Le naufrage des élites académiques
suivi de
A propos de mon texte "Séance
extraordinaire de l'Académie des sciences morales et politiques
Intervention
remarquée d'un revenant qui aurait changé de tête"
Le 17 octobre,
mes lecteurs ont entendu un orateur imaginaire tenir un discours fictif
devant une Académie des sciences morales et politiques surréelle: elle se
serait souvenue de ses origines révolutionnaires et de son destin
ascensionnel dans la République.
Et pourtant,
disait l'ombre de Nicolas Sarkozy: "Nos anthropologues d'avant-garde
observeront bientôt les neurones du simianthrope à la lumière du génie de la
Russie. Car il se trouve que la domestication accélérée de notre continent
conduit notre politique étrangère au grotesque, au burlesque et au
funambulesque. Savez-vous que le nain suédois - censé neutre, mais atlantiste
des pieds à la tête - délègue à Bruxelles une gentille citoyenne du pays
négocier en secret, et au nom de l'Europe entière, un traité intercontinental
de libre échange entre le loup et l'agneau? Savez-vous que, dans toutes les
capitales du Vieux Continent, des peuples aux yeux encore lourds de sommeil
commencent de descendre dans les rues afin de rejeter ce bât?"
Et voici que M.
Kerbrat, Secrétaire général d'une Académie spectrale, m'écrit en toutes
lettres que mes propos seraient mensongers, puisque je n'ai pas été
appelé à m'expliquer en chair et en os devant cette illustre assemblée.
Quand l'histoire
titube, les institutions les plus prestigieuses ne savent plus où donner de
la tête: voici que le représentant officiel d'un corps constitué me somme de
m'incarner dans un conte d'Andersen, voici qu'une Académie, in corpore,
me demande de "retirer mon texte de la toile" ou de
préciser qu'il s'agit d'une fiction littéraire.
Naturellement,
j'ai refusé de me soumettre à une censure prononcée ex-cathedra. Tous
les grands portails qui, depuis des années et chaque semaine me font
l'honneur de relayer in extenso mes modestes commentaires de la
géopolitique ont diffusé ma réponse, accompagnée de la lettre comminatoire
que le Secrétaire général réel de l'une des instances morales et
intellectuelles les plus vaporeuses du pays m'a adressée et que l'on trouvera
en ligne ci-dessous.
Mais comment
diffuserais-je mon analyse prévue pour le 24 octobre, alors que l'Académie se
place soudainement au cœur de l'histoire véritable de la France et du monde?
Car voici qu'elle se montre tremblante de tous ses membres - au sens figuré
du terme - entre l'atlantisme, auquel elle se trouve plus asservie que Phèdre
n'était "à sa proie tout entière attachée", et son
piétinement effaré sur une scène muette. Quel spectacle que celui de sa
vassalisation silencieuse sur les planches d'une France absente! Un siècle
durant, elle aura donné au monde entier une représentation ininterrompue de
l'asservissement de la raison politique française!
Car enfin,
Monsieur le Secrétaire général d'un fantôme de l'éthique de la nation sur la
scène du monde , vous savez qu'une Russie rieuse et moqueuse demande pardon à
Washington d'exister physiquement au milieu de cinq cents camps et forteresses
américains grouillants de bras et de jambes de Hambourg à Naples et à
Syracuse. Vous savez également que M. Barack Obama a identifié la patrie de
Dostoïevski et de Tolstoï au deuxième rang des catastrophes naturelles, tout
de suite après le virus Ebola, vous savez que M Hagel, ministre américain de
la "défense", c'est-à-dire de la guerre, a déclaré que
l'armée russe se trouvait "aux portes de l'OTAN",
c'est-à-dire d'une institution placée sous le commandement exclusif des
Etats-Unis.
M. le Secrétaire
général, M. le Président, M. le vice-Président, M. le Secrétaire perpétuel,
je frémis de ce que l'Académie ne se préoccupe pas davantage de sa renommée
d'autrefois et de celle qui l'attendait depuis 1795, tellement elle se trouve
à la croisée des chemins. A la place qu'occupe chacun de vous, ce n'est pas
seulement de l'histoire de la France de la raison, de la pensée et de
l'éthique que votre rang fait de vous des témoins pathétiques de l'Académie
des sciences morales et politiques, mais également, de l'histoire actuelle
d'une planète dont votre mission collective vous rend partiellement, mais
hautement responsables.
Que devient la
dignité de la France entre les mains de l'Académie quand elle se tait devant
le spectacle de l'asservissement d'un continent dont elle est née en 1795!
Ouvrez les yeux sur la Russie que vous contraignez à basculer du côté de la
Chine, de l'Inde et de l'Amérique du Sud et vous verrez que l'enjeu n'est
autre que le suicide politique de la France et de l'Europe. Car un empire étranger
contraindra les capitales vassalisées du Vieux Monde à se ruer dans la
fiction selon laquelle, cent soixante huit ans après la prise de Sébastopol
par Napoléon III et les Anglais, l'Ukraine serait redevenue le centre de
gravité de la géopolitique, mais au profit d'un autre continent.
L'ex-empire des
tsars a trouvé un allié de taille à Pékin. Mais vous contraignez Moscou à
faire basculer le commerce mondial au bénéfice du développement de
l'industrie russe, du commerce russe et de l'agriculture russe; et vous vous
raidissez sottement dans la fiction selon laquelle il existerait une instance
académique à la mesure d'une morale et d'une politique dont vous avez lâché
les rênes.
M. le Président,
M. le vice-Président, M. le Secrétaire perpétuel, M. le Secrétaire général de
votre propre solitude, de quelle Académie des droits de l'esprit êtes-vous
devenu les porte-voix ? Etes-vous les effigies représentatives du corps
constitué craintif et flottant dont deux cent vingt ans de réflexion de la
France sur l'éthique des civilisations et des nations auraient accouché?
Etes-vous les témoins et les scribes de l'intelligence d'une République
raidie sous le sceptre d'un empire étranger? Etes-vous les fidèles messagers
d'une assemblée soucieuse seulement de protéger ses rituels? Sous quelle
lentille placer une raison académique dont la vocation originelle était de
mettre l'histoire et la politique de l'humanité sous la voilure d'une éthique
universelle?
La fin des
civilisations paraît vouée au ratatinement du regard des élites. Mais ce
rabougrissement du champ de vision des classes dirigeantes n'est plus celui
que dénonçait la Trahison des clercs de Julien Benda, qui
observait l'irruption de l'irrationnel dans une civilisation des rigueurs,
mais également des raidissements de la pensée logique.
Le naufrage
partagé de la raison et de l'éthique internationale dont témoigne l'Académie
est d'une tout autre nature : d'un côté, la République se momifie et se
totémise, de l'autre, elle se disloque et nous renvoie au balancement des Pendus
de Villon.
Mais je titube
au milieu des ossements: si la pluie vous avait débués et lavés, si le soleil
vous avait desséchés et noircis, si pies et corbeaux vous avaient les yeux
cavés et arraché la barbe et les sourcils, jamais nos cœurs ne se seraient
contre vous endurcis.
La trahison des
élites modernes est tellement singulière qu'elle ne se dissout pas sous la
pitié de Villon: vous vous balancez de ci, de là, mais c'est l'étranger qui
règle le balancement de vos squelettes au bout de la corde. Vous vous donnez
les oracles de votre servitude, mais c'est la voix de votre maître qui
entrechoque les pendus.
*
1
- Rappel
2
- J'ai reçu la lettre ci-dessous du Secrétaire général de l'Académie des
sciences morales et politiques, M. Pierre Kerbrat.
3
- Voici ma réponse
1 - Rappel
Que faut-il
retenir du troisième discours imaginaire d'un revenant qui aurait
changé de tête?
2 - J'ai reçu la lettre ci-dessous du
Secrétaire général de l'Académie des sciences morales et politiques, M.
Pierre Kerbrat.
Monsieur,
Le 17 octobre
dernier, vous avez publié sur votre site internet
(http://www.dieguez-philosophe.com), un article intitulé "Séance extraordinaire
de l'Académie des Sciences morales et politiques - Intervention remarquée
d'un revenant qui aurait changé de tête".
Dans cet
article, vous vous mettez en scène comme étant invité à vous exprimer devant
l'Académie (?), ce qui n'a jamais été, à ma connaissance, le cas.
Vous êtes
libre - jusqu'à un certain point - d'utiliser un tel procédé littéraire, à la
condition toutefois qu'il n'y ait aucune ambiguïté concernant la réalité - ce
qui rendrait votre texte mensonger - et que vous ne vous arrogiez pas le
droit d'engager l'Académie dans le soutien apporté à telle ou telle prise de
position, quelle que celle-ci puisse être.
Je vous
demande donc
- soit de
retirer ce billet de la Toile,
- soit de le
modifier et de ne pas y mentionner l'Académie des Sciences morales et
politiques,
- soit
d'indiquer de la manière la plus claire possible (en gras et en début
d'article) qu'il s'agit d'une fiction qui n'engage en rien l'Académie des
Sciences morales et politiques.
Si vous choisissez
la 3e solution, je vous demande de bien vouloir me soumettre au préalable le
texte de l'Avertissement que vous placerez en tête de votre article.
Chacun de ces
choix doit entraîner des modifications non seulement sur votre site, mais
également sur les sites qui reprennent vos billets (voir la liste en PJ des
sites ayant relayé à ce jour votre texte)
En espérant
une réaction adéquate de votre part pour un règlement amiable de ce problème.
Pierre
Kerbrat Secrétaire général Académie des Sciences morales et politiques
3 - Voici ma réponse
Monsieur le
Secrétaire général de l'Académie des sciences morales et politiques,
Je croyais que
l'Académie des sciences morales et politiques se trouvait tellement proche de
l'Académie française qu'elle aurait connaissance du règne de la fiction
littéraire de Rabelais ou Villon à nos jours.
Je me permets de
vous signaler que le lion devenu vieux de La Fontaine ne se cache pas dans la
brousse, que les moutons de Panurge pâturent dans toutes les têtes, que les
Yahous de Swift sont plus réels que nature précisément de camper dans
l'imaginaire et que si les âmes mortes de Gogol trottaient dans les rues de
Paris, elles y perdraient toute leur réalité.
C'est pourquoi je
fais dire à un ancien Président de la République transporté dans l'imaginaire
que les vrais personnages sont mythologiques et que seul un Abraham
imaginaire a voulu retirer un Isaac en chair et en os d'un ciel
sacrificateur.
Je formule
l'espoir qu'une Académie des sciences morales et politiques élevée par la
plume dans le monde ascensionnel qu'elle devrait habiter et où je l'ai
colloquée un instant, s'initie au double langage des signes et des symboles.
De toute façon
le double personnage que l'Académie des sciences morales et politiques met en
scène se révèle un acteur divisé entre son corps et son effigie, comme tout
le monde. Cet Hamlet à la fois naturel et surnaturel est bien à l'image du
réel, celui d'une République qui se demande où se cache son esprit.
En espérant que
ma réponse représente une réaction adéquate à votre missive , je vous prie de
bien vouloir agréer, Monsieur le Secrétaire général de l'Académie des
sciences morales et politiques, l'expression de ma considération très
distinguée.
Le
21 octobre 2014
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire