Comme chaque semaine nous nous réjouissons de retrouver :
Allah et l'avenir de l'Europe de la pensée rationnelle (2)
Le XXIe siècle et les religions
" On ne peut apprendre la philosophie, on ne peut qu'apprendre à philosopher."
E Kant
1 - La République de la raison
2 - Où les dieux se cachent-ils ?
3 - La dimension ascensionnelle du genre simiohumain
4 - Le monde moderne et l'avenir du "connais-toi"
5 - Les peseurs de l'encéphale du genre simiohumain
6 - Les apôtres du sommital
7 - La démocratie mondiale et la pensée
8 - Le pain du néant
1 - La République de la raison
Décidément, c'est en anthropologues qu'il faut tenter de comprendre
pourquoi la laïcité française, qui, depuis deux siècles, se
voulait le moteur mondial de l'intelligence et de la pensée
et qui, depuis Voltaire, aiguisait la réflexion de l'humanité
sur la meule d'une critique encore superficielles des mythologies
religieuses, pourquoi, dis-je, la laïcité pensante d'autrefois
est devenue aussi inerte et acéphale que la critique des hérésies
dans l'enceinte des conciles ou de la théologie militaire
de Scipion l'Africain, qui laissait astucieusement planer
dans l'armée un doute glorieux sur son origine divine - la
mode de l'époque était aux demi-dieux guerriers avec Achille
ou civilisateurs avec Hercule.
Quels
sont les fondements anthropologiques des convictions demeurées
prétendument laïques et démocratiques, mais résolument décérébrées
de MM. Hollande, Copé ou Ayrault si, jusque dans nos grandes
écoles, l'Etat né de l'audace intellectuelle relative des
promoteurs de la Révolution française refuse de fonder une
anthropologie réellement scientifique? Une discipline de ce
genre oserait se poser la question des sources - nécessairement
psychobiologiques - de la croyance des évadés de la zoologie
en l'existence de dieux autrefois localisés, puis du grand
triphasé dont l'habitat demeure indéchiffrable, mais nécessairement
spatialisé. Car enfin - merci, Spinoza - ou bien Zeus se trouve
séparé du cosmos et son statut est celui d'un personnage,
ou bien il s'immerge dans l'étendue au point de se confondre
avec l'univers de la matière et son immanence au monde a englouti
sa transcendance. Encore une fois, les dirigeants des Etats
censés se trouver orientés dans la direction d'un royaume
de la raison et placés sous la bannière d'une démocratie universelle
ne se seraient-ils décidément pas rendus plus interrogatifs
depuis trois siècles qu'à l'époque de la défaite des Romains
à la bataille du lac Trasimène, dont le propulseur, disait-on,
n'était autre que la mécréance coupable du général Flaminius?
Pas de doute: dès lors que nous disposons de trois Zeus arc-boutés
à leurs théologies endormies, ou bien la question religieuse
est devenue tellement existentielle que la politique moderne
enfantera nécessairement un regard de l'extérieur sur l'encéphale
de la bête scindée par les dieux qu'elle sécrète, ou bien
la civilisation de la pensée critique périra dans un retour
subreptice aux mythes schizoïdes des ancêtres. Du coup, il
n'est pas de devoir intellectuel plus impérieux, pour une
laïcité digne de ce nom, que de planter là les tabous cérébraux
hérités de la préhistoire et de se demander non plus si la
France serait plus unie et plus forte à servir ses autels
à demi abandonnés, mais s'il serait vital pour son avenir
cervical de s'interroger sur les totems et les glaives en
usage du temps des guerres puniques. Mais, pour cela, il faudrait
se donner les moyens de s'interroger sur le sens du terme
de sommeil appliqué par les mystiques à la vie de l'esprit
et se demander quel feu propre à l'intelligence éclairait
la spiritualité des grands sommitaux. Car enfin, il n'y a
pas de regard plus anthropologique avant la lettre que celui
d'Isaïe sur le bûcheron idolâtre ou de saint Ambroise sur
les oies du Capitole.
Mais si l'évêque de Milan se moquait des dieux censés se cacher
dans le gosier de quelques volatiles, pourquoi des dizaines
de milliers de chrétiens ont-ils trépassé sur les champs de
bataille du XVIe siècle pour défendre un dieu censé se cacher,
lui, dans un morceau de pain ou dans un verre de vin? Si l'humanité
ne parvenait pas à porter sur ses dieux un regard de l'extérieur,
il n'y aurait plus d'humanisme heuristique, ni de philosophie
motrice.
Il
est évident que le fonctionnement cérébral réduit de la classe
dirigeante de
la France contemporaine conduira la Ve République à une dégénérescence
philosophique et morale d'un infantilisme sans remède, parce
que, dans le monde entier, une humanité de plus en plus ambitieuse
de se rendre transanimale ne cessera d'obéir au noble appel
de la vocation ascensionnelle de "l'esprit de raison" qui
l'inspire, ce qui imposera une limite à l'élargissement de
la fracture entre l'étiage cérébral moyen des élites politiques
de bas niveau et celui des sciences humaines sommitales du
XXIe siècle.
C'est
pourquoi notre temps en appelle désespérément à des hauteurs
méta totémiques d'un côté, tandis que de l'autre, le vieillard
qu'on appelle la France ne rêve que de "vivre le plus longtemps",
disait le Zarathoustra de Nietszche. Que va-t-il
advenir d'une civilisation mondiale de la sénescence dont
les Etats se précipitent tête baissée dans le vide? Il est
évident que si les superstitions les plus primitives revenaient
au pas de charge occuper un sol laissé en jachère, la laïcité
se trouverait amputée d'une spiritualité minimale. Qu'en serait-ils
du carré rond d'une république privée d'armature philosophique?
Tentons d'observer de plus haut et de plus loin les comportements
cérébraux au rabais d'une classe dirigeante française et mondiale
dangereusement décérébrée, alors que l'heure devrait avoir
sonné pour elle de se montrer peu ou prou "socratique" et
de se placer aux aguets de la science anthropologique ascensionnelle
de demain, celle que la postérité géopolitique de Darwin placera
en vigie internationale du destin intellectuel de la démocratie?
Mais , loin de conduire à un approfondissement vertigineux
du "Connais-toi" épidermique de la bête, il faut constater,
hélas, que, pour l'instant, les progrès prodigieux de l'astronomie
et de la connaissance des secrets ultimes de la matière engendrent
une classe politique et scientifique de plus en plus superficielle
et indifférente à toute connaissance abyssale de l'animal
dont l'encéphale infirme expédie inlassablement des effigies
fabuleuses et sanglantes de la bancalité de son Dieu promener
ses ossements et sa poussière dans le cosmos. La disqualification
intellectuelle et morale des neurones de trois théologies
isole progressivement la psychologie expérimentale dans une
tour d'ivoire où le fait historique le plus extraordinaire,
à savoir, l'existence des mythes sacrés dans la cervelle humaine
se trouve purement et simplement passé par profits et pertes.
Il est inouï que le savoir rationnel international se soit
endormi dans une semi autarcie où il ne se livre qu'à des
mesures et à des calculs aveugles.
Il
y a vingt-cinq siècles que Socrate l'incendiaire avait prévu
la possibilité de la chute de la philosophie dans le gigantesque
artifice d'un chiffrage universel. Cette discipline sévère
avait le choix de demeurer une sentinelle du feu de la raison
ou de perdre sa vocation ascensionnelle. Dans ce cas, le naufrage
de sa médication la divise entre les sots calculateurs d'un
côté - tel Anaxagore, qui ne savait ni ce qu'il en était du
véritable contenu du crâne de ses congénères, ni du fonctionnement
énigmatique de sa propre boîte osseuse - et, de l'autre, les
derniers allumeurs de leur propre lumière, qui se demandent
jour après jour ce qu'il adviendra de l'animal cuirassé de
ses songes si ses dieux se révèlent des bêtes à leur tour
et s'il s'agit d'apprivoiser leur férocité. Et voici qu'il
s'agit de civiliser une démocratie mondiale enferrée dans
ses idéalités ensauvagées et conquérantes, et voici que la
jeunesse est appelée à combattre la barbarie de type républicain,
et voici que des concepts auréolés de leurs carnages se changent
en bêtes féroces, et voici que l'anthropologie scientifique
vivante de demain se révèlera spirituelle à l'échelle internationale
ou ne sera pas.
Mais il se trouve que l'indifférence intellectuelle et morale
de la classe instruite du monde entier à l'égard des feux
de l'onirisme religieux auxquels se brûle et se consume l'animal
rationale caractérise les civilisations industrieuses,
mécanisées et tardives, qui accèdent, certes, à une hypertrophie
de leur science de la matière, mais qui contribuent, ce faisant,
au dépérissement et au racornissement de l'humanisme prospectif
des siècles socratiques. Cette fausse autonomie s'est vérifiée
à l'heure où l'épanouissement technologique fabuleux de la
civilisation alexandrine, mais parallèle à la carence philosophique
croissante de ses élites et à la mort progressive du "Connais-toi",
a soudainement précipité le front dans la poussière les masses
incultes d'un empire en voie de décérébralisation.
De
nos jours, la question de l'ensommeillement des cultures se
place au cœur d'une géopolitique endormie dans le berceau
de ses idéalités mythifiées. La planète des super calculatrices
et des artifices cérébraux de l'abstrait relèvera-t-elle
un défi bien connu des historiens du déclin et de la mort
des civilisations? Certes, l'Europe de la raison d'Etat s'applique
désormais à distinguer l'islamisme chu dans la superficialité
intellectuelle d'un côté de l'islamisme guerrier, de l'autre,
alors qu'elle ne dispose en rien de l'anthropologie médicale
qu'exige désormais la conquête d'une connaissance rationnelle
des rêves religieux des ancêtres. Mais, j'y reviens, une civilisation
qui ignore l'origine, l'évolution et les causes du dépérissement
des trois dieux actuellement en état de marche sous le crâne
de centaines de millions d'hommes et de femmes tombés en léthargie
ou fanatisés demeure non moins en panne d'un véritable humanisme
que le Sénat romain évoqué la semaine dernière.
Le XXIe siècle attend d'une laïcité redevienne philosophiquement
féconde qu'elle enfante une science de l'imagination religieuse
mieux instruite des étapes qu'un mythe doit nécessairement
franchir entre son enfantement et ses funérailles, mieux instruite
de ce qui la rend poussiéreuse ou florissante, mieux instruite
des difficultés que rencontrent les évadés de la zoologie
en quête d'un Olympe, mieux instruite des avantages et des
désavantages de se trouver coulés dans ce monde. Car
sitôt que ces fuyards eurent quitté le règne animal, il a
bien fallu que leur espèce se demandât qui pilote la mer,
le soleil et la lune. Puis les acteurs qui incarnaient telle
ou telle partie de la terre ont laissé la place à un protagoniste
logé en solitaire dans les coulisses du cosmos - et ce chef
d'orchestre s'est vu chargé de diriger la représentation à
la baguette. Or, la littérature obéit au souffle et à l'esprit
des Olympe. De Caton l'Ancien, Cicéron écrit que ses discours
"sentent la poussière" - "antiquitatem redolent"
- tandis que ceux de Démosthène expriment l'âme grecque -
"ipsae Athenae redolent". Quelle balance à peser l'âme
de l'humanité que ses dieux!
Mais
pourquoi n'y a-t-il aucune chance que la classe dirigeante
actuelle sécrète jamais des phalanges de peseurs de l'encéphale
du genre simiohumain ? Parce que, depuis le XVIIIe siècle,
l'approfondissement de la connaissance de notre espèce ne
progresse qu'à l'école de ses sacrilèges. Ce siècle sera iconoclaste
ou ne sera pas pensant.
Supposons
pourtant que la France de la raison tente de faire germer
quelques phalanges de connaisseurs de l'encéphale des détoisonnés.
Ces alpinistes se feront-ils entendre d'un animal dont l'évolution
de sa boîte osseuse est tombée en panne des blasphèmes d'Isaïe
? Ne faudra-t-il pas un siècle entier pour seulement tenter
de convaincre une minorité de l'intelligentsia mondiale de
ce que l'ascension simiohumaine n'est pas née des personnages
fantastiques que les ancêtres expédiaient représenter leur
épiderme dans le cosmos, mais de l'âme d'une bête solitaire
et vaillante, au point qu'elle se cherche naïvement des sommets
intérieurs à gravir? Je crains que les Etats laïcs les plus
lucides échoueront à forger un clergé d'apôtres du sommital,
je crains qu'ils se trouvent pris de vitesse par les artisans
de la peur qui, de générations en génération de marmots affolés,
requinqueront un acteur ridiculement caché dans le néant et
qui ne servira jamais que de caution tremblante à la faiblesse
de la "vie spirituelle" des nourrissons.
Essayons
pourtant de porter un regard global et de l'extérieur sur
les évadés du règne animal; et, pour cela, observons du dehors
l'oscillation de cette espèce entre une immanence et une transcendance
de sa lucidité.
L'Etat américain a persécuté jusqu'à sa mort le plus grand
génie des échecs de tous les temps, Bobby Fischer, parce qu'il
avait déchiré son passeport. L'identité nationale des Etats-Unis
se trouve substantifiée dans un papier estampillé. Si vous
brûlez le drapeau américain, c'est l'immanence des peuples
à leurs signes et à leurs symboles que vous profanez. Mais
les Anciens appelaient statuae leur corps représenté
dans le bois, la pierre ou l'airain, et signa ou simulacra
les représentations matérialisées de leurs dieux.
C'est donc que la distanciation entre le réel et le signe
se situe au cœur de la condition post-zoologique. Qu'en est-il
d'un primate tragiquement scindé entre des substances et des
symboles? Si elle rejette son immanence, elle se largue dans
le vide - et son destin n'est plus celui qui se grave dans
sa politique et dans son histoire; mais si ce mammifère s'immerge
dans le cosmos, il n'est plus un "signe" - lanterne, potence,
ciguë ou drapeau. La spiritualité laïque portera-t-elle un
regard sur la bête schizoïde qui s'enferre sur des fétiches
ou des totems ou se jette dans le vide ? La raison républicaine
parviendra-t-elle à regarder le genre humain du dehors afin
que la démocratie mondiale devienne un humanisme d'incendiaires
de l'intelligence?
Il
est constant que, dans les maladies qui frappent l'alliance
d'une raison en chemin avec l'espérance religieuse, les poutres
de soutènement de la "vie spirituelle" tombent dans le grotesque.
Le polythéisme est mort sous les rires et les moqueries des
philosophes de leur fétichisme, mais également sous les banderilles
des grands metteurs en scène de la folie du monde. Il y a
fallu la plume des dramaturges de la lucidité grecque. Mais
le tueur assis à l'établi de la Genèse attend
encore son Euripide et son Molière, son Cervantès et son Shakespeare,
son Aristophane et son Socrate. Et pourtant les cruautés les
plus généreuses de la pensée se cachent déjà sous le comique,
le sacrilège créateur sous le rire tellurique, le glaive de
l'intelligence blasphématoire sous le heaume et les mascarades
de la politique mondiale.
A l'heure où l'espèce évolutive se trouve contrainte de se
prêter à une mutation conjointe de sa pensée rationnelle et
de son courage cérébral, la profanation isaïaque, socratique
et bouddhique se place au carrefour du tragique de la bête
totémisée. Comment ne pas tenter de décrypter la "vie spirituelle"
que les saints appelaient la "théologie négative"? Si aucun
Dieu astral n'a jamais servi d'amulette à l'immensité, la
question se pose de savoir quels sommets intérieurs attendent
l'humanité de demain. L'île déserte de Pascal a débarqué avec
quatre siècles seulement de retard. Par bonheur, un canon
pointé sur la tempe de l'animal au cerveau bipolaire l'avertit
que le Dieu localisé des ancêtres n'était que le prototype
de leur embryon de conscience politique et d'intelligence
de leur propre histoire. Aussi le sauvage campé dans le vide
du ciel se montrait-il ardent à noyer ses créatures sous les
eaux et à poursuivre éternellement sous la terre un génocide
aussi atroce qu'inutile; mais déjà les Socrate et les Isaïe
soumettent en catimini ce barbare à l'enseignement d'un dieu
privé de domicile.
Et
pourtant, il n'est pas encore démontré que, même sous la menace
d'une bombe nucléaire provisoirement exorcisée par une stratégie
tout animale de la dissuasion par l'effroi, il n'est pas démontré,
dis-je, que, sous le sceptre des matamores de leur propre
trépas, la première religion du silence et du vide, le bouddhisme,
conquerra des chances nouvelles de se rendre convaincante
- on sait que l'Eveillé a fondé le premier athéisme du vertige,
mais que son message est tombé aussitôt dans une mythologie
de l'habitat en Inde et qu'au Tibet, une imagerie des moulins
à prière a eu raison d'une spiritualité dont le pain montait
dans le four du néant. Du moins, une distribution nouvelle
des cartes de la lucidité et de la peur a-t-elle commencé
d'éclairer la question d'une pesée transzoologique de la boîte
osseuse d'un évadé des forêts.
le 13 février 2014
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