Dernière minute …
En 1923, le chef du gouvernement allemand
s'appelait Cuno. Cet économiste candide portait les œillères de sa
spécialité et en véhiculait les niaiseries. Il ignorait que la Ruhr occupée
par la France, était un butin. Aussi s'imaginait-il que le Président
Poincaré déguerpirait sitôt que entreprise ne serait plus bénéficiaire. Il
suffisait donc, pensait-il de la rendre improductive et pour cela de
susciter des grèves.
Aujourd'hui, un homme d'affaires aveugle ou
faussement naïf dirige les Etats-Unis. Il s'appelle Donald Trump. Sait-il,
ou feint-il d'ignorer que l'occupation américaine de l'Europe est un
trophée, donc un emblème de la victoire américaine de 1945? Pour la
première fois, un Président des Etats-Unis avertit ses vassaux européens que
la patience du peuple américain ne sera pas éternelle à leur égard et qu'il
leur en cuira s'ils refusent de rentrer dans le rang, c'est-à-dire
d'augmenter leur participation financière à leur propre mise sous tutelle.
Dans le même temps, le premier empire militaire
mondial augmente son budget de guerre de quatre-vingt cinq milliards de
dollars.
Tel est le contexte dans lequel je demande aux
lecteurs de mon site d'interpréter mes analyses anthropologiques
bi-mensuelles : l'anthropologie historique que je tente d'élaborer depuis
seize ans sur ce site voudrait inaugurer en amont un recul nouveau de la
raison, donc une distanciation inédite à l'égard de la politique et de
l'histoire, tellement toute objectivité ne recueille en aval que les
conséquences logiques des prémisses énoncés en avant-garde.
*
Le
souverain du monde s'appelle le temps. C'est pourquoi, dès les origines, la
métaphysique a tenté de lui tenir la dragée haute. Le temps, disait-elle,
n'est jamais qu'un trompe-l'œil. Le temps n'est qu'un subterfuge du
temporel, seules comptent nos victoires sur la durée qui nous étrangle.
Mais il se trouve que le dernier coup de gong de ce tyran sonne notre glas.
Et c'est parce que nous refusons de trépasser que nous tentons de le
prendre de haut avec le temps.
Mais quand
l'étrangleur qui s'appelle la mort prend une civilisation dans ses griffes,
quand l'Europe cesse de défier la mort, nous découvrons les arcanes de
notre renoncement au combat. Quel paradoxe que les civilisations se rendent
éternelles à engager un combat sans issue!
C'est que
le butin de ce combat s'appelle la gloire. Un continent qui aura accepté de
périr, une civilisation qui aura renoncé à se rendre glorieuse nous
enseigne les chemins du trépas du Vieux Continent. Ces chemins sont
clairement tracés: c'est par son retrait de l'arène que l'Europe se
construit son sépulcre. Voyons, la loupe à l'œil, comment le Vieux Monde
s'asservit sous le joug d'une puissance étrangère.
Quand les
constitutions européennes sacralisent leur propre servitude, quand des
nations désormais abusivement qualifiées de souveraines proclament
éternelle leur propre occupation sous le joug de cinq cents bases
militaires américaines sur leur territoire, un secret encore mieux caché de
la mort des civilisations rappelle soudainement à notre attention que nous
avons déjà quitté l'arène du temps non seulement sur la pointe des pieds,
mais dans un aveuglement conscient et volontaire. Si La Boétie revenait
parmi nous, il confirmerait son essai sur la servitude volontaire, tellement
nous effaçons volontairement les traces de notre mémoire.
L'examen du
chemin d'une Europe en marche vers son trépas, démontre que notre servitude
se cache au plus secret de nos cerveaux. On l'a bien vu quand le Front
national, par exemple, a rappelé que la souveraineté du continent et de ses
nations ne renaîtra jamais sous la chasuble des vassaux du Pentagone.
Dans un
texte antérieur, je citais une phrase de Montherlant: "Le
vainqueur roucoulait sur les bancs publics avec les femelles du vaincu".
(Voir: Naissance, croissance et agonie de
l'Europe américaine , 20 janvier 2017) Aujourd'hui, la femelle du
vaincu est en tenue de gala, la femelle du vaincu n'est autre que toute la
presse écrite, ainsi que les médias de l'Europe et de l'empire américain.
Quel repoussoir que l'Europe d'aujourd'hui aux yeux des historiens de
demain.
Mais, comme
il est dit plus haut, l'Europe meurt sous une épée de Damoclès qu'elle
feint tellement de ne pas voir qu'en fin de compte, elle cesse réellement
de l'apercevoir. Qui ose proclamer ouvertement que l'empire américain doit
purement et simplement plier bagage, qui ose rappeler que sa présence sur
nos terres ne deviendra jamais naturelle et qu'elle devra prendre fin, qui
ose rappeler aux peuples souverains qu'en 1919, déjà, il avait été
difficile de faire quitter les lieux aux troupes américaines: Henry Ford
était arrivé avec un personnel bien décidé à prendre en mains les commandes
de l'Europe, mais les chancelleries de l'époque lui avaient fermé leurs
portes. En 1949, l'occupant est revenu en force à la suite de l'échec
des accords de Yalta et de la création du Pacte de Varsovie à l'Est.
Peut-être
la vraie postérité de Freud est-elle dans la psychanalyse de la mort de
l'Europe, peut-être la vraie science de l'inconscient a-t-elle débarqué
dans la géopolitique avec la postérité trans-familiale et trans-névrotique
de l'empire de l'inconscient. Car si l'inconscient individuel scelle
alliance avec l'inconscient des nations, nous nous retrouvons dans un
univers dont nous connaissons les repères depuis la plus haute antiquité.
La mort
politique de l'Europe s'accompagne de surcroît d'une tragique déconvenue
des peuples qu'on avait proclamés souverains et qui se montrent éberlués
par la découverte qu'il n'en est rien. Car le pouvoir notabiliaire qui
florissait dans les villages et dans les petites villes de province s'est
lové au cœur de la République où il a sécrété un patriciat du pouvoir
exécutif. Un chef de gouvernement ou un responsable régional se trouve en
position de favoriser les membres de sa famille au détriment du bien
commun. Le népotisme était un cancer de la monarchie; le voici devenu un
cancer de la démocratie.
Du coup, la
catéchisation de la population échoue à former les bataillons d'une élite
politique crédible. Autrefois, les régiments du clergé façonnaient
l'encéphale de la classe politique. Et maintenant, les bataillons des
pastorales de la démocratie échouent à forger un clergé de la Liberté, de
l'Egalité, de la Fraternité et de la souveraineté du peuple. Il n'existe
pas d'Etat qui puisse se passer d'un sacerdoce. Or les idéalités bafouées
jour après jour dans un monde contingent échouent à remplacer un sacerdoce
de l'intemporel et de l'invérifiable.
Une espèce
piégée par ses rêves est un singulier animal. Celui-ci se montre désireux
de s'évader de la zoologie et ambitieux et de vaincre sa propre mort. Il
entretient avec le temps des relations " extra-ordinaires ".
Ou bien cette espèce se donne le butin de la gloire et persévère à se
vouloir partie prenante dans le combat contre la mort, ou bien elle renonce
à ce trophée et elle se replie dans une absentification frileuse. C'est
cela, notre mort, c'est cela notre refuge dans notre soumission aux
volontés de l'empire américain.
L'histoire
de notre mort nous contraint enfin, non seulement à ouvrir les yeux, mais à
les écarquiller. Alors nous découvrons que nous nous rendons les otages de
nos propres songes.
3 mars 2017
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