Après le vote du 23 avril, qui a porté aux portes
de l'Elysée un banquier du groupe Rothschild, il devient de plus en plus
évident que si la France n'approfondissait pas les sciences humaines et en
tout premier lieu la connaissance anthropologique de la politique et de
l'histoire, le nationalisme n'aurait plus d'avenir et la France ferait
naufrage dans un épuisement tragique de la pensée rationnelle et cela selon
un modèle bien connu des historiens du byzantinisme. Pour ma très modeste
part, je tenterai donc, dans le texte ci-dessous et dans celui du 11 mai de
poser quelques jalons conjurateurs d'un naufrage qui s'annonce par mille
signes et présages.
1 - Le
temporel et l'intemporel
On sait
qu'aux yeux du Général de Gaulle, le régime de Vichy n'était pas seulement
illégitime, mais inexistant en droit, donc privé du prestige et des
apanages d'un Etat reconnu comme tel. Dans ce contexte, Jacques Chirac n'a
rien compris au gaullisme à déclarer que la France, en tant que telle,
aurait "commis l'irréparable", puisqu'elle était censée
s'être rendue coupable de la rafle du Vel d'hiv ordonnée par la justice
relative du moment.
Mais en
1958, à peine de retour au pouvoir, après un exil de douze ans à
Colombey-les-Deux-Eglises, le Général de Gaulle a promu la loi la plus
hallucinante qu'on pût imaginer: au pays du Bridoye de Rabelais, du
Bridoison de Beaumarchais et du Raminagrobis de La Fontaine, il était
déclaré interdit non seulement de critiquer une décision de justice, mais
de publier des écrits ou de tenir des propos susceptibles de porter ombrage
au mythe de l'infaillibilité d'une justice, pourtant toujours relative et
terrestre, celle que sécrète la jurisprudence.
Comment
expliquer que l'homme qui avait proclamé seule réelle la France de la radio
de Londres semblât changer à ce point de politique et de philosophie de la
justice française? Peut-être avait-il compris que son attitude à l'égard du
régime de Vichy portait un coup mortel aux Etats concrètement présents sur
la scène du monde, puisqu'elle les privait de la sacralité qui fonde toute
autorité aux yeux de la population.
Mais
comment installer dans la durée le mythe de l'infaillibilité d'une justice
terrestre, brusquement revêtue des attributs de la justice divine, alors
que la justice est toujours dépendante des circonstances du moment? On sait
où cette mythologie judiciaire a conduit la France: des juges du tribunal
d'Aix en Provence ont cambriolé les biens placés sous scellés au greffe de
leur propre tribunal, puis ils ont tenté de faire valoir l'autorité de la
loi qui les protégeait de l'outrage, pour menacer de poursuivre au pénal
toute tentative de mettre en doute leur intangibilité et leur sacralité de
confection.
M. Robert
Badinter, alors Garde des sceaux dans le gouvernement de M. Mitterrand,
s'était trouvé dans le plus grand embarras. D'un côté, comme Ministre de la
justice, il essayait de "couvrir" les malfaiteurs en robe
noire, de l'autre, comment innocenter, donc sanctifier des pillards? Avec
habileté et secrètement, Robert Badinter a manœuvré en coulisses. Il n'a
jamais mis publiquement en cause l'autorité d'une loi hallucinante, mais il
a étouffé l'affaire et réussi à calmer la fureur de voleurs agressifs à
l'égard de leurs dénonciateurs, le tout sans paraître douter un instant de
la légitime sainteté d'un Etat de droit pourtant fondé sur un arbitraire
auto-sanctifié.
3 - Les bévues du Dieu unique
Quelles
leçons tirer d'une loi grotesque et absurde par définition? Celles de
l'obligation de se visser la loupe à l'œil et d'examiner, en anthropologue
de l'encéphale humain, comment de siècle en siècle, les pères de l'Eglise
ont tenté de légitimer une justice divine tout aussi branlante que celle de
la créature et donc de doter l'encéphale d'une divinité flottante et
irréfléchie d'une logique et d'une cohérence internes.
L'exemple
de saint Augustin est particulièrement révélateur sur ce point: il commence
par accuser de confusion d'esprit et de superficialité une divinité censée
avoir créé le ciel et la terre sans seulement s'être préoccupée au
préalable de savoir comment elle allait assurer un logement à sa création,
puisque "Dieu" n'avait pas pris la précaution élémentaire de
créer au préalable l'espace et le temps. L'auteur des Confessions a
mis vingt ans, dans sa Cité de Dieu, à tenter de doter
d'une cohérence l'encéphale d'une divinité qualifiée d'omnisciente,
d'omnipotente et censée diriger le monde.
Mais les
malencontres de la métaphore divine ont continué de mettre le Dieu unique
dans l'embarras. Comment expliquer qu'il ait laissé faire, donc approuvé,
le sac de Rome par les hordes des Wisigoths d'Alaric en 410? Pis encore:
comment se fait-il le Dieu ait laissé une femme, la papesse Jeanne, "porter
la culotte" sur le trône de Saint Pierre? Cette bévue du
Saint Esprit a marqué l'histoire de l'Eglise, au point qu'elle ne s'est
jamais remise de ce traumatisme: aujourd'hui encore, après chaque élection
d'un pape, un ecclésiastique se glisse sous la table et va vérifier que le
nouvel élu a deux testicules "bene pendentes", bien
pendues.
A ce
compte, comment vérifier que la France idéale du Général de Gaulle censée
seule exister en droit face au régime de Vichy, se révèle néanmoins un Etat
en chair et en os?
4 - Le refus d'humilier la transcendance de la France
On sait que
l'art 262 de l'ancien code pénal est tombé en désuétude par la volonté
d'une portion intègre du corps judiciaire de la France réelle, mais qu'il
n'a jamais été officiellement abrogé. Cependant, cette loi a été respectée
avec une docilité sans faille par la France officielle pendant des
décennies. Certes, la question préalable de la constitutionnalité
promulguée par le Président Giscard d'Estaing permet désormais au
justiciable de contourner cet article.
La
tentation du rabougrissement de l'Etat au temporel est puissante et
mortifère. La France de Vichy est morte en 1945, mais aux yeux de la France
transcendante et immortelle dont rêvait le Général de Gaulle, elle n'avait
été, du temps même où elle semblait diriger le pays, qu'un cadavre
pourrissant. Qui aujourd'hui oserait se déclarer le successeur de la France
de Vichy?
En
revanche, les gaullistes anciens ou récents se comptent par centaines de
milliers car dans leur cœur et dans leur esprit il existe une patrie
intemporelle, une patrie éternelle qui vit par delà la matérialité des événements et les fourberies des politiques contingentes. C'est cette
France-là que les gaullistes d'aujourd'hui refusent d'humilier en la
rendant abusivement coupable des manquements liés à la lâcheté d'une
poignée de dirigeants corrompus, notamment de la quasi-totalité de la
magistrature de l'époque - un seul membre excepté - qui s'était ralliée
avec un ensemble touchant au régime de Vichy. L'article du code pénal par
lequel le Général de Gaulle assurait en quelque sorte l'infaillibilité des
magistrats du siège constituait une manière de blanchiment de ce corps
collectif, une résurrection de son "innocence" et de sa
"pureté" déflorées.
Or, la
Justice représente la transcendance à l'égard du politique sans recourir
pour autant aux miracles du surnaturel. Elle était, aux yeux de l'homme du
18 juin, consubstantielle au bon fonctionnement de l'Etat, bien que Général
ne se fît aucune illusion sur la qualité du personnel judiciaire passé et
présent.
5 - Un animal métaphorique
On voit,
comme je l'ai démontré le 14 avril, qu'une espèce ingouvernable par nature
et par définition, ne peut se diriger qu'à l'école et à l'écoute de ses
songes et de sa transcendance, parce que l'homme est un animal
métaphorique. A ce titre, il se transporte au-delà du temporel.
On retrouve
le sens originel du substantif "métaphore" dans nicéphore,
porteur de la victoire, phosphore, porteur de la lumière, doryphore,
porteur d'une lance, sémaphore, porteur d'un signal, logophore,
porteur d'un langage, Lucifer, porteur de la lumière, mot qui
se contente de substituer le latin ferre à son synonyme
grec phorein etc.
C'est
pourquoi le genre humain se transporte sans cesse dans des mondes rêvés,
mais qu'il croit pleinement réels.
De 1917
jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989, toute l'intelligentsia française
a cru que le paradis allait débarquer en Russie. Même M. Joliot-Curie, un
des pères de la bombe atomique française, en a témoigné sous serment le 4
avril 1949 à l'occasion du procès Kravchenko. Il a fallu le rapport
Krouchtchev en 1956, il a fallu toute l'œuvre de Soljenitsyne pour remettre
leur tête à l'endroit à la plupart des intellectuels du Vieux Monde.
Mais les
vices du système politique momentanément incarné par l'URSS n'ont pas sonné
la mort des idéaux de fraternité et de partage. Ils continuent
souterrainement leur travail de sape de l'arrogance d'un mondialisme
libéral échevelé, fondé sur la guerre de tous contre tous. Ce libéralisme
n'est qu'un autre nom de la loi de la jungle.
La
Révolution française a rebattu les cartes du sacrifice. La victime ne se
livre plus au harpon d'une divinité avide de chair et de sang, elle
s'immole aux idéaux rédempteurs d'une Liberté et d'une Justice dont elle
est elle-même l'instrument. Elle se découvre l'agent d'exécution d'un
destin de l'esprit. Elle est à elle-même l'acteur autonome du salut d'une
espèce métaphorique.
Puisse le
XXIe siècle marquer un tournant décisif dans l'histoire du
"connais-toi", puisse le XXIe siècle mettre de l'ordre dans
l'encéphale erratique d'une espèce ingouvernable, puisse le XXIe siècle
féconder une fois de plus la question de Montaigne: "Qui
suis-je?".
Le 28 avril 2017
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