1 - Un nouveau regard sur le "peuple élu"
Dans son analyse du 23 décembre 2015, le Saker
écrit: "La relation entre la Russie et Israël et, même avant cela,
entre Juifs et Russes, mériterait un livre entier. En fait, Alexandre
Soljenitsyne l'a écrit, ce livre. Il s'appelle Deux siècles ensemble, mais
parce que les sionistes tiennent les médias anglo-saxons à la gorge d'une
poigne de fer, il n'a pas encore été traduit en anglais. Qu'un auteur
acclamé par le monde entier et qui a eu le prix Nobel de littérature ne
puisse pas faire traduire son livre parce que ce qu'il contient pourrait
saper la fable officielle sur les relations russo-juives en général et sur
le rôle joué par les Juifs dans la politique russe du XXe siècle en
particulier, est une démonstration en soi. De quelle autre preuve de la subordination
de l'ex-empire britannique aux sionistes a-t-on besoin? " (Poutine et Israël - une relation complexe
et à multiples couches, The Saker - Saker.Is - 23 décembre
2015, trad. Catherine
Lieutenant)
Avec toute la communauté scientifique de son temps,
Descartes jugeait acquises les évidences de l'astronomie de Copernic et de
Galilée, mais il s'était résigné à renoncer à la publication de son Système du monde parce
que l'Eglise de son temps avait subitement durci à nouveau le combat entre
l'astronomie mythologique de la Genèse et l'héliocentrisme. Toute la chrétienté se
sentait contrainte de revenir à revenir à l'erreur de perspective qui
commande la gigantesque erreur de perspective du système de Ptolémée. De
même Jean de la Fontaine avait publié une fable intitulée Un animal dans la lune qui
illustrait discrètement la pertinence des découvertes de Copernic et de
Galilée, mais il n'avait pas osé prendre appui sur la solidité du
témoignage de la raison et de la logique face aux représentations magiques
des textes sacrés.
De nos jours, les verrous que la théologie mettait
à la connaissance scientifique ont sauté, mais nous sommes condamnés à nous
colleter à l'infini avec des moyens finis, ce qui n'est pas moins absurde
que de soumettre la recherche astronomique au verdict de la Bible. En revanche, un champ
immense s'ouvrirait à la connaissance de la psychophysiologie des religions
des nations et des peuples si un autre interdit, aussi catégorique que les
verdicts de "Dieu", ne s'opposait aux progrès de la connaissance
des ultimes secrets du genre humain, à savoir l'interdiction d'analyser la
psychologie du peuple juif depuis la destruction de Jérusalem par Titus et
Vespasien.
Tous nos anthropologues rationnels et toute notre
politologie scientifique savent parfaitement que le rêve de judaïser
Jérusalem est un délire dont le décryptage de ses secrets nous éclairerait
sur la structure mentale de tout le genre humain; tous nos anthropologues
et nos politologues savent qu'on ne fait pas rebrousser un chemin de quatorze
siècles à un peuple qui a changé de langue, de divinité et de textes sacrés
- et pourtant, cette évidence se révèle aussi impossible à imposer à la
communauté scientifique moderne que les démonstrations de Copernic au XVIe
siècle et de Galilée au début du XVIIe.
Mais si, bravant des interdits scientifiques
devenus aussi impérieux que les interdits religieux d'autrefois, nous
observerons comment la nouvelle orthodoxie frappe désormais les sciences
humaines. Nous verrons alors que le "peuple juif", autrefois
disséminé, s'enracine désormais avec une féroce énergie, à la fois dans le
mythe de ses retrouvailles avec le grand Israël retrouvé et dans ses
patries d'emprunt. Puis, nous donnerons un sens à la fois au basculement de
la communauté juive mondiale en direction de Washington à la suite de la
guerre de Suez de 1956 et à la pulsion invincible de la fraction
judéo-américaine de se proclamer patriote et de bénéficier des lois d'un
Nouveau Monde qui leur permet de constituer des groupes de pression devenus
les maîtres du Sénat. L'AIPAC servira leur double vocation.
On sait que le Sénateur Edward Kennedy, dont le
Président Barack Obama était un familier, a passé inutilement près de
trente ans à tenter faire reconnaître les groupes de pression israéliens
pour des groupes exclusivement service d'un Etat étranger intérêts
d'Israël. On se souvient également de ce que M. Benjamin Netanyahou s'était
montré à ce point maître du Congrès américain, qu'il avait fait applaudir
son Etat à la manière d'un chef d'orchestre. Les élus du peuple américain
s'étaient levés cinquante sept fois pour des "standing
ovation" répétées. Prévoyant la manœuvre, le Président des
Etats-Unis avait quitté la scène quarante huit heures durant pour laisser
la place à un Benjamin Netanyahou devenu le maître des lieux.
Or, un peuple privé de sa capitale et de son mythe
de la "terre promise" soixante-dix ans après Jésus-Christ se
scinde en deux personnages aussi tenaces l'un que l'autre, celui qui se
réclame de ses origines bibliques et celui qui se love dans ses patries
adoptives et qui en devient le chef.
2 - Les religions à l'heure de la pensée rationnelle
Le "peuple juif" est-il le seul à se
livrer à cette scission entre ses songes sacrés et ses conquêtes sur la
planète entière, ou bien existe-t-il une spécificité de ce peuple dont la
connaissance nous livrerait la clé des ultimes secrets du simianthrope ? Il
est évident que ce boulevard ouvert au décryptage anthropologique des
évadés de la zoologie bouleverserait la science historique moderne et la
politologie mondiale. Car la civilisation russe demeure trop empêchée de
s'engager dans cette voie, du seul fait que Moscou applique aux vingt
millions de musulmans et à la masse des juifs russes demeurés sur son sol
les clauses de la loi française de 1905 par lesquelles non seulement l'Etat
ne subventionnent aucun culte, mais ne "reconnaît" aucune religion,
ce qui revient, en termes de droit, à dénier toute légitimité scientifique
aux cosmologies mythiques des premiers âges.
Vous ne trouverez pas en Russie, un seul homme en
djellaba et une seule femme en burqa, tandis que la France a vu un
archevêque de Paris, Mgr Lustiger, monter au Sacré Cœur avec la croix du
Christ sur les épaules. Mais la France et les Etats-Unis sont parvenus à
constituer les communautés religieuses les plus diverses en tant
qu'autorités politiques. L'AIPAC américaine est une autorité politique
soucieuse de conquérir le contrôle de l'Etat et de ses institutions. Le
CRIF est une autorité politique au service exclusif des intérêts d'Israël,
tandis que la communauté juive de Russie n'est dirigée que par ses rabbins,
c'est-à-dire par une autorité religieuse convertie au nationalisme et au
patriotisme russes.
3 - Au service de l'étranger ou au service de l'Etat-nation ?
M. Poutine a pu se rendre en Israël où au sein du
million de juifs russes qui s'y sont rendus, une proportion non négligeable
se proclame d'héroïques soldats russes et non seulement fiers de leur
appartenance au service de la nation russe que fort heureux de produire et
de manger du porc en Israël. Certes, l'autorité strictement religieuse des
rabbins russes ne va pas jusqu'à déclarer comme un égarement du peuple de
David sa quête du mythe national, mais ces rabbins demandent non seulement
à la communauté juive de Russie de dénoncer les sanctions économiques de
l'Amérique et de l'Occident, mais d'agir auprès de toutes les communautés
juives du monde dans le sens des intérêts de la nation russe.
On se souvient que Washington avait le pouvoir
d'interdire au joueur d'échec Bobby Fisher de participer à des tournois sur
le territoire de tel ou tel pays en froid avec les Etats-Unis et que
l'ex-champion du monde du noble jeu avait répondu à cet interdit en
déchirant son passeport, ce qui l'avait soumis à des persécutions de tous
les vassaux du Nouveau Monde.
Il y a un abîme entre une religion au service
d'une puissance étrangère et constituée en autorité politique autonome et
une religion soumise à la loi française de 1905 qui a fini non seulement
par imposer un enseignement laïc et des manuels scolaires laïcs aux
établissements religieux eux-mêmes. Ces écoles confessionnelles dites
"libres" se voient interdire la correction des copies du
baccalauréat.
4 - Une anthropologie des trois monothéismes
Pour qu'une anthropologie soit scientifique, il
faut qu'elle soit critique, puisque, par nature et par définition, la
pensée rationnelle est critique ou n'est pas. Une anthropologie rationnelle
devra donc expliquer comment les mythes religieux fonctionnent dans
l'entendement des peuples, donc dans l'imagination collective.
Or, on constate que la pierre de touche de leur
efficacité est leur rencontre dans les esprits avec le monde physique. Le
mythe chrétien se fonde sur la rencontre, dans un village de Bethléem d'une
cosmologie mythique avec un homme censé totalement humain et totalement
divin, donc céleste à titre physique. Le mythe musulman se fonde sur la
rencontre charnelle de milliers de croyants présélectionnés aux fins de
lapider le diable, lequel sera censé victime en son corps de jets de
pierres censés le léser dans sa charpente. Dans le judaïsme, le lieu de
rencontre entre le divin et le temporel, le Céleste et l'éphémère,
l'éternel et le mortel n'est autre que quelques kilomètres carrés d'une terre
"donnée" à ses "élus" par le géniteur du cosmos.
Or, à la différence des deux autres cosmologies
fabuleuses, le Dieu Jahvé a été chassé de son temple et réduit à l'errance
aux côtés de ses fidèles essaimés sur tout le globe terrestre. De plus,
comme il est dit plus haut, le temps ne rebrousse pas chemin et tout le
monde voit bien que les retrouvailles de ce peuple et de sa divinité avec
sa terre mythique ne se réalisera jamais puisque, depuis quatorze siècles,
toute la région s'est donné une autre divinité, une autre langue et
d'autres saintes Ecritures.
5 - Comment habiter deux mondes aujourd'hui ?
Une anthropologie rationnelle devra donc observer
ce qui se passe quand un mythe sacré ne trouve plus son point de chute,
donc se trouve privé d'un Dieu localisable quelque part et dont la mise en
scène exige telle ou telle rencontre avec les corps. Car, dans l'attente de
ses retrouvailles avec un domicile fixe, le peuple hébreu se trouve privé
de sa vie onirique, alors que l'homme est un animal schizoïde et qu'à ce
titre il se situe toujours quelque part entre le monde réel et un monde
onirique.
Mais, dans le même temps, une espèce condamnée à
habiter sur la terre seulement et amputée de son domicile dans l'éternité,
rencontrera des problèmes insolubles dans l'ordre du partage de sa cervelle
entre deux mondes. La question des relations que ce monde entretiendra avec
ses lieux de résidence sur la planète, d'un côté, et une Jérusalem devenue
inaccessible, de l'autre, s'ouvrira à une anthropologie critique préoccupée
par le traitement rationnel de cette scission irréparable.
La communauté juive américaine n'a pas donné lieu
à une réflexion de ce genre dans une terre d'accueil largement asservie à
ses directives. Quant à la communauté juive de Russie, nous avons observé
qu'elle est suffisamment intégrée au pouvoir politique de l'endroit pour
échapper à ce type d'auto interrogation. Seule la France a tenté, mais sans
succès, de traiter des relations que la défense exclusive des intérêts
d'Israël entretient avec le patriotisme local. On se souvient que MM.
Bernard Henry Lévy, Pascal Bruckner, Olivier Nora, directeur des éditions
Grasset et Fayard, ont déclenché la fureur du CRIF à seulement tenter de
rendre compatible la défense exclusive d'un Etat étranger avec l'appartenance
à la République.
Ce sont les embarras mêmes de la bi-polarité
franco-israélienne qui expliquent une bipolarité invivable. D'un côté tout
le monde voit que le statut de M. Bachar El-Assad résulte de l'alliance de
la Syrie avec l'Iran, ce qui, dans l'esprit de la communauté juive mondiale
est censé présenter un obstacle insurmontable à la marche triomphale
d'Israël vers une terre promise à judaïser à nouveaux frais. Il faut donc
présenter le Président de la Syrie sous les traits d'un Héliogabale, d'un
Sardanapale et d'un Attila à remplacer de toute urgence et pour le salut de
l'univers par une intervention extérieure et violente qui priverait le
peuple syrien du droit d'élire son dirigeant par la voix du suffrage
universel.
Mais quelques jours seulement avant la venue du
Président de la République française chargé par la communauté juive
internationale de présenter cette exigence au Président Poutine, la Russie
et l'Iran ont scellé un accord sans ambiguïté sur l'impossibilité de priver
le peuple syrien de l'exercice de sa souveraineté naturelle.
Le monde entier se trouve donc l'otage de la vie
onirique d'un peuple amputé de son prolongement onirique naturel dans une
terre mythique. Mais, dans le même temps, le fait qu'il existe sur cette
terre un peuple privé de toute chance de reconquérir son mythe présente un
avantage immense aux yeux d'une anthropologie originelle et fondamentale.
Israël offre le champ d'expérimentation d'une espèce condamnée à vivre
amputée de sa vie onirique et de toute possibilité de mettre en scène ses
origines dans le fantastique et le fabuleux d'une cosmologie délirante. En
ce sens l'Etat hébreu se trouve condamné, à son corps défendant, à
illustrer non plus le dialogue avec le monstre du Loch Ness de la
philosophie, qu'on appelle l'être, mais avec son véritable interlocuteur
dans le vide et le silence de l'infini qu'on appelle le Néant. Il s'agira
de faire débarquer ce personnage dans la République des Lettres.
Le 12 février 2016
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