1 - La
terreur religieuse
La semaine
dernière je me demandais si notre future anthropologie critique pèsera la
raison et la justice du XXIe siècle sur les plateaux d'une balance plus
exacte que celle de Voltaire dans son Traité de la Tolérance.
Car celui
qui daigne accorder à l'erreur le droit de s'exprimer garde seul le sceptre
de la vérité entre ses mains. De plus, si la Liberté d'expression
n'est pas une autorité philosophique, mais seulement l'apanage d'une
subjectivité collective réservée soit à une société tout entière, soit à
une fraction de celle-ci, la foi se trouvera aussi légitimée à la rejeter que
la philosophie depuis Platon et Aristote; mais si la pensée rationnelle est
en mesure de réfuter les cosmologies mythiques et les représentations
magiques du cosmos, alors l'anthropologie distanciatrice verra un champ
immense s'ouvrir au défrichage des ruses politiques et intellectuelles des
sorciers de l'univers et la tolérance se ranger parmi les clés
gentillettes du sacré - on ne décryptera rien à ranger un Dieu arrimé à sa
théologie parmi les Rêveries d'un promeneur solitaire de
Rousseau ou les Confessions d'un vicaire savoyard. Penser
n'est pas un exercice paroissial.
Quels sont
la nature et le poids de l'animalité spécifique d'une espèce qui se forge
des dieux sanglants à l'image de ses codes pénaux? L'examen de la
schizoïdie du Dieu des châtiments devant lequel les simianthropes se
prosterneront nous éclairera-t-il sur la qualité et les failles de son
cerveau à lui et sur les mérites du nôtre? Car le postulat selon lequel nos
multiples croyances religieuses seraient universelles, unifiables sous un seul
ciel et crédibles à ce titre nous renvoie à l'examen de la boîte osseuse
d'une Europe agenouillée le front dans la poussière et en adoration de son
maître d'ici-bas. Or, l'infirmité de l'embryon d'encéphale dont dispose
notre espèce est censée nous enseigner à penser le monde avec droiture. La
Liberté que brandit une divinité construite à notre image est-elle une
massue ou un ostensoir, un glaive ou un bénitier, une épée ou une noblesse
en attente de son épanouissement?
Toutes nos
théologies sont construites sur des châtiments et des prières alternés,
toutes prétendent qu'il existerait, bien campés dans le néant un
gigantesque acteur du cosmos et un protagoniste résolu de sa propre
éternité. Cet Hercule se montrera-t-il soucieux d'imposer ses directives ou
ses ordres à un animal en cours d'évasion des ténèbres du monde? Un axiome
césarien fournit son assise métazoologique prometteuse à nos sciences dites
"humaines"; et celles-ci sont devenues ambitieuses de nous
distancier des mythes qui enivraient nos ancêtres mais les enchaînaient, en
retour, à leurs élévations spirituelles faussées. Mais seule la tyrannie
d'un ciel mieux armé que celui des titubants d'hier terrassera le Dieu
fallacieux de l'occupant de l'Europe et l'expulsera de ses cinq cents places
fortes enracinées depuis trois quarts de siècle sur notre sol.
2 - Châtiments et prières
Depuis des
millénaires, le personnage fabuleux, mais invisible évoqué ci-dessus
dispose, hélas, de moyens de séduction massifs à notre égard. Nous avons
longtemps jugé prestigieuses sa musculature et son armure en raison de la
carrure de leur propriétaire. Le parfum de la Liberté, par exemple,
fleurait bon dans nos esprits; mais sitôt que nous en ouvrions le flacon,
ses senteurs faisaient de nous les fantoches, les pantins et les marionnettes
d'un empire lointain, mais vorace; odoriférant, mais armé de pied en cap,
apostolique, mais carcéral, messianique, mais auréolé de ses geôles.
Pouvons-nous dévisager un souverain de cette dimension et prendre la mesure
de la putréfaction de ce maître?
Remarquez
que la méta-zoologie méditative en chemin sur notre astéroïde nous rend de
plus en plus pensifs. Nos télescopent d'observer l'allure et la bannière
d'une science nouvelle de nous-mêmes. Du coup, la simiohumanité embarrassée
dont nos ancêtres faisaient flotter les oriflammes nous laisse tout
pantois. L'observatoire de l'engluement de leur cervelle dans leurs
draperies et leurs hochets nous montrent une bestiole en cours de
disparition. Mais la lunette de notre astronomie la plus récente enregistre
également la nature et les effets de l'effroi qui s'emparait de nous à
l'égard des souverains oniriques que nous cachions craintivement dans les
nues afin de les soustraire à nos regards apeurés.
Savez-vous
que le despote américain que nous avions armé des foudres de son éthique
politique depuis 1945 nous permet maintenant de fixer toute notre attention
sur le ressort international de l'épouvante et de la vénération qui
s'étaient emparées de nos pères depuis le Moyen-Age? Car notre terreur
religieuse d'antan se nourrissait des châtiments les plus atroces dont nous
nous croyions menacés et dont la sauvagerie se révélait proportionnée à
l'auto-sanctification dont notre souverain de là-haut se glorifiait à nos
dépens. Qu'en est-il désormais des vengeances que perpétuait autrefois sous
la terre le tortionnaire promotionnel de l'immortalité de nos ossatures et
que nous légitimions dans nos faux ciels de l'époque? Nos tremblements
d'alors auraient-ils changé seulement d'apparence? Dans ce cas quelle est
la chasuble nouvelle qu'arbore désormais notre Dieu de la torture?
Décidément,
la fureur des dieux en chair et en os qui épouvantaient nos ancêtres
n'était pas aussi effroyable qu'elle l'est devenue à l'école des trois
principaux monothéismes du sanglant que nous leur avons substitués. En ces
temps reculés, nous tentions seulement de calmer quelque peu les accès de
rage bruyants et répétés de nos premiers Célestes - mais leurs verdicts
criards et sporadiques demeuraient supportables à nos oreilles. A leur
exemple, la piété modérée de nos Etats d'autrefois n'était pas hurlante,
leur dévotion raisonnable nous ordonnait seulement des supplicationes
de plusieurs semaines au besoin. Nous demeurions des malheureux murmurants
et des maltraités rechignants, mais nos dieux nous témoignaient de grands
égards et ne mettaient que rarement la main sur nous.
Aussi nos
cerveaux ronchonnants achetaient-ils leur ciel à l'aide de cadeaux certes
coûteux, mais jamais colossaux; et nos grommellements discrets suffisaient
à alimenter le marché bien achalandé sur lequel nos Célestes venaient nous
ravir de nos bestiaux . Nous allions jusqu'à égorger nos bœufs de trait (victimae),
nous raconte le chef de l'expédition des Dix Mille, mais, le plus souvent -
et surtout en temps de paix - notre petit bétail (hostiae) suffisait
largement à nos oblations. Nous offrions en outre à nos implacabiles
tapis dans les nues des repas somptueux, les lectisternes; et nous
déposions respectueusement leurs effigies sur de riches coussins, les pulvinaria.
Mais rien ne garantissait le succès de notre gastronomie rédemptrice. De
plus, nous ne cessions de réduire la cherté de nos dissuasions cultuelles,
comme si l'épuisement des ferveurs alimentaires de nos cités rendait nos
concitoyens de plus en plus impécunieux.
Quant à la
pitance exposée sur nos autels privés - arae - ils ne donnaient pas
encore dans le fantastique et le verbifique d'aujourd'hui. Nous ne
comblions pas de nos dévotions hurlées à pleine voix les chefs de notre
ciel de la Liberté et leur stature n'était pas stellaire; car nous nous
gardions bien de les installer dans un langage tonitruant du salut. Quant à
notre mythe actuel d'une Liberté monopolisée et sotériologisée, nous
n'aménagions pas les temples d'une Démocratie hypertrophiée à l'usage d'un
géniteur somptueux du cosmos. Les cantiques mécanisés que nous adressons désormais
sans bourse déliée à notre civisme américanisé sont dotés d'ubiquité et
échappent à la domestication ancienne et modérée que nos têtes se
partageaient avec nos poulets. Certes, nos prémices d'autrefois
s'échelonnaient tout au long de nos rues et dans toutes nos demeures; mais
nos immolations au compte-goutte de nos bœufs étaient devenues avaricieuses
sur nos minuscules atria.
Et
maintenant, notre Liberté d'expression réduit notre Liberté de
penser à une mascarade. Nous constatons que le naufrage de notre
civilisation conduit toute notre classe dirigeante à un rétrécissement
hallucinant de son champ de vision . Du coup, on voit surgir sur nos pas
des dessinateurs et des caricaturistes stupides, dont les crayons se
prennent pour des télescopes de leur génie, mais dont l'univers mental se
situe au niveau de la préadolescence. Ces héros d'une prétendue liberté de
pensée n'ont jamais aperçu les cinq cents bases américaines qui occupent
tout notre continent depuis soixante quinze ans; et ces moutons de Panurge
entonnent les bêlements dont leur propriétaire leur dicte la mélodie. Au
lieu de nous pencher sur nos neurones, nous dessinons un Mohammad cul nu.
Quelle liberté de pensée que celle qui nous interdit d'élaborer une
zoologie du langage simiohumain à l'école de l'ignorance et de la sottise
des demeurés et des benêts de la tolérance!
4 - L'avènement du Dieu Liberté
En vérité
c'est dans les goussets de notre Liberté pseudo démocratique que le pain de
nos piétés est devenu le plus amer. La radio et la presse ont pris à
pleines pelletées le relais des oblations au rabais et tristement
maigrichonnes des derniers Romains. Le roi américain du cosmos et de nos
escarcelles est tombé dans l'obésité verbale; et le sang qui coule sur nos
autels n'est plus celui de nos bœufs ou de nos poulets, mais celui de nos
peuples et de nos nations vassalisées par l'étranger; et notre grand
sacrificateur venu d'au-delà des mers, nous immole sur le gigantesque
offertoire de notre soumission à son Verbe.
Mais voyez
comme le souverain de nos panerées de dévotions pseudo démocratiques
répond, lui aussi, au modèle dichotomique et biblique des cantates de nos
ancêtres. Les geôles américaines voient pourrir des centaines d'innocents,
leur paradis fait monter dans l'azur des montgolfières gonflées à l'hélium
de nos idéalités sacrées. La théologie de la Démocratie mondiale n'est plus
que celle de notre vocabulaires messianisé - mais nos litanies sont
calquées sur les sortilèges que nos pères appelaient leur Verbe du ciel et
dont le démiurge omnipotent et omniscient leur tenait la dragée haute. Nous
avons seulement changé de laisse et de propitiatoires.
Nous voici
condamnés à mettre en parallèle les discours de notre créateur blanchi sous
le harnais et ceux de nos démocraties du salut, tellement les deux
messianismes aux cheveux blancs sortent d'un seul et même moule, celui de
notre sénescence. Mais quelle chance, pour notre embryon de raison, de
trouver dans la trousse de notre ciel, l'instrument chirurgical privilégié
du Dieu des simianthropes et l'interlocuteur naturel de notre métazoologie:
cet interlocuteur, vous l'avez reconnu - il s'agit de la torture sanctifiée
dans un camp de concentration universel et enfoui sous la terre.
Qu'en
est-il maintenant de nos assassinats sur l'étal d'un empire étranger?
Le 30
janvier 2015
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