Les grands évènements ne sont compris qu'avec
lenteur et pas à pas, parce que l'esprit humain répugne à enregistrer des
bouleversements de l'échiquier de la connaissance. Il en sera ainsi de la
réunion du G20 des 4 et 5 sept. 2016 en Chine qui aura scellé l'éjection de
l'Europe de l'arène internationale. Alors seulement, on comprendra en
profondeur les causes de la chute lente et inexorable de l'empire américain
à son effondrement subit entrecoupe seulement de quelques soubresauts. On
aura vu deux maîtres nouveaux du monde, la Russie et la Chine, enterrer
sans fleurs ni couronnes un G8 dont les Etats-Unis avaient pris le contrôle
dès sa création par M. Giscard d'Estaing et dont ils s'étaient fait un
nouvel instrument de leur omnipotence. On aura vu les nouveaux dirigeants
de la planète asseoir leur hégémonie bien méritée sur un empressement
universel des nations à conquérir les atouts d'un jeu nouveau.
On assistait à une passation spectaculaire du
pouvoir et, en quelque sorte, à une intronisation en douceur du nouvel
équilibre des forces à l'échelle planétaire.
Aucun Etat européen n'a participé d'une manière
vivante et à l'échelle des évènements, à la promulgation tacite des
nouvelles règles de l'alliance entre la puissance des vrais Etats avec la
vision du monde nouvelle qui s'imposait à tous. Mme Teresa May, nouveau
Premier Ministre britannique, avait demandé, avec une avance de plusieurs
semaines, un rendez-vous avec M. Vladimir Poutine qu'elle avait aussitôt
obtenu. Puis elle avait également demandé un rendez-vous au premier
dirigeant de la Chine et elle a doublé sa mise. M. Poutine avait eu des
entretiens séparés avec dix dirigeants de poids de notre astéroïde. On aura
vu un Président des Etats-Unis quasiment hors jeu et auprès duquel tout le
monde avait cessé de s'empresser, car la vassalité à son égard n'était plus
payante. En revanche, il était devenu décisif de rencontrer M. Poutine ou
M. Linping sur un mode de relations qui n'était plus celui de l'allégeance
de type américain.
Ne sachant comment trouver une place nouvelle à la
cour, M. Hollande avait tenté de sauver la face en arrivant sur les lieux
après tout le monde; mais cet ultime subterfuge n'avait trompé personne. Il
était fatal que des dirigeants européens dépourvus de toute connaissance du
destin des nations et du sort réservé aux ignorants et aux incompétents
paieraient le prix de leur méconnaissance des lois élémentaires de la
géopolitique. On ne se met pas à l'échelle du destin à ignorer dans quel
sens court l'histoire et sur quel axe la planète tourne sur elle-même. Tout
l'établissement ancien combattait M. Trump, mais aucun ne réfutait ses
déclarations, ni ne se risquait à les citer. Or, il avait formulé deux
évidences criantes; la première, que l'Europe ne se constituerait jamais en
une nation unie et la seconde que ce fantôme s'était doté d'une capitale
imaginaire et strictement administrative.
Qu'y avait-il de plus intéressant à observer,
l'effondrement de l'empire américain ou celle de l'Europe des utopies. Si
un Nicolas Sarkozy qui avait réintroduit la France dans l'OTAN en 2008 en
était venu en 2016 à dénoncer l'impérialisme américain et son dictat sur
les banques du monde entier, son gaullisme tardif n'avait pas été relevé
par une presse et des médias français verrouillés, de sorte que toute
l'attention des anthropologues nouveaux se portait sur l'agonie politique
de l'Europe, tellement la puissance ébranlée des Etats-Unis ne savait
comment faire face aux contempteurs subits des serviteurs de son hégémonie
d'hier.
L'asservissement du Vieux Continent aux lois
américaines du commerce avait échoué. Partout le patriotisme retrouvait sa
voix. On découvrait que Washington obéissait à une politique étrangère de
type romain et que le traité de Westphalie de 1648 que nous devons au génie
politique de Mazarin avait explosé. Jules César ne se demandait pas comment
le droit des Gaulois devait demeurer protégé sous le glaive des légions.
Washington non plus. Et maintenant M. Vladimir Poutine demandait rien moins
au Pentagone que de conserver le droit de défendre les intérêts de son
pays!
L'empire américain mourait de l'anachronisme de la
puissance de type romain à laquelle les Etats-Unis avaient cru pouvoir
demeurer fidèles. Un Etat prétendument démocratique et qui avait fait de la
sesterce le symbole du dollar ne pouvait changer de culture politique dans
l'adversité: il lui fallait agoniser dans l'alliance de l'éthique
calviniste du commerce avec le glaive fatigué des Romains d'aujourd'hui.
Le ton nouveau de la puissance a été fort bien
illustré par un dialogue de Vladimir Poutine avec François Hollande. Après
avoir feint de croire que le destin de la planète dépendait encore du
dialogue de la France avec tout l'univers, M. Poutine a gentiment ajouté: "Et
maintenant que nous avons fait le tour du monde, venons-en à l'examen plus
modeste des relations de la Russie avec la France."
Car M. Hollande avait eu la naïveté de convier M.
Poutine à "regarder les problèmes en face". Mais cette
fois-ci, regarder le monde en face, c'était poser la question des relations
concrètes de la Russie avec la France. Sans doute M. Hollande a-t-il été
surpris de trouver en M. Poutine un interlocuteur respectueux des intérêts
propres à la France. Mais quelle conquête d'une dignité nouvelle et d'abord
d'une souveraineté nouvelle de la France que de s'adresser à elle comme à
une nation en droit de défendre ses intérêts propres et son indépendance.
En vérité, dès le 4 septembre 2016, le G20 a
clairement montré à tout le monde comment la Russie substituerait aux
relations de vassalité de l'Amérique avec ses prétendus "alliés",
des négociations à nouveau fondées sur le traité de Westphalie de 1648 et
combien cette conquête nouvelle d'une diplomatie civilisée entre des Etats
souverains n'était autre qu'une conquête majeure de la civilisation
mondiale.
La Russie pouvait bien se révéler plus puissante
que l'empire américain ne l'avait jamais été, mais du seul fait que le
style nouveau du pouvoir issu de ce G20 détruisait la politique de
subordination que l'empire américain avait entretenue avec ses alliés
vassalisés, le monde avait changé de face, de sorte que dès le 4 septembre,
donc avant même l'achèvement de ce G20, le style nouveau du pouvoir sur la
scène internationale avait métamorphosé la diplomatie mondiale.
Mais le grand vainqueur de ce G20 aura été une
Russie conviée à figurer au rang d'invitée d'honneur à Hangzhou . On
ne défendait plus un prétendu "ordre mondial" qui n'avait jamais
existé et qui n'existera jamais, parce que ce concept béatifiant n'était
jamais que le masque de la puissance hégémonique du moment. Le réalisme
politique se révélait, en réalité, la véritable source d'une politique
humaniste et respectueuse des Etats. La civilisation mondiale avait changé
de guide.
Le 9
septembre 2016
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