28 juin 2014

"Le mythe de la liberté et de l'impérialisme démocratique 1" par Manuel de Diéguez

Éditorial de lucienne magalie pons



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                               Manuel de Diéguez
Le mythe de la liberté et l'impérialisme démocratique 1
Réflexions sur l'inconscient religieux de la politique mondiale




1 - La bête et ses miroirs sacrés 

Comment se fait-il que, sous les lambris et les lustres de leurs palais, les chefs d'Etat du monde entier s'entourent de gardes au casque baissé jusque sur les yeux, au sabre tiré du fourreau, la pointe levée devant leur visage? Jusque sous la pourpre des Républiques, l'or et l'acier rappellent que nous sommes des animaux armés jusqu'aux dents. Quand les anthropologues de salon se souviendront de ce qu'il n'est pas de nation digne de considération qui puisse renoncer aux symboles les plus éloquents de la politique de la bête, ils comprendront que l'héroïsme est toujours sanglant, parce que ce bas-monde hume l'odeur des carnages.

Mais, dans le même temps, le simianthrope ne se veut pas seulement teinté de rouge et bardé de piques sur les champs de bataille. Cet animal ne cesse de ruser avec son effigie et d'en planter l' image menaçante autour de lui - il lui faut se rappeler sans se lasser que l'existence qui lui appartient en propre, il ne la partage avec aucune autre bête. Sa vraie vie est toute intérieure, prétend-il, donc mentale au premier chef et nullement redoutable. Puisque les semi évadés actuels de la zoologie jouent avec leurs silhouettes apaisées et en multiplient l'image adoucie dans les miroirs mentaux dont ils s'entourent en tous lieux, c'est que ce bimane n'est pas seulement un guerrier, un tueur et un carnassier: le plus souvent il se contente d'afficher des banderoles, des auréoles et des couronnes iréniques. Aussi, ces ombres en représentation sur les planches d'un théâtre fleuri permettent-elles à grand peine de distinguer l'histoire des épées de celle des affaires.

2 - Sur quel pied faudra-t-il apprendre à danser ? 

Les Etats enlacés à leur chef d'au-delà des mers sont des plantons en tenue de service. Leur employeur s'appelle le Traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Sont-ils, pour autant, des acteurs en chair et en os sur la scène du monde ou jouent-ils seulement un rôle d'apparat sur les planches d'un Continent définitivement vassalisé? Lorsque, en mars 2014, la Russie a retrouvé la Crimée dans le cliquetis discret des armes et aux applaudissements plus bruyants de la population, il ne semble pas que les endimanchés de l'histoire aient jugé utile de déplacer leurs dentelles de quelques pas au profit ou au détriment de ces villages lointains. Mais ils savaient, semble-t-il, que leur souverain d'outre-Atlantique se trouverait gravement offusqué par ce remue-ménage. Aussi, dans toute l'Europe, les lustres ont-ils tremblé. C'est dire que le Vieux Monde n'est pas livré seulement au jeu des masques et des panaches de la servitude de ses Républiques: les valets prennent au pied de la lettre les histoires de sang qu'on raconte à toute leur maisonnée. 

Flottant, oscillant, en suspens entre ses feintes et le monde, pourquoi ce fuyard, ici des ténèbres et là de la lumière, n'est-il plus une bête entièrement sauvage? Parce qu'il est embarrassé par son capital génétique disjoncté. Aussi se demande-t-il sans cesse à quel endroit il se trouve arrêté entre sa tête et son ossature. Ses comportements chaotiques ne lui sont pas dictés entièrement par la rigidité de ses uniformes, mais également par la mobilité de ses intérêts financiers bien compris.

Du coup, ce marchand avisé se trouve coincé entre les contraintes que sa domesticité lui impose jusque dans ses chaumines et les vaines rodomontades auxquelles il s'exerce sur la scène du commerce international. C'est ainsi que ce négociant s'est vu rudement rappeler à l'ordre en Ukraine. L'enfant indocile n'avait-il pas prétendu qu'il lui demeurait du moins permis de s'occuper de ses propres affaires, et cela, tenez-vous bien, de Brest au Caucase, alors que ce vaste territoire se trouve - à titre exclusif et depuis belle lurette - dévolu à un affairiste plus gros que lui?

Mais, dans le même temps, ce marmot prétend livrer effrontément, en grande pompe et en toute innocence des navires de guerre de sa fabrication à la Russie et conclure en catimini des affaires pour son propre compte avec le Soudan, l'Iran et Cuba, ce qui le place sous la menace d'une amende de dix milliards de dollars que l'appareil des châtiments de son souverain s'apprête à infliger à ses vanteries. Mais alors, sur quel pied devons-nous apprendre à faire danser la vertu? 

3 - Les instruments de notre vassalité 

D'un côté, nous demeurons pieds et poings liés à la machinerie judiciaire d'un chef du Bien et du Mal campé à plusieurs milliers de kilomètres de nos rivages, de l'autre, nous enrageons dans nos berceaux et nous tentons d'en briser l'osier. Que ferons-nous de nos corbeilles tressées quand nous serons devenus grands?

Certes l'animal toisonné des forêts dont nous sommes issus se trouve désormais scindé entre ses sabres d'apparat et les langes de ses démocraties. Notre armement brille entre les mains de nos gardes de la République, mais notre goupillon est devenu celui de l'Eglise que nous appelons la Démocratie. L'hostie qu'elle nous présente sur ses autels est celle de la Liberté. Mais le ciboire dans lequel nous buvons ce breuvage est de factures fort diverses : tantôt encensoir, offertoire ou brûle-parfums, tantôt bête du sacrifice, nous retrouvons toujours et partout les deux acteurs principaux de notre servitude, le sabre et le saint suaire de la Justice et du Droit dont notre maître se fait les instruments de notre vassalité. 

C'est pourquoi, nos gardes du palais s'enveloppent d'un étendard tricolore, tellement le tranchant de nos armes et la gloire de nos bannières font une alliance que nous appelions l'Histoire. Décidément nous appartenons à une espèce voyageuse et parée d'une majuscule révérentielle. Mais ce sera dans nos têtes qu'il nous faudra partir en expédition. 

4 - La nef des fous 

Embarquons sur la nef des fous de la démocratie mondiale. Pourquoi l'Amérique fait-elle semblant de croire que la Russie, dont la population s'élève à quelque cent cinquante millions d'habitants seulement, songerait à se lancer tête baissée à la conquête du globe terrestre tout entier ? Notre astéroïde ne compte-t-il pas six milliards d'habitants? Comment la Russie n'en ferait-elle qu'une bouchée? Et puis, si une folie de ce calibre existait ailleurs que dans l'encéphale embrumé de notre maître, pourquoi se contente-t-il de placer de loin en loin quelques gardes, sabre au clair et le casque sur le nez aux frontières d'un ennemi aussi redoutable?

Il est donc démontré que notre souverain de là-bas ne croit pas un traître mot de ce qu'il nous raconte. Mais comment se fait-il que, de son côté, la Russie rivalise avec ces enfantillages et fasse semblant de se trouver menacée par la prêtrise défroquée qu'exerce la fausse démocratie mondiale? Quel intérêt, pour un grand et puissant Etat, de paraître prendre au sérieux des guenilles, des chimères, des fariboles ? Pourquoi feindre de pointer des canons sur des épouvantails plantés dans les champs?

Les métazoologues qui ont collé nos effigies dans leurs herbiers nous disent que le simianthrope ne sait exactement ni ce qu'il croit, ni ce qu'il ne croit pas, ni dans quelle direction son navigateur d'outre-Atlantique le fait ramer. Ce flottement de la voilure de la bête l'a conduite à recourir à des dérobades dans lesquelles le réel et l'irréel se laissent de plus en plus difficilement séparer. 

5 - Les derniers goupillons 

C'est ainsi qu'une Europe privée de pilote croit le plus sincèrement du monde et ne croit pas du tout que l'OTAN soit un timon utile ou nécessaire à la navigation entre la paix et la guerre; c'est ainsi que ce continent ignore ou affiche fièrement ce que son capitaine lui fait dire. Cette confusion mentale découle de ce que les évadés partiels de la zoologie ne savent que vaguement à quel point ils sont la proie des songes qu'ils ont logés sous le crâne de leur divinité. Depuis deux siècles, le monde tout cérébral qu'ils habitent ou désertent tour à tour est celui d'une mythologie démocratique et républicaine dont les auréoles s'appellent la Liberté, l'Egalité et la Fraternité. Ils se veulent confusément les ouvriers et les rebelles de la sainteté qu'ils habitent dans leur tête.

D'un côté, ils se disent qu'ils se trouvent en sûreté dans l'enceinte vertueuse de l'OTAN, mais, in petto, ils ne savent contre quels pécheurs il leur faut hisser les voiles, de l'autre, les dirigeants d'une Russie convertie aux droits de la raison ne sont pas suffisamment initiés aux méthodes et aux découvertes de la métazoologie moderne pour savoir que leur histoire et celle de toute l'humanité ne sont qu'un songe éveillé dont nos simianthropologues décryptent les arcanes depuis plus d'un demi-siècle. C'est pourquoi le Kremlin se comporte encore en dormeur mi-éveillé, mi-effrayé, mi-rieur. Tantôt il s'indigne haut et fort qu'on le juge redevenu aussi menaçant qu'au temps de la guerre froide, tantôt il enrage de ce que le gigantesque simulacre militaire dont on l'entoure ne soit pas compris par l'Europe des vassaux au titre d'une fantasmagorie délirante, celle d'un empire sur le déclin et qui se réfugie dans d'ultimes attrape-nigauds.

Car le simianthrope s'enivre à la fois à l'école de ses armes et à celle de ses frasques, mais toujours dans des proportions variables et dont il ne connaît pas les dosages. Personne ne croit que la Russie soit menacée par des envahisseurs au sens musculaire du terme, personne n'imagine des nuées de fantassins en chair et en os et des essaims de tanks qui courraient occuper physiquement le territoire de la Russie ou de la Chine; et pourtant tout se passe comme si la bête projetait son ossature et toute sa charpente sur les lopins de l'ennemi. Les armes de sa folie batailleuse ne sont plus bardées de bouches à feu; néanmoins l'imagination guerrière de la bête la hisse encore à la hauteur de ses canons de Marignan devenus seulement plus obèses, et l'humanité se cherche des repères du fabuleux quelque part entre ses tonnerres devenus obsolètes et ses derniers goupillons.

6 - Le vocabulaire des assassins 

La même duperie s'offre au regard de nos métazoologues en Asie: tout le monde sait que l'Amérique consacre chaque année six cent cinquante milliards de dollars à fourbir les armes de guerre dont l'univers mental des démocraties messianiques se nourrit, tout le monde sait que l'empire du mythe de la Liberté fait naviguer de jour comme de nuit sa flotte de guerre sur tous les océans du monde à seule fin d'exorciser un ennemi onirique, donc campé seulement dans les têtes. Et voici que cette sotériologie sanglante s'indigne ou feint de s'indigner de ce que, cette année, la Chine ait triché quelque peu sur le montant de ses dépenses militaires- elle aurait déboursé cent quatre vingt cinq milliards de dollars au lieu des cent quarante qu'elle avait prévus et pieusement annoncés à ses confesseurs.

Pourquoi le grand culpabilisateur américain peut-il, à lui seul, jeter davantage de dollars par les fenêtres que tous les autres Etats de la planète qu'il cite à comparaître devant son tribunal et pourquoi le modeste dépassement d'un budget se trouve-t-il dénoncé par le roi du gaspillage au double titre d'une supercherie éhontée et d'un sacrilège indigne du paradis de la démocratie universelle, sinon parce que la fascination accusatoire qu'exerce un monde ensorcelé par son maître culpabilise, en retour, l'encéphale naïf de la bête, laquelle ne semble pas avoir changé de candeur depuis le Moyen-âge? Simplement, la cosmologie de la Genèse a emprunté un autre revêtement de l'innocence et du crime. Car si le cerveau d'outre-Atlantique ne croyait pas - mais seulement à demi - à la légitimité de l'habillage punitif des guerriers du ciel d'aujourd'hui et à la validité des châtiments qu'ils infligent saintement et si, de leur côté, la Russie et la Chine ne croyaient pas également à ces dévotion, et cela en dépit des protestations véhémentes du rationalisme qu'elles ont hérité du marxisme, le simianthrope contemporain ne présenterait pas peu ou prou le même étalage de ses piétés qu'à l'âge du fantastique religieux dont s'alimentaient les cosmologies primitives. 

En réalité, c'est le Dieu tartuffique de l'apocalypse de Saint Jean en personne qui déambule sur les planches d'un théâtre démonisé par le nouveau Belzébuth, celui d'une apocalypse nucléaire angélisée par la démocratie d'un côté et par un mythe religieux vieilli de l'autre. Mais alors, comment voulez-vous que le Créateur d'un cosmos vertueusement flanqué de son enfer de tortionnaire éternel n'ébouillante pas jusqu'au dernier les damnés qu'il a enfouis sous la terre? Comment mettre à mort la moitié seulement des équipiers de la nef des fous, comment faire briller de tout l'éclat de la "vérité" du ciel une portion congrue des casques, des glaives et des cuirasses de la créature?

7 - Le plus malheureux des Dieux uniques

Il faut donc que le démiurge de la Genèse recoure, lui aussi, à une sainte fraction seulement de ses victimes et qu'il les arme des glaives de leur ubiquité verbale, afin de tenter de se rendre crédible à l'école du fantastique de type religieux, c'est-à-dire aux yeux encore mal dessillés des piétons de son dictionnaire. Une apocalypse terminale d'un côté, un enfer des souffrances expiatoires de l'autre, quels garants verbaux de la justice idéale du plus malheureux des dieux parfaits, celui de son propre pénitencier! Une seule fois, cet otage de son lexique a tenté de prêter la main à son langage et de mettre en branle sa puissance physique sur nos pauvres charpentes; mais pour cela, il lui a fallu déclencher le génocide du Déluge. Or, son glossaire céleste lui-même, tel qu'il est censé en avoir dicté les vocables aux prophètes de sa grammaire, nous apprennent que ce laboureur de la mort s'en est mordu les doigts et qu'il s'est juré, le pauvre, de ne plus jamais recourir à ce genre de syntaxe de sa sainteté musculaire sur la terre.
Il en est ainsi de l'Amérique, de la Russie, de la Chine et de l'OTAN. Ces Etats en chair et en os ne disposeront jamais ni du Déluge charnel d'un vrai massacreur et dépeceur de nos carcasses, ni des empires souterrains d'un vrai tueur de notre viande, ni des ressources d'une apocalypse d'exterminateurs et de broyeurs infernaux. Il leur faut donc remédier à leurs handicaps corporels et tenter de régner, eux aussi, par les seules armes qui leur restent entre les mains, celles du fantastique langagier dont le monothéisme leur a enseigné le maniement sous la terre. Aussi une catastrophe boiteuse et une apocalypse claudicante s'étalent-elles désormais sous les yeux éberlués des premiers métazoologues du vocabulaire trans-musculaire que la bête et son ciel trucidatoire se partagent.

8 - Le 6 juin 2014 et les carnassiers de la Liberté 

Voyons de plus près ce que nous disent les calendriers de nos massacres oniriques. Nos armes de guerre, qui s'étaient de plus en plus mécanisées depuis notre migration de l'âge de la pierre taillée à celui du bronze ont changé peu à peu de stratégie pour glisser, en quatre décennies seulement, du règne des dieux de nos songes proprement théologiques au triomphe, non moins rêvé, de notre langage de la mort sur les champs de bataille nouveaux de la Démocratie, ceux des carnassiers de la Liberté.

En 1969, le Général de Gaulle avait échoué à libérer la France et l'Europe du joug de la Démocratie messianisée, celle dont les Etats-Unis brandissaient sur nos têtes le sceptre et les galons dorés. Georges Pompidou s'était vu contraint d'ouvrir la porte de l'Europe à l'Angleterre, alors qu'il était évident à tout le monde qu'en raison de ses gènes insulaires, ce pays ferait farouchement obstacle à toute tentative du Vieux Monde de s'armer de l'épine dorsale d'une politique militaire face à ses rivages.

Aussi, en 1964, le Général de Gaulle avait-il refusé tout net de commémorer le vingtième anniversaire du débarquement allié en Normandie. Ecoutons-le: "La France a été traitée comme un paillasson! Churchill m'a convoqué d'Alger à Londres, le 4 juin, il m'a fait venir dans un train où il avait établi son quartier général, comme un châtelain sonne son maître d'hôtel. Et il m'a annoncé le débarquement, sans qu'aucune unité française ait été prévue pour y participer. Nous nous sommes affrontés rudement."

Mais, en 1974, le Président Giscard d'Estaing et tout son gouvernement avaient marché non moins humblement que docilement à la rencontre de son délivreur, M. Jimmy Carter, lequel avait débarqué à la première heure, ce matin-là, sur les côtes de la Normandie afin de commémorer sous la forme la plus vassalisatrice possible le trentième anniversaire du débarquement du 6 juin 1944. Et pourtant, quarante ans plus tard, le 6 juin 2014, l'heure de la revanche du Général humilié a commencé de sonner: l'Europe vassalisée a saisi cette opportunité stratégique pour s'ingénier à retirer de la tête du Président Barack Obama la tiare de la souveraineté démocratique à l'américaine, qui a fait de la statue de la Liberté le symbole de l'assujettissement de l'Europe.
Un demi siècle après l'abaissement de 1944, une phrase du Général de Gaulle à Alain Peyrefitte prenait tout son sens prophétique: "Et vous voudriez que j'aille commémorer leur débarquement, alors qu'il était le prélude à une seconde occupation du pays? Non, non, ne comptez pas sur moi!

Je poursuivrai le 4 juillet l'histoire du jeu du mythe de la Liberté avec la servitude des peuples.
Le 27 juin 2014

 

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