand on intube une personne de 70 ans, et qu’il prend le dernier lit disponible, nous sommes dans l’angoisse de voir arriver une heure plus tard une personne de 50 ans en détresse respiratoire. » L’armée est d’ores et déjà arrivée en renfort, dans un premier temps avec ses avions et ses hélicoptères : « Sept patients ont été évacués hier, à Épinal, à Nancy, à Strasbourg, six aujourd’hui. Mais combien de temps les services de réanimation accessibles par hélicoptère vont pouvoir accueillir nos patients ? », s’inquiète-t-il. Il n’entrevoit aucun répit. Seul l’hôpital militaire, en cours d’acheminent à Colmar, pourra « aider. Il va nous offrir une trentaine de lits ».


Frédéric Pernot reste évasif sur les choix éthiques que l’hôpital de Mulhouse est amené à faire. Sandra, infirmière aux urgences, veut « témoigner, anonymement, car l’hôpital nous interdit de parler aux médias ». Elle le dit sans détour : « Nous nous posons la question de la limitation thérapeutique pour toute personne de plus de 70 ans, en fonction de son état de santé. Les personnes âgées atteintes d’un Covid en Ehpad ne sont plus transportées à l’hôpital. On se contente de leur donner des soins de confort, pour soulager la douleur. C’est très difficile : on n'est pas là pour choisir celui qui doit vivre et celui qui doit mourir. »

Cette situation n’a rien d’habituel : « Dans notre travail quotidien, on peut décider d’arrêter des soins, pour éviter un acharnement thérapeutique. Mais c’est bien moins souvent. Et en prenant le temps d’en parler, entre soignants, avec la famille. »

Cette épidémie de coronavirus menace l’humanité des soins. « Les patients Covid n’ont pas de droit de visite. Quand on les endort pour les intuber et les placer en réanimation, ils ne sont pas sûrs de se réveiller, et ils sont seuls. C’est très difficile. »  
Dans un autre hôpital d'Alsace, une médecin explique à Mediapart ne pas être confrontée encore au tri des patients, mais souligne que la question « n’est pas tant la décision d’intuber » en réanimation, que la phase qui suit, « l’après »« Quand est-ce qu’on extube le patient ? Ce qui arrive, c’est qu’on n'a plus de ventilateurs. Nous ne sommes pas encore dans cette situation parce que nous ne sommes ici qu’au début, mais c’est la situation que nous anticipons, comme c’est le cas actuellement en Italie. »
La médecin relève que « le Covid réclame des périodes d’intubation prolongées. Quatorze jours par patient en moyenne, c’est long, et ça mobilise les ventilateurs pendant toute la période. En Italie, le premier patient jeune a été intubé pendant quatre semaines ». Selon elle, il reviendra alors au comité d’éthique de se prononcer sur cette phase d’après. « On se demande : est-ce que ce patient-là va tenir ou pas ? Est-ce qu’on l’extube ? On ne prend évidemment jamais une telle décision seuls. Les équipes se parlent. Ici, le comité d’éthique est composé de trois médecins. C’est une situation très très dure, poursuit-elle, émue. C’est aussi l’histoire de notre vie, de s’endurcir pour ne pas souffrir. Mais tout le monde souffre. Même les chefs de service. Ils n’ont jamais vécu cette médecine de guerre. »
  • De l’espoir dans l’Oise
L’Oise est le premier cluster français, où s’est propagée l’épidémie localement. Depuis la fin du mois de février, l’hôpital de Compiègne vit au rythme du coronavirus. Le 10 mars, une biologiste, une infectiologue, et une réanimatrice tentaient d’alerter sur Mediapart, appelant à « une prise de conscience ». Elles travaillaient alors sans arrêt, depuis trois semaines, et s’inquiétaient de la saturation des places de réanimation dans la région, des allées et venues de la population. « Mais nous n’avons pas eu à faire des choix éthiques comme en Alsace », précise la biologiste qui appartient à la « cellule Covid » de l’établissement.
Aujourd’hui, à Compiègne, « la progression de l’épidémie est moins forte. On a toujours de plus en plus de patients, mais un à deux de plus chaque jour, en tout une dizaine. Ce n’est plus explosif, on parvient à les absorber ». Est-ce l’effet du confinement qui a débuté début mars, par la fermeture des écoles ? « Peut-être, c’est difficile à dire. Ou alors, on a réussi à détecter plus tôt l’épidémie. » La réanimation est toujours remplie, mais au bout de deux à trois semaines « les patients commencent à sortir. Ou ils décèdent. Notre morgue est pleine ».
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