Il est très intéressant de lire la conférence de presse du
Président François Hollande à Dubaï et
ses réponses aux questions qui lui ont été posées au sujet de l’intervention des forces armées françaises au Mali à la demande du Président du Mali, notamment, certains passages de ce discours qui ont été repris partiellement, relatés et
commentés par les médias et aussi des politiques chez nous,
dans leurs articles et déclarations à ce sujet, deviennent plus lisibles en lisant le discours complet, et chacun en tirera ses
propres réflexions et conclusions qui ne sont pas toujours celles des médias.
Source - Site Officiel Présidence de la République :
Conférence de presse du Président de la République à Dubaï
Publié le 15 Janvier 2013
Rubrique : International, développement et francophonie
LE PRESIDENT : « Mesdames, Messieurs. Ce déplacement, ici aux
Emirats, était prévu de longue date. J’en avais fait la promesse lors d’une
visite du Prince héritier à Paris. Je l’ai donc honorée avec les ministres qui
m’ont accompagné avec une large délégation de chefs d’entreprise
Ce voyage s’est effectué dans un contexte qui n’était pas
celui où j’avais pris la décision d’être là aujourd’hui. Ce contexte, vous le
connaissez. C’est la décision d’intervenir au Mali que nous avons prise,
vendredi, dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité et à la demande
du Président du Mali. Les autorités des Emirats m’ont apporté tout leur soutien
dans les opérations que nous conduisons et dans l’attente de la formation de la
force africaine qui doit prendre le relais. Cet appui des Emirats prendra
toutes les modalités qui seront utiles : aide humanitaire, aide matérielle,
aide financière et éventuellement aide militaire – nous en reparlerons plus
tard.
J’ai eu l’occasion de visiter la base qui est ici et qui
témoigne du partenariat exceptionnel que nous avons entre nos deux pays, mais
aussi de la capacité des forces françaises à pouvoir poursuivre plusieurs
grandes missions, dont l’une va être de nous accompagner aussi pour une
intervention au Mali. Puisqu’il est envisagé qu’un certain nombre de matériels
et notamment d’avions qui sont aux Emirats puissent venir sur le théâtre du
Mali tant que de besoin.
Pour le reste, ce voyage a été utile et fructueux. D’abord
parce que nous avons traité d’un grand sujet, celui sur lequel les Emirats sont
en pointe, c’est-à-dire les énergies renouvelables et plus largement les
énergies du futur. Je me suis exprimé lors de cette conférence qui je le
rappelle va durer une semaine et coïncider avec d’autres évènements autour du
même thème : préparer le monde à l’après-pétrole, mobiliser des ressources et
des forces pour l’efficacité énergétique et pour le développement des énergies
renouvelables. La transition énergétique que nous engageons en France est
parfaitement cohérente avec le discours que nous pouvons tenir dans les
enceintes internationales et la volonté qui est la nôtre d’accueillir la
Conférence pour le climat en 2015.
Ce déplacement a été aussi utile et fructueux puisque nous
avons pu évoquer un certain nombre de sujets, de partenariats économiques,
culturels et politiques.
Commençons par la politique. Entre les Emirats et la France,
il y a une large convergence de vues sur tous les dossiers de la région. Que ce
soit sur la Syrie, où nous voulons accélérer la transition politique et faire
en sorte que la coalition qui rassemble toute l’opposition puisse être l’autorité
légitime ; que ce soit sur l’Iran, où nous voulons que la négociation soit
reprise pour que l’Iran respecte les obligations en matière nucléaire ; et nous
avons aussi une très large identité de vues sur le dossier israélo-palestinien
avec le souci qui est le nôtre, après les élections en Israël, d’une reprise
des négociations. Sur le Mali et plus largement sur la question de la lutte
contre le terrorisme, nous avons là encore affirmé des principes qui seront
utiles dans cette région du monde comme dans d’autres.
Le partenariat économique concerne plusieurs domaines. J’ai
évoqué la Défense où il y a une partie qui relève de l’action économique,
notamment pour nos industries de défense. Tous les sujets ont été abordés. Je
demanderai au ministre de la Défense, dans un contexte sans doute différent de
celui d’aujourd’hui, de revenir aux Emirats pour que nous puissions aborder
tous ces sujets.
Sur l’énergie, la présence d’un grand nombre d’entreprises
françaises mobilisées d’ores et déjà sur la question nous laisse penser qu’une
coopération qui peut encore s’accentuer. Je rappelle ici la place de Total dont
la concession vient à expiration en 2014 et dont nous souhaitons qu’elle puisse
être encore amplifiée. Il y a les domaines également du transport, du tourisme
et, là encore, nous avons de grandes espérances.
D’ores et déjà, nous nous sommes mis d’accord pour créer un
Fonds commun franco-émirien qui puisse rassembler des financements et servir
des investissements en France, dans les Emirats, voire même pour un certain
nombre de projets qui nous seraient communs dans le monde. Nous allons définir
prochainement les modalités de constitution de ce Fonds. Je rappelle qu’il en
existe déjà dans notre pays avec la Chine ou avec la Qatar. Nous lui donnerons
une ampleur particulière avec les Emirats.
Nous avons aussi, sur la question de la ville durable, une
volonté de mobiliser toutes les entreprises françaises concernées et les
entreprises émiriennes pour faire un modèle de ville du futur où nous pourrions
utiliser toutes les technologies que nous avons développées en France ou aux
Emirats, c’est-à-dire ce qui peut lier l’habitat, la mobilité, l’isolation des
logements et également l’énergie.
Nous avons aussi, sur l’Espace, un certain nombre de projets
qui peuvent se réaliser rapidement et sur lesquels – là encore – nos
entreprises se sont investies.
Pour en terminer sur déplacement, je considère donc qu’il est
déjà à la hauteur des relations que nous avons su nouer mais qu’il peut aller
encore beaucoup plus loin dans ses résultats. J’ai donc invité les autorités
émiriennes à venir en France mais surtout à engager ce partenariat exceptionnel
qui est le nôtre et qui ne ressemble à aucun autre. J’en prendrai pour preuve
le projet du Louvre d’Abou-Dabi qui m’a été présenté et qui va aboutir à une
ouverture en 2015. Ce premier grand musée à Abou-Dabi préfigurera d’autres
installations, d’autres musées du monde qui témoignent de la place particulière
de la France dans cette région. J’ai aussi insisté sur la Sorbonne et sur les
grandes Universités qui sont accueillies ici à Abou-Dabi.
Ce partenariat exceptionnel, cette amitié exceptionnelle,
cette coopération exceptionnelle nous laissent de grandes perspectives pour les
prochaines années. Vous connaissez ma méthode : je ne parle pas de contrats.
Mais les entreprises qui nous suivent ont à aller chercher ces contrats et
faire en sorte qu’elles soient les plus compétitives, les plus acharnées pour
les conclure. Nous ne demandons aucun privilège, aucun avantage, au prétexte que
nous aurions ici des partenaires particuliers. Mais en même temps nous
souhaitons que nos entreprises prennent toute leur place, ce qu’elles font, et
en prennent même davantage. Je rappelle que les Emirats constituent notre 4ème
excédent commercial – nous n’en avons pas beaucoup, donc raison de plus pour
l’amplifier encore ! Le Fonds dont j’ai parlé entre la France et les Emirats
aura aussi pour vocation de lier nos deux économies pour qu’elles échangent et
investissent davantage.
Je suis prêt à répondre à vos questions ».
QUESTION : « Je voudrais connaître la mission précise des
troupes françaises engagées au Mali. S’agit-il de stopper les combattants que
vous avez qualifié vous-même de terroristes ou s’agit-il de les capture et de
les juger le cas échéant ? »
LE PRESIDENT : « Nous avons trois buts dans notre
intervention qui, je le rappelle, s’effectue dans le cadre de la légalité
internationale avec la demande expresse des autorités maliennes, avec le
soutien de tous les pays africains et avec l’appui de l’Europe. J’ajoute que le
Conseil de sécurité, hier soir, a de nouveau donné à la France et à l’opération
que nous avons engagée, le cadre dans lequel nous avons légitimité pour opérer.
Les buts sont donc les suivants : un, arrêter l’agression
terroriste qui consistait à vouloir y compris jusqu’à Bamako le contrôle du
pays. Le second but est de sécuriser Bamako où, je le rappelle, nous avons
plusieurs milliers de nos ressortissants. Troisième but, c’est de permettre au
Mali de recouvrer son intégrité territoriale. La mission en a été confiée à une
force africaine qui aura notre appui et qui sera prochainement sur le terrain
pour accomplir cette tâche.
Vous demandez ce que l’on va faire des terroristes si on les
retrouve. Les détruire, les faire prisonniers si c’est possible et faire en
sorte qu’ils ne puissent nuire à l’avenir. Nous sommes dans une opération qui
n’est pas simplement de défendre une ligne – laquelle d’ailleurs ? – il n’y a
pas de frontières à l’intérieur du Mali. Je vous l’ai dit, c’est d’arrêter
l’agression, de permettre à Bamako d’être sécurisé, de préserver les autorités
du Mali et nos ressortissants et enfin qu’il y ait cette force africaine qui va
mettre encore quelques jours avant de s’installer, même si une réunion des
Etats-majors africains a déjà eu lieu aujourd’hui. Cette force, appuyée par la
France, va répondre à ce qu’est d’ailleurs la résolution du Conseil de sécurité
pour le retour à l’intégrité du territoire malien ».
QUESTION : « Vous avez ce matin rencontré le Président
mauritanien lors d’un rendez-vous qui n’était pas prévu à votre agenda. On a
appris par votre entourage que vous avez eu au téléphone le roi du Maroc et le
Président BOUTEFLIKA. Quel rôle spécifique attendez-vous de ces pays du Maghreb
qui sont limitrophes au Mali ? Est-ce que vous leur demander de faire partie de
cette force africaine destinée à stabiliser le Mali ? »
LE PRESIDENT : « J’ai rencontré effectivement le Président de
la Mauritanie ce matin. Il a déjà pris une décision qui est de sécuriser et fermer
sa frontière avec le Mali dans l’hypothèse où des terroristes voudraient se
réfugier au cœur du territoire mauritanien. Ensuite, le Président de la
Mauritanie a dit sa disponibilité si un appel lui était adressé par le
Président du Mali, par le Président de la CEDEAO. A ce moment-là, la Mauritanie
aurait à prendre ses responsabilités.
Pour les autres pays dont vous avez parlé : le Président
BOUTEFLIKA – et je l’en ai remercié – a autorisé le survol de l’Algérie pour un
certain nombre de passages de nos avions et a également fermé sa frontière avec
le Mali pour empêcher justement que les terroristes puissent y trouver refuge.
Le Maroc nous a également autorisés à survoler son territoire. Ensuite ces pays
auront à savoir ce qu’ils ont à faire dans l’hypothèse où le conflit durerait
plus longtemps qu’il n’est prévu ».
QUESTION : « Est-ce que vous pouvez détailler le soutien des
Emiriens à la France ? Sous quelle forme se fera-t-il ? »
LE PRESIDENT : « Je l’ai dit. Il prendra plusieurs formes :
humanitaires - et je pense que cela sera nécessaire à travers les ONG ;
financières, il y aura une conférence des donateurs prochainement – et tous les
pays qui voudront participer non seulement au financement de la MISMA, la force
africaine, mais également au financement des aides aux réfugiés et à la
reconstruction du Mali – ces donateurs seront donc sollicités ; et enfin une
aide matérielle. Vous savez que beaucoup de pays nous ont prêté leur concours :
des avions de transport, des ravitailleurs, parfois davantage. Enfin les
Emirats auront à déterminer eux-mêmes ce qu’ils veulent faire pour nous
soutenir ».
QUESTION : « La France n’est-elle pas trop seule dans ce
conflit ? Vous dites qu’elle est en première ligne. Il y a des soutiens
internationaux – au moins verbalement. N’y a-t-il pas au niveau européen
quelques absences regrettables et des mobilisations un peu minimales – comme le
dit votre ministre Alain VIDALIES ? Vous avez dit que si nous retrouvions des
terroristes il fallait les détruire. Qu’avez-vous voulu dire précisément ? »
LE PRESIDENT : « Je reviens sur cette parole : si nous sommes
attaqués, nous nous défendons. Si nous voulons appuyer l’armée malienne pour
arrêter l’agression, nous sommes partie prenante. Si ces terroristes ne veulent
plus terroriser, ils n’ont qu’à abandonner leurs armes et à quitter le
territoire malien, parce que beaucoup sont extérieurs au Mali. Pour le reste,
si nous pouvons faire des prisonniers nous en feront et je sais que le Mali en
détient déjà quelques-uns. Cela pourra être utile.
Ensuite sur les européens : ils ont tous – je dis bien tous –
prodigué leur soutien et même leur aide matérielle. Je ne vais pas citer tous
les pays qui nous en ont fait la proposition. Le premier à le faire – et je le
salue – a été le Premier ministre britannique pour des avions de transport et
des avions ravitailleurs. D’autres ont suivi, y compris les pays qui ne sont
pas parmi les plus puissants d’Europe, comme le Danemark. D’autres se
proposent, comme la Belgique, pour des aides de formes différentes.
Sur le plan politique, tous les pays sont non seulement
solidaires mais convaincus que nous avons pris la bonne décision et que la
France a une responsabilité particulière parce qu’elle est la France. Non pas
parce qu’elle a des intérêts au Mali – nous n’en avons aucun – mais parce que
nous avons la capacité d’intervenir. Il se trouve que nous sommes une
puissance, que nous avons un outil de défense et que lorsque nous sommes
mandatés par la communauté internationale, appelés par un pays ami, soutenus
par les pays africains – et que nous avons vocation à leur laisser la place –
nous prenons notre responsabilité.
Si nous ne l’avions pas prise, vendredi matin, si je n’avais
pas décidé cette intervention, mais où en serait le Mali aujourd’hui, compte
tenu de ce que nous savons de l’armement des terroristes, du nombre de
véhicules dont ils disposent, de leur intention qui était d’aller chercher une
position y compris à Bamako et peut être même dans d’autres pays africains ?
Tous les pays ont donc reconnu que la France avait pris ses responsabilités.
Maintenant, nous n’avons pas vocation à rester.
Nous avons pris une décision, il y a longtemps, dans le cadre
des résolutions du Conseil de sécurité : favoriser la création d’une force
africaine et c’est toute l’Europe qui doit apporter son soutien à cette force
et c’est toute l’Afrique de l’Ouest et même au-delà – parce que la Mauritanie
et le Tchad ne sont pas dans la CEDEAO – qui doit également se mobiliser. Dès
que cette force africaine sera en situation de pouvoir faire la mission qui lui
a été confiée, nous n’aurons qu’à l’appuyer ».
QUESTION : « Que pouvez-vous nous dire sur le sort des otages
? N’avez-vous pas le sentiment d’avoir mis leur vie en danger en lançant la
France dans cette opération ? »
LE PRESIDENT : « Sur le sort des otages, vous me permettrez
de ne rien dire. Non pas que je n’y pense pas – j’y pense à chaque instant –
mais j’ai considéré – y compris pour leur libération – que l’intervention était
la seule solution. Nous ferons tout pour qu’ils puissent être libérés. Ceux qui
les ont capturés et détenus, doivent réfléchir. Il est encore temps de les
rendre à leur famille ».
QUESTION : Quelle a été la teneur de vos discussions
économiques aujourd’hui avec les dirigeants des Emirats ?
LE PRESIDENT : « Nous avons parlé de tous les sujets, avec le
Président de la Fédération – Cheikh Kalifa -, avec le Prince héritier et avec
le Premier ministre. De tous les sujets : des sujets de défense, des sujets
économiques, de l’investissement et de la constitution d’un Fonds. Nous avons
même avec Cheikh Mohamed fait – et les ministres ici étaient présents – une
rencontre avec les chefs d’entreprises des Emirats et les chefs d’entreprises
françaises. Nous n’avons donc écarté aucun domaine ni aucun sujet. Mais ce sont
les entreprises qui signent des contrats. Nous pouvons appuyer, soutenir,
éclairer – ce que nous avons fait – montrer l’enjeu, trouver des instruments
nouveaux. Par exemple ce Fonds que nous pourrions former entre les Emirats et
la France pour financer un certain nombre d’investissements innovants. Mais les
entreprises doivent aller chercher ensemble les formes de leurs partenariats ».
QUESTION : « Partagez-vous les inquiétudes et les peurs de la
région sur les pratiques de l’Iran? Le conseil de coopération du Golfe avait
critiqué ces pratiques. Mis à part le dossier nucléaire, pensez-vous que l’Iran
est une menace pour la région, sachant ce qu’ils font en Syrie ? »
LE PRESIDENT : « Notre préoccupation est le dossier nucléaire
et nous ne voulons pas mettre tous les sujets indifféremment et
indistinctement. La prolifération nucléaire est un danger majeur, pas seulement
pour cette région mais pour le monde. Vis-à-vis de l’Iran, c’est donc cet appel
que nous lançons et formons une nouvelle fois pour aller vers la négociation.
Sur le dossier syrien, il est vrai que l’Iran soutient Bassar
El ASSAD. Ce soutien a-t-il de l’avenir ? Je ne le crois pas. L’Iran doit
également réfléchir à ce que signifierait l’effondrement du régime de Bassar El
ASSAD ».
QUESTION : « Monsieur le Président, vous avez parlé d’un
partenariat économique avec les Emirats. Il y a un dossier récurent – évoqué ce
matin à Abou Dabi – celui des Rafales. L’Elysée affirme que le dossier est
toujours sur la table. Où en est-on exactement ? A-t-on une chance finalement
de vendre cet avion aux Emirats ? »
LE PRESIDENT : « Nous pensons que c’est un très bon avion. Je
n’ose pas dire que l’expérience l’a démontré, mais c’est pourtant le cas, aussi
bien en Lybie que sur le théâtre malien. Nous pensons que c’est une technologie
exceptionnelle et nous l’avons dit à nos amis émiriens. Ils ne le contestent
pas d’ailleurs. Après c’est une question de prix. Mais ce n’est pas le
Président de la République française qui fixe le prix des avions, cela obéit
donc à une logique de discussions et de négociations. C’est pourquoi j’ai
demandé au ministre de la Défense de revenir aux Emirats – il l’a déjà fait –
pour que l’ensemble des questions sur les matériels militaires puisse être
posé.
Mais vous savez les Emirats ont déjà fait beaucoup pour
acheter des équipements français. La base qui est ici depuis 2009 peut y
contribuer puisqu’il y a des opérations qui se font en commun. Nous ne
conditionnons donc rien à rien, mais c’est vrai qu’étant présents ici nous
avons vocation à avoir des matériels qui puissent être les plus cohérents entre
nos deux pays ».
QUESTION : « Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les
contours de ce Fonds commun ? Est-ce que cela serait une association entre la
Caisse des dépôts et les fonds souverain d’Abou Dabi et Dubaï ? Etes-vous prêt
à laisser monter les capitaux des Emirats dans les grands groupes français où
l’Etat est présent ? Concernant Areva, après l’échec d’un méga-contrat en 2009,
l’offre nucléaire française a-t-elle encore une chance d’aboutir dans cette
région ? »
LE PRESIDENT : « Tout d’abord sur le Fonds. L’idée en a été
arrêtée aujourd’hui et c’est déjà un point très important : les modalités vont
être définies. Je l’ai dit il y a déjà des exemples : entre la France et la
Chine, plus récemment entre la France et le Qatar. Mais nous pouvons trouver
d’autres modalités. Ce qui est intéressant pour nous, ce n’est pas simplement
de rassembler les capitaux et d’aller au capital d’entreprises françaises,
c’est de définir des domaines sur lesquels les Emirats et la France pourraient
avoir un intérêt et un avantage stratégique à investir. Nous en avons cité
quelques-uns : les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la ville
de demain… Tout ce que nous pourrions donc faire ensemble dans nos deux pays –
et pas simplement en France – voire même dans un certain nombre de régions du
monde, nous pourrions le faire à travers ce Fonds. J’ai donc demandé au
directeur général de la Caisse des dépôts - puisque normalement ces fonds sont
adossés à la Caisse des dépôts – de venir aux Emirats pour formaliser cette
proposition avec eux.
Concernant le nucléaire civil – parce que ce n’était pas
seulement Areva qui n’a pas réussi précédemment – nous y sommes revenus, bien
sûr, dans nos discussions. Nous ne pouvons pas dire que l’organisation
française avait été particulièrement brillante. C’est ce que j’ai retenu de
notre conversation avec le Prince héritier. Les Coréens ont été plus agressifs
sur ce dossier. Devons-nous en tirer des conclusions ? Oui. Il ne sera plus
possible – sur une question aussi importante que le nucléaire civil – d’aller
en ordre dispersé comme cela a été le cas sur ce contrat et nous mettrons donc
les entreprises – c’est déjà fait – en situation de gagner les contrats sur
lesquels nous nous présentons, sans donner l’image de la confusion ou de la
surenchère ».
QUESTION : « Combien de temps pourrait durer cette
intervention française – Michel Rocard ce matin évoque « une bagarre sur une
dizaine d’années » ? Craignez-vous par ailleurs des représailles sur le sol
français ou vis-à-vis des intérêts français dans le monde ? »
LE PRESIDENT : « Je vous l’ai dit nous avons pris une
décision majeure. Nous étions les seuls à pouvoir la prendre et j’ai pris ma
responsabilité. L’intervention – compte tenu de l’agression – ne pouvait être
décidée que par la France dans le cadre de la légalité internationale et à la
demande du Président malien. Mais dès lors qu’il y aura une force africaine
dans les prochains jours et les prochaines semaines, que cette force sera
encadrée et soutenue par la communauté internationale et par l’Europe, la
France n’a pas vocation à rester au Mali. Nous avons en revanche un objectif à
travers les buts que j’ai présentés : faire en sorte que lorsque nous partirons
et cesserons notre intervention, il y ait la sécurité au Mali, des autorités
légitimes, un processus électoral et qu’il n’y ait plus de terroristes qui
menacent l’intégrité du Mali. Mais ce sont les Africains qui vont y contribuer
et la France aura été l’élément déclenchant, décisif, mais pas l’élément
permanent ».
QUESTION : « Une petite question personnelle si vous me le
permettez : il y a un an on disait de vous que vous étiez incapable de
trancher, de décider ; vous étiez un capitaine de pédalo incapable d’affronter
la tempête. Un an plus tard, on vous dépeint en chef de guerre, on dit de vous
que vous n’avez pas la main qui tremble. Avez-vous l’impression que cette
épreuve vous change et change un peu votre façon de gouverner ? »
LE PRESIDENT : « Je vais vous faire une confidence : je suis
exactement le même. Il y a un an j’étais candidat aujourd’hui je suis
Président. Cela est un changement de responsabilités et de situation. Face à
une épreuve, j’ai fait en sorte que la France puisse être là où elle devait
être et je ne me suis pas posé d’autres questions : ni par rapport au moment,
ni par rapport à l’opinion, ni par rapport aux circonstances intérieures. La
seule question à laquelle j’ai répondu c’est « qu’est-ce que devait faire la
France dans cet instant ? ». Je pense qu’elle a été fidèle à son histoire, ses
traditions et ses principes, et surtout respectueuse de la légalité
internationale et utile à la Paix ».
QUESTION : « Monsieur le Président, que répondez-vous à ce
qui disent que justement, la France est et restera le gendarme de l’Afrique ? »
LE PRESIDENT : « Ce sont les Africains qui vont être leur
propre défenseur et protecteur. J’ai prononcé un discours à Dakar et je n’en
enlève aucune ligne, aucun mot. Ce sont les Africains qui doivent assurer leur
sécurité. Mais la France est leur amie. Elle ne peut venir que lorsqu’elle est
appelée et qu’elle intervient au nom de la communauté internationale dans le
cadre de la charte des Nations-Unies et en fonction de résolutions du Conseil
de sécurité. Elle ne peut intervenir que dans un moment exceptionnel, pour une
période exceptionnelle et pour un temps limité. C’est ce que nous ferons.
Vous savez, il n’y a aucun intérêt français, sauf nos
ressortissants au Mali. Cela n’a donc rien à voir avec je ne sais quelle autre
politique d’un autre temps, où nous défendions un régime – quel régime ? – où
nous défendions des entreprises qui pouvaient avoir des positions – quelles
entreprises ? Nous ne défendons qu’une cause, celle de l’intégrité du Mali et
nous n’avons qu’un adversaire, le terrorisme qui ne menace pas que le Mali mais
toute l’Afrique de l’Ouest et sans doute l’Europe.
Tout à l’heure une question m’a été posée s’il n’y avait pas
un risque pour la France. Il y a toujours des risques dès lors que l’on lutte
contre le terrorisme. Mais le pire des risques est de le laisser prospérer.
Voilà ce qui aurait été le plus grave ! Que le terrorisme puisse s’installer
dans un pays, disposer d’armes considérables, avoir de l’argent produit par le
trafic de drogue, le trafic des otages, le trafic des armes… Le plus grand
risque que nous pouvions donc courir, c’était de ne rien faire. Ce risque-là
nous ne l’avons pas pris. Merci ».
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