De tous
temps, en tous lieux et sous tous les régimes, l'appareil judiciaire s'est
mis au service de l'Etat du moment. Monarchique sous la monarchie,
louis-philippard sous la Restauration, anti-dreyfusard du temps de
l'affaire Dreyfus, ennemi de la Commune à l'heure des
"Communards", unanime dans son sermon d'obéissance à Vichy. La
spécificité du tartuffisme judiciaire d'aujourd'hui tient au fait qu'il
intervient directement dans la volonté de porter à l'Elysée un jeune homme
de trente-huit ans, introduit par Jacques Attali dans le groupe Rothschild,
où il a exercé la fonction centrale de banquier d'investissement, autrement
dit, de banquier d'affaires.
La fortune
totale du groupe Rothschild est estimée à quelque cent cinquante millions
de milliards de dollars. J'ai bien dit cent cinquante millions de milliards
de dollars, c'est-à-dire quinze suivi de seize zéros. C'est rappeler que ce
groupe est le vrai maître du marché français, européen et même mondial. A
ce titre, il est devenu l'actionnaire majoritaire de quatre-vingt dix pour
cent des banques centrales de toutes les nations du globe terrestre.
Si l'on se
souvient que Georges Pompidou, ex-banquier d'affaires lui aussi du même
groupe Rothschild, avait imposé à la France l'interdiction d'emprunter à sa
banque centrale et l'avait contrainte à se donner le "marché"
pour créancier exclusif, on comprend que le paiement des seuls intérêts de
la dette de la France auprès des banques privées soit rapidement devenu le
tribut ou le bât du déficit budgétaire annuel de la nation.
Depuis le 3
janvier 1973, date de la loi "Pompidou- Rothschild" la
France a payé plus de mille cinq cents milliards d'euros d'intérêts aux
banques privées. Le service de la dette est devenu le budget le plus
considérable du pays: il dépasse celui de l'éducation nationale et de tous
les autres ministères réunis. Il représente plus de quarante cinq milliards
d'euros par an pour le seul paiement des intérêts. Michel Rocard déclarait
en décembre 2012 sur Europe1 que sans cette loi notre dette se situerait à
un niveau "bénin", de "16 ou 17 % du PIB".
Actuellement, la dette de la France frôle les cent pour cent de la
production totale de l'année.
Quelle
était, en 1973, l'argumentation, sinon conjointe, du moins parallèle, du
groupe Rothschild et de l'Elysée? Il serait absurde de soupçonner Georges
Pompidou d'avoir fait passer les seuls intérêts des banques avant ceux de
la France. Georges Pompidou était un vrai gaulliste et un érudit. Passionné
de grec, quel aurait été son destin s'il était entré à l'école normale
supérieure dont les portes lui étaient grandes ouvertes? Mais il n'a pas
renoncé à sa vocation littéraire: au cours de son mandat il a publié une
anthologie de la poésie française d'une sûreté de goût exceptionnelle.
Mais, à l'instar des banquiers du groupe Rothschild, il savait que tous les
Etats sont tentés de dépenser davantage qu'ils ne gagnent.
Depuis que
l'art de frapper monnaie s'est confondu avec celui de fabriquer de la
monnaie fiduciaire, la prodigalité des Etats n'a plus connu de bornes. Du
coup, leur tentation est devenue irrésistible de vaporiser leurs dettes par
l'inflation afin de rembourser leurs créanciers en monnaie de singe. Sous
l'occupation, le franc français était demeuré relativement stable. Mais,
sitôt la guerre terminée, on a vu notre monnaie se dévaluer sur le modèle
des assignats de la Révolution et ruiner les épargnants.
En 1958, à
l'heure du retour au pouvoir du Général de Gaulle, la monnaie française
avait perdu quatre-vingt dix-neuf pour cent de sa valeur face au franc
suisse. En rétablissant la parité entre le franc français et le franc
suisse et en créant ce qu'on appelait le franc fort, le Général de Gaulle
était si peu parvenu à rétablir durablement la parité entre les deux
monnaies sur le marché des changes, qu'il avait suffi de quelques années
pour retrouver la tradition de la chute du franc gaulois dans l'abîme. Du temps
où le Premier Ministre de M. Giscard d'Estaing s'appelait Raymond Barre,
l'inflation française s'élevait à quatorze pour cent par an.
Aussi
Georges Pompidou croyait-il sincèrement qu'à contraindre l'Etat à emprunter
sur le marché, il porterait un coup décisif aux Etats dépensiers. Il se
souvenait surtout de ce qu'entre 1945 et 1958, plusieurs centaines de
milliers de petits épargnants français avaient été ruinés par la fonte de
la monnaie nationale et pour avoir souscrit des emprunts d'Etat qu'on leur disait
gagés par l'or de la banque de France. Et c'était cette blessure profonde
qu'il fallait tenter, disait-il, de cicatriser.
Or
aujourd'hui, la banque centrale européenne se trouve dirigée par M. Draghi,
ancien banquier d'investissement de la banque américaine Goldman Sachs. Que
signifie l'envoi récent et en avant-garde d'un José Barroso, ancien
Président de la Commission européenne de Bruxelles, à titre de caution du
caractère soi-disant européen de la banque, alors que Barroso n'a jamais
été qu'un agent déguisé du Pentagone et un fidèle exécutant des volontés de
l'empire militaire mondial qu'on appelle les Etats-Unis?
M. Draghi
jette sur le marché dix-sept milliards d'euros papier par semaine, sous le
prétexte d'une politique d'investissement, dont personne n'a vu la couleur.
En réalité,
grâce au fruit de la planche à billets électronique, le but de l'opération
était, à l'image de ce que font la Banque d'Angleterre et la Réserve
fédérale américaine, de racheter des titres obligataires, c'est-à-dire des bons
du Trésor et divers titres d'entreprises irrécupérables appelés "titres
pourris". M. Draghi espérait par cette opération à destination des
banques privées, "débloquer les circuits du crédit",
c'est-à-dire les inciter à se montrer plus dynamiques dans la distribution
de crédits aux entreprises.
Mais
l'objectif des banques privées est autre. Trop heureuses de se débarrasser
de leurs titres toxiques, elles se montrent encore plus frileuses dans
l'attribution de crédits, si bien que le marasme économique perdure. Les
banques, une fois de plus, sont les seules bénéficiaires de la politique
dite de quantitave easing (QE), ce que la langue de Molière
traduit par "laxisme monétaire". Les banques ne sont
intéressées que par leurs propres bénéfices.
La Suisse,
à laquelle on ne fera pas prendre des vessies pour des lanternes, a
aussitôt compris que l'histoire de la République de Weimar allait reprendre
son cours, a décidé sur l'heure de renoncer au taux de change fixe qu'elle
avait accepté d'établir avec l'euro. Sa monnaie s'est immédiatement trouvé
revalorisée de plus de vingt pour cent.
On voit
quel péril la banque centrale européenne actuelle fait courir à l'euro en
renforçant momentanément par contre coup le pouvoir du dollar sur le plan
international: aussi l'Allemagne est-elle allée jusqu'à menacer M. Draghi
de lui intenter un procès. Naturellement, cette menace s'est tout de suite
ensablée, parce que Mme Merkel ne saurait à la fois se présenter en apôtre
de l'américanisation de l'Europe et en défenderesse de la solidité de
l'euro comme monnaie de réserve.
L'euro
dévalué rejoint la catastrophe financière prévisible contre laquelle la loi
Pompidou- Rothschild de 1973 était censée lutter. Car à l'heure où l'euro
sera devenu une monnaie aussi fictive que le deutschemark sous la
République de Weimar, à l'heure où l'euro papier rivalisera, si je puis
dire, avec un dollar papier, tout le monde comprendra que l'euro se
trouvera réduit au rang des assignats. L'euro aura seulement permis à tous
les grands et petits commerçants de France et de Navarre de confondre dans
les esprits un euro avec un franc, ce qui a conduit, par exemple à
augmenter le prix des pommes de terre de mille trois cents pour cent.
Le mythe
d'un euro fort était censé créer une identité européenne. Grâce à l'euro
surgirait par miracle une identité commune, donc un patriotisme européen.
Or, déjà l'extrême gauche allemande descend dans la rue afin de défendre
l'alliance future du parti avec les identités nationales renaissantes
partout en Europe.
A l'origine,
la double nationalité franco-suisse se trouvait pratiquement seule en lice,
tellement elle demeurait inoffensive pour tout le monde. Mais même les
petits pays d'Amérique centrale refusaient farouchement toute
bi-nationalité de leurs ressortissants. On comprend qu'à l'heure où des
millions d'Algériens et de Marocains en France et des millions de Turcs en
Allemagne considèrent seulement la France ou l'Allemagne comme un ajout
secondaire à leur nationalité originelle, comme l'a rappelé récemment
l'actuelle Ministre de l'éducation nationale, Mme Vallaud Belkacem, l'unité
psychologique des nations se trouve pratiquement anéantie. Ainsi, Mme
Vallaud Belkacem a déclaré qu'elle se sentait marocaine, mais qu'elle était
en France pour faire carrière.
Du reste,
M. Erdogan a déjà appelé les Turcs d'Europe à porter à cinq enfants au
minimum la fécondité des femmes turques sur le continent européen afin de
modifier la définition même des identités nationales.
Le
Président Donald Trump avait rappelé avant son élection, que l'Europe ne
sera jamais une nation, mais seulement une société anonyme présidée par un
conseil d'administration, donc livrée à l'anonymat et à l'irresponsabilité
d'une bureaucratie dépourvue de toute autonomie politique réelle.
C'est dans
ce contexte que la gigantesque hallucination collective et la bénédiction
judiciaire de la candidature à l'élection présidentielle d'un Emmanuel
Macron, ancien élève des Jésuites, armé d'un slogan digne d'un gentil
scoutisme - "En marche" - prennent tout leur sens. Car
aussi longtemps que le principe de la présence militaire éternelle des
Etats-Unis en Europe ira de soi, tout ce théâtre de pseudo "marcheurs"
nous rappellera l'opéra Aida de Verdi, dans lequel
une troupe piétinante chante en chœur et à tue-tête: "Marchons,
marchons".
Le 31 mars 2017
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