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25 juin 2015

Académie de Géopolitique de Paris - Colloque international "LE YEMEN EN GUERRE - La Sorbonne - 17 JUIN 2015 - ( reproduction du compte rendu et des interventions)

Éditorial de lucienne magalie pons

Nous venons de recevoir de la part de l'académie de Géopolitique de Paris le compte-rendu  général du Colloque international -Le  Yémen  en  Guerre -  qui s'est déroulé à la Sorbonne -le Mercredi 17 Juin 2015, sur le thème " LE YEMEN EN GUERRE "."Le Yemen en Guerre".

Que savions nous sur la Guerre au Yémen en arrivant à ce colloque ? .. peut de choses à vrai dire à part quelques informations  générales et banalisées, non approfondies,  diffusées par nos médias occidentaux  avec certaines réticences,  sur la situation politique ce pays notamment  sur  les circonstances assez floues  de la disparition ,  puis de la réapparition du président  de ce pays , dont la légitimé est contesté par certains, et puis à partir du   26 mars nous lisions et suivions la progression  de l’intervention et de  l’agression de  l’Arabie Saoudite  contre le Yémen en vue de rétablir le Président et les conséquences  de ces agressions qui ont fait de nombreuses victimes et destructions, mais sans que les médias aillent au fond des choses.


 Nous savions aussi,   d’après les informations   à « petite dose » des médias occidentaux ,   que cette intervention  de l’Arabie Saoudite   contre le Yemen, en déclenchant des frappes aériennes meurtrières sur le Yémen -,   sans l’autorisation d’aucune organisation internationale-,  dans ce  pays membre de l’ONU en proie  à des troubles très graves internes, pouvait porter   atteinte  à deux principes de droit international public , celui de la non-ingérence et  du  non recours à la force dans les relations internationales,  et qu’elle pouvait poser   des questions de   légitimité  parce  nous d’après le « flou » des   informations,  nous n’arrivions pas à comprendre  si l’Arabie Saoudite avait  pris seule cette décision d’intervenir , ou bien si c’était  à la demande du Président du Yémen,  dont la légitimité  des fonctions est en cause dans son pays, ou bien  encore  à la  demande secrète d’un État  étranger,  puissant sur la scène international,  qui  aurait peut-être incité dans cette entreprise  l’Arabie Saoudite avec laquelle il  est lié par des accords économiques.
 
C'est dans cet  état de sous information  navrante que notre directrice de rédaction est arrivée pour assister à ce colloque et qu'elle s'est montrée particulièrement attentive aux interventions qui ont été faites,  toutes  riches  d'enseignements,  en raison de la qualité et la diversité disciplinaires  des intervenants et qu'elle se  félicite aujourd'hui  d'avoir comblé - au moins dans son degré de compréhension -, son  désir d'information sur les origines et les causes historiques et actuelles de la guerre au Yemen.

En effet c'est un travail considérable de recherche, d'étude,  de réflexion et d'analyse,  que  les intervenantsacadémiciens, universitaires, militaires, journalistes , et chercheurs spécialisés ,  sont intervenus chacun dans sa discipline pour nous exposer   chacun  leur analyse  approfondie sur ce sujet au cours de plus de cinq heures d'interventions et de débats.

Dès à présent notre rédactrice de rédaction, remercie   Monsieur Ali RASTBEEN, président de l’Académie de Géopolitique de Paris  de l'avoir comptée au nombre de ses invités,  c'est un honneur qu'elle apprécie avec toute l'humilité d'une personne qui se trouve honorée d'être admise  à un colloque d'une grande qualité où l'on peut  non seulement s'informer mais aussi se cultiver en écoutant des intervenants qui maîtrisent  à fond leur sujet, sans esprit partisan avec le seul souci et la générosité de faire connaître et partager leur savoir.
  Voici ci - dessous à l'attention de lecteurs  le compte rendu de ce colloque  que nous avons copié/collé dès sa réception :
 
* copie du compte rendu de source "Académie de Géopolitique de Paris :

Académie de Géopolitique de Paris


La Sorbonne - Mercred 17 juin 2015

Présentation :


Le Yémen subit une guerre effroyable qui ne dit pas son nom. La majeure partie de l’Armée et de la population yéménites subit actuellement les effets dévastateurs de bombardements de grande ampleur et de toutes les retombées d’un embargo économique et stratégique. Le rationnement en nourriture, médicaments et biens de première nécessité est une réalité quotidienne pour les civils des grandes villes et des villages du pays. Contre une espèce de censure autour de ces faits d’une extrême gravité ayant provoqué de très nombreuses victimes, l'AGP reste fidèle à sa vocation d’animer librement des débats aux thématiques actuelles inédites et originales. Les travaux des meilleurs spécialistes sur l’opération en cours de déstabilisation du Yémen dans le cadre d’une stratégie régionale de grande ampleur, ont été sollicités. De même, la question du statut et de la légitimité de l’intervention saoudienne et occidentale a pris toute sa place ainsi que les nombreuses analyses géopolitiques sur l’implication réelle de nombreux acteurs internationaux. Les caractéristiques particulières de cette agression, laquelle a vu se constituer une coalition des pétromonarchies, ont été soulignées tout comme l’aspect technique du recours manifeste à des armes de haute technologie particulièrement destructrices. Comme à son habitude, l'AGP a fait le choix d’une approche pluridisciplinaire et a bénéficié de l’expertise d’analystes en pointe sur ce dossier sensible. Il a été nécessaire de se pencher sur la déclinaison des forces en présence, Etats commanditaires, fondations de financement et groupes terroristes, tel qu’Al Qaïda, ce qu'ont couvert également les analyses pertinentes des nombreux spécialistes, universitaires, personnalités, militaires, diplomates, journalistes, etc. qui ont participé à ce colloque. 


Monsieur Ali RASTBEEN, président de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP), et afin d’introduction s’est adressé  à la salle. 


Depuis le mois de mars de cette année, le Yémen est transformé, en théâtre de combats sanglants qui ont déjà causé de nombreuses victimes. Une guerre destructrice illicite est menée par l'Arabie saoudite et ses alliés occidentaux et arabes contre son pays voisin, certes pauvre, mais important d’un point de vue géopolitique, ce qui justifie à leurs yeux de porter atteinte à son intégrité territoriale, d’y bafouer les principes élémentaires des droits de l’homme et de donner une occasion en or à la prolifération du terrorisme au sein de ce pays meurtri et même dans toute la région.
En fait parmi les pays de la Péninsule Arabique, le Yémen se distingue par plusieurs aspects importants. Tout d’abord il occupe une position géographique stratégique, au carrefour de trois continents : L’Asie, L’Afrique et L’Europe. Or les indicateurs de développement sont préoccupants et le Yémen serait parmi les pays les plus pauvres du monde tout en étant le deuxième pays arabe le plus peuplé de la péninsule.
Toutefois le Yémen maintient par son attitude politique, l’unique démocratie de la péninsule, permettant notamment aux femmes de voter depuis 1970, droit alors inexistant dans les pays du Golfe.
Hélas plus tard dans l’année 1990, le Yémen s’oppose à l’intervention militaire occidentale dans le Golfe, et soutient officiellement Saddam Hussain : les conséquences socio-économiques sont désastreuses pour ce petit pays déjà pauvre : quelques 900.000 Yéménites installés dans divers pays du Golfe sont refoulés sur leurs terres d’origine. L’équilibre politique fragile est maintenant brisé, facilement exploitable de l’extérieur. Il s’en suivit la guerre civile de 1994.
Avec Al-Qaïda installé fermement dès les années 2000 au Yémen en y faisant sa base arrière  centrale pour toute la péninsule, depuis l’année 2001 ce pays fait aussi l’objet d’une attention particulière de la part des Etats-Unis et de leurs alliés, notamment du fait des attentats du 11 septembre 2001.
Ces éléments confondus par les convoitises de l’Arabie Saoudite et de leurs alliés ont fourni les acteurs de la révolution yéménite de 2011. Dont les buts étaient :
-                     la chute du régime oligarchique oppressif d’une famille unique,
-                     la construction d’un état civil démocratique 
-                     adapter l’enseignement national aux besoins et aspirations du peuple
-                     une structure économique nationale n’écartant aucun citoyen
-                     une armée nationale moderne qui serve la nation
-                     et garantir l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
L’attaque militaire récente par l’Arabie saoudite contre le Yémen suit celles  perpétrées en 2009 et 2010 et qui ont fait 1.600.000 victimes, et abouti au retrait des troupes saoudiennes..
Cette guerre est devenue un cas de figure à part, aucun principe ni valeur militaire international n’y trouve son compte. 
Si l'on examine la situation qui prévalait, au Yémen, entre janvier et mars 2015, on observe que le mandat du Président Mansour Hadi s'est achevé en février. Or, celui-ci démissionna de son poste en janvier, avant de se réfugier à l’extérieur du pays : ce serait alors un président contesté, démissionnaire et en exil qui aurait demandé une intervention militaire étrangère … non pas à l’Organisation des nations unies dont le Yémen est membre, mais à l’Arabie saoudite, pays répressif, en matière de droits de l’homme et qui  n’expose à ce jour aucun plan de paix clair pouvant prendre le relais d’une intervention militaire.
 De fait, beaucoup d'incohérences sont relevées, dans la manière de laquelle le cas du Yémen a été traité, singulièrement, par le Conseil de sécurité de l'ONU, qui semble donner quitus à ceux qui veulent remodeler [par la force] le Moyen-Orient.
Alors, avant d’analyser ce qui se cache vraiment derrière cette guerre illégale au Yémen, qui ne promet que d'autres bouleversements  pour le monde arabe, il paraît clair, que le dialogue inter-yéménite est le seul moyen de sortir de la crise et de rétablir la paix et la stabilité: la formation d'un gouvernement d'unité nationale est nécessaire pour représenter le Yémen par-devant les instances internationales et sans aucune ingérence étrangère.
Alors dans tout ce chaos, il convient de se demander où sont les instances international qui veillent à la justice,  à la liberté et  à la paix, éléments indispensable  à la dignité humaine, au sein de toutes les nations ?
________________________/

Premier Panel 

Modérateur : Ali Rastbeen, président de l'AGP

Monsieur le président de l’AGP a alors modéré la Première Table Ronde, le premier intervenant étant le Général Henri PARIS, président de Démocraties, qui a prononcé un discours sur DAESH, Yémen et Moyen-Orient  :



Au début des années 2010, le monde arabe fut secoué par une série de troubles dont l’épicentre se situait en Tunisie. De proche en proche, l’agitation gagna tous les pays arabes.
L’agitation a gagné, entre autres, le Yémen où elle se doublait d’une guerre civile intertribale depuis une trentaine d’années. Et comme il se doit, à cette guerre civile se mêlait une intervention étrangère, tant des Américains que des Saoudiens prenant la tête du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Cette intervention armée revêtait l’aspect d’une première innovation car si les Saoudiens étaient déjà intervenus militairement, c’était bien la première fois, qu’entraînant le CCG en tant que tel, ils se lançaient dans une lutte armée massive, après leur intervention au Bahrein qui, de fait, n’était qu’une opération minime de maintien de l’ordre, un ordre troublé par une minorité chiite se drapant des couleurs de la démocratie.
Le Yémen unifié offre une surface sensiblement égale à celle de la France continentale. Il est peuplé de 26 millions d’habitants en 2012, égaux pour moitié entre sunnites chafistes et chiites zaydites. L’immense majorité du pays est désertique. Cependant, les ressources pétrolières sont prometteuses, découvertes datant des années 1980 et attirant bien des convoitises. L’instabilité politique et économique chronique du pays le conduit à être en guerre civile permanente. Aucune solution n’apparaît. Le président Al-Saleh, pourtant zaïdiste, est détrôné à son tour, au profit d’Al-Rabbo Mansour Hadi, zaïdiste lui aussi, au pouvoir donc en juin 2015, mais pour combien de temps ?
Les salafistes et les wahhabites sont venus ajouter à la confusion par leurs interventions armées. APQA est venu insérer une dose de confusion supplémentaire. Les houtis, du nom de leur premier dirigeant, s’appuient sur les tribus chiites du sud de l’Arabie saoudite et n’ont pas hésité à porter la guerre sur le territoire saoudien. De fait, le pays est le théâtre d’une guerre par procuration entre Saoudiens et Iraniens. Chacun des camps soutient matériellement les siens, notamment par des envois d’armement. Les Américains, en soutien des Saoudiens et en opposition aux Iraniens, ne sont pas en reste.
Cette région du globe offre essentiellement l’intérêt, par la base et le port d’Aden, de commander le détroit de Bab el Mandeb, avec Djibouti, c’est-à-dire les débouchés de la mer Rouge.
Le Conseil de coopération du Golfe (CCG) regroupe 6 pétromonarchies de la péninsule arabique : l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït, les Emirats arabes unis (EAU) Barheïn et le Qatar. Cela représente 49 millions d’habitants en 2015, et beaucoup de pétrodollars.
Le Yémen, trop instable et imprévisible, demeure écarté du CCG qui très exactement cherche à promouvoir et contrôler la stabilité régionale. En revanche, une intervention militaire au Yémen entrait parfaitement dans le cadre politique du CCG. 
Le 2 juin 2015, la coalition des 22 Etats réunis contre Daech tient ses assises à Paris et met à nu les contradictions qui surgissent à la suite de la défaite irakienne à Ramadi. Les Américains sont les plus réticents, par ailleurs, en accord avec les Français et les autres membres de la coalition, ils se refusent à envoyer des troupes au sol. Ils se contentent de bombarder à outrance les positions de Daech
L’imbroglio provoqué par Daech n’est pas à la veille d’être levé, surtout au Yémen, si tout n’est pas fait pour sauver ce petit pays d’importance géopolitique mondiale reconnue.

***


Ensuite, monsieur Alain CORVEZ, conseiller en stratégie internationale, a présenté son étude sur Le Yémen. Erreur stratégique de l'Arabie saoudite et faute contre le berceau de l'arabisme



Le 26 mars dernier, en déclenchant des frappes aériennes meurtrières sur le Yémen, sans l’autorisation d’aucune organisation internationale et même, selon toute vraisemblance, sans en référer à son grand allié d’outre-atlantique, l’Arabie Saoudite a entamé une agression contre un pays membre de l’ONU qui n’a  déclenché aucune dénonciation du viol du droit international dans le camp atlantique, alors que la Russie et la Chine ont attiré l’attention du Secrétaire Général de l’ONU sur les dangers et les drames que ces frappes aériennes décidées unilatéralement  provoquaient.
Les Etats-Unis, mis devant le fait accompli, ont dû rapidement réagir en soutenant leur allié mais le général Lloyd Austin, chef du commandement central à Washington, reconnaissait fin mars qu’il ne connaissait pas les buts de guerre ni les cibles à atteindre. Depuis le soutien américain se limite à du renseignement, faisant contre mauvaise fortune, bon cœur, pour ne pas perdre la face. Il est clair qu’au moment où ils sont prêts de signer un accord avec l’Iran, ils veulent, là encore, assurer leurs alliés du Golfe, et sans doute aussi Israël, qu’ils ne les abandonnent pas.
Mais tous les experts stratégiques savent que ces frappes qui détruisent l’infrastructure d’un pays pauvre, tuant des civils innocents , privant les populations des moyens élémentaires de vivre, notamment de l’eau en détruisant des barrages, ne mèneront à rien et qu’elles ne font que faciliter la tâche d’Al Qaïda qui avait été chassé de nombreuses positions par les rebelles. La guerre que voudrait faire l’Arabie, avec le soutien de ses alliés du GCC, pour remettre au pouvoir son protégé qu’elle accueille chez elle, Abed Rabo mansour Hadi, ne peut être gagnée que sur terre, ce qu’elle est incapable de faire. D’autant plus que des révoltes à l’intérieur de ses frontières la menacent  désormais.
Les rebelles Houthis alliés de l’ancienne armée du Président Saleh, qui avait accepté de se retirer du pouvoir, dans la foulée des révoltes arabes initiées en 2011, avec  un compromis politique, ont montré qu’ils savaient faire la guerre et possédaient des chefs aux connaissances stratégiques sans commune mesure avec leurs opposants. Les bombardements des provinces frontalières au sud de l’Arabie, d’ailleurs historiquement contestées, qu’ils ont déclenchés en représailles aux frappes aériennes sont efficaces et les seules frappes aériennes n’en viendront pas à bout.
L’Arabie veut voir dans les Houthis des chiites d’Iran, ce qui est totalement faux, mais elle reprend ainsi le discours de Netanyahou à Washington, pour caricaturer son action comme une défense des sunnites de la péninsule contre les ambitions iraniennes, alors que ce conflit n’a rien à voir avec une rivalité religieuse.

Les négociations engagées à Genève ont peu de chances d’aboutir à un accord tant que l’Arabie restera sur sa position pourtant intenable longtemps, surtout si la situation sur le terrain se détériore et si les Etats-Unis devaient les ramener à la raison. Elle ne peut pas gagner cette guerre qui résulte des rivalités internes à la famille royale et ne s’en sortira qu’humiliée mais après avoir commis des crimes contre un pays qu’elle a agressé parce qu’elle se sent acculée du fait de la distance prise par son grand allié depuis 1945. A partir du 30 juin, si l’accord nucléaire avec l’Iran est signé, les forces en présence ne seront plus les mêmes au Moyen-Orient.


 ***
Monsieur Ugo FERACCI, Saint-Cyrien et spécialiste dans la Défense Nucléaire biologique et chimique au sein de l’Armée de Terre, a alors exposé son appréciation de La Guerre au Yémen, quelles en sont les véritables causes ?
Un grand nombre d’informations relayées par les médias sont depuis quelques mois disponibles sur le Yémen. Le Yémen, qui n’avait fait parler de lui qu’épisodiquement ces dernières années - souvent à l’évocation d’Oussama ben Laden - est plus que jamais en 2015 au centre des attentions. En effet, une guerre se déroule sur le sol Yéménite et ses implications sont pour le moins complexes et inquiétantes. Quelles sont les véritables causes de cette guerre ? C’est à cette question qu’il semble primordial de pouvoir répondre.
S’il s’avère possible de déterminer avec précision et subtilité les causes de ce conflit, alors, anticiper ses conséquences sur la région et sur les relations internationales sera peut-être un peu moins hasardeux.
L’objet de cet exposé est donc de tenter de réduire l’incertitude et le brouillard dérobant à nos yeux l’avenir à court et moyen terme du Yémen. Premièrement, une analyse de l’espace, tant physique que civilisationnel, sera l’occasion de présenter les disparités Nord/Sud du Yémen. Dans un deuxième temps, le chemin vers l’islamisation du Yémen qui n’interviendra qu’au IXème siècle, est un pan de l’histoire complexe et structurant qu’il s’agira d’aborder.
On découvrira alors les relations particulières entretenues avec la Perse, ou bien encore les turbulences économiques traversées par un pays riche. Le chiisme fait l’objet d’un troisième développement afin de couvrir la période allant de 897 à 1839. Durant cette partie, c’est l’évolution du Yémen chiite qui doit retenir l’attention : ses dynamiques et les obstacles à son expansion. Enfin, une partie dialectique opposant la théorie dichotomique –que celle-ci soit une partition Nord/Sud ou bien une partition Sunnisme/Chiisme – et la théorie tribale ou identitaire mettant en jeu plusieurs acteurs fait office de conclusion et ouvre un débat.
Il est alors bienvenu de tenter de répondre aux questions suivantes :
-          L’Iran est-il véritablement la clé du conflit ?
-          Quelle place pour l’Etat Islamique dans la guerre au Yémen ?
-          Quelle stratégie l’Arabie Saoudite devrait-elle adopter vis-à-vis du Yémen ?
-          Le pétrole joue-t-il un rôle important dans la crise au Yémen ?
-          Quelle attitude pourrait adopter la communauté internationale ?
-          Quelle attitude devrait-elle adopter ? 
-          Enfin, cette guerre est-elle au cœur de la problématique orientale du 21ème siècle ou bien n’est-elle qu’un de ses épiphénomènes, un de ses dommages collatéraux ?


 ***
Le quatrième orateur, monsieur Youssef HINDI, écrivain politique, a alors voulu rapporter ses connaissances sur Le Yémen, théâtre d'opposition des puissances régionales



Comprendre la situation au Yémen et anticiper les conséquences de son évolution nécessite de faire un zoom arrière sur l’ensemble du Proche-Orient ; de la même façon, la confrontation des puissances régionales au Yémen, si l’on y est attentif, offre une clé de compréhension quant à l’avenir  de cette Région.
Sous un certain angle, le conflit en cours au Yémen nous en dit plus sur la situation géopolitique régionale que sur celle du Yémen même. La crise actuelle au Yémen étant la miniaturisation de l’échiquier géopolitique local impliquant d’un côté l’Arabie Saoudite – avec Israël et les États-Unis en arrière-plan – et de l’autre, l’Iran et ses alliés, ainsi que la Russie en arrière-plan.
La principale motivation de l’agression de la coalition “otanesque” arabe menée par l’Arabie Saoudite est la suivante : ramener le Yémen dans le giron atlantiste et sioniste, de la même manière que les saoudiens l’avaient fait – avec entre autres le Qatar – au Bahreïn, en écrasant la révolte de 2011 qui menaçait le régime, dont le renversement était vu d’un mauvais œil par les États-Unis qui possèdent une base militaire sur l’île.  
L’action de la coalition arabe est conforme aux intérêts géo-énergétiques américains dans la région. Par ailleurs, du point du vu saoudien, il est vital d’empêcher que la révolution yéménite n’aboutisse totalement. Ceci aurait un effet de contagion dans le royaume saoudite, qui menace déjà d’imploser, non seulement en raison des luttes de pouvoir au sein de la famille régnante, mais aussi par la nature profondément tribale de l’Arabie qui  menace de ressurgir.
La révolution yéménite représente un danger pour la famille des Saoud, qui redeviendrait ce qu’elle fut avant d’avoir conquis l’Arabie : une tribu parmi d’autres. Nous pouvons ainsi, d’ores et déjà, anticiper l’éclatement en sous-régions tribales de l’Arabie.
Les deux principales puissances qui s’affrontent au Yémen sont l’Arabie Saoudite et l’Iran qui soutiennent activement ansarullah. Leur confrontation au Yémen entre dans le cadre de l’échiquier moyen-oriental, en particulier en Syrie, où Assad, l’allié de l’Iran (et de la Russie), aidé par le Hezbollah, est au prise avec Daech, que l’Iran combat directement en Irak. Si l’Arabie Saoudite perd le contrôle de Daech, l’on ne doit pas cependant surestimer l’autonomie de cet état dit islamique que les États-Unis et le gouvernement de Maliki, Premier ministre irakien jusqu’en 2014, ont laissé se constituer par le retrait volontaire de l’armée irakienne. 
Les saoudiens ont certes avancé un pion au Yémen, mais en abaissant leur garde. Une occasion pour l’Iran qui, par le bras d’ansarullah, pourrait leur infliger un échec cuisant, qui redessinerait la carte de l’Arabie et par suite redéfinirait les rapports de forces dans tout le Proche-Orient.  

*** 
Le dernier conférencier de cette Première Table Ronde fut Jean Michel VERNOCHET, journaliste, écrivain et politologue de pointe, qui nous a enrichis de son appréciation particulière sur Le silence des occidentaux face aux hostilités de l'Arabie Saoudite et d'Al-Qaïda contre le Yémen 



Comme le dit si bien le texte introductif de ce colloque « le Yémen subit une guerre effroyable qui ne dit pas son nom » ! Guerre d’autant plus effroyable ces événements sont l’objet dans la presse internationale, comme de la part des chancelleries occidentales, d’une « censure d’une extrême gravité ». En conséquence de quoi c’est toujours avec une sorte d’émerveillement que l’on relèvera - dans le contexte des guerres du Proche-Orient - les différences de traitement de l’information selon les cas.
Ainsi avons-nous été tous témoin de l’émoi qui s’est emparée des médias lorsque les troupes de Daech se sont approchées, puis emparées, des élégantes ruines de Palmyre. Ou lorsqu’il s’est agi d’Hatra, au sud de Mossoul, ou du monastère de Mar Benam à proximité de Karakosh au nord de Mossoul (Mar Benam contenait l’une des plus exceptionnelles bibliothèques syriaques), détruit à la mi-mars par l’État islamique [The Indépendant, 21mars15] … ou encore du sanctuaire arménien de Deir Ez-Zor dépositaire des archives de l’holocauste de 1915, mémorial annihilé un mois plus tard, en avril, dans l’indifférence la plus absolue.
Il faut d’ailleurs bien chercher sur Google pour trouver trace de ces exactions principalement révélées par le discret truchement des réseaux sociaux. Il est assuré que ces informations n’ont évidemment fait qu’effleurer les couches les plus superficielles et les plus averties de l’opinion. 
Or il en va de même au Yémen où les équipes occidentales de télévision ne se bousculent pas. Nous avons donc avec le conflit yéménite une sorte d’angle mort de la géopolitique, une zone d’ombre à peine perceptible en marge des péripéties affectant la Fédération mondiale de football… un point aveugle dont ni traitement, ni le volume ne peut à aucun moment se comparer à ceux consacrés aux naissances princières.
  Certes pour illustrer les énormes carences de l’information – défaillances la plupart du temps de toute évidence délibérées – nous avons commencé par prendre trois exemples dans les zones de conflit d’Irak et de Syrie, mais c’est parce que ces exemples sont a priori illustratifs d’une attitude générale qui ne peut totalement ignorer des faits criminels concernant  le domaine archéologique et  patrimonial mondial. De la même façon le Yémen - autrement oublié - est arrivé ces jours derniers très fugacement sur la scène médiatique en raison des bombes  que l’aviation de Riyad a larguées sur un quartier de Sanaa inscrit à l’inventaire de l’Unesco parmi les trésors architecturaux de l’humanité [nytimes.com/2015/06/13]. Un fait éminemment dommageable qui a traversé espace médiatique à l’instar d’un météore. Fait qui a fortiori n’a suscité aucune indignation intempestive chez ceux qui s’effrayaient hier encore de l’avancée de l’État islamique au milieu des champs de vieilles pierres. Il est vrai qu’un voile pudique – ignorant les morts et les dévastations - entoure les événements du Yémen depuis l’ouverture de ce nouveau front de guerre.

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Monsieur le modérateur a alors annoncé un débat, qui fut vif et animé, et fort intéressant.

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Deuxième panel

Modérateur : Christophe Reveill
La Deuxième Table Ronde était modérée par Christophe REVEILLARD, responsable des recherches à la Sorbonne et au CNRS.

 Il a passé la parole à  M. Elie HATEM, avocat et professeur à la Faculté Libre de Droit, d'Économie et de Gestion de Paris (FALCO), qui a présenté  :

 Les aspects juridiques de l’intervention saoudienne au Yémen : illégalité de cette intervention. 


Depuis le 26 mars dernier, l'armée saoudienne s’entraîne dans un conflit militaire contre le Yémen, et dans le cadre d'une coalition militaire régionale, bombarde le territoire de son pays voisin, provoquant des dégâts matériels et humains.
Cette intervention militaire porte atteinte à deux principes de droit international public : celui de la non-ingérence et le non recours à la force dans les relations internationales.
L'article 2 paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies dispose : « Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État ni n'oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII ».
Cette disposition découle d'un principe jus cogens : une norme impérative qui s'impose à la communauté internationale dans son ensemble.
Toute intervention ou ingérence dans les affaires internes d'un autre Etat transgressent le jus cogens, y compris les interventions dites « humanitaires ». Ainsi, la théorie de l'ingérence humanitaire (ou d'humanitude) a vite été invalidée par la doctrine pour les raisons précitées. 
La pratique internationale a démontré que même la demande faite par des autorités internes à un autre Etat pour intervenir militairement sur leur territoire national est illégale si la légitimité de ces dernières est contestée (affaire de l'intervention militaire soviétique en Hongrie en 1956). Par conséquent, il n'est pas inintéressant d'examiner la légitimité du Président démissionnaire yéménite, Abd Rabo Mansour Hadi. Ce dernier, dont l'élection en 2012 dans un contexte de guerre civile est contestée, avait démissionné le 22 janvier 2015.
Par ailleurs, dans l'affaire chypriote de 1974, il a été considéré que l'intervention militaire de la Turquie était illégale. Pourtant, la Turquie s'était fondée sur les dispositions de l'article 4 du Traité de Garantie signé entre Chypre, la Grèce, la Grande Bretagne et la Turquie. Cet article permet à l'une des trois puissances dites « garantes » de Chypre (la Grèce, la Grande Bretagne et la Turquie) d'intervenir militairement quand le statu quo chypriote est mis en cause. Ce Traité a été invalidé en raison de cette disposition qui viole le jus cogens.
La Charte des Nations Unies a cadré les interventions dans les affaires internes des Etats. Le paragraphe 7 de l'article 2 précité renvoie à cet effet aux dispositions du Chapitre VII de la Charte qui délimite la procédure d'intervention en cas de « menace de la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression ». Seul le Conseil de Sécurité des Nations Unies est habilité à autoriser la prise de mesures coercitives pour faire cesser un acte manifestement illicite, menaçant la paix et la sécurité internationale.
Ces dispositions découlent d'un autre principe reconnu et édicté dans les dispositions du paragraphe 2 de l'article 2 de la Charte, s'agissant du principe du non recours à la force dans les relations internationales.
Ce paragraphe dispose : « Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
Par conséquent, l'intervention de l'Arabie saoudite ainsi que la Coalition des pays participants à cette opération est en violation de ces deux principes.
Cette intervention dans les affaires internes du Yémen, caractérisée par l'usage de la force, excluant une autorisation préalable du Conseil de Sécurité tel que prévu dans les dispositions du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, en l'absence d'une attaque du territoire saoudien excluant donc l'argument de la légitime défense (auquel cas la riposte devant être proportionnelle à l'attaque et contrôlée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies) est considérée donc comme une agression au sens que le droit international public donne à ce type d'interventions (résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1974, article 5 du Statut de Rome de 1998 de la Cour pénale internationale : l'agression est qualifiée de « crime » par les dernières définitions).
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L’intervenant suivant fut Pierre-Emmanuel DUPONT, directeur du département de droit international public et de règlement des différends au London Centre of International Law Practice (LCILP)  et chargé de cours à la FALCO, qui s’est prononcé sur  L'intervention saoudienne au Yémen et le droit international



Si l’on cherche à se prononcer sur la légalité, au regard du droit international, de l’intervention militaire dirigée par l’Arabie Saoudite au Yémen, il importe avant tout de qualifier les faits, en examinant la nature du conflit et les forces en présence. Il importe également d’examiner la justification juridique invoquée par les Etats participant à cette intervention militaire.
Pour justifier d’un point de vue juridique l’intervention militaire au Yémen, le Conseil de Coopération du Golfe a invoqué plusieurs arguments. Ceux-ci sont reflétés dans une déclaration conjointe de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, de Bahrain, du Qatar et du Koweit en date du 26 mars 2015.
À la lecture de ce document, il apparaît que la justification de l’intervention militaire repose sur deux arguments distincts :
1)   Il s’agirait pour la coalition arabe d’un cas de légitime défense (couvert par l’article 51 de la Charte des Nations Unies), mais plus précisément d’un cas particulier de légitime défense « collective » (une intervention « par invitation », ou intervention « sollicitée »), au profit du Yémen et de son gouvernement légitime, objet d’une « agression » et dont l’intégrité territoriale est menacée ; l’intervention serait ainsi justifiée en tant que réponse à la demande expresse formulée par le président Hadi le 24 mars 2015.
2)   Il s’agirait également, pour l’Arabie Saoudite en particulier, d’un cas de légitime défense préventive, celle-ci étant directement menacée par le déploiement des forces militaires des Houtis à proximité de ses frontières.
L’orateur s’est efforcé de déterminer la pertinence de chacune de ces deux assertions au regard des règles issues de la Charte des Nations Unies, à la lumière de la jurisprudence de la Cour internationale de justice et de la pratique étatique. 
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Ali AL-YAQOOBI, avocat, chercheur associé au Centre Michel de l'Hospital auprès l’Université d'Auvergne, qui a cru devoir poser la question : Y-a-t-il une base constitutionnelle ou légitime à la demande, faite par Hadi, d'intervention saoudienne au Yémen ? 


Au moment où il est devenu l’arène des luttes de concurrence pour l’influence internationale, demeure la question la plus importante : Y-a-t-il une base constitutionnelle ou légitime à la demande, faite par Hadi, argument sur lequel s'appuierait l'Arabie Saoudite pour justifier son intervention au Yémen?
Le Président de transition Hadi a été mis en place grâce à une décision prise par des pays étrangers au Yémen, « l'Initiative de Golfe ».
Il devait rester au pouvoir deux ans.
Sa demande d'intervention saoudienne a été faite trois ans après son arrivée au pouvoir, donc alors qu'il aurait dû l'avoir quitté.  Est-il légal de demander à une puissance étrangère d'intervenir sur le territoire national contre ses propres ressortissants?
À la lumière de ces trois données on peut répondre que la demande de Hadi pour une intervention saoudienne est illégitime et anticonstitutionnelle que ce soit au plan proprement yéménite, cœur de mon sujet, ou international. 


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La parole est alors passée à Mohamed AL-SHAMI, journaliste yémenite et président de l'Alliance internationale pour la défense des droits et libertés. Il a contribué son savoir concernant : Les crimes de guerre et la situation humanitaire au Yémen

 

Bien que ces deux axes, à savoir les crimes de guerre et la situation humanitaire au Yémen, soient très importants, ils ne sont toutefois pas traités de manière suffisante
D’abord il faut décrire l'intervention militaire saoudienne au Yémen. Selon la caractérisation du droit international et d’après ce qui est stipulé dans le chapitre VII de la Charte des Nations Unies « toute intervention militaire doit passer par le Conseil de sécurité de l'ONU » condition qui n’a pas été respectée dans ce cas.
L’application des peines demeure l’un des problèmes les plus complexes en raison de nombreux facteurs parmi lesquels les positions politiques des grandes puissances, en particulier les États-Unis d’Amérique et l'impact de son hégémonie sur le Conseil de sécurité, ce qui rend le renvoi ou l’application de la peine pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité soumise à des considérations politiques plus que des considérations juridiques.
Le crime de guerre se compose de deux conditions :
1. Le fait d’être en guerre. Ce qui est le cas au Yémen.
2. Le fait de commettre l’un des actes proscrits par les lois et coutumes de la guerre.
Et de trois principaux éléments :
 A. L’élément matériel : parmi les actes matériels les plus importants qui constituent un crime de guerre:
-  Les infractions graves aux Conventions de Genève
-  L'homicide intentionnel
-  Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l'intégrité physique ou à la santé;
- La destruction et l’appropriation des biens de l'ennemi.
B - L’élément moral : L’Appréciation du critère de l’intention générale suffit pour la commission du crime. L'intention générale peut être révélée par la connaissance et la volonté.
C - L’élément International : Un conflit armé entre deux ou plusieurs Etats menaçant la paix et la sécurité internationales.
Le Yémen a été bombardé à l’horizontal et à la verticale : 15 stations de transformation et de production d’électricité et de gaz de ville, des stations d'essence, des locomotives de transport de blé, de farine et de nourriture, des instituts, des facultés et des établissements d'enseignement dont certaines ont été bombardées alors que les étudiants étaient dedans, comme ce qui est arrivé à la Faculté de médecine de l'Université de Hodeidah. Les ports commerciaux vitaux, les aéroports civils, 10 avions civils, 32 installations et usines commerciales civiles, des réservoirs alimentaires, 92 marchés populaires, 11 établissements médiatiques, 55 ponts, des places publiques, des fermes des élevages de volailles, des tours et des centres de communication, des clubs sportifs et des installations de la jeunesse, des jardins et des parcs sont autant d’exemples sur les cibles bombardées par les saoudiens.
Selon le dernier rapport de l'UNICEF, on fait état de 2 288 personnes tuées, dont 279 enfants  et 9755 blessés dont 402 enfants.
Et de notre côté, à l'Alliance internationale pour la défense des droits et libertés, nous avons mis en garde contre la poursuite des bombardements des civils et avons exigé une enquête internationale urgente en considérant que les agissements de l’Arabie Saoudite constituent des violations graves des droits de l’Homme atteignant le stade des crimes de guerre et de génocide.
La liste des crimes de l'agression saoudienne est longue et multiple et nous allons publier bientôt, un rapport détaillé, car nous travaillons au sein de l'Alliance internationale pour la défense des droits et libertés sur la collecte et la documentation de ces crimes et la préparation d'un fichier intégré pour le présenter devant la cour pénale internationale pour demander d'enquêter et de poursuivre les auteurs de crimes.
Selon le rapport de l'UNICEF, plus de 80% de la population yéménite souffre à présent d'une grave pénurie de fournitures de médicaments, de nourriture, d'eau potable et d'énergie. Plus de deux millions et demi de personnes dont 15 000 enfants souffrent de malnutrition, et nous pensons que le nombre est beaucoup plus élevé que cela.
Il y a aussi un manque total d’opération chirurgicale en raison du manque d’outils et de médicaments qu’elles nécessitent. Aussi plus de 53 centres de dialyse fermés causant la mort de plusieurs personnes.
Les Nations Unies décrivent la situation au Yémen suite au blocus, de catastrophique. Diverses organisations internationales la qualifient de dangereuse et tragique il est donc urgent de nous mobiliser pour le retour à paix au Yémen.


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Monsieur le modérateur a ensuite donné la parole à Latéfa BOUTAHAR, chercheure associée à l’AGP, qui a retenu toute l’attention sur son exposé du zaydisme :
Mouvement théologique et politique 

 
Baptisée « tempête de fermeté », la guerre menée par la coalition arabe pilotée par le royaume saoudien contre le Yémen et décidée de concert avec les Etats-unis, est soumise - comme tous les conflits de cette région du monde -  à une grille de lecture et d’analyse confessionnelles. En effet, le  Yémen est divisé entre un nord chiite d’obédience zaydite et un sud sunnite chaféite ; le régime de l’ancien président Abdallah Saleh a mené de 2004 à 2010 six guerres contre les Houthis accusés de vouloir rétablir l’imamat zaydite et de servir de pion permettant aux iraniens d’agir par procuration.
La propagande médiatique  pro-guerre dénonce la montée en puissance d’un Iran safavide aux ambitions hégémoniques et dont le commandant des gardiens de la révolution, Mohamed Ali  Jafar  claironne  que « Téhéran contrôlait quatre capitales arabes (Beyrouth, Damas, Baghdâd et  Sana’a) et conclut  « La question de qui doit diriger la communauté musulmane (oumma) ne se pose plus ! ». Désormais, le zaydisme est part d’un conflit qui aggrave le clivage voire la fracture entre sunnisme et chiisme, et relègue au dernier rang les analyses politiques et géopolitiques qui en découlent.
Une question : Qu’est-ce que le Zaydisme ?
Ramification du chiisme, le Zaydisme est un courant de pensées dont les disciples suivent et voient en Zayd ben Ali as-Sajjad petit-fils d'al-Hussein et demi-frère de Mohamed al Bâqir, le Véritable Cinquième Imam "celui qui a fendu le noyau de la connaissance", empreinte son chemin et travail à asseoir les bases de ce qui deviendra l'imamisme, le courant, orthodoxe et majoritaire du chiisme".
Vénéré par les chiites pour son érudition et sa grande piété, les sunnites reconnaissent en lui le grand maître d’Abou Hanifa, le fondateur du rite sunnite du même nom. Or se détournant à son tour de toute activité  politique, il aurait déconseillé à son frère Zayd de se rendre à Kufa pour mener la révolte contre le calife omeyyade hicham ibn AbdelMalek. Zayd est alors est confronté à un double défi :
-les pressions incessantes des partisans Alides pour la révolte contre une dynastie usurpatrice  et tyrannique ;
- un frère qui a renoncé à toute implication dans l’action politique, est plongé dans la théorisation  de l’imamisme et est déjà reconnu imam (guide au sens spirituel), empêchant ainsi toute autre prétention.
Pendant que Mohamed Al Baqir désigné Imam abandonne toute activité politique, se consacre totalement à la théorisation du culte du secret du message prophétique, Zayd verse dans le Mu’utazilisme auquel il va emprunter les méthodes d’argumentations rationnelles. Défenseurs de la transcendance divine que rien ne peut altérer, rejetant tout panthéisme consistant à identifier Dieu à ses émanations, les mu’utazilistes ont aussi adopté la théorie des cinq principes : l’unicité de Dieu, la justice divine, la menace et la promesse divine, la situation intermédiaire et le commandement du bien.
Zayd sera séduit par ces thèses et appellera le droit à la révolte armée comme condition pour la revendication de l’imamat. Toutefois ayant atteint une maîtrise avérée des sciences religieuses, on peut déjà prétendre à l’imamat. Le candidat doit se déclarer auprès des croyants en lançant un appel (da’wa) au jihad contre l’injustice. 
La théologie politique du Zaydisme se présente comme une théologie du pouvoir qui opère une incursion rationnelle dans le chiisme. Sa conception de l’imam savant/ guerrier déconstruit  l’imamisme, s’impose comme une critique rationnelle. Il parait comme le premier schisme dans le chiisme ouvrant la voie à une réconciliation avec le sunnisme. 
Ne faut-il voir dans la révolte houthie une tentative de réhabiliter l’esprit Zaydite ? N’est-t-il pas une arme théologique contre le wahhabisme ? Voilà un problème de fond qui persiste au Yémen depuis des siècles.

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Est alors intervenu monsieur Faiçal JALLOUL, journaliste libanais, qui a enrichi les interventions avec son rapport détaillé sur :
Le mouvement Ansar Allah  « El Houthiste »  quel projet  politique pour le Yémen?



Contrairement aux attentes, le programme Houthi pour l'Etat et la société au Yémen ne comporte ni d'objectif monarchique, ni d’hégémonie iranienne rappelant le système zaïdite. Les Houthis veulent leur propre identité locale, nationale, régionale et internationale, et se distinguent en ce sens sur tous les plans.
Par exemple, sur le plan social ils ont remplacé le samedi comme jour de repos, par le jeudi, tout en conservant vendredi un jour férié. Ils ont exigé de réduire les voix des chansons et des mariages en public et ont exigé  le respect de « la tenue légitime » dans certains endroits surtout à Sanaa et dans les régions du nord Zaidi. Ils n'ont pas réussi à imposer la prière, par une « police religieuse ».
Il est peu probable que ces distinctions houthies dérangent l’Arabie saoudite ou les zones sunnites dans le sud ou même dans les régions nordistes du pays. Mais leur projet pour l'État implique l’adhésion massive aux différentes institutions et l'engagement directe dans l’exercice du pouvoir régional – ça, les Saudis refusent sec.
Il est clair que les Ansarallahis aspirent à récupérer l'influence d'al-Zaidi au Yémen après avoir été menacés et marginalisés à leurs yeux au cours de l'ère républicaine - il en subsiste la preuve que le wahhabisme a été planté de force dans leur fief de Saada, ce qui a poussé de nombreuses tribus de passer de la communauté Zaidi aux wahabisme grâce à l'aide saoudienne et le soutien de l'ancien régime yéménite.
Le plus important dans leur plan de développement économique et leurs aspirations a des mesures de nature revendicative et loin d’être révolutionnaires, se situe en général dans le domaine des services et des infrastructures -là aussi ils sont loin du projet de l'économie islamique comme le suggèrent leurs détracteurs. Tout ce qu'ils veulent est l'intégration de l’économie du  marché avec une réforme de tendance de  près du socialisme.
Les houthistes insistent sur la reconstruction de l'infrastructure de leur bastion à Saada, après de longues années d’isolement et de privations qui ressemblent aujourd’hui à la punition….
 d’autre part ils comptent tolérer dans leur bastion frontalière les réseaux de contrebande avec l’Arabie Saoudite.
Les Houthistes rejetent le projet des provinces au Yémen, ils ont peur d’être isolés et la crainte dans un territoire chiite montagnard sans accès à la mer.
Les AnsarAllahis ont choisi le système démocratique pour remplacer le régime actuel faisant appel. On peut trouver toutes ces revendications dans l’accord de paix et de partenariat qu’ils ont signé avec le président Hadi et les partis du Yémen peu après  leur contrôle de Sanaa en septembre 2014.
Dans le domaine de la politique étrangère, les Houthis sont proches de l'axe de la dissidence et de la résistance, englobant l'Iran, la Syrie et la résistance libanaise des Hezbollahis. 
En bref, on peut dire que le projet des Houthis au Yémen implique un retour en force du zaydisme religieux yéménite pour qu’il soit au centre du pouvoir comme il avait été au cours d’un peu plus d'un millier d'années.
Les AnsarAllahis voudront bien engager leur pays dans une économie de marché à leurs propres conditions plus proches de la démocratie socialiste colorée par certains principes Zaidi. Ils sont dans tout cela plus proche de Hezbollah au Liban et non pas du modèle iranien. 
Cela signifie que le projet du mouvement politique de ce mouvement n’a rien à avoir avec l'image puritaine véhiculée par leurs détracteurs dans les médias.

  
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Le dernier conférencier fut Jean-Maxime CORNEILLE, spécialiste reconnu du monde arabe et fin connaisseur des implications géopolitiques de l'histoire pétrolière, qui n’a pas du tout déçu par son discours éloquemment et brillamment rendu sur  :
 L’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde : Vers une guerre de mille ans pour la Mecque ?


I-Rivalité Saoud-Iran à travers une nouvelle guerre par procuration...
A-                La glorification des conflits inutiles :
Comprendre la situation yéménite au-delà du conflit sunnite/chiites : la confluence de deux facteurs distincts (Iran/Arabie Saoudite) qui s’affrontent dans le cadre de la grande guerre mondiale contre le terrorisme (oxymore), et dans un contexte d’Etat défaillant. Les deux mêmes types d’extrémisme artificiel : des milices chiites supplétives héritiers de la Révolution  iranienne, et la monarchie wahhabite, après une récente révolution de palais.

B-                La vision manichéenne du monde : la guerre perpétuelle comme but ?
Au-delà de l’illisibilité des alliances américaines, la culture « Gun &  God » américaine ne laisse place qu’à des situations chaotiques, mythifiée et qui permettent des conflits sans fin prospérant sur la démolition d’Etat : tradition non pas américaine mais britannique. Plus que de manichéisme il faut parler de Balkanisation encouragée : pas de gagnants, que des perdants.


II- Le Lâchage de l’Arabie Saoudite au Yémen... et le sabotage connexe des Etats-Unis.
A-                Le renversement des alliances en faveur de l’Iran contre les Saouds
L’ardeur saoudienne tempérée par une confluence d’intérêt Américano-sino-russe : retour de la Realpolitik et indice d’un renversement du monde, en coopération avec les autres états sunnites. Des indices notables d’un lâchage à venir de l’Arabie saoudite, qui nécessitent de se demander d’où vient le wahhabisme : un outil historiquement anglais pour la conquête du pétrole.
Mais on ne pèse pas encore le mouvement de balancier en sens inverse, parallèlement au rapprochement entre Etats-Unis et Iran : les extrémismes des deux bords vont servir de « carburant » pour la balkanisation du MO, qui peut aller très loin.
Elément majeur en toile de fond : la nouvelle route de la soie à travers l’Eurasie : une promesse nouvelle ouverte à tous les pays, un renversement pacifique du monde qui est possible en même temps qu’une revanche du modèle « allemand ». La grande leçon ? L’hégémonie implique la prévention des conflits, une leçon que les Etats-Unis ont perdue...



B-                Le changement de nature des Etats-Unis et le renouveau de l’Arc de Crise.
L’Amérique détournée par ses propres intérêts privés : la ruine de l’Etat conséquence du capitalisme moderne. Un système qui génère l’incompétence, les crises et les guerres.
Une Lutte d’influence au plus haut entre les patriotes et les fossoyeurs de l’Amérique : les mêmes qui balkanisent délibérément le Moyen-Orient.

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Monsieur le modérateur a alors annoncé le très suivi débat général qui a clos le colloque.

 

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