1 - La labilité et la fixité des dieux
Les
biographes de la mort sont aux aguets: ils savent, eux, que la politique
ressortit à l'art oratoire, ils savent, eux, que la vraie voix des nations
est celle de leur destin et une France sans destin est une France sans
voix. Pour comprendre comment les nations se donnent un élan, un souffle,
un destin à l'écoute de leur voix, il faut remonter le cours du temps.
Il était
une fois un paradis sur terre auquel un fleuve divin apportait chaque année
la manne de son limon fertile. Il suffisait d'ensemencer régulièrement le
déversement de cette corne d'abondance pour nourrir non seulement la
population, mais pour transporter chaque année jusqu'aux bouches du Tibre
le blé de l'annone aux citoyens romains. Les esprits tranquilles, mais
aussi les plus endormis, se félicitaient de ce qu'un Dieu aussi ponctuel et
tranquille transformât la nature en une boîte de Pandore des félicités.
Mais
d'autres s'inquiétaient d'un Dieu aussi mécanique et qui transformait
l'univers en une clepsydre sans surprises. Ils se disaient que ce Dieu trop
paisible ne présentait pas une garantie de durée suffisante, tellement le
destin est capricieux et tumultueux par nature. Il fallait, pensaient-ils,
planter dans le désert des masses de pierres colossales dont la solidité
cautionnerait la bienveillance du Nil. Et puis, comment l'ordre pacifique
des saisons, comment la seule bénévolence des jours conduiraient-ils la
dépouille mortelle des Pharaons vers leur éternité? De gigantesques
pyramides ont accompagné la labilité de leurs cadavres parfumés vers leur
immortalité. Les nations ont besoin de titanesques agrippements de leur
quotidienneté à la matière inébranlable de leurs symboles.
2 - La fonction oraculaire du Capitole
De l'autre
côté de la Méditerranée, c'était le Capitole qui servait d'emblème et de
forteresse à l'éternité de l'empire romain. Othon, dont les troupes
venaient d'assassiner le vieux Galba et son successeur désigné, le vertueux
Pison, s'était suicidé en se précipitant sur son épée au spectacle du
désastre auquel il conduisait l'empire. Le goinfre Vitellius, à la tête des
légions de Germanie, courait vers Rome et le feu avait été mis au Capitole.
Il s'agissait d'un malheur plus irréparable qu'une bataille perdue.
Vespasien arrivait du Moyen-Orient à bride abattue, où il laissait à son
fils Titus l'ultime écrasement des Juifs qui refusaient de payer le tribut
et de placer la statue de l'empereur dans leur temple.
Mais
Vespasien eut beau reconstruire le Capitole et organiser de longues
journées de purification de l'empire, jamais ce monument n'a retrouvé la
plénitude de sa fonction sacrale. Puis les chrétiens commencèrent de faire
entendre leurs voix: que valaient, disaient-ils, des dieux condamnés à se
faire écouter dans le gosier stupide des oies du Capitole ? Saint Ambroise
fera enlever la statue de la Victoire qui trônait depuis des siècles dans
l'enceinte du Sénat. On sait que la réponse de Symmaque figure dans toutes
les chrestomathies, tellement elle répond aujourd'hui encore à la question
de savoir si les dieux ressortissent à des floraisons culturelles ou si la
vérité coule de leur bouche.
3 - Une Europe de poupées de son
Où sont, de
nos jours le Sphinx, le Capitole, la muraille de Chine de l'Europe? Où sont
les symboles de l'unité européenne? Qui peut se reconnaître dans la tour de
Babel du Parlement de Strasbourg ou dans une Commission de Bruxelles
accrochée aux basques de l'Amérique?
Pendant
quarante neuf ans, l'Allemagne avait été scindée entre le régime
capitaliste à l'ouest et une économie fondée sur le messianisme d'une
utopie économique à l'est. En 1989, un miracle s'était produit:
l'effondrement du mur de Berlin, avait réuni les deux Allemagne et redonné
à la patrie ressoudée Berlin pour capitale et la porte de Brandebourg pour
symbole de son unité ressuscitée. Mais, à la tête d'une Allemagne qui avait
été dirigée durant un demi-siècle à partir d'une petit ville de province se
trouvait désormais une ridicule petite confiturière dont la cervelle ne
contenait pas un milligramme d'esprit national et de fierté patriotique.
Et quel
symbole de la Germanie rassemblée, cette fille d'un prédicateur protestant
avait-elle donné à l'Europe et à sa propre nation? Au nom de la religion
nouvelle des droits de l'homme, il fallait recevoir à bras ouverts des
centaines de milliers de jeunes et vigoureux musulmans envoyés par la
Turquie dans le même esprit, osait-elle clamer que celui qui avait présidé
aux embrassades entre les Allemands de l'Est et de l'Ouest, dans l'euphorie
de leurs retrouvailles en 1989. Ce n'étaient plus seulement l'Allemagne et
la France qui n'avaient plus de destin. Faute de signaux porteurs de leur
voix, c'était l'Europe entière qui avait perdu ses lieux de mémoire. Mais
ces nations n'étaient plus branchées sur la religion.
Que dire,
en revanche, d'un culte idéologique des droits de l'homme plaqués sur les
terres de la Pologne? Un pape polonais, Jean-Paul II, avait reconverti le
christianisme à la sacralisation de la terre, un pape polonais baisait le
sol des nations, un pape polonais avait réconcilié le culte extra-terrestre
des chrétiens avec le génie du lieu des dieux des Romains, un pape polonais
avait libéré sa patrie à christianiser le sol de toutes les patries.
Et voici
que la nouvelle religion dite des droits de l'homme et orchestrée par les
bureaucrates de Bruxelles téléguidés par Washington tentait d'imposer à la
Pologne de recevoir des masses de musulmans, le Coran à la main, au nom
d'une humanité ennemie de la singularité des peuples et des nations,
puisque le mythe de l'égalité entre tous les hommes les rendait maintenant
tous semblables et les privait tous de leur identité nationale.
4 - La capitulation de l'Europe
Mais déjà
l'Europe sans destin et sans voix, déjà l'Europe privée de personnage en
chair et en os, déjà l'Europe réduite à une démocratie bananière au service
des intérêts de Washington et à des républiques sorties des studios de
Hollywood, déjà l'Europe réelle se taisait dans l'attente de ses
retrouvailles avec la parole des peuples et des nations.
Et
maintenant, dans un accord soi-disant "équilibré",
l'Angleterre obtient de "superviser" les "institutions
financières et les marchés", afin de "préserver la
stabilité" des bourses européennes. Et maintenant l'alliance
renforcée de Washington et de Londres interdit en fait à l'Europe de jamais
se donner une armée. Et maintenant, il est précisé que si, par impossible,
une Europe éparpillée tentait de se dote d'une armée de bric et de broc,
jamais l'Angleterre n'en fera partie, non plus que d'une monnaie commune,
ce qui donne toute sa portée à l'euthanasie de l'Europe et à l'assassinat
du gaullisme que j'évoquais dans mes textes précédents.
Après qu'il
eut été démontré que l'Angleterre ressoudée à Washington a obtenu des
dérogations capitales et même des privilèges financiers exorbitants, le
Président Hollande osait déclarer: "Mais en même temps, ce sont
les mêmes règles qui s'appliquent partout en Europe et qui continueront de
s'appliquer. Il n'y a pas de dérogation, il n'y a pas de spécificité (…) ce
sont les mêmes règles, c'est ce à quoi j'ai veillé particulièrement."
Et il
poursuivait benoîtement, afin d'endormir d'avance les critiques: "Il
ne faut pas donner le sentiment que l'Europe, c'est un 'self service'.Il
peut y avoir une Europe différenciée, il ne peut pas y avoir une Europe où
chaque Etat vient prendre ce qu'il veut."
Or, c'est
précisément ce que l'Angleterre vient d'obtenir: un self-service qui lui
permettra de "superviser", c'est-à-dire de dominer.
Les Européens endormis viennent de laisser la City prendre le contrôle des
institutions financières de l'Union européenne. David Cameron avait donc
bien raison de claironner son succès tout en tentant de ménager les
susceptibilités des vaincus: "Je suis convaincu que nous
serons plus forts, plus en sécurité et en meilleure posture à l'intérieur
d'une Union européenne réformée".
Or, le
lendemain, la Une du Nouvel Obs sur Internet a
purement et simplement ignoré cet "accord" pseudo
"équilibré" et France Inter s'est
contenté de se féliciter de son "existence" mais en
évitant soigneusement d'en donner le contenu. Il ne reste plus aux citoyens
français qu'à consulter les informations réelles données par le site Sputnik
International.
L'entreprise
de camouflage est en bonne voie.
Dans le même temps, l'Assemblée nationale et le Sénat
censés exprimer la souveraineté de la nation par la voix du suffrage
universel n'osent engager un débat de fond, ni sur les causes réelles et
inguérissables du chômage, ni sur la souveraineté d'une nation qui se voit
interdire par Washington de livrer des navires de guerre à une Russie
ressentie comme une rivale de l'empire du dollar.
Et voici
qu'une armée mythologique et dirigée par un général américain, commande
seule une Europe à jamais privée de destin. Comment la France
retrouverait-elle un avenir, comment sortirait-elle du sépulcre, comment la
France prononcerait-elle du moins son oraison funèbre dans l'attente de sa
résurrection? Le Tino Rossi hoquetant des roucoulades télévisuelles d'une
démocratie bananière qu'on appelait la France du temps de sa souveraineté,
ne se jouera pas longtemps de la fierté naturelle des Gaulois.
Le 26 février 2016
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