Voici cette semaine en date du 13 juillet une nouvelle étude philosophique de Manuel de Diéguez, je n'en ai lu pour le moment que la présentation "le déshonneur politique un tribut religieux" extrait du chapitre 3, et la conclusion, en effet faute de temps ce matin, je me réserve de lire plus tard tous les chapitres très attentivement en passant de l'un à l'autre très lentement comme on passe progressivement d'un niveau à l'autre pour atteindre le sommet de la conclusion, dont je me réjouis qu'elle porte un message optimiste d'espérance.
Bien sûr je reviendrais plus tard pour vous livrer mes réflexions, mais pour le moment, je vous propose de lire, d'étudier, de réfléchir, si vous le souhaitez, sur tous les thèmes développés par Manuel de Diéguez dans son travail qui selon moi, a valeur d'enseignement et de développement de la pensée morale critique face à cet ordre mondial immoral qui prospère en réduisant les esprits, à la façon dont les indiens scalpaient leurs victimes après les avoir exploitées.
13 juillet
2013
(…)
Le
déshonneur politique, un tribut religieux
Comment
apprécier un ordre international dont l'immoralité conduit ses membres à
l'humiliation et au déshonneur de ne plus peser les coupables sur la balance de
la justice, mais seulement leurs courageux dénonciateurs? Les Romains appelaient
les malheureux de ce genre des coupables de crimen majestatis, donc
d'impertinents punissables pour avoir endommagé la façade de l'éthique que
Tibère ou Néron affichaient en public et de châtier le civisme.
On
voit combien Montesquieu se trompait de réserver à la monarchie le ressort moral
de l'honneur et à la démocratie celui de la vertu: une démocratie peut se
déshonorer, elle aussi, mais l'offense à la dignité d'un État de ce type n'est
plus un insulte à la noblesse de son sang, mais le résultat de la décérébration
soudaine de l'offensé,…La honte!
Le prix du sang et la vassalisation de l'Europe
1 - Des funérailles prometteuses
2- Analyse anthropologique de la vassalisation
3 - Le déshonneur politique, un tribut religieux
4 - Un exemple de rapetissement mental
5 - Le tribut de la mort
6 - Le sang du messianisme américain coule dans nos veines
7 - Le sang sacré de la démocratie
8 - Dieu dans la démocratie
9 - La théo-politique américaine
10 - Les Pizarre de la raison
L'expulsion de l'Europe de la scène du monde qu'on appelle l'histoire
semble inéluctable. Mais en sera-t-elle réduite à jouer sa scénette
sur les planches d'un mini théâtre? Pour l'apprendre, demandons-nous,
primo, quels seront le contenu politique et la portée philosophique
du déclin cérébral du Vieux Monde tout au long du lent engloutissement
intellectuel de l'ex civilisation de l'intelligence critique;
car, depuis la chute de l'empire roman, les décadences se sont
toujours accompagnées d'une longue agonie dans la débilité mentale
- mais celle-ci n'a jamais été ni observée, ni expliquée; et,
secundo, demandons-nous si la fatalité d'un trépas neuronal
charriera néanmoins des promesses encéphaliques inattendues, donc
des sources potentielles d'un rayonnement nouveau de la lucidité
politique.
C'est
espérer que de grands fécondateurs des déclins - on les appelle
des philosophes - partiront d'un bon pas à la chasse aux trésors
que seuls les désastres précieux cachent dans leurs flancs. Ces
éveilleurs commenceront par approfondir à vive allure le diagnostic
qu'appellent les catastrophes roboratives, afin de s'assurer,
avec l'énergie de la démonstration du théorème de Pythagore, que
l'éjection irréversible du Vieux Monde de la planète des armes
donnera un nouvel envol à la chouette de Minerve.
Rappelons que le verdict alarmant du corps médical est tombé depuis
longtemps. C'est pour toujours, dit l'Hippocrate des nations,
que l'Angleterre s'est résignée à s'asseoir sur le banc des satellites
réjouis de l'Amérique et qu'elle n'y occupe même plus un premier
rang qu'elle jugeait flatteur depuis 1945. La vassalisation conjointe
du Vieux Monde et d'Albion n'est plus à démontrer : soixante-dix
ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, cinq cents
bases militaires du vainqueur quadrillent le territoire d'une
Allemagne et d'une Italie asservies à jamais. Quant au quartier
général des forces d'occupation, il s'est lové à Mons en Belgique
depuis 1966, d'où il est devenu inexpugnable. Mais c'est dans
les têtes que l'empire américain trône au premier chef et défie
le rêve d'une éventuelle Renaissance. "Intus, intus, equus
trojanus." "A l'intérieur, à l'intérieur, le cheval de Troie!",
s'écrie Cicéron devant le Sénat - mais personne n'ajoute avec
lui: "Tant que je serai consul, vous ne serez pas attaqués
dans votre sommeil ", parce que nous dormons maintenant debout
et en plein jour.
Placé
sous sa livrée étoilée, le mythe de la Liberté se loge encore
dans les ors et la pompe de la République. La Maison Blanche a
pu retirer ses dorures à la bombe nucléaire dont la France revendiquait
les bienfaits et l'Allemagne a applaudi l'arrivée en grande pompe
du bouclier fantasmatique des Patriot. L'apostolat américain a
hissé une auréole sur la tête de ses vassaux comme
la France l'était hier de l'Eglise romaine:
l'Europe n'est plus que la fille aînée de l'Amérique.
Comment
les vaincus se mettent-ils des œillères et s'aveuglent-ils volontairement?
On a pu vérifier ce phénomène psychologique à l'occasion du mutisme
complet ou des demi-silences complices de la presse à la suite
d'une violation flagrante du droit international dont la France,
l'Italie, l'Espagne et le Portugal s'étaient rendues coupables
en commun et au même instant.
On
sait que le Pentagone avait intimé l'ordre à ces Etats d'interdire
leur espace aérien à l'avion du Président d'un pays souverain,
M. Evo Morales et l'a contraint, au mépris tant des traités que
des usages diplomatiques les mieux établis, d'atterrir en urgence
à Vienne où il a passé sur un lit de fortune plus de treize heures
d'attente nocturne. Il lui a fallu patienter jusqu'à la mi-journée
du lendemain, le mercredi 3 juillet, pour que l'Elysée se décidât
à autoriser le Président de la Bolivie à retourner dans son pays,
parce qu'à cinq mille kilomètres de là, les responsables du Pentagone
dormaient à poings fermés - l'heure de leur réveil n'avait pas
sonné et l'on n'osait prendre le risque de solliciter leur bon
vouloir.
Le motif d'une mascarade diplomatique contraire à l'art. 5 de
la Constitution de la Ve République du 4 octobre 1958, aux articles
411- 4, 5 et 6 du même monument législatif, à l'art. 226-15 du
code pénal et aux articles 1et 2 du code de la défense? On craignait
que M. Edward Snowden, dénonciateur du système de surveillance
du globe terrestre mis en place par les Etats-Unis, se trouvât
à bord de l'avion du Président bolivien, lequel aurait commis
le forfait, ignoré en droit international, de le prendre sous
son aile, si je puis ainsi m'exprimer, alors que Washington ordonnait
à tous ses sujets de capturer la brebis galeuse afin de la juger
et de la condamner à mort.
Comment apprécier un ordre international dont l'immoralité
conduit ses membres à l'humiliation et au déshonneur de ne plus
peser les coupables sur la balance de la justice, mais seulement
leurs courageux dénonciateurs? Les Romains appelaient les malheureux
de ce genre des coupables de crimen majestatis, donc d'impertinents
punissables pour avoir endommagé la façade de l'éthique que Tibère
ou Néron affichaient en public et de châtier le civisme.
On
voit combien Montesquieu se trompait de réserver à la monarchie
le ressort moral de l'honneur et à la démocratie celui de la vertu:
une démocratie peut se déshonorer, elle aussi, mais l'offense
à la dignité d'un Etat de ce type n'est plus un insulte à la noblesse
de son sang, mais le résultat de la décérébration soudaine de
l'offensé, parce que le pouvoir populaire manque des ressources
de l'aristocratie pour jeter son gant à la figure de l'offenseur.
On ne peut dire à tout un peuple: "Rodrigue, as-tu du cœur?" Du
coup, l'offensé tombe dans le ridicule désarmé et ce ridicule-là
est une forme d'abêtissement. On vide son cerveau afin de se cacher
à soi-même l'humiliation qu'on a subie, on se réfugie dans la
sottise afin de se cacher sa honte.
Mais il va beaucoup plus loin, le comique des peuples qui ont
perdu leur fierté et dont les gouvernants ont renoncé à relever
le gant, faute d'épée au côté: leur presse nationale se garde
bien, en l'espèce, d'avouer que le péché de blasphème, de sacrilège
et de profanation à l'égard de Washington répond aux règles classiques
de l'auto-culpabilisation religieuse. Sous le pieux aiguillon
de leur maître étranger, les croyants se sentent coupables de
désobéissance larvée. Ce protocole s'inscrit en filigrane dans
les clauses acceptées des peuples portant livrée. Comme il est
rappelé plus haut, on remarquera que l'Italie, l'Espagne et le
Portugal ayant reçu au même instant un ordre déshonorant, tous
trois l'ont exécuté au péril de la vie du Président Morales, dont
l'appareil se trouvait quasiment en panne de kérosène à quelques
kilomètres seulement du ciel français.
Ces circonstances permettent d'approfondir l'analyse anthropologique
de la politique et de la conduire jusqu'à une psychanalyse de
l'inconscient qui régit le sacré. Car le sacrifice est à la fois
une expression de la repentance du fidèle et le paiement du tribut
réparateur qu'il doit acquitter. La victime tuée sur l'autel paie
le prix du blasphème consubstantiel aux notions mêmes de croyance
et de péché: le dieu est courroucé, il s'agit de l'apaiser par
l'immolation d'un bouc émissaire. On voit comment les décadences
mettent les secrets des décérébrations nationales entre les mains
des chirurgiens de la théologie.
Comme
le Général de Gaulle l'avait prédit, les Etats asservis à l'OTAN
ne sont plus seulement des supplétifs muets, mais des otages de
leur foi dont la sujétion permet de conjoindre l'analyse politique
et celle de la fonction de bouc émissaire dans une anthropologie
commune à l'histoire et au sacré. On sait que le quartier général
des forces américaines stationnées à perpétuité en Europe campe
à Mons en Belgique depuis un demi-siècle et que les gouvernements
des nations de l'Europe asservie ne rappellent jamais à leur population
que leur pays se trouve placé, même en temps de paix, sous le
commandement direct et exclusif d'un César lointain. Du coup,
c'est à tout moment que l'Amérique peut sonner le tocsin et crier
à tous ses otages: "Branle-bas de combat, nous sommes attaqués
par les Martiens."
Pis que cela, les Etats-Unis brandissent maintenant le drapeau
du salut du monde au seul bénéfice de leurs calculs de politique
intérieure. On savait depuis des millénaires que le glaive du
vainqueur grave les jours et les nuits de sa victoire dans le
train quotidien de l'histoire du monde. On sait maintenant que
l'oubli de la loi du plus fort démontre le rapetissement de la
boîte osseuse des vaincus.
C'est pourquoi la France et l'Europe cachent soigneusement à leur
population le ratatinement accéléré du cubage cérébral des Etats.
L'Elysée, Rome, Madrid et Lisbonne ont commencé par nier les faits
ce qui, par une nouvelle erreur de jugement, exagérait le degré
de sottise présupposé des citoyens aux yeux de leurs gouvernants.
Puis
un second communiqué, non moins officiel que le premier a déclaré:
"La France s'excuse auprès du Président Morales du retard apporté
à la confirmation de l'autorisation de survoler son territoire",
ce qui signifie que cette autorisation avait bel et bien été accordée
le mardi matin au Président Morales, mais qu'elle avait soudainement
besoin, le lendemain, d'une confirmation inexplicable.
Puis
un troisième communiqué officiel, aussi irraisonné que les deux
précédents est tombé de la bouche même du Président Hollande:
"Nous avons eu des renseignements contradictoires concernant
l'identité des passagers. Mais sitôt que j'ai appris qu'il s'agissait
de l'avion du président Morales, j'ai immédiatement donné l'ordre
de lui accorder le droit de survoler notre territoire". Pourquoi
les passagers étaient-ils subitement devenus des suspects, pourquoi
fallait-il contrôler leur identité de force ou de leur plein gré
à la suite de l'atterrissage forcé de l'avion du Président bolivien
en Autriche?
Puis
un quatrième communiqué, plus burlesque encore que ses trois prédécesseurs,
a allégué qu'on avait cru, bien à tort, mais de bonne foi, à l'existence
de deux avions boliviens; hélas, le malheureux Président
était déjà en route pour Vienne à l'instant où l'on avait enfin
découvert que l'on s'était lourdement trompé. Mais la porte-parole
du Gouvernement, Madame Najat Vallaud-Belkacem, déclarera, avec
un retard d'une demi-journée et seulement à la sortie du Conseil
des ministres du lendemain, à 11h, que le gouvernement français
avait enfin levé l'embargo. Il est difficile de cacher
la poutre qu'on a dans l'œil.
Alors, il ne restait que le recours à la métaphore bien filée:
le gouvernement a expliqué sans rire que le prétendu retard "dans
la compréhension de la situation" à l'aide d'une image que
les spécialistes de l'inconscient de la politique n'oseraient
inventer, tellement le symbolique et le réel y scellent une terrible
alliance: "C'est comme lorsqu'un vêtement noué est passé à
la machine à laver, il faut ensuite un peu de temps pour le démêler."
Décidément le quai d'Orsay est à la recherche d'une machine à
laver plus performante que celle de la Ve République dans le rinçage
et l'essorage du linge de la France.
Les
proverbes latins sont crus et francs du collier. En voici un:
"Nous ouvrons de grands yeux sur les verrues d'autrui, alors
que nous sommes couverts d'ulcères."
Depuis
1945, sept décennies se sont écoulées. Pendant tout ce temps-là,
nous avons payé jour après jour le prix du sang que l'empire américain
est venu verser sur nos arpents. De génération en génération,
les tombes des guerriers étrangers enterrés sur nos terres nous
placeront sous le joug de la gratitude : le tribut que nous payons
au trépas de nos saints délivreurs sera aussi coûteux que celui
du Golgotha. Depuis que le principe d'une reconnaissance éperdue
à l'égard d'une divinité généreuse s'est enracinée dans le mythe
chrétien de la rédemption, la servitude est indéfectiblement attachée
à la piété et, du coup, la piété ne pouvait que se ficeler au
pardon politique. On est coupable d'une désobéissance à Dieu et
aux Etats les plus puissants. Des hectares hérissés de croix innocentes
gravent dans nos têtes le sceau des morts à rémunérer.
Elle
est dévote, donc inépuisable, la dette des vassaux de leur salut
à leurs saints convertisseurs. De plus, la religion enseigne que
la reconnaissance de type apostolique se grave dans le capital
psychogénétique des fidèles et que la coulée des siècles rend
héréditaire la dette originelle. Que va-t-il advenir d'un animal
crucifié par un créancier auquel son ciel sert de gibet éternel
sur lequel clouer sa victoire. Un supplice vieilli sur une potence
imputrescible nous rappelle que nous sommes des débiteurs condamnés
à plier à jamais l'échine sous le tranchant d'une gratitude en
acier trempé.
Les garnisons d'outre-Atlantique se sont implantées pour toujours
sur notre continent. Elles répondent au plus vieux modèle d'incrustation
d'un vainqueur immortel sur les terres d'un vaincu périssable.
La loi du glaive est devenue messianique, apostolique et bénédictionnelle.
Pourquoi l'espèce simiohumaine élève-t-elle ses tombes au rang
de balance à peser le sens de l' univers ? L'étranger enseveli
dans nos champs nous ordonne de brandir sur nos têtes le sceptre
d'un salut vassalisateur. Mais quelles sont les ascensions idéalement
universelles et tartuffiques qui rendent sotériologique, eschatologique
et apostolique le tribut du sang que nous payons sans relâche
à l'Amérique depuis 1945?
Si nous ne perçons pas le secret de l'humiliation politique d'une
Europe vassalisée par la foi démocratique et si nous n'éclairons
pas notre chute à la lumière du sang de l'histoire, jamais nous
ne disposerons d'un recul d'anthropologues à l'égard du tribut
à la mort que la raison de ce temps nous appelle à connaître.
Si nous demeurons inaptes à spectrographier la viande et l'hémoglobine
que nous déposons sur les autels du mythe de la Liberté, si nous
ne spectrographions pas les théologies du salut par la mort dont
notre histoire s'alimente, l'asservissement de l'Europe à la théocratie
américaine et à sa théo-politique, cet asservissement, dis-je,
deviendra irréversible sous le sceptre d'un " libérateur " et
d'un " rédempteur " auto-messianisés. Quels sont les secrets psychobiologiques
d'un animal englué dans son sang ? Pourquoi paie-t-il ses tributs
tour à tour à ses dieux et à ses vainqueurs sur les champs de
bataille? Il est temps de placer l'OTAN sous le projecteur des
Thucydide et des Tacite .
Pour la première fois dans l'histoire des nations et de leurs
sacrifices, la libération d'un continent ligoté aux religions
du sang payant et dont le christianisme n'a fait que prendre le
relais cette libération, dis-je, se trouve conditionnée par une
victoire proprement cérébrale sur des garrots mentaux diversement
rémunérés. Il nous faut donc préciser sur quels chemins d'un approfondissement
de la connaissance rationnelle des arcanes semi zoologiques du
cerveau simiohumain l'Occident se tirera du gouffre et par quelles
rechutes dans la cécité sacerdotale son encéphale régresserait
en deçà du XVIIIe siècle.
Jamais
encore une civilisation livrée pieds et poings liés à ses autels
les plus primitifs ne s'était tirée de l'abîme non point par quelque
forgerie d'armuriers de sa tête, mais par une mutation de ses
neurones qui seule lui permettra de décrypter l'identité cultuelle
d'une espèce qui, depuis le paléolithique, enfante ses effigies
transcendantales sur l'enclume de ses immolations. Qu'en est-il
de la voracité des sacrificateurs d'outre-Atlantique, qu'en est-il
de la chair et du sang que nous déposons sur les autels de l'Amérique?
En vérité, la question des relations semi animales que les dieux
d'autrefois et les trois dieux plus cérébralisés d'aujourd'hui
entretiennent avec un suffrage universel désormais auto-sanctifié
sur toute la planète par l'infaillibilité de type oraculaire dont
les majorités font bénéficier leur propre voix, cette question-là,
dis-je, s'impose d'emblée aux anthropologues de Dieu et des identités
mythiques du genre humain. Mais Platon ne précisait-il pas déjà
que les dieux exercent des prérogatives et des compétences hégémoniques,
mais que si les Athéniens ne sont pas habilités à monter au ciel
et à y régler les affaires de là-haut, de son côté, tout l'Olympe
réuni ne dispose en rien du pouvoir de descendre des nues et de
régler de ce pas celles des cités.
Dans
son traité De la nature des dieux, Cicéron reprend
à son compte ce vigoureux partage des responsabilités: dans Euthyphron,
le philosophe condamne expressément nos marchandages de guichetiers
de l'Olympe. Sitôt relégués dans leur grandeur séparée, les Immortels
n'ont que faire de nos profits de petits trafiquants, mais leur
rang doit demeurer préservé et il faut leur sauver la face en
leur déclarant qu'ils sont trop majestueux dans leur solitude
et trop intouchables pour qu'ils viennent quêter nos redevances.
Comment allons-nous rendre grâces au ciel d'outre-Atlantique et,
dans le même temps, lui refuser tout net de se mêler de nos affaires?
C'est dire que l'OTAN nous condamne à aiguiser le tranchant de
notre politologie et à l'enrichir des armes de combat et des leçons
d'une anthropologie du sacré, tellement nos relations dialectiques
et guerrières avec Washington doivent se libérer des mentalités
inconsciemment religieuses enfantées par le messianisme de la
Liberté.
Car
les idéalités de 1789 sont devenues les hosties du monde moderne.
A ce titre, elles se présentent en messagères du "salut" de l'humanité.
Mais si notre libérateur d'outre-Atlantique les plante au bout
des piques de l'empire américain et si ce sont nos têtes qui servent
d'emblèmes à la révolution universelle du Beau, du Juste et du
Bien, nous demandons de placer notre science des relations que
les hommes entretiennent avec les guichets de leurs Olympe sur
les plateaux de notre balance à nous.
Que nous dit le "discours de la méthode" auquel nous avons soumis
la raison socratique du monde? Qu'il nous a fallu attendre le
débarquement dans le christianisme de la monarchie abolie à Athènes
pour que nos aristocrates de droit divin conquissent le rang extraordinaire
de coadjuteurs omnipotents de Jupiter. Les Anciens n'ont jamais
mis sur pied une théologie doctrinale expressément appelée à sanctifier
les dynasies et à les fonder sur la consanguinité des rois avec
Jupiter. Les autels des Grecs et des Romains se sont rapidement
donné l'agora et le forum pour interlocuteurs de leurs cités.
Les patriciens ont bien vite assassiné Numa Pompilius, qui se
prétendait de nature divine; et ils se sont hâtés de le faire
descendre des nues en bénisseur trépassé et en prophète désormais
digne de foi de la grandeur future de Rome.
C'est dire que la théocratie des plénipotentiaires américains
met en scène une omnipotence et une omniscience des autels du
salut démocratique dont elle se veut la prophétesse exclusive
à l'échelle du monde entier. Du coup, nous nous demandons, en
anthropologues comment ce type d'Olympe exerce son autorité dans
le monde moderne. Mais pour cela, il nous faut observer que, depuis
Platon, la démocratie est une théologie amollie, parce qu'un Dieu-mollusque
est condamné à passer par le creuset d'un suffrage universel invertébré.
Comment le Dieu américain fera-t-il connaître ses volontés amorphes,
sinon à s'insinuer subrepticement et continûment dans les aléas
des majorités flottantes, afin de les éclairer de sa lanterne
vacillante?
Depuis
1789, le ciel des démocraties semi-religieuses se demande si la
conquête monothéiste et messianique du salut sous le sceptre rédempteur
de la Liberté populaire prendra appui sur un civisme cléricalisé
en sous-main par le culte des majorités auto-sacralisées ou si
les nations de haut rang deviendront rebelles à cette sotériologie
et si des oligarchies désarrimées de la sacralisation des urnes
prendront seuls la direction eschatologique des grands empires.
C'est dans la problématique d'une géopolitique demeurée finaliste
qu'il faut situer les tractations sanglantes de la théo-démocratie
américaine avec les autels d'une "Liberté" jugée salvifique et
poser la question des relations semi-animales du sang de l'histoire
avec les ciels de l'humanité. Car, aux Etats-Unis, il existe d'ores
et déjà une scission radicale entre les suffrages pilotés par
des considérations de politique intérieure d'une part, et d'autre
part, une classe politique de haut rang et toujours vigilante
sur les remparts de l'empire. Cette phalange-là voit clair comme
le jour que la faiblesse politique de l'Europe est congénitale
à la multiplicité de ses ethnies et que, de toute façon, l'incompatibilité
des tempéraments nationaux du Sud avec ceux du Nord voue inexorablement
à l'échec toute ambition planétaire du Vieux Monde. C'est cette
oligarchie sommitale d'outre-Atlantique qui exige des négociations
de libre-échange avec l'Europe, afin de consolider la domination
mondiale du dollar et de rendre sans danger, croit-elle, la frappe
de milliers de milliards d'une monnaie résolument fictive.
On
voit, à la lumière des décadences et de leurs désastres,
que seule une déperdition soudaine et dramatique des capacités
cérébrales des classes dirigeantes moyennes peut expliquer une
épidémie de cécité politique contagieuse, à savoir qu'une Europe
prise dans les mailles serrées d'un marché économique transatlantique
ultra règlementé tombera nécessairement dans l'incapacité physique
de jamais se constituer en puissance politique à l'échelle internationale.
Comment expliquer que la construction d'une "vaste zone de libre-échange"
signe fatalement l'arrêt de mort d'une civilisation de l'action
et que, tout subitement, personne ne semble le comprendre? Le
Général de Gaulle brandissait encore ce spectre comme l'aboutissement
logique de la conquête américaine du monde aux yeux de la classe
politique relativement alertée de son temps.
Si quatre décennies après sa mort, personne ne prend acte de cette
situation, c'est bel bien parce que ce spectacle a quitté les
rétines. Il s'agit de rendre compte de l'évanouissement de ce
spectacle sur l'écran autrefois géant de la lucidité la plus répandue.
Or, le phénomène du naufrage du regard de la raison la plus normale
n'est pas inédit dans l'histoire du cerveau de l'humanité. A partir
du IIIe siècle, l'Eglise est parvenue à faire croire à l'entendement
commun à toute la chrétienté qu'il fallait prendre au pied de
la lettre la parole de Jésus, qui avait montré un morceau de pain
en disant: "Ceci est mon corps"? Un grand juriste bâlois , Amerbach
adressait à Erasme une lettre terrorisée: le conseil municipal
de la ville lui demandait maintenant de comprendre la métaphore.
Dans les époques de crise, le cerveau collectif tombe dans l'
esprit magique des religions.
L'Europe a commencé de manger le pain de l'asservissement de sa
raison politique sur le même modèle d'amputée cérébrale
que l'Eglise - les négociations transatlantiques sont l'hostie
de la vassalisation eucharistique de type démocratique.
C'est
pourquoi aucun homme politique européen n'avouera crûment à la
population que nous sommes à la croisée des chemins : ou bien
l'Europe s'alliera avec la Russie, la Chine, l'Inde et l'Amérique
du Sud afin de tenter de retrouver un destin à l'échelle de la
planète, ou bien la vassalisation d'une Europe parcellisée ira
jusqu'à son terme. Tel est le contexte dans lequel se pose la
question du statut théologique de la démocratie mondiale. Un Dieu
des idéalités est-il capable de se colleter avec l'histoire réelle
du monde? Au XVIIe siècle, le Jupiter des chrétiens tenait encore
les rois de l'Europe bien en mains. Dans les démocraties livrées
à des majorités de plus en plus capricieuses, le ciel du mythe
de la Liberté en est réduit à s'infiltrer en catimini dans des
décomptes de voix anonymes, tellement le suffrage universel met
des bâtons dans les roues des évangélistes de la démocratie, tandis
que le cocher suprême de l'histoire universelle ne sait plus de
quel cheval il tient les rênes.
Vous
voyez à quel point une anthropologie critique ambitieuse de porter
le regard sommital de la raison méta-zoologique des modernes sur
la semi animalité de notre espèce se révèle nécessaire au décryptage
des vassalités politico-religieuses de notre temps: si l'Amérique
est évidemment une théo-démocratie du seul fait que toute religion
place nécessairement la divinité qu'elle adore au cœur de l'histoire
du monde, comment voulez-vous que des sciences humaines inaptes
à décoder les documents simiohumains centraux qu'on appelle des
théologies accèderaient à une connaissance rationnelle des identités
mythiques entre lesquelles les évadés de la zoologie partagent
leur encéphale?
Or,
il se trouve que toutes les cosmologies fantastiques placent le
sacrifice au cœur de leur vision onirique du monde; et tous les
sacrifices désignent nécessairement une victime et son immolateur,
un bénéficiaire et un payeur, un vainqueur et un vaincu. Si l'on
ne situe pas l'OTAN et ses piétés dans une problématique du fabuleux
sacrificiel, si l'on ignore que le moteur cérébral de l'Europe
est immolatoire depuis 1945, on passe au large de la seconde Renaissance.
Derrière la vassalisation messianisée d'une Europe guidée par
les idéalités para-religieuses de la démocratie, l'interdiction
d'accéder au ciel européen intimée à un chef d'Etat de l'Amérique
du Sud par les théologiens américains du Bien et du Mal, cette
interdiction vaticanesque prend toute sa signification anthropologique.
De quel ciel de l'Europe sommes-nous les otages et qui en tient-il
les rênes d'une main de fer?
Dans
le même temps, l'éventualité d'un sauvetage in extremis de l'
Europe de la pensée rationnelle donne tout son sens à la vaillance
civilisatrice des Pizarre de la raison politique. Ceux-là savent
que l'espèce simiohumaine est en cours de décérébralisation et
qu'elle n'est pas près d'aller de l'avant avec vaillance - jamais
elle ne se donnera spontanément le courage de défier en solitaire
le vide et le silence de l'éternité. Aussi les chefs de l'expédition
de ce vivant dans le néant ont-ils brûlé leurs vaisseaux de siècle
en siècle afin d'interdire le chemin du retour au troupeau épouvanté.
Si
la civilisation européenne faisait déguerpir l'occupant américain,
elle se sentirait d'abord privée des routes odorantes qui permettent
aux armées déconfites de paraître battre en retraite le plus dignement
du monde; et le Vieux Monde tremblerait de tous ses membres, tellement
il se croirait précipité dans le vide. Si vous spoliez un animal
des délires de son accoutumance à sa domestication parfumée, il
se croira précipité dans les ténèbres. La faiblesse d'esprit des
civilisations agonisantes va de pair avec les couardises bien
payées des élites du "salut démocratique". Il faut des électrochocs
à haute tension pour seulement alerter l'encéphale des endormis
dans leur Eden. Voyez leur ahurissement et leurs yeux écarquillés
d'apprendre que depuis 1945, l'Europe n'a jamais eu d'ennemis
à combattre et que seul le joug du messianisme théo-démocratique
des Etats-Unis l'a enchaîné à un maître et à un confesseur dispendieux.
Les
guerres de la pensée rationnelle rallument d'un millénaire à l'autre
les feux d'une intelligence critique toujours près de s'endormir
dans les effluves des autels, tellement les périls que court une
démocratie théologisée en sous-main par l'encens de ses idéalités
sont calqués sur l'épouvante biblique et sur les terreurs infernales.
C'est dire également qu'à l'heure où les Pizarre de l'Europe auront
calciné leurs vaisseaux afin que leurs carcasses ne traînent pas,
béantes, mais intactes sur les rivages, la guerre de la raison
ne fera que commencer dans un cosmos désert. Mais les conquistadors
du silence et du vide diront à l'Europe des courages ressuscités:
"Cesse de négocier le prix de tes cadavres sur l'autel de tes
sacrifices, tu as perdu le sceau de ton sang. A toi de rendre
ascensionnels les orphelins de leurs dieux, à toi d'enfanter de
nouveaux vainqueurs de la mort, à toi de rallumer le flambeau
éteint des blasphèmes qui s'éclaireront de tes feux."
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