Avant de clore ce qu'il est convenu d'appeler selon moi la première saison du spectacle politique de l'année 2013 , où nous avons vu les acteurs de notre destin national et du destin de l'Europe, s'agiter sur la scène nationale et mondiale en déplacements, sommets, colloques, inaugurations, célébrations et cérémonies, et s'épandre en discours et déclarations habitées de promesses dilatoires fluctuantes soumises au manichéisme de la dictature politique des Etats - Unis qui divise toute chose en deux parties, qui dicte aux dirigeants occidentaux ce qu'il faut faire et dire face aux évènement mondiaux , ce qu'il faut approuver et ce qu'il faut condamner et rejeter sans appel, il est salutaire de lire des études qui nous dévoilent les clés de la serrure qui scellent les consciences de nos dirigeants nationaux et européens.
En lisant ci-dessous " l'Hypertrophie de la vassalisation atlantique" de Manuel de Diéguez, vous découvrirez les racines et les raisons, anciennes et modernes de même que et les formules apothicaires actuelles que la forfaiture américaine se sert pour faire courber l'échine de nos dirigeants nationaux et européens sous son impérialisme.
En fin de son étude, Manuel de Diéguez annonce : "Le
24 ou le 31 août, je tenterai de faire monter sur les planches
deux acteurs de taille, le rêve et le sang - et nous verrons quel
tribut de la mort nous payons à l'Amérique."
En prélude, nous vous invitons à lire ci-dessous " l'Hypertrophie de
la vassalisation atlantique" de Manuel de Diéguez, où vous découvrirez les
racines et les raisons, anciennes et modernes de même que les
formules apothicaires, les ruses et la scénographie actuelles, dont la forfaiture américaine se sert
pour faire courber l'échine de nos dirigeants nationaux et européens
sous son impérialisme.
ooOoo
Source - Site de Manuel de Diéguez :
1 - L'étalage de la servitude
2 - France Inter et l'Etat
3 - Le prix de la vassalisation
4 - Les funérailles de l'anthropologie idéaliste
5 - Le déroulement de la pièce
6 - La semi raison encagée
7 - Les nouveaux Sorbonicoles
8 - Une anthropologie de la vassalisation théo-politique
Selon que les évènements fades ou dramatiques de l'été auront
nécessité un diagnostic rapide de l'état désespéré du malade ou
une pause dans le traitement de l'incurable, ma prochaine spectrographie
anthropologique des évènements mondiaux paraîtra le 24 ou le 31
août. Mais, d'ores et déjà, nous nous trouvons sur une trajectoire
de l'acharnement thérapeutique dont la courbure est tracée jusqu'en
automne: le 3 juillet, deux évènements titanesques ont infléchi
la course de la planète sur l'écliptique de l'histoire médicale
d'une civilisation.
Le premier coup de semonce fut le débarquement des affaires cliniques
de la mappemonde sur les arpents de la conscience politique locale,
le second fut l'alerte aussitôt déclenchée pour tenter du moins
d'orienter l'opinion publique, s'il en était encore temps, vers
un redressement de l'atlantisme français en péril, afin
de sauver en catastrophe la politique étrangère officielle et
doctrinale de la République. L'irruption torrentielle de la géopolitique
dans les petits tracas du civisme hexagonal s'est opérée sur deux
fronts indissolublement associés et même entièrement confondus:
d'un côté, quand une puissance étrangère va jusqu'à écouter aux
portes et à enregistre de jour et de nuit les conversations des
citoyens d'une nation déjà garrottée, il devient impossible de
cacher plus longtemps et à tout le monde l'évidence que l'occupant
dresse maintenant l'oreille dans votre chambre à coucher, votre
cuisine et votre salle à manger.
Mais,
parallèlement, et en raison de la naïveté même d'une découverte
aussi tardive de Paris et des provinces, il a été démontré jusqu'aux
enfants en bas âge que l'Organisation du traité de l'Atlantique
nord n'est qu'un peloton de pays sur la touche et candidement
agglutinés autour du chef de guerre d'une puissance lointaine,
mais dominatrice et que le vainqueur de 1945 peut ordonner d'un
coup de fil, à une France, à une Italie, à une Espagne marginalisées
d'interdire le survol de leur territoire à un célèbre Président
sud américain ; car la honte des vassaux va désormais jusqu'à
les contraindre de fouler aux pieds l'immunité diplomatique des
chefs d'Etat qui ne seraient pas en odeur de sainteté à la cour
du roi du monde.
Les
yeux de la province se sont si subitement dessillés que France
Inter s'est hâtée de mettre en place une contre-offensive fébrile,
mais dont l'ampleur et la cohérence apparentes ont mal masqué
la précipitation et permis, bien au contraire, de prendre la mesure
de l'étendue du désastre diplomatique. Aussi la classe dirigeante
française a-t-elle jugé nécessaire d'égarer de toute urgence le
jugement de la population demeurée peu ou prou saine d'esprit.
Quelles sont les ressources des Etats démocratiques dans l'art,
vieux comme le monde, d'interpréter souverainement la situation
et d'en présenter un tableau séducteur et trompeur ? Voici comment
les pièces ont été déplacées sur l'échiquier et présentées dans
une configuration apparemment logique et raisonnée.
En
premier lieu, on a vu M. Frédéric Encel, stratège de l'atlantisme
et grand laudateur de la puissance militaire et de la domination
des mers au profit de l'empire américain, remplacer non plus M.
Bernard Guetta, comme en 2012, mais M. Thomas Legrand, le commentateur
parfois aiguisé de la politique intérieure. On sait que la vision
oraculaire et impérieuse de M. Frédéric Encel se trouve
aussi clairement formulée que facile à décoder: la dialectique
comminatoire dont il use lui permet de présenter l'alliance auto-messianisée
par le mythe démocratique qu'on appelle l'OTAN sous les traits
rassurants d'une entente équilibrée et mûrement réfléchie entre
des Etats tous gentiment qualifiées de souverains.
Cette sophistique diplomatique exige qu'on feigne d'ignorer le
caractère fort peu apostolique d'un pacte de nations rendues obéissantes
depuis 1945 et placées sous les ordres d'un général américain
dont le commandement central s'est installé à Mons en Belgique
à la suite de son expulsion manu militari de la France par le
Général de Gaulle en 1966. Naturellement, ce sceptre censé évangélisateur
n'est nullement au service d'un mythe démocratique en croisade
perpétuelle et à seule fin d'assurer la rédemption du genre humain.
L'Europe se trouve placée sous la poigne de fer d'une Amérique
dont l'expansion catéchétique sur son territoire dispose d'un
demi-millier de garnisons armées jusqu'aux dents.
M. Frédéric Encel est en mission. Il se chargera de vanter, non
sans acrimonie au besoin, la puissance politique censée invincible
de l'empire dominant du moment et qui se trouverait auto-légitimé
à n'accorder que du bout des lèvres quelques séquelles d'une indépendance
frileuse à des Etats du Vieux Monde proclamés indépendants.
Il devra rappeler aux auditeurs quelques prérogatives redondantes
et seulement nominales de la France. Celle-ci dispose encore,
dira-t-il, d'un droit de veto au Conseil de Sécurité, ce qui est
censé la mettre a parité, mais toute formelle avec l'Amérique,
l'Angleterre, la Russie et la Chine. De plus, ajoutera-t-il, la
Gaule fabrique des armes de guerre vendables, ce qui lui a permis
de se "projeter" en Libye et au Mali. Mais il faudra cacher aux
Français endormis le caractère irréel de ces apanages tonitruants:
les Etats-Unis avaient bien vite pris le commandement effectif
de l'expédition en Libye, qui avait été fort illusoirement concertée
avec un Pentagone mal intentionné et de mauvaise foi. En vérité,
les clauses censées sauvegarder l'indépendance militaire de la
France ont été si peu respectées qu'il faut demander à nos dirigeants
de relire Machiavel et de se méfier des puissants. Quant au Mali,
l'armée américaine y a fourni l'essentiel de l'appui aérien. Mais
les vrais embarras diplomatiques de la France ont changé de barreau
sur l'échelle des déclins: cette nation se trouve désormais placée
dans un porte-à-faux périlleux entre les ambitions territoriales
plus immuables et intraitables que jamais d'Israël et l'émergence
prometteuse d'une opposition de plus en plus résolue des nations
à la domination américaine du globe terrestre.
C'est
avec une rapidité foudroyante que la France a vu sa vassalisation
aggravée par sa réduction, de surcroît, au rang d'une nation de
retardataires et d'abord en Syrie, où elle tente désespérément
de préserver de l'outrage les visées nationalistes du "grand Israël"
- il s'agit d'aider Tel Aviv à détourner le regard de la planète
entière du seul spectacle véritable, à savoir celui de la conquête
par les armes de la Palestine et de Jérusalem . Pour cela, il
est focal de diaboliser l'Iran et de mettre la Syrie hors jeu.
Mais l'Allemagne se refuse subitement à livrer des armes aux ennemis
de Damas, la Chambre des Communes s'y oppose non moins énergiquement,
l'Union européenne rappelle avec force que la Palestine est légitimée
à réclamer le rétablissement des frontières de 1967, M. Rohani,
successeur de M. Ahmadinejad, traite Israël de "pays misérable"
et le Congrès américain lui-même semblait s'être réveillé un instant,
mais il est aussitôt retombé entre les mains d'Israël et de l'American
Israël public Affaires Committee, comme l'avait démontré avec
un grand éclat le spectacle du 24 mai 2011: ce jour-là, cinquante
sept acclamations debout du discours de M. Netanyahou devant le
Congrès avaient souligné l'absence d'un M. Barack Obama piteusement
réduit à la fuite pour deux jours.
Dans ce contexte, la tâche que France Inter a confiée à M. Frédéric
Encel sera de servir au mieux et tout au cours de l'été les intérêts
de l'atlantisme radical israélien; et, pour cela, il lui faudra
tenter de porter aux nues le retour de la France dans l'OTAN,
mais au prix, hélas, et jour après jour, d'un éloge appuyé du
processus de vassalisation de la nation: Paris sera censé à la
fois se trouver encore au premier rang sur la scène internationale
et sa béatification serait en bonne voie à Washington.
Exercice
d'équilibre quelquefois périlleux: d'un côté, M. Frédéric Encel
se félicitera bruyamment des difficultés sociales et économiques
que rencontrent fatalement les Etats émergents sur le chemin de
leur ascension, ce qui sera censé couvrir de confusion les résistants
à l'hégémonie du maître, mais, de l'autre, il faut éviter d'humilier
et de désespérer avec un excès d'insistance la fierté bafouée
des peuples susceptibles de se livrer à quelques ultimes soubresauts.
Mais les exemples d'une sortie de la léthargie rappelés plus haut
témoignent de ce que les vrais décideurs ne s'en laissent plus
compter et que, non seulement, le pire n'est pas toujours sûr,
mais que la domination des médias marginalise d'ores et déjà les
apôtres de la vassalisation de l'Europe. On tient mieux la barre
si l'on laisse l'adversaire jeter de la poudre aux yeux et soulever
beaucoup de poussière pour rien.
Aussi la tâche de l'anthropologie critique sera-t-elle, dès la
fin du mois d'août, d'expliciter la portée géostratégique du tournant
pris le 3 juillet 2013, qui aura conduit plusieurs Etats d'Amérique
du Sud à rappeler leurs ambassadeurs accrédités à Paris et à porter
un coup réparable seulement sur le long terme à nos relations
étroites avec ce continent depuis près de deux siècles - la Bolivie
s'est libérée du joug espagnol en 1824, l'année de la mort de
Louis XVIII et elle a servi de modèle au mouvement révolutionnaire
qui a renversé Charles X en 1830.
Il
faut admirer le génie diplomatique de M. Poutine et de son Ministre
des affaires étrangères, M. Lavrov. Car si la Russie avait accordé
franchement et sans poser des conditions évidemment inacceptables
par l'intéressé l'asile politique à M. Snowden, non seulement
Moscou n'y aurait rien gagné, politiquement parlant, mais toutes
les nations déférentes de la terre se seraient donné le mot pour
s'exclamer que la culpabilité de M. Snowden se trouverait démontrée
du fait que seul un rival de l'empire américain sur la scène internationale
aurait osé assurer la protection de la brebis galeuse. Il valait
mieux changer le transit du fugitif à l'aérodrome de Moscou en
tribune internationale et prendre la planète entière à témoin
des pressions stupides que Washington allait exercer sur tous
les Etats pour rattraper un seul individu par ses basques. Certes,
les foudres de la damnation du pestiféré tomberaient sur un petit
pays de l'Amérique du Sud, mais celui-ci offrait peu de prises
aux représailles et la vengeance de Goliath sur un lanceur de
fronde peu coûteux à alimenter au besoin et réveillerait le personnage
le plus menacé d'oubli sur la terre, la conscience universelle.
Il
suffisait donc de donner au malheureux l'assurance qu'il ne serait
pas extradé et qu'il serait permis, de surcroît, à l'un de ses
représentants d'aller tirer la sonnette de toutes les ambassades
du globe terrestre présentes dans la capitale des tsars. Mais
alors, quel spectacle moliéresque que celui du Tartuffe démocratique,
quelle démonstration hallucinante et quasiment surnaturelle de
la vassalisation de l'Europe: on verrait les saints défenseurs
des droits de l'homme sur toute la mappemonde de la Liberté défiler
à la barre de l'histoire et y invoquer à la queue leu leu et la
main sur le cœur de saints prétextes de se dérober aux devoirs
attachés à leur catéchèse.
La
pièce s'est déroulée d'acte en acte comme il était prévu: sur
vingt-trois nations sollicitées, la Norvège, le Danemark, la Finlande,
la Tchékie, la Pologne, la Suisse, la Hollande, l'Irlande, l'Allemagne,
la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Autriche, l'Inde,
la Chine, le Brésil, Cuba, l'Argentine, ont levé les yeux au ciel
et le long cortège des pénitents qui faisaient les fier-à-bras
quarante-huit heures plus tôt avec les hosties de la démocratie
plein la bouche ont porté en terre la politologie idéaliste et
la pseudo science historique de la civilisation post-chrétienne
pour lui substituer le regard de l'anthropologie moderne sur le
cerveau bipolaire de l'animal rationale.
Le
triomphe diplomatique de la Russie ne lui a pas seulement permis
de dénoncer à la face du monde la dictature de Washington sur
tous les pays démocratiques de la planète, mais de sauver le malheureux
fugitif - car jamais l'ancien Président Carter, prix Nobel de
la paix, n'aurait pu dénoncer en termes virulents une politique
américaine ennemie des droits de l'homme s'il avait dû se présenter
lui-même sous les traits d'un allié de Moscou face à Washington.
Mais
on ne savait pas encore si le grotesque l'emporterait sur le burlesque
ou le guignolesque sur l'abracadabrantesque au spectacle d'une
Europe occupée depuis trois quarts de siècles par un demi millier
de garnisons américaines incrustées sur son territoire et qui
allait négocier "à égalité", pensait-elle, un accord de "libre
échange" avec le tandem omniprésent de Washington et du National
Security Agency. En
vérité, il était hallucinant que l'occupation militaire parût
moins attentatoire à la souveraineté de l'Europe que la manie
des services secrets d'écouter aux portes.
Cet automne, je détaillerai les fondements psychobiologiques de
l'impréparation philosophique et anthropologique de notre classe
politique, qui n'a pas reçu rue saint Guillaume l'instruction
prospective qui lui permettrait de prendre en connaissance de
cause ses responsabilités sur la scène internationale de demain.
Pour l'instant, l'éducation nationale forme une élite dirigeante
calquée sur le modèle de connaissance superficielle du genre humaine
que dispensait la Sorbonne au Moyen Age. On sait que cet enseignement
produisait à la chaîne des séraphins de la politique et de la
théologie étroitement emmêlés. Une République dont le rationalisme
primaire a pris deux siècles de retard sur la postérité scientifique
de Freud et de Darwin forme des anges de la Liberté, de la Justice
et de l'Egalité, parce que les idéalités de la Révolution sont
devenues les hosties verbifiques que le monde moderne consomme
sur les autels d'une eucharistie de type démocratique. C'est dire
que l'ivresse qui grisait la scolastique du Moyen Age a seulement
fait changer de pâte à la raison célestiforme des Janotus de Bragmardo
de Rabelais. Il
va falloir instruire la France de ce que l'histoire n'est pas
intelligible à l'école d'une anthropologie tellement pseudo scientifique
qu'elle ignore les rouages des mythes sacrés, les ressorts de
l'inconscient simiohumains et les vrais enjeux l'évolution de
la boîte osseuse des évadés de la zoologie.
La première anthropologie universelle s'était donné le fantastique
religieux pour levier. Seul le recours au fabuleux mythique permettait
à l'époque de s'illusionner au point de paraître résoudre les
énigmes impénétrables auxquelles se heurte une espèce stupéfaite
d'exister sur un globe terrestre incompréhensible et sous une
voûte étoilée plus mystérieuse encore. Les premiers sorciers impérieux
de la théologie ont forgé leurs songes sur l'enclume des dieux
de leur temps. Mais quand les cosmologies délirantes des premiers
grammairiens du silence et du vide se sont effondrées, la raison
a changé de calibre et s'est métamorphosée en une fourmi laborieuse
et celle-ci s'est aussitôt mise avec ardeur à l'école de ses trottinements.
Du coup, le ratatinement du champ de vision a remplacé les démences
théologiques par l'aveuglement propre aux fourmilières; et l'on
on vu une anthropologie rabougrie oublier que les questions sans
réponse sont le pain quotidien du mille pattes. Du moins fallait-il
tenter de donner à la raison la profondeur qui manque à
une théologie ambitieuse d'occuper une vaste étendue
et de jeter des mots dans le vide. Pour cela, il fallait se pencher
sur la minuscule cervelle de la bête et observer le microbe qui,
depuis son escapade hors du règne animal, se collette vainement
avec le néant.
Pourquoi l' anthropologie scolaire d'aujourd'hui tente-t-elle
de rendre compte de la condition humaine dans sa globalité, mais
après en avoir soigneusement retiré les principaux acteurs? Si
les protagonistes de la pièce sont priés de ne pas monter hardiment
sur les planches, quels rôles subalternes seront-ils autorisés
à jouer et comment enchaîneront-ils d'acte en acte un drame privé
d'avance de ses véritables personnages?
Pour
tenter de comprendre la paralysie mentale qui frappe une discipline
dispersée entre divers tricots subsidiaires, demandons-nous en
tout premier lieu sur quels comparses de l'histoire du monde le
rideau en sera réduit à se lever et quelles saynètes permettront
à des acteurs de second rang d'échanger quelques tirades retentissantes.
Mais des héros privés de chair, de sang, de glaive et de mémoire
peuvent-ils se doter d'un visage reconnaissable? Le moyen le plus
sûr de faire monter sur les planches un cortège de muets, d'aveugles
et de sourds et de les faire jouer devant une salle vide sera
de priver leur langage de tout contenu qui démentirait leur domesticité.
On observera, pour ne prendre que cet exemple, les structures
linguistiques banales et invertébrées d'une valetaille érudite.
Puis on chargera ce vain bavardage de nourrir les essences et
les quintessences affamées que charriera la sophistique démocratique
et qui permettront à la philosophie qualifiée d'universitaire
de remplir la hotte des sciences dites "humaines". Ce fardeau
vocal sera composé du devenir, de la transcendance, du pour-soi
sartrien, du potentiel, du virtuel, du structurel et d'autres
élévations sonores censées donner à une anthropologie euphorisante,
positivante et roborative un fardeau cognitif de type sorbonicole.
Comment
une discipline désespérément vocale et nuageuse ne couronnerait-elle
pas de l'auréole d'une pseudo science un cortège de spectres et
de fantômes verbaux? Les forges et les enclumes d'une anthropologie
cléricalisée par la démocratie verbifique sont connues: le creuset
de l'agrégation de philosophie ne permet pas de sélectionner des
scrutateurs sommitaux et des spéléologues abyssaux. On n'apprend
pas sur les bancs d'une école à se visser à l'œil les verres grossissants
de Platon et de Kant, mais seulement à faire entendre à des amphithéâtres
dociles les litanies d'un enseignement sacerdotalisée et hiérarchisé
par un système d'enseignement solipsiste que dénonçaient déjà,
entre autres, Descartes, Nietzsche ou Schopenhauer.
Voir:
Les
créateurs et les pédagogues,
- Platon - Descartes
- Kant - Nietzsche
- Schopenhauer - Kierkegaard
- Heidegger - Jaspers
Mais pour tenter de donner à une anthropologie scolarisée un regard
surplombant sur le tragique de la bête et sur ses rêves religieux
les plus déments, il faut savoir que la tâche est tellement immense
qu'elle réduit nécessairement les forces d'un seul homme à celles
d'un Pygmée. Du moins est-il nécessaire de ne pas emprunter en
aveugle des chemins apeurés et dont il est aisé de savoir qu'ils
feront accoucher la montagne d'une souris.
Ensuite, pourquoi raconter une histoire aveugle de la philosophie
au lieu d'écouter les vrais témoins du drame? Ce sera sous le
soleil du sang, de l'épouvante et de la mort qu'il faudra lire
Hérodote, Thucydide, Quinte-Curce, Tacite et Tite-Live - mais,
si possible, seulement dans leur langue. Certes, les historiens
sont trop entravés par la nécessité de raconter à tout le monde
les évènements au jour le jour pour qu'il leur soit permis de
prendre la hauteur qu'exige un sujet vertigineux. Ceux qui s'y
sont essayés, tels Montesquieu, Hippolyte Taine, Tocqueville et
même, ici ou là, un Mommsen ou un Gibbon ne sauraiet apprendre
à regarder du dehors et de loin une espèce ahanante sur le chemin
de son évasion manquée de la zoologie, et encore moins à peser
les termes mêmes de raison et de signification.
Mais Clio rassemble les matériaux décisifs, et les plus puissants
narrateurs se collettent avec des géants de l'ombre qu'ils ne
nous font voir que dans la langue de leur génie. Quand Tacite
écrit fulgebant absentia, il faut traduire: "Leur absence
lançait des éclairs", et non comme le rend gentiment André
Chénier par "ils brillaient par leur absence", parce que
les fulgura et les tonitrua étaient les apanages
de Jupiter. La vraie voix de Tacite fait vibrer le cosmos sous
le ciel de Néron.
Le
second chemin prometteur d'une escalade vers les grands absents
qui pilotent l'histoire en silence a été largement ouvert par
Sophocle, Shakespeare, Cervantès, Swift, Balzac, Rabelais. Parmi
ces Titans de la science politique, La Fontaine le bien nommé
va plus loin que Machiavel dans le décodage des subterfuges des
Etats, Molière plus loin que Lacan dans l'analyse du "moi idéal",
Rabelais plus loin que Freud dans la déconstruction littéraire
des mythes religieux.
Voir:
- Rabelais éducateur
du philosophe,
Institut collégial européen, 1974.
- Un aspect de
la théologie de Rabelais, le chapitre 38 du Gargantua, Rabelais
en son demi-millénaire, Actes du colloque international
de Tours, 24-29 septembre 1984, Librairie Droz, 1988.
Une anthropologie scientifique qui n'a pas de regardants - Husserl
les appelait les "grands commençants" - n'a pas de télescope du
mont Palomar, une anthropologie qui se voudrait philosophique
apprendra à des microbes un regard sur l'humanité éclairée par
les gigantesques lucarnes ouvertes par Cervantès, Swift ou Shakespeare.
J'ai
déjà rappelé que la Sorbonne du Moyen Age produisait à la chaîne
des séraphins de la théologie et de la politique étroitement emmêlés.
Deux siècles après 1789, la République s'est minusculisée en une
Sorbonne en charge de catéchiser la démocratie mondiale. Les nouveaux
sorbonagres de la Liberté demandent aux saintes idéalités d'une
république de sorbonicoles d'accoucher des séraphins d'une mythologie
de la Justice et de l'Egalité. Les hosties ont seulement changé
leur pâte, mais elles montent dans le même four que les précédentes
et l'ivresse planétaire que véhicule leur scolastique n'est pas
moins célestiforme que la théologie de l'angélologie. Le verbifique
sert de fondement à la scolastique ; mais la scolastique démocratisée
enfante une griserie évangélisante plus redoutable que celle de
saint Thomas d'Aquin, parce que plus mondialisée que celle de
la sophistique. Toutes deux introduisent dans le vocabulaire pseudo
savant d'une époque un formalisme artificiellement habillé en
une logique universelle.
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