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1 - Oraison funèbre de la France
2 - La France intérieure
3 - L'encéphale de la France
4 - Les deux Jérusalem de l'humanité
5 - Le montant de l'addition
6 - Qu'est-ce que l'esprit de la France
?
7 - La tragédie de la pensée
8 - Qui es-tu ?
9 - Les existentiels de " Dieu "
10 - La ciguë de la pensée
11 - L'avenir spirituel de la France
12 - Les crucifiés
1
- Oraison funèbre de la France
Messieurs,
Vous
me pardonnerez de demander à une plume superbe de m'aider à
prononcer l'oraison funèbre de la France, tellement ma voix
n'est pas digne de la charge dont vous l'accablez dans cette
enceinte. Il faut un aigle du ciel pour évoquer le ciel de la
nation.
Ce n'est pas, écrit Bossuet, "que les grands sujets ne fournissent
ordinairement de nobles idées. Il est beau, de découvrir les
secrets d'une sublime politique ou les sages tempéraments d'une
négociation importante ou les glorieux succès d'une entreprise
militaire. L'éclat de telles actions semble illuminer un discours
et le bruit qu'elles font dans le monde aide celui qui parle
à se faire entendre d'un ton plus ferme et plus magnifique."
Bien
souvent, nous avons fermé notre porte à la France éternelle,
mais ce mort magnifique ne cessera de débarquer d'un pas ferme
dans l'histoire spirituelle de notre astéroïde.
2 - La France intérieure 
Sachons
que le ciel de ce géant change souvent de domicile ici-bas,
mais jamais la France de là-haut n'a changé de nature. Comment
se fait-il que les plus illustres de nos morts, nous ne nous
lassons pas de les délivrer de leur tombe? Comment se fait-il
qu'à l'inverse, nous appelons les grandes âmes à venir se placer
aux côtés de celle de la France? Comment se fait-il enfin, qu'à
peine croyons-nous avoir rencontré la France, elle nous avertisse
qu'elle n'est pas au rendez-vous que lui assignent nos auberges?
Aussi en sommes-nous venus à écouter la voix de notre pays au
plus secret de ses silences. Comprenne qui pourra un acteur
dont l'absence nous éclaire. Mais, de toutes les nations de
la terre, la France est la seule dont les cendres nous éclairent
d'un feu immortel. Comme ce mort nous parlait! Et sitôt que
nous cherchions sa voix ailleurs que là-haut, son sceptre nous
tombait des mains. Car son temple, c'était nous.
Et
maintenant, son éternité invite nos faibles forces à faire entendre
sa voix, et maintenant cette voix demande plus que jamais à
notre faiblesse: "Comment habitez-vous le ciel de la nation?"
3 - L'encéphale de la France 
Messieurs, ci-gît la dépouille mortelle de la France de l'esprit.
Le drapeau qui la revêt comme d'un linceul recouvre de ses couleurs
la grandeur et les petitesses du ciel des hommes. Ecoutons Bossuet:
"La licence et l'ambition, compagnes presque inséparable des
grandes fortunes, l'intérêt et l'injustice toujours mêlés trop
avant dans les grandes affaires du monde font qu'on marche parmi
des écueils."
Mais
quel écueil fécond que le récit français de la marche
des siècles d'ici bas! Laissez ce trépassé immense vous enseigner
les récifs que la raison du monde rencontre sur son chemin,
laissez ce souverain vous conduire au palais de la pensée des
vivants, laissez ce flambeau de votre éternité
éclairer vos cœurs et vos têtes. Le Titan dont le cadavre nous
illumine encore de ses rayons nous racontait les secrets de
l'intelligence de l'humanité. Le caveau de cette France-là n'a
que faire de nos larmes, le caveau de la France apostrophe la
classe stellaire de la planète, le caveau de ce ciel nous crie
que la mort est un nain. Souvenez-vous de la France qui vous
plaçait dans le sillage de sa lumière et dont les feux vous
montraient le chemin de la discipline la plus dangereuse dans
ses conquêtes et la plus redoutable dans ses défaites, celle
qui commande à nos chefs d'Etat de spectrographier les convulsions
d'une mappemonde sillonnée des plus lumineuses de nos cicatrices.
Messieurs, la France des catafalques du ciel et celle de vos
tombes les plus flamboyantes avait fait briller les torches
de son génie parmi les animaux auto-sacralisés que nous sommes
demeurés. Souvenons-nous de la France des incendiaires de la
mort, souvenons-nous de la France qui livrait jour après jour
notre cerveau aux tempêtes de l'histoire. A son écoute, nous
entendions grincer les ressorts et les poulies du messianisme
sanglant de la bête enténébrée, à l'écoute de la France nous
redressions l'échine, à l'écoute de la France nous visitions
les édifices de la folie du monde. La politologie introspective
de la France de la raison avait fait de nous les radiographes
des rédemptions truquées.
Et maintenant, la dépouille mortelle de notre patrie nous demande
de nous lever, et maintenant, la France des spéléologues de
Dieu nous demande instamment si nos gouvernements en promenade
sur la terre et le nez au vent décrypteront les documents mentaux
que nous cachons dans les souterrains de notre histoire et que
nos ancêtres appelaient des théologies. Ce mort spectral nous
demande rien moins que de remplacer l'effigie du Dieu mort par
l'encéphale de la France.
4 - Les deux Jérusalem de l'humanité

Certes,
nous disait le roi dont le soleil de la mort fait resplendir
nos tombes et illumine notre mémoire, il était bien naturel,
que Constantin, par exemple,ne disposât en rien d'une science
des immortalités stellaires dont notre espèce éclaire
ses funérailles. Mais il nous appartient de fabriquer la première
balance à peser les cieux de la bête et à déposer son cerveau
schizoïde sur ses plateaux. Si les Romains avaient connu le
fléau de la balance à peser les animaux bipolaires, ils auraient
compris pourquoi leur époque éprouvait un besoin si inattendu
et si impérieux de loger dans le cosmos une divinité aussi bifide
que les précédentes et de la décorporer bien davantage que le
Jupiter dichotomisé des ancêtres. Mais comment Julien l'Apostat
n'aurait-il pas cru que les défaites militaires qui accablaient
l'empire illustraient la vengeance continue et combien légitime
des dieux si hâtivement et si subitement abandonnés à leur sort,
alors que les saint Ambroise et les saint Augustin voyaient,
tout le contraire, dans ce fléau, à savoir l'expression de la
rage subite et de la vengeance inextinguible d'un Dieu biphasé.
La
France dont le regard porte sur les dieux bicéphales d'hier
et d'aujourd'hui et dont les funérailles éclairent cette enceinte
des feux d'un haut décryptage de leur cervelle n'appelle pas
d'éloge funèbre plus digne de son éclat que celui du regard
qu'elle porte sur le langage estropié des démocraties.
Nos dirigeants bancals s'imaginent encore sottement qu'Israël
finira, de guerre lasse, par couper son mythe du salut et de
la délivrance en deux tronçons bien séparés et par en partager
le cœur et la tête avec la divinité plus tardive qui s'est campée
en rivale dans les encéphales d'en face.
Si
la France des hauteurs ne nous apprenait pas à regarder en nous-mêmes
et droit dans les yeux la Jérusalem boiteuse d'ici bas et celle,
non moins claudicante, de là-haut, jamais nous ne saurions laquelle
de ces deux béquilles de la démocratie mondiale est fictive
et comment sa portion rampante aussi bien que celle qui s'auréole
d'une sainteté bruyante s'assemblent en une seule géhenne sous
nos crânes. Nous attendons une politologie de la vie ascensionnelle
du genre humain. Nous savons qu'elle initiera les démocraties
modernes à la spéléologie de la boîte osseuse à la fois furieuse
et séraphique de la bête spéculaire. Mais sans le regard sur
nos neurones que la France nous enseignait, nous n'aurions aucun
accès aux engrenages, aux bielles, aux ressorts et aux rouages
des dieux d'hier et d'aujourd'hui. Voyez comme le cadavre de
la France se redresse sur son catafalque: "Voulez-vous, nous
dit-elle , demeurer aussi éloignés de toute science du crâne
divisé du chimpanzé détoisonné d'aujourd'hui que la théologie
du Moyen Age ignorait l'astronomie de Démocrite?"
Messieurs,
refusons de battre en retraite. La France nous appelle à apostropher
avec vaillance et au grand jour les dirigeants de notre parodie
de République. Si nous demeurons le peuple de la raison debout,
la France qui nous habite de son absence et de son silence appellera
encore le monde entier à sommer notre simulacre d'Etat de quitter
le Moyen Age dans sa tête. Ne fuyons pas le champ de bataille.
La France ennemie des mascarades cérébrales appellera tous les
Etats du monde à construire le modèle d'interprétation de l'histoire
universelle qu'appelle notre temps.
5
- Le montant de l'addition 
Observez
maintenant comment la France de la trans-temporalité de nos
âmes radiographiait les dirigeants privés de regard sur le Dieu
de l'animal auto-sacralisé par la pierre et le fer de ses idoles.
Souvenez-vous de l'appareil de prises de vues rudimentaire à
l'aide duquel nous étudiions les relations que nos guerres de
religion entretenaient avec nos guerres politiques. Notre anthropologie
au berceau ne portait pas de regard du dehors sur le dieu de
l'atome, donc sur l'artisan de l'apocalypse biblique d'autrefois.
Aussi notre science de la mort demeurait-elle incapable d'exposer
le globe oculaire du Dieu du Déluge sur la scène de l'histoire
et de la politique de l'humanité. Et maintenant, nous démontons
les pièces et nos scannons l'ingénierie des apocalypses.
La
république fondée sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat
avait cru briser en mille morceaux les miroirs théologiques
des nations, mais elle n'en avait observé ni la construction,
ni les fabricants. Du coup, nos sciences humaines se sont privées
du matériau expérimental le plus sûr et le plus universel; car
elles cherchaient en vain la glace dans laquelle se réfléchissait
leur image. Quant aux idéologies politiques qui les avaient
remplacées au pied levé, elles se révélaient non seulement des
miroirs bien plus déformants que les théologies des ancêtres,
mais des auréoles truquées par les concepts angéliques qui les
auto-béatifiaient dans un séraphisme politique ridicule.
Voyez comment le mythe de la dissuasion nucléaire, se calquait
sur le retour à l'épouvante des prophètes de l'apocalypse biblique
et souvenez-vous de l'ironie avec laquelle la France de la pensée
nous mettait en garde contre les fantômes mécaniques qui hantent
l'inconscient religieux de notre politique: "Le génocidaire
du Déluge, nous demandait-elle, aurait-il dévalé à nouveaux
frais dans vos démocraties décérébrées? Pourquoi tremblez-vous
de tous vos membres sous la menace d'une catastrophe de votre
fabrication? Si vous disposiez des méthodes ascensionnelles
de la simianthropologie comparée dont le spectre de l'excommunication
majeure du Moyen Age vous présentait un prototype terrifiant,
si vous portiez un regard du dehors sur l'esbroufe nucléaire
des matamores de leur foudre verbifique, vous garderiez bien
davantage votre sang-froid et vous n'offririez pas le spectacle
de votre ruée dans votre théologie de confection."
Orphelins de la France, à quelles prérogatives nouvelles de
votre intelligence mon éloge funèbre de la raison de notre nation
vous appelle-t-il à élever votre foi, sinon aux droits qui avaient
dicté au peuple de Descartes l'expression de sa gratitude intellectuelle
sur le fronton de son temple?
La
France de la pensée logique nous enseigne à délivrer la science
historique et les sciences humaines de leurs timidités cérébrales
et à donner à ces disciplines l'essor qui les attend depuis
si longtemps. Il y faut une science des funérailles et des résurrections
de l'intelligence de la bête, il y faut un esprit de raison
dont la discipline conduira votre encéphale encore titubant
et poussif à quitter les pistes de votre politologie craintive.
Je salue le grand mort que nous appelions la France et qui spectrographiait
sans ciller l'animalité spécifique de la bête schizoïde.
6
- Qu'est-ce que l'esprit de la France ? 
C'est
du ciel de la France de là-haut que je prononce l'éloge funèbre
dans l'enceinte de son temple, c'est de la France de la raison
que je vous conjure de porter les cendres au Panthéon. Mais
qu'est-ce que le ciel de la raison?
Bossuet
écrivait en anthropologue de la vie spirituelle du genre humain
et en psychagogue de tous les peuples et de toutes les nations
de la terre: "Encore que les hommes soient divisés en tant de
différentes conditions toutefois il n'y a, à proprement parler,
que deux genres d'hommes, dont l'un compose le monde et l'autre
la cité de Dieu. Cette solennelle distinction est venue de ce
que l'homme n'a que deux parties principales qui sont la partie
animale et la raisonnable.
"Qu'en est-il aujourd'hui de la science de l'animalité proprement
humaine? Puisse le courage intellectuel que la France de l'intelligence
nous avait inspiré percer les secrets psychiques de la bête
terrifiée par des spectres sacrés et dont la carcasse s'était
imaginé qu'elle était devenue pensante avant l'heure, puisse
ce courage-là de nos neurones nous rappeler celui de Pascal,
qui disait, lui aussi, que plus cette bête-là s'abaissait, plus
elle s'élevait, tellement sa spécificité l'appelle à escalader
une montagne escarpée afin d'entendre l'écho de sa voix véritable
de plus loin et de plus haut. Que nous enseigne la France surréelle
dont le souffle nous habite et dont le trépas nourrit plus que
jamais notre féconde absence de l'arène terrestre des nations?
Cette France-là nous ouvre toutes grandes les portes d'une science
entièrement nouvelle, celle de la connaissance de l'inconscient
zoologique d'une espèce à peine évadée des ténèbres et qu'éblouit
encore la lumière du soleil. Sachez que le grand mort que vous
voyez étendu un instant seulement dans notre nuit a mis entre
nos mains les clés de l'animal aveuglé par ses dieux, sachez
qu'une France étincelante nous met à l'écoute de la bête porteuse
des masques de ses magiciens et de ses sorciers.
L'avenir
neuronal de la première nation au monde à laquelle un dieu des
phares de l'intelligence avait ouvert son royaume , l'avenir
des circonvolutions cérébrales de la première nation au monde
qui avait gravé en lettres d'or sur le fronton de son temple
l'expression se sa gratitude aux guerriers des têtes audacieuses,
la première nation qui avait porté un peuple entier sur les
fonts baptismaux d'une logique de feu est aussi la première
nation sous le soleil qui ait sommé son Etat de débusquer la
cervelle des dieux uniques et de radiographier l'entendement
des hommes qui s'y étaient embusqués. Si nous devions déposer
ce vivant-là dans les ténèbres d'une mort éternelle, si nous
devions célébrer les funérailles de la France immortelle, nous
serions également la première nation qui aurait éteint une étoile.
Ayons confiance : quand nous monterons sur les parvis de la
France qui nous est promise, ce sera du seul Dieu vivant, celui
de l'intelligence que nous saluerons l'éternité.
7
- La tragédie de la pensée 
Messieurs,
le fardeau de notre responsabilité intellectuelle à l'égard
de la nation des sacrilèges de la pensée se trouvera un instant
allégé si nous nous retournons sur l'histoire de ses profanations
et de ses blasphèmes. Car la France a accouché dans la douleur
de la voix d'outre-tombe que son sépulcre nous fait entendre
désormais. Souvenez-vous de l'anthropologie sans cervelle, donc
sans feu qu'elle a prise en charge au XVIe siècle et qui observait
notre espèce comme les chats se regardent avec des yeux de chats.
Les croisés du Moyen Age se déplaçaient avec leurs globes oculaires
de croisés pour lanternes.
Comment
les chrétiens auraient-ils compris que leurs rétines précédaient
leurs pas et qu'au fur et à mesure que leur piété engrangeait
ses conquêtes, leurs globes oculaires se croyaient éclairés
sur leur route par les lumières de leurs dévotions. En vérité,
dès le XIIe siècle, la France avait observé les ressorts d'une
"querelle des universaux" privée de son recul anthropologique.
Aussi enseignait-elle, avec Abélard et les nominalistes, que
Socrate est plus "réel" à lui seul que le concept
atone et sans feu spirituel, qui ressemble à un chêne
privé de branches et de feuilles singulières et qui dresse seulement
dans le vide un arbre abstrait et privé de sève. Le concept
est un phare qui balaie le paysage, et qui nous débarrasse d'avance
de l'individu pour nous ouvrir une route sans obstacle, mais
déserte.
Comment
une anthropologie solipsiste, donc privée d'avance d'une vraie
distanciation spirituelle à l'égard d'un monde chosifié regarderait-elle
du dehors la tautologie qui la rend spéculaire sans qu'elle
s'en date? Montaigne ne se demandait pas quel opticien le dotait
du regard censé lui apprendre à se connaître, Descartes ne plaçait
pas son propre globe oculaire dans un champ de vision observable
du dehors, Aristote ne connaissait pas la logique qui lui ouvrait
les yeux sur la logique du monde, Voltaire cachait un habile
horloger derrière une pendule qu'il croyait réglée sur les célestes
directives du sens commun, Durkheim donnait des bésicles aux
nombres aveugles qu'il croyait regarder droit dans les yeux,
Lévy Bruhl lui-même, pourtant mort en 1935, ne se demandait
pas si l'entendement des sorciers et des magiciens dont il croyait
avoir observé le téléguidage par les "mentalités primitives"
s'était construit sur le même modèle cérébral non seulement
que celui des chrétiens programmés par les catégories de Kant,
mais par toute la physique tridimensionnelle d'Archimède à Einstein.
8 - Qui es-tu ? 
La
France des anthropologues du siècle dernier a commencé de diriger
la guerre de la raison sur plusieurs fronts et à unifier le
champ de bataille de la pensée critique de l'époque. Pour cela,
elle a substitué à la vitre du concept un seul individu, mais
symbolique, en la personne du "Dieu" solitaire des anciens;
et elle a observé l'évolution cérébrale de cet ermite du cosmos
ainsi que le parallélisme entre les mouvements de son esprit
et celui de "sa" créature.
Dès
le XIIIe siècle, la France a renvoyé dos à dos les "réalistes"
dotés de la rétine absentifiante du concept et les nominalistes
désarmés par le naufrage de l'universel langagier et elle a
déclenché une révolution anthropologique à seulement cesser
de regarder un "Dieu" censé se cacher derrière la vitre sans
tain de l'abstrait Mais bientôt le miroir est devenu si profond
qu'il révélait en retour la naïveté des acteurs qui s'y regardaient;
et l'image candide instruisait son photographe-enfant au point
qu'il trouvait de moins en moins facile de placer le rétroviseur
de sa lucidité branlante dans le dos du prototype enragé et
patelin de la politique du cosmos. A force de demander à l'idole:
"Qui es-tu?", elle vous répondait du tac au tac: "Et toi?" et
elle nous entraînait à passer derrière une enfilade de dieux
privés de regard sur leur politique de la justice.
Messieurs, je suis trop indigne de l'honneur dont vous m'avez
accablé, trop indigne de prononcer l'éloge funèbre de la France
dans l'enceinte de son esprit pour conduire jusqu'à son terme
le message abyssal du mort qui veille sur l'avenir de notre
tête, trop indigne de votre appel pour ne pas rendre les armes
sur la route qui nous conduit à l'abîme. Je remets donc le fardeau
de la pensée à une voix plus spéléologique que la mienne. Car
il est extraordinaire que la dépouille mortelle de la France
nous ordonne de regarder Dieu en face et de nous élever au rang
de juges souverains de sa justice semi animale. De quel recul
ultime de la raison ce géant nous a-t-il fait le don, lui qui
nous ordonne de déposer notre créateur au couteau entre les
dents sur la balance de sa justice à lui, de rejeter le monstre
de la torture, de citer devant notre tribunal la justice du
fauve qui s'était scindé entre les récompenses qu'il prétendait
accorder à nos ossements dans l'éternité et les tourments sans
fin dont il gavait sa sainteté.
La
France de la raison demande à un autre Dieu de passer derrière
le miroir du Dieu des tortures, mais elle nous presse également
de nous reconnaître dans l'effigie de ce carnassier. Qui donc
distribue les colifichets de son éternité d'une main et le pain
bénit des châtiments sans fin de l'autre, sinon nous-mêmes ?
C'est de la créature bénisseuse que la France nous tend le miroir.
Mais il y a plus: est-il un seul prophète qui n'ait fait le
procès de la férocité de la justice de Dieu et qui n'ait tenté
de la rendre plus digne d'une vraie justice?
9 - Les existentiels de "Dieu" 
Si
la France de la raison nous enjoint de nous mettre en apprentissage
des prophètes sommitaux et si c'est aux dénonciateurs d'un Dieu
des fauves, si c'est à Isaïe que la raison de la France nous
renvoie, je ne puis que remettre le témoin au coureur dont je
ne suis pas de taille à porter le flambeau et qui dira à la
France: "Quel est le Dieu qui fait hurler les prophètes? Qui
demande à la France d'Isaïe de prendre la relève des prophètes
en fureur et de donner au monde un Dieu de justice?" Voilà,
Messieurs, l'endroit où mon modeste chemin s'arrête et m'ordonne
d'obéir à l'ordre de me taire, parce que ma voix ne franchira
pas le seuil de ce temple-là de la France.
Je
ne suis que le modeste gardien du coup d'Etat qui a donné à
la France de la raison la distance intellectuelle nécessaire
à la construction de la première anthropologie méta-biblique,
celle dont le lever de rideau nous aura du moins permis d'observer
notre espèce non plus telle qu'elle s'embusquait astucieusement
derrière le miroir de la "révélation", non plus telle qu'elle
vénérait les adorateurs des tortures divines et les saints de
leurs propres ossements, mais une espèce tapie dans le néant
et le vide de l'éternité. Le premier spéléologue de l'ultime
absence du Dieu de la France demandait au "créateur": "Où te
cachais-tu avant d'avoir créé l'espace et le temps?" Ce saint-là
est aussi l'homme des Confessions, celui dont
l'introspection s'est arrêtée aux mêmes portes que la France
de la raison des prophètes. Depuis lors, les détoisonnés titubants
de la forêt originelle se sont armés du tragique de la pensée.
La France rendra existentielle l'invention de "Dieu".
La frontière du royaume auquel la France de la raison nous a
conduits est celle de notre connaissance des identités mythique.
La postérité de Descartes nous dit que l'homme est animal politique
et qu'il prolonge sa politique dans le vide du cosmos où il
loge des souverains du silence et du vide de l'immensité. Mais
si je ne puis poursuivre mon chemin, c'est qu'il est immense
le champ ouvert au "Connais-toi" par une France de l'esprit
qui nous a conduits à la notion d'identité mythique. Car si
les théologies se révèlent des documents psycho politiques fondamentaux,
et si elles nous instruisent sur les diverses identités cosmologiques
que se donne une humanité effarée par le vide, la "vie spirituelle"
y trouvera un élan sans égal, tellement les mystiques de demain
nous conduiront aux entrailles de la peur où le ciel
du futur abaissement de la condition simiohumaine nous attend.
10
- La ciguë de la pensée 
Messieurs,
la France dont la raison portera la torche dans le vide du Dieu
absent qu'elle est à elle-même attend de naître dans nos têtes.
Mais la nation de la pensée ne scellera l'alliance du génie
qui inspirait les premiers pas du christianisme avec l'anthropologie
critique de demain que si elle se place dans la postérité philosophique
de Darwin et de Freud, parce que seule cette France-là sera
de taille à redonner à la logique des saints de la nuit la trajectoire
ascensionnelle des grands géniteurs de la raison du monde.
Car si tout démontre que notre espèce est évolutive et si son
évolution est de nature cérébrale, comment cet animal ne serait-il
pas inachevé de naissance, et cela par nature et par définition?
Demandons-nous avec un grand courage spirituel de quelle zoologie
relativement intellectualisée cette bête se trouve présentement
armée. Pour cela, il nous faudra nécessairement mettre la main
sur les documents cérébraux cryptés d'une bestialité actuellement
à demi logicisée.
Or,
seules nos théologies véhiculent les secrets politiques et psychiques
révélateurs de l'inconscient zoologique de la bête en attente
d'un regard de haut sur elle-même; et puisque toutes les cosmologies
mythiques sont construites sur la logique interne qui leur ordonne
de se livrer à des sacrifices d'assassins, le sang qu'elles
font couler sur leurs autels traite fatalement du doit et de
l'avoir du sang, de la dette et de la créance du sang, des négociations
hypocrites et cruelles du sang qui fondent l'ordre politique
de la bête meurtrière et qui règlent ses échanges calculés entre
l'individu et une collectivité de tueurs-nés. Toute l'histoire
des religions de ce primate n'est que le miroir des sociétés
que symbolise le charroi de leurs immolations dans le cosmos
- la bête appelle "Dieu" le monstre, semi animal à son tour,
dans la conscience duquel deux bêtes féroces se regardent en
chiens de faïence, un créateur et une créature également avides
de consommer leur proie, l'une dans le ciel de son apothéose,
l'autre de son abaissement sous la terre. Mais si les deux animaux
sont tapis dans le néant et s'y donnent la réplique, qui, du
géant ou de l'animalcule est le vrai maître? Le faux Dieu n'est
autre que l'insecte né de son sosie gigantifié et qui en observe
les traits du dehors.
La
France de la pensée a mis un millénaire à doter l'anthropologie
moderne dun regard sur les animaux théologisés par les spectres
meurtriers dont ils peuplent le néant et dont ils se révèlent
les habitants, la France habitée par la vocation cérébrale qui
l'inspire a souffert d'un douloureux accouchement du globe oculaire
universel la mort, mais son passage par les ténèbres en a fait
le maïeuticien du monde moderne. Buvons la ciguë de la France
du grand accoucheur athénien qui se comparait à l'abeille emportant
son miel et qui, disait-il, ferait " bouillonner " (aganaktein)
sa postérité. Si nous ressuscitons à boire le poison de la France
de la pensée, nous ferons de notre patrie le nectar et l'ambroisie
de "Dieu".
11
- L'avenir spirituel de la France 
Je
disais plus haut que notre siècle est responsable des chemins
de la résurrection intellectuelle de la France. Je vois deux
chemins principaux s'ouvrir à la vocation et à la mission de
notre pays. Le premier est anthropologique: comment se fait-il
que les guerres de religion du XVIe siècle aient bouleversé
le statut politique des Etats de l'Europe et l'équilibre mental
de l'humanité sur la question, alors décisive, de savoir si
notre espèce doit boire une rasade de sang frais et manger un
morceau de viande soustrait au cadavre d'un homme assassiné
sur l'autel ou si cette consommation d'anthropophages sacrés
doit demeurer figurée.
N'est-il pas hallucinant que l'anthropologie actuelle se taise
prudemment et dans le monde entier sur l'énigme de ce double
délire, n'est-il pas hallucinant que ce document focal sur l'animalité
spécifique de l'homme et de son histoire divise encore de nos
jours une Europe terrorisée d'apprendre à se regarder dans le
miroir de sa double alimentation religieuse?
Il
est fécond, le chemin qui condamne notre génération à s'arrêter
dans cette auberge, tellement il nous faudra défricher le champ
immense qui précède le saut dans le vide de l'humanité de demain.
En attendant ce saut, nous formerons des philosophes-anthropologues
qui auront étudié conjointement et jusqu'au vertige l'histoire
des théologies et celle de la pensée critique et qui seront
devenus les modestes connaisseurs et les humbles méditants de
ce dédoublement du cerveau simiohumain. La France des kamikazes
de la logique recrutera les Jean Baptiste de la philosophie
qui donneront au monde ses guerriers de l'esprit.
Souvenons-nous que les époques fécondes ont toujours forgé une
élite nouvelle de l'intelligence: la Renaissance est née des
légions de l'audace qui, dans l'ombre des pieux mangeurs, ont
réappris le latin, le grec et l'hébreu à leurs risques et périls
et ont inauguré des lectures philologiques encore naïves des
textes sacrés de la bête. Puis le XVIe siècle s'est colleté
avec le système solaire. Des Hercule de l'astronomie mathématique
ont arraché Hélios à sa course au-dessus de nos têtes et défié
les bûchers pour cela. Puis les XVII, le XVIIIe siècles ont
commencé de démêler l'écheveau des croyances religieuses les
plus candides. Puis le XIXe a plongé le regard dans les origines
animales des forgerons de leurs divinités comestibles. Puis
le XXe siècle a pulvérisé l'encéphale tridimensionnel de la
bête. Le XXIe se collettera avec le vide et le silence de l'immensité.
Alors seulement surgiront des héros de la nuit spirituelle dont
la sainteté défiera toute chair.
12 - Les crucifiés 
L'heure a sonné de vous parler de l'avenir de nos dieux de la
vie et de nos dieux de la mort. De quelle quadriplégie la civilisation
des dentelles de la pensée erratique se trouvera-t-elle frappée?
Quel type de paralysie cérébrale mettra-t-il un terme à cinq
siècles de la raison ascensionnelle de la France parmi les carnassiers
de Dieu?
Sachez
que les évadés épouvantés de la zoologie se savent des bêtes
en voyage. A ce titre, elles se ruent dans le vide de l'immensité;
et ces fuyards des ténèbres frappent à coups redoublés le bois
de leurs sarcophages, dans l'espoir ridicule que quatre planches
enfouies sous la terre leur ouvriront la porte de leur éternité.
Sachez également que les gènes fatigués de cet animal dialoguent
jour et nuit avec des garants imaginaires de son squelette,
sachez encore que cette espèce effarée par la précarité de sa
charpente, largue assidûment dans le cosmos des répondants fantastiques
de ses cartilages. Comment rédigerez-vous l'épitaphe d'un bimane
précipité dans le silence de l'éternité ? Le grand trépassé
dont la mort nous illumine des torrents de sa lumière fera de
vous des crucifiés en joie et sans cesse renaissants.
Demandez-vous donc dans l'allégresse pourquoi ce mort immortel
ignorait le pain sec de la Liberté, le pain sec de la Justice,
le pain sec des Etats, pourquoi la France faisait monter le
pain des nations. Alors une voix d'outre-tombe vous dira: "Je
n'ai que faire de vos fétiches et de vos totems, conduisez-moi
à la lumière qui vous attend dans mon éternité."
Décidément, ce n'est pas la France que nous avons portée en
terre, ce n'est pas un cadavre sans voix que nous avons étendu
sur le catafalque du monde. Recouvrons ce vivant du signe qui
nous habite maintenant.
le
6 juillet 2013
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