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LE COMBAT DE LA RAISON
14 - La République des peureux et des tremblants
de la raison
1 - Comment combattre l'inculture des
Etats ?
2 - Le mimétisme théologique des origines
3 - Comment sacraliser l'autorité publique ?
4 - Les hommes d'Etat des démocraties
5 - La vie spirituelle de la raison
6 - Les peureux et les tremblants
7 - Le tragique de la vérité
8 - Les hommes d'Etat du sacré et l'anthropologie moderne
2 - Le mimétisme théologique des origines
3 - Comment sacraliser l'autorité publique ?
4 - Les hommes d'Etat des démocraties
5 - La vie spirituelle de la raison
6 - Les peureux et les tremblants
7 - Le tragique de la vérité
8 - Les hommes d'Etat du sacré et l'anthropologie moderne
1 - Comment combattre l'inculture des Etats ?
Depuis
la fondation des cités protégées, leurs muscles, leurs murailles et leur tête,
même les chefs d’État les plus intelligents se trouvaient contraints de
paraître partager la croyance des peuples aux mythologies publiques qui
servaient de forteresses aux cerveaux. Comment s'accommodaient-ils des
convictions cosmologiques les plus fabuleuses des illettrés de leur époque?
Le
7 janvier 2015, l'assassinat par des fanatiques d'Allah en plein Paris de toute
la rédaction et de plusieurs dessinateurs du journal satirique Charlie Hebdo - meurtres aussitôt
condamnés par tous les gouvernements musulmans - a fait tellement de bruit dans
le monde semi rationnel d'aujourd'hui que la Ve République s'est trouvée dans
l'obligation soudaine et impérieuse de demander au Ministère de l’Éducation
nationale et à celui de la culture d'improviser en toute hâte, une réflexion un
peu moins officielle - donc moins banalisée et primaire - que celle de
l'administration publique et de la bureaucratie républicaine, afin de tenter
d'approfondir au pied levé le sens d'une laïcité endormie et demeurée en friche
depuis 1905. On attendait davantage de la postérité de Voltaire que l'oubli de
la question des relations que les religions fondées sur un culte du sang à
rendre à une divinité assoiffée entretiennent avec la culture des sacrifices.
La politique et l'histoire du monde auraient-elles conclu un pacte avec le
meurtre sacré et honni, donc dûment désavoué et pourtant jugé rédempteur?
Qu'en
est-il aujourd'hui de l'apprentissage des responsabilités intellectuelles et
civiques confondues des citoyens? Qu'attend ce siècle de ses vigies d'un
discernement encore en attente de son réveil? La raison s'est assoupie dans la
crainte de réfléchir et d'affronter de puissants interdits. Qu'en est-il de la
cervelle encrassée des chefs d'Etat? Notre civilisation progressivement appelée
à faire progresser les sciences demeure bardée de tabous? Qu'en est est-il de l'os
frontal des Républiques frappées de paralysées cérébrale et devenues des ilotes
au sein de la civilisation mondiale des sciences exactes?
N'a-t-on
pas vu, le 15 janvier 2015, le Président d'une République des savoirs
rationnels et l'ambassadeur de la France démodratique soutenir au Danemark - et
en présence d'une femen aux seins nus - la "liberté d'expression"
d'un caricaturiste qui avait dessiné un Muhammad à tête de chien? Mais il y a
quarante ans encore, l'archevêque de Paris avait fait interdire un film tiré du
roman de Diderot La Religieuse.
De plus, le pan-culturalisme des démocraties microcéphales d'aujourd'hui rend
la notion même de raison aussi confuse et flottante que celle des "deux
natures" dont Jésus-Christ assume depuis deux millénaires le difficile
assemblage. Les Etats incultes d'aujourd'hui ne sont pas encore informés des
progrès de la pesée anthropologique des religions schizoïdes dont bénéficie un
genre humain biphasé depuis l'apparition d'un langage dédoublé par l'abstrait.
Comment
se fait-il que la connaissance psychobiologique des paramètres qui commandent
l'encéphale méta zoologique d'une humanité biface et qui pilote la mise en
chantier de la boîte osseuse des Etats pseudo rationnels ait pris davantage de
retard sur la connaissance anthropologique des religions et sur le décryptage
d'avant-garde des mythes sacrés que l'Eglise d'un XVIe siècle clopinant
derrière Copernic? Une citoyenneté héritière de la raison d'Einstein, de Darwin
et de Freud retournera-t-elle sur les bancs de l'école et apprendra-t-elle
qu'une espèce en marche vers sa tête ne saurait attendre des générations pour
apprendre à distinguer le cerveau animal de l'animalité délirante des évadés de
la zoologie? Mais quelle révolution au sein de l'éducation nationale des
enfants de chœur si le cerveau du Moyen-Age d'aujourd'hui devait se trouver
observé et expliqué en laboratoire et à la lumière d'une animalité spécifique!
Ne
nous cachons pas la difficulté d'arracher aux étreintes de notre préhistoire
des gouvernements démocratiques condamnés à légitimer leurs décisions par un
culte nouveau, celui qu'ils rendent à une opinion publique aussi inerte
qu'autrefois. D'un côté, les chefs d'Etat ne peuvent plus feindre ni partager,
ni même feindre de partager les rêves religieux du genre humain le plus moyen
de leur siècle, ni réfuter en public les sottises merveilleuses qu'affichent
pourtant les démocraties dans le monde entier. Que faire des contes pour
enfants s'ils sont tombés dans la même panne du surnaturel que les miracles les
plus stupéfactoires au siècle de Voltaire, mais s'ils demeurent officialisés et
dûment exposés à l'étalage? Comment interdire que s'ouvre un musée de la
mémoire de l'humanité, si les premiers jours de la démence de cette espèce sont
devenus des trésors publics?
Depuis
l'évasion partielle de notre espèce du règne animal, les croyances
mythologiques des peuples se chapeautaient de récits cosmologiques enracinés
dans le fantastique, donc de contes réputés fournir aux fuyards du
paléolithique le secret de l'origine, de la nature et de l'avenir d'un cosmos
passé du fabuleux au minuscule. Et maintenant, comment se passer d'un Zeus
devenu microscopique, pour ne rien dire des règles, censées révélées à leur
tour, qui régissaient notre microcosme? Et maintenant comment se forger un Zeus
en mesure de piloter un univers à sa taille? Sur tous les cadrans solaires
qu'affichait la chrétienté, on pouvait lire une inscription latine qui disait:
"Ta prévoyance a créé toutes choses (visibles) et c'est avec le secours
d'une non moindre voyance que tu diriges le monde" (Omnia creasti,
nec minore regis providentia).
Aujourd'hui,
nous savons tous qu'un démiurge paresseux à souhait et qui aurait mis sept
jours à traîner la patte dans un néant sousdimensionné n'aurait pas encore mis
un terme à la construction d'un seul grain de sable. Comment une orthodoxie
encore plongée dans la zoologie exorciserait-elle le silence de l'éternité et
le vide de l'immensité si la solitude du Zeus cadenassé dans Euclide des
Anciens n'était qu'une copie de la loquacité de ses adorateurs, mais si nous
sommes tous demeurés des microbes largués dans un infini multidimensionnel?
Quel minuscule plongeoir que la distance de quinze milliards d'années-lumière
que nos astronomes appellent le cosmos de la matière! Et si nous apprenions à
ouvrir nos oreilles à ce que nos dieux nous disaient pour s'être mis à notre
écoute?
L'anthropologie
critique d'aujourd'hui rappelle que les religions n'enseignent que les
rudiments de la politique. Certes, le Zeus des Anciens était déjà devenu un
homme d’État relativement avisé. Si imperceptible que fût son sautoir, il nous
a appris que les animaux tridimensionnels commencent par expédier un pilote de
leur propre taille dans le cosmos des atomes et par lui faire distinguer
clairement le vrai du faux, le juste de l'injuste, le légal de l'illégal. Après
le passage du premier râteau de la connaissance, que reste-t-il à trancher aux
pucerons du cosmos? Rien : la créature ramassée à la pelle aura remis sa pauvre
tête aux bons soins d'un tiers non moins tâtonnant qu'elle même mais qu'elle
exhortera pourtant à pleins poumons à penser plus droit qu'elle-même. La
responsabilité cérébrale d'Adam se réduira à bien apprendre la leçon qu'il aura
longuement enseignée à Jupiter et à se la réciter par cœur.
Mais
un pouvoir absolu et parfait ne saurait travailler dans le détail: Malebranche
expliquera encore que l'orfèvre du cosmos fait tomber indistinctement la pluie
sur les champs et sur les chemins. La définition de cette politique des
négligences du ciel sera nécessairement universelle, puisque le religieux se
veut totalisant. Ce sera toujours un ciel localisé qui vous soufflera les
coordonnées les plus simplistes de l'art de bien gouverner. Il sera donc à
jamais impossible de fonder l'autorité publique des Etats, donc la légitimité
des pouvoirs d'un démiurge, sur un Jupiter aux sûrs paramètres sans en appeler
à la caution d'un souverain visiblement maladroit, mais réputé expérimenté,
réfléchi et tenu pour surplombant ; et puisque ce personnage approximatif ne
trouvera jamais d'interlocuteur digne de sa suréminence, donc de partenaire à
la hauteur de son personnage, nul ne lui donnera la réplique avec un semblant
d'autorité, et encore moins avec l'ambition de lui river son clou.
Du
coup, tout Olympe se donnera la majesté de laisser vide la chaise de la
créature: car si le sujet devenait pensant pour son propre compte, comment son
existence sacrilège ne soumettrait-elle pas, en retour, la cervelle
orgueilleuse de son maître à un examen scrupuleux de son fonctionnement tant
moral que politique et comment, son instrument de mesure à la main, le
profanateur ne comparerait-il pas le décalque avec l'original?
Même
dans les démocraties censées soumises à la raison politique, l'autorité de la
caution suprême réputée valider les décisions des peuples dûment consultés se
trouvera soustraite au crime de lèse-majesté et subrepticement mise à l'abri de
tout examen rationnel de ses axiomes. Dans les théologies, c'était
"Dieu" qui échappait à toute pesée exacte des prémisses qui
pilotaient son encéphale, dans la démocratie, ce sera son remplaçant désigné,
le suffrage universel - cet insecte sera chargé de greffer en catimini ses
élytres sur les urnes, donc de les introniser en catimini.
Il
est donc important de comparer les ingrédients qui composent le type d'autorité
de la larve avec l'éclat de son accomplissement dans la splendeur de ses ailes.
Quand les chimistes de Jupiter nous font observer les ingrédients
psycho-biologiques dont la mixture met en marche la transcendance papillonnante
des décisions moirées du suffrage universel, nul ne tient compte des preuves
tirées de leur ramage et de leur plumage - on ne profanera pas l'ordre sacré
des démocraties qui a fait dire à un Socrate moqueur qu'à deux boules près, le
vote des Athéniens, donc d'Athéna elle-même , le déclarait innocent et
l'installait au Prytanée.
Mais,
primo, au siècle de l'évolutionnisme, secundo, des sciences
exactes, tertio de l'inconscient qui sous-tend la subjectivité de la
notion même d'une raison, réputée donner un "sens rationnel" au réel,
quarto, de l'astronomie multidimensionnelle, quinto, de la
géométrie de l'infini, un Président de la République ne saurait colloquer entre
les sciences et les croyances le même gouffre que les chefs d'Etat et les
classes dirigeantes du Moyen-âge; et son statut de chrysalide de la science
politique se révèlera tellement inédit que Clio enfantera, en retour, des difficultés
sur lesquelles il appartiendra désormais aux Etats laïcs de se les expliquer
avec la plus grande franchise et surtout, avec l'honnêteté intellectuelle qui,
trois siècles seulement après la parution du Traité de la Tolérance de Voltaire, leur est maintenant
imposée de force, car l'esprit scientifique qui domine désormais le monde
entier leur demande. " Quel est le degré d'animalité de la parole
humaine?"
Si
Jules César faisait scandale à afficher une incroyance éhontée et si sa
mécréance offensait tout le monde dans l'Etat , à commencer par son plus grand
historiographe, Suétone - tellement "l'esprit de raison", comme on
dit, était encore condamné à se cacher sous le sacré ou à donner le change - la
question du statut cérébral de la France dite pensante se révèle à la fois plus
simple qu'au Moyen-Age et beaucoup plus scabreuse. Ne nous voilons pas la face
devant cet embarras cérébral: cet empêtrement est devenu tellement politique
qu'il a débarqué avec fracas et de plein droit sur la scène intérieure de tous
les Etats qualifiés de démocratiques.
Car
il faut se rendre à une première évidence: la vocation de la pensée rationnelle
est ascensionnel, donc "spirituel" par nature et par définition. Et
comme l'ascensionnel est élitiste, comment forger l'éthique, donc la
spiritualité des élites de la nation de la raison, de quel apostolat les
nourrir, comment leur apprendre à peser une espèce demeurée semi-animale?
Une
République moderne trahirait non seulement la mission intellectuelle et
philosophique attachée, depuis 1789, aux droits d'une citoyenneté intelligente
, mais elle renierait également les devoirs moraux des démocraties si elle
basculait du côté de l'ignorance, de la déloyauté, de l'hypocrisie et de la
sottise dont témoignaient les superstitions religieuses des premiers âges. Mais
si, par un étrange renversement, le ridicule, la vulgarité et la superficialité
d'esprit devenaient soudainement l'apanage des faux héritiers du XVIIIe siècle,
comment protègerions-nous l'Etat démocratique et républicain des assauts d'une
triple impéritie, celle des primitifs de la laïcité, celle des enfants de chœur
de la politique et celle des sicaires du ciel?
Du
coup, le chef d'Etat de notre temps se bat sur trois fronts de la sottise du
monde et pour ainsi dire contre trois visages de la folie du genre humain,
celle du ritualisme paresseux des cultes de confort, celui du rire idiot de
Charlie Hebdo et celui du Dieu guerrier et vengeur dont la République commence
de distribuer les taloches aux mécréants. En vérité, un Etat coincé entre ses
missels et ses bonnets d'âne est couché sur un lit de Procuste plus dangereux
qu'au Moyen-Age.
Car
il lui faut réapprendre à distinguer les cultes doctrinaux des cultures
décérébrées, et cela en anthropologue informé des secrets de la bête parlante :
les cultes sont nés d'un trafic sanglant entre l'animal schizoïde et les vengeurs
terrifiants et gloutons qu'ils ont installés dans les nues. Puis, peu à peu,
les simples cultures prennent en charge ce fonds commun de la politique et de
la foi ; mais elles oublient bientôt l'origine sanglante de tous les cultes.
Quand elles ont perdu cette balance de l'humain, elles se montrent stupéfaites
de ce que les tempêtes de l'histoire leur rappellent l'origine du sacré dans
les meurtres sacrificiels. Il y faut une anthropologie de l'évolutionnisme
située à mille lieux d'un Traité de
la tolérance de Voltaire, qu'il faudra rebaptiser le Traité du
superficiel.
Comment
et à quelle profondeur de l'esprit scientifique et philosophique dont
s'honorerait notre temps un Président de la République devenu savant
défendrait-il une laïcité dotée d'un ressort cérébral et d'une haute conscience
morale? Comment tracerait-il avec pertinence la frontière entre les croyances
religieuses et les conquêtes de la raison si, dans le même temps, il devra
défendre avec pertinence le génie ascensionnel commun aux plus hautes
inspirations religieuses et aux feux non moins éternels de la pensée critique?
Comment démontrera-t-il à des laïcs devenus les dévots d'une raison étriquée
que les vraies élévations spirituelles ne sont pas du côté des litanies et des
liturgies de la platitude, si, de son côté, la pensée rationnelle sera
descendue, elle aussi, au rang d'une ignorante? Car une laïcité dégénérée ne
sait plus à l'aide de quelle torche éclairer la marche et le combat de la
pensée iconoclaste des grands mystiques.
Mais
pour nous expliquer les embarras proprement intellectuels dont souffre la
République abêtie d'aujourd'hui, commençons par accorder notre confiance aux
plus grands écrivains et aux meilleurs philosophes. Ceux-là n'ont cessé de
donner leur vrai sens aux mots de la pensée. Il n'est pas nécessaire,
disent-ils, de se révéler un linguiste et un philologue pour parler clair et
pour tomber juste : il suffit de manier la langue française avec précision pour
comprendre que la notion de tolérance
ne renvoie en rien à une ascèse digne de la pensée rationnelle et que la
justesse d'esprit enseignera, au contraire, qu'il s'agit d'une sottise dont les
pataugeages sont condamnés à demeurer dans l'approximation, la contrefaçon, la
mascarade, le faux-semblant et la tartufferie. Car une pensée sans feu est
aussi morte qu'une théologie de la bêtise.
Certes,
à condition qu'elle n'ensanglante pas l'ordre public, l'ignorance ne sera pas
opprimée; il suffira de la laisser croupir dans sa poussière. Mais il est
stupide de la qualifier de "terrorisme en bande organisée" -
sinon, il faudrait également mettre tout le poids de ce chef d'accusation sur
les épaules des Etats et traiter de chef de gang le pape qui a fait commémorer
le massacre de la saint Barthélemy par la frappe d'une sainte médaille. Peser
la religion, c'est peser le sang réputé payant des sacrifices - et ces
sacrifices censés se trouver grassement rémunérés par Jupiter tuent
indifféremment des animaux domestiques et des hommes de haut prix, donc des
mets tenus pour succulents et jugés dignes de se trouver servis aussi bien à la
table des dieux antiques que du Dieu des chrétiens. (- A propos de la mort sacrificielle de Jean Paul II,
12 avril 2005)
Mais,
du coup, comment l'autorité spirituelle et ascensionnelle attachée à la pensée
logique et à la rigueur intellectuelle des philosophes et des savants
accorderait-elle un crédit cérébral, même microscopique, à une tolérance qui
laisserait le sceptre de la terreur triompher en majesté sous la couronne de
l'"opinion", donc d'une "liberté d'expression" tellement
privée de pilote et de boussole qu'elle ne guérirait l'humanité de son
ignorance et de la sottise que par la décapitation du "penseu "
égaré? Si nous nous contentons de tolérer la pensée critique, notre
bienveillance au rabais sera censée laisser la vérité entre nos mains amollies
- et nous aurons déjà récusé la pensée loyale et dangereuse des grands
incendiaires au profit du flottement et de l'errance d'un vague romantisme
religieux.
Les
guerriers de feu de la vérité cuirassée de logique ne sont pas confusibles avec
les stupides défenseurs d'une "liberté d'opinion" courant dans les
bosquets des simples cultures. Dès le Ve siècle avant notre ère, les Grecs
invalidaient, sous la plume de Platon et d'Aristote, le règne benêt de
l'opinion publique, la doxa. La liberté d'expression, disaient-ils,
n'est jamais que le fruit d'une subjectivité demeurée inconsciente d'elle-même
et partagée tantôt par toute une population de pantins, tantôt par une fraction
seulement des dirigeants tombés dans la mollesse cérébrale et la paresse
intellectuelle.
Mais
si nous validons la quête harassante de la vérité en elle-même - et non pour la
soumettre d'avance ou après coup à une utilité politique durable ou passagère -
il nous faudra rendre la pensée rationnelle plus hautement existentielle que
toute confession ou toute doctrine religieuses. Car la vérité authentiquement
rationnelle habite le temple du tragique. On ne conquiert pas le tragique de la
vérité sans en payer le prix le plus lourd.
Il
nous faut donc apprendre comment se répartissent les périls entre les
contraintes des religions banalisées et celles de la pensée ascétique, et il
deviendra infiniment plus dangereux de penser droit que de croire aveuglément.
Car si nous nous déchargeons du poids des ténèbres et du silence sur les
épaules d'un démiurge inattaquable et insoupçonnable et si nous croyons nous en
tirer à si bon compte - nous nous donnons seulement des béquilles achetables
dans les grands magasins - comment déposerons-nous notre poltronnerie
intellectuelle sur les balances de la vie spirituelle de l'intelligence et quel
sera le reste de vaillance dont notre raison et notre intelligence se
partageront les séquelles? Zeus est mort, mais les élévations des peureux et
des tremblants n'habiteront jamais que les autels qu'ils dressent à leur propre
épouvante.
Quand
un chef d’État valide l'encéphale d'un crétin qui a insulté un milliard et demi
de musulmans - il a placé une tête de chien sur la charpente de Muhammad -
comment nier que l'ignorance et l'idolâtrie des États a débarqué dans la
géopolitique du mythe de la Liberté? Voltaire n'avait pas imaginé que la raison
en marche tenterait de se donner la vulgarité, la stupidité et l'ignorance pour
alliées et qu'un Président de la République française s'abaisserait à
caricaturer la raison de la France des Lumières.
Reste
à l'anthropologie moderne de forger les maillons de la chaîne qui rattachera le
retour actuel à la pratique primitive des meurtres sacrés à la piété bénigne et
coutumière de l'humanité endormie dans des dévotions oublieuses de leurs
origines. L'homme est un animal craintif, mais tueur, donc avide de se
soumettre à une autorité qui le mettra à l'abri de la mort. Il installe donc
dans le vide de l'immensité le chef le plus fiable à ses yeux et, par
conséquent, le plus colossal. Pourquoi cette alliance instructive du titanesque
avec la politique ? Parce qu'on ne saurait se trouver un bouclier de sa
faiblesse sans s'imaginer que le protecteur le plus puissant sera
nécessairement le plus efficace. De même qu'un général sera d'autant plus adoré
de ses soldats qu'il se sera rendu prestigieux par sa carrure et sa voix, de
même le dieu devant lequel les fidèles seront réduits à des microbes sera
également le Jupiter le plus légitimé en son autorité, tellement
l'invincibilité de la puissance tient entre ses mains le sceptre de la vérité
sur la terre comme au ciel.
C'est
pourquoi l'ascèse monacale est tenue pour la forme la plus achevée, donc la
plus suicidaire de la foi: le moine se veut un insecte humilié devant la
grandeur de son chef, et un ennemi de tout individu dont l'effronterie se
prendrait pour une autorité autonome- il faudra chanter dans le chœur ou
quitter le couvent. Mais l'aplatissement dans une minusculité glorifiée
trouvera des compensations dans l'auto-anéantissement immortalisé.
L'homme
d'Etat moderne aura appris que le Jupiter le plus tueur sera tenu pour le plus
puissant, donc pour le plus compétent et le plus protecteur. Il saura que la majesté
de ce potentat repose tout entier sur son invincibilité. La démocratie ne sera
à la hauteur de sa tâche que si les chefs d'Etat et la classe dirigeante
instruite auront compris la théologie à la lumière d'une anthropologie de la
politique et la politique à la lumière d'un Machiavel du ciel. A ce titre,
cette élite d'une vraie République conduira la nation entre les récifs de la
mort. Entre ses mains, la démocratie empruntera les chemins des lucidités
civilisatrices. A ce titre encore, elle mettra le mythe de la Liberté à l'école
de la raison et l'humanité à l'écoute de l'esprit. Mais le dieu de la
démocratie reste à mettre en selle. Puisse Caïn faire connaître à la République
les secrets de l'invention d'un autre démiurge, puisse l'humanité apprendre à
se connaître à l'école des dieux sauvages qu'elle se forge à son image.
Le
10 avril 2015
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