1 - L'éphémère couronnement du sens commun
La pesée
des composantes semi zoologiques du divin - donc celle de l'animalité
spécifique et de plus en plus cérébralisée du sacré au sein de notre espèce
- bouleversera nos définitions anciennes et magiques de la pensée
simiohumaine, parce que la réfutation de la signification que nos
philosophes donnaient à l'histoire de leur embryon de raison changera les
coordonnées anciennes de la notion même d'objectivité dont les
sciences humaines faisaient usage depuis la découverte platonicienne du
concept, donc de l'abstraction.
Primo, nos successeurs mettront en évidence que les premiers pas d'une
intelligence en gésine de notre transanimalité nous conduisaient déjà à
démantibuler les bâtisses de nos savoirs langagiers - simplement, nos
démolitions provisoires, partielles et au rabais de notre vocabulaire nous
armaient d'instruments aussi instables et branlants que les précédents -
les nouveaux vices de fabrication nous conduisaient seulement à édifier des
temples fragiles à la gloire de nos illusions les plus massives, celles
dans lesquelles nous ne manquions pas de choir de siècle en siècle.
Secundo, nous découvrirons que Platon déconstruisait un savoir collectif et
éphémère dont l'assise unanime s'appelait la doxa - l'opinion
publique; mais il y employait un outil de la pensée inédit en son temps,
qu'il appelait l'idée et que nous avons réduite au concept.
Seule l'idée pure, pensait Platon, nous permettait de réfuter les songes
universels attachés à notre intelligence encore superficielle et toute
pratique - celle des civilisations en bas âge et qui ignorent
nécessairement les sortilèges nouveaux qu'enfante le déchaînement des
abstractions.
Puis le
prudent Aristote a cru faire périr de conserve le Graal du langage
concentré avec les tables calcinées et réduites en cendres. Nous étions
naïfs, certes, de loger en toute hâte nos idées pures dans notre
langage plus ramassé, puis dans les morceaux dispersés d'une matière muette
et inanimée; mais ce premier divorce d'un monde disparate et hétéroclite
d'avec nos mots pseudo unificateurs n'en était pas moins un grand pas en
direction d'une radiographie de nos corps d'un côté et du contenu tout
verbal de nos encéphales de l'autre.
Puis nous
avons vu un certain Descartes jeter résolument au feu le fatras des
billevesées et des balivernes théologiques de notre première philosophie du
langage, que nous avions sacralisée à l'école de nos bavardages sacrés.
Mais ce grand homme substituera candidement au verbiage saugrenu de nos
gosiers d'enfants le règne solitaire - et qu'il croira irréfutable - d'une
grammaire du cosmos aussi fallacieuse que nos grognements antérieurs et
construite sur le triomphe de notre sens commun le plus sottement
partagé. C'était légitimer à nouveaux frais le sentiment d'évidence
que les bêtes consomment à nos côtés.
Comment la
physique d'Aristote et la géométrie d'Euclide engendraient-elles les mêmes
évidences immédiates dans nos têtes que dans celles de tous les "autres
animaux", comme disait Salluste? Et pourtant, il s'agissait bel et
bien d'une enjambée décisive hors de nos premiers pâturages. Certes,
l'étude de la cervelle du simianthrope pseudo cogitant demeurait tâtonnante
et titubante entre nos pattes. Mais le singulier avait débarqué dans notre
champ de vision. Nous étions tous devenus des particuliers.
2 -
L'agonie de nos évidences
La pesée de
la course folle des premiers fuyards de la zoologie en direction de leurs
terres promises - leurs oasis évidentielles - exige une métazoologie encore
rudimentaire; puis cette discipline plongera ses antennes dans une
anthropologie dotée d'un regard de l'extérieur sur notre sens commun le
plus élémentaire. Mais une simianthropologie qui installerait ensuite son
télescope hors de l'enceinte semi-animale de nos évidences sera
nécessairement un cratère ouvert sur l'abîme.
Il est
revenu à David Hume de descendre en premier de cordée dans le gouffre d'une
psychobiologie du concept de causalité expliquante. Ce mot magique
trônait depuis des millénaires au cœur de notre espèce de raison
naturelle - celle que nous avions bâtie à l'école du pif que tous les
animaux olfactifs se partagent, mais dont le génial Anglais a dessiné avec
exactitude les contours. Le simianthrope, dit ce patrouilleur, jette, un
filin ténu et invisible, qu'il appelle le lien de causalité, dans la
gueule insondable qui s'ouvre entre deux évènements accolés l'un à l'autre
dans la glu du temps. Il voit seulement des évènements se succéder
régulièrement et à un rythme constant au sein du gouffre de la durée. Ces
observations lui suffisent, croit-il, pour fonder l'intelligibilité du
monde sur la prévisibilité, donc pour brancher le compréhensible sur
l'exploitable. Sitôt que la bête et l'homme sont tombés ensemble dans le
piège de cette confusion mentale, les deux espèces commencent de se
débattre et de s'empêtrer chacune de son côté dans des embarras cérébraux
qu'ils se partageront longtemps.
Dans ce
duo, la bête humaine sera la plus emprisonnée: elle s'imaginera que le
prophétisable serait parlant en soi - et cela, du seul fait, se
dira-t-elle, que le continuel incarcère nécessairement le profitable dans
son enceinte. Mais quelle est la psychophysiologie commune à tous les
animaux et qui les condamne tous à s'imaginer que la nature les aurait
préconstruits de telle sorte qu'ils mêleront d'instinct la ponctualité de
l'univers à une parole censée habiter les atomes et qui doterait la matière
d'une intention bienveillante à l'égard de leurs viscères. Les hommes et
les animaux s'imaginent coude à coude que la machinerie du cosmos serait tellement
charitable qu'elle leur fournirait sans relâche leur picotin cérébral!
3 - La
logique de l'aréopagite
Cette
fois-ci, l'observatoire de la psychophysiologie qui commande en amont les
neurones collectifs des primates loquaces permet aux astronomes de la
zoologie d'apercevoir du dehors l'encéphale de tous les mammifères rendus
pseudo réflexifs à l'école de leurs taupinières parlantes; et le regard que
leurs télescopes ont commencé de porter sur leur carcasse débarque sans
tarder dans la première définition unanime qu'ils se risquent à donner de
leur espèce de philosophie, celle dont les animaux se réclament sitôt
qu'ils ont toisé leurs "frères inférieurs" - comme ils disent
maintenant - pour se jeter les uns aux autres des regards surpris et condescendants.
Car voici que le simianthrope sommital commence de disséquer l'intelligence
issue du répétitif qui abreuvait l'encéphale des primitifs.
Kant
examinera de plus près les rouages et les ressorts infatigables de la
logique mécanique d'Aristote qui pilotait l'encéphale des habitants de
Königsberg et qui fonctionne encore de nos jours dans le monde entier. De
plus, ce fils de cordonnier a mis de l'ordre dans nos premières échoppes
cérébrales : il a étiqueté les catégories a priori, donc les
axes mentaux que nous qualifions de consubstantiels à notre sens commun.
Nous nous trouvons donc emprisonnés de naissance dans nos jugements
appréciatifs des rencontres pseudo rationnelles de la matière avec ses
propres ritournelles. Mais nous commençons de peser la geôle de la
psychobiologie dans laquelle nous nous trouvons incarcérés par nos
neurones. Quelle est, nous demandons-nous maintenant, la nature de notre
incarcération dans la cage cérébralisée par nos lumières naturelles,
qu'en est-il du cosmos qui nous soumet à la meule de ses redites?
Montaigne
avait observé le premier que nous partageons nos raisonnements et nos
fourrages avec ceux du renard. Voyez comme ce flatteur du corbeau de Jean
de la Fontaine tâte la glace d'une patte répétitive et prudente. Ce
disciple d'Aristote s'avance sur un étang gelé qu'après avoir vérifié sa
solidité. Mais l'intelligibilité du monde se laisse-t-elle garantir par nos
pattes de flatteurs des us et coutumes de la nature? Comment jugerons-nous
l'abruti qui nous a encadenassés de cette façon?
4 - Le
ahanement d'un " déconstructeur "
Un exemple
instructif de la métazoologie manquée dans laquelle s'égarent nos
épistémologues de la matière inanimée nous a été fourni tout récemment par
la pseudo "déconstruction" de Jacques Derrida, dont
l'échec se rendra précieux à l'anthropologie critique de demain, parce que
les apories dans lesquelles ce philosophe du durcissement cérébral des
animaux est tombé nous éclairent sur les causes abyssales, donc
anthropologiques, du naufrage des renards de la philosophie, tellement
toute la candeur d'une humanité privée d'une généalogie de ses échiquiers
mentaux se dévoile au seul spectacle d'une erreur de perspective globale
des animaux d'Aristote. Car ces bêtes sont devenues des séductrices
adroites des masques derrière lesquels elles se cachent; et elles affublent
le cosmos des auréoles du répétitif qu'elles ont forgé dans leurs ateliers.
Derrida a
négligé de se demander ce qui attend, au juste, les déconstructeurs
manqués de leur langage. Quel est l'inconscient semi animal qui pilote les
couturiers des redites du cosmos ? Qu'en est-il des conglomérats
épistémologiques qui pilotent les animaux et quels pièges de la zoologie
faut-il apprendre à éviter pour cesser de tourner en rond dans la cage de
la logique d'Aristote? Car dès lors qu'il ne recourt nullement à une
connaissance métazoologique de la zoologie, le regard animal ne porte
jamais sur l'évolution des cerveaux successifs que nous nous sommes
construits. Du coup, nous ne disposons en rien d'un instrument
d'observation fiable de la cervelle piégée des insectes simiohumains. Il
nous faut donc observer, la loupe à l'œil, comment la bestiole est trompée
par la réussite même de ses expériences.
Une espèce
en évolution, donc inachevée par définition, se trouvera nécessairement
hiérarchisée non seulement par l'inégalité des capacités cérébrales dont
disposeront ses divers spécimens, mais par une différence de nature entre
ses conques osseuses aux multiples dimensions. L'assise même d'une
connaissance de plus en plus métazoologique de l'histoire de notre
encéphale en devenir exige donc que nous portions un regard prospectif sur
l'évolution heureuse ou manquée de notre embryon d'encéphale d'avant-garde.
S'il s'agissait seulement de faire ouvrir un large bec à la nature et de
faire tomber son fromage dans la gueule du renard, Maître Goupil serait
déjà devenu un connaisseur estimable des mâchoires grandes ouvertes du
cosmos.
Derrida
manquait non seulement d'une connaissance généalogique des rouages et des
ressorts d'une philosophie enracinée dans la zoologie, mais également d'une
connaissance raisonnée de la logique anthropologique qui a commandé la
généalogie de cette discipline et qui la régit depuis Platon. Seul un
regard qui porterait sur la nature même de l'espèce de déraison
semi-animale que sécrète la bête à la patte raisonneuse a permis de
découvrir que le concept utilitaire de causalité n'est qu'un flatus
vocus du renard et nullement l'instrument d'une connaissance métazoologique
de la généalogie du concept de causalité - donc encore moins de la
détection de l'intelligibilité en soi de l'objet que le fil d'Ariane du
causalisme est censé dérouler.
5 - Abélard
Puisque
c'était à Hume qu'il aurait fallu remonter pour apprendre que le
vocabulaire simiohumain est pseudo heuristique par nature, le XIe siècle se
rappelle à l'attention des pontonniers de l'histoire de la philosophie. Car
Abélard avait commencé d'effeuiller l'idée pure de Platon: plus le savoir
animal s'étend, plus il s'appauvrit, plus il embrasse, moins il étreint,
plus Socrate se dilue dans le concept d'homme, plus un fantôme le remplace
- et ce fantôme verbal appellera l'humanité à s'agenouiller devant une
idole vocalisée, la Liberté. La postérité d'Abélard - le malheureux était
en avance d'un millénaire sur son temps - nous instruit en outre de la
signification anthropologique de l'histoire planétaire de l'encéphale de la
bête que la nature a placée sur l'échiquier d'une métazoologie.
Derrida se
vaporisera à l'école de son langage, car il s'appuie sur les béquilles du
concept abstrait de trace et de l'adjectif insaisissable de spectral,
qui sont seulement des esquisses d'un "sujet de conscience"
absentifié par son propre discours. De quelle pensée s'agit-il et sur quel
territoire les instances lexicales d'une raison congédiée creusent-elles
leur sillon? L'Essai sur l'entendement humain du grand
Anglais exercera une autorité de plus en plus focale dans l'histoire
psychogénétique du vocabulaire de la philosophie de Platon à nos jours,
parce que, le premier, Abélard a démythifié la parole, mais pour retrouver
l'individualisme.
Une
exploration métazoologique de la signification qu'il faudra donner au terme
d'évolutionnisme cérébral - puis à tout le continent de l'inconscient
proprement intellectuel de l'humanité - s'inscriront tellement dans la
fécondation de la postérité de Hume et de Kant que la prétendue
déconstruction derridienne n'illustrera jamais qu'une erreur de parcours -
mais significative - d'un individualisme demeuré dans les vapeurs d'une
philologie déracinée et décérébrée. Et pourtant, cet itinéraire sans pilote
ni géographie, mais localisable dans l'errance d'une logique interne privée
d'échiquier anthropologique, nous aidera à dévoiler et à circonscrire la nature
de la pensée philosophique de demain et de son destin de spéléologie du
"connais-toi" transanimal.
Le 16
janvier 2015
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