Nouveau sur le site de Manuel de
Diéguez
1 - La postérité politique de Machiavel
2 - L'exemple américain 3 - L'avance politologique de M. Poutine 4 - Les saints de la raison 5 - Le sceptre de l'éthique du monde 6 - La raison simiohumaine est-elle une infirme ? 7 - Les lectisternes de la démocratie 8 - Les dichotomisés du cosmos 9 - Trois dieux-écrivains 10 - A la recherche d'un regard sommital 11 - Dans l'attente d'une mutation de la conscience chrétienne 12 - La réflexion anthropologique sur l'illusion 13 - Le grand orchestrateur des idéalités
L'un des secrets du déclin
inexorable des États les plus illustres n'est autre que l'extinction rapide
qui frappe la science de la politique dans les décadences. Cette maladie se
déclare tout soudainement et contamine en quelques années jusqu'aux plus
hautes classes dirigeantes. Un exemple frappant de la vassalisation subite
des cerveaux vient d'être donné par le spectacle de la pauvreté
intellectuelle de l'idéologie politique au nom de laquelle trois anciens
chanceliers d'une Allemagne endormie, MM. Helmut Schmidt, Helmut Kohl et
Gerhardt Schröder ont tenté de soutenir, mais seulement sur le plan d'une
vulgate décérébrée, la magistrale stratégie de la reconquête de la Crimée par
M. Vladimir Poutine.
On sait que Catherine II avait
ouvert à la nation l'accès territorial à la mer Noire que méritait un empire
maritime. Mais aucun des trois ex-chanceliers allemands censés sortir de
l'Ecole de guerre qu'on appelle l'histoire ne semblait savoir d'expérience
que la géopolitique des démocraties modernes se fonde sur la fécondation
anthropologique de la politologie de Machiavel et que la question de la
rationalité interne de la politique de la Russie se posait dans des termes
étrangers à la scolastique des idéalités pseudo universelles de 1789. L'homme
d'Etat sait que la conduite des grandes nations est un combat dans la jungle
et que le seul instrument dont dispose un dirigeant d'envergure dans l'arène
d'une aventure mondialisée s'appelle l'anthropologie politique. Il y
rencontre tantôt un ami bienveillant, tantôt un adversaire retors: la
sophistique de son temps. L'autorité inégalement universelle de cet acteur se
révèle toujours inversement proportionnelle à l'étendue géographique des
Etats censés faire entendre la voix de ce séraphin. Comment se colleter avec
un ange mécanique dont l'éthique de confection localise diversement les
verdicts?
Le rossignol du droit
international de notre temps ne dénonce ni les centaines de milliers
d'enfants morts de faim en Irak, ni l'attaque de ce pays au canon sans que la
bénédiction, officiellement proclamée contraignante des Nations-Unies eût été
obtenue, ni la pénurie des médicaments vertueusement imposée à la population
des deux sexes en Iran par le canal de sanctions économiques dévotement
unilatérales, ni le pieux usage des drones contre des populations champêtres,
ni l'assassinat de Ben Laden sur le territoire d'un Etat souverain, ni la
violation des accords si gentiment conclus en 1989, disait-on, entre Washington
et M. Gorbatchev à la suite de la chute du mur de Berlin - accords qui se
fondaient sur l'engagement fallacieux de Etats-Unis de ne pas étendre
jusqu'aux frontières de la Russie les forces militaires de ses vassaux,
toutes placées sous la poigne de fer du seul commandement américain - ni
l'extension et le renforcement de l'occupation militaire du Japon à Okinawa
et de la Sicile à Sigonella, ni les milliards de dollars dépensés par le
Département d'Etat aux fins de déclencher une séparation "spontanée",
donc "démocratique" entre l'Ukraine de l'Ouest et la Russie, ni
l'écoute des conversations téléphoniques de la population mondiale et des
portables des chefs d'Etat censés alliés, ni l'engagement de mercenaires à
Kiev, qui avaient reçu la consigne de tirer conjointement sur les policiers
et sur la foule assemblée sur la place Maidan - il s'agissait de déclencher
un tsunami artificiel au sein d'une population ignorante des véritables
enjeux de ce complot démocratique.
Le génie politique de M.Vladimir
Poutine a joué avec la morale internationale "moderne" et
soi-disant universelle évoquée ci-dessus. Mais les démocraties d'hier étaient
déjà fondées sur un droit international fluctuant et découpé par des
territoires. Depuis Périclès, ce tartuffisme d'Etat ne s'est mondialisé qu'en
apparence : ses idéaux se hissent sur les tréteaux d'un droit international
pseudo christianisé, mais les adversaires contemporains de l'universel biaisé
des démocraties n'ont pas besoin de tirer un seul coup de feu sur le devant
de la scène, ce que j'ai explicité à propos de la Ligue de Délos, qui avait
permis à Athènes de construire le Parthénon aux frais de ses prétendus
alliés. Voir: La France parle à la Russie, 5 avril
2014).
Il est vrai que la Perse de
l'époque présentait une menace militaire infiniment moins mythologique que
celles de la Chine et de la Russie actuelles, ce qui démontre que
l'imagination parareligieuse de l'humanité permet maintenant d'entraîner les
peuples dans des croisades contre des nuages - Don Quichotte est passé par
là. On voit l'avance cérébrale dont dispose M. Vladimir Poutine : l'Amérique
n'est plus ni en mesure de faire la guerre sur le terrain en Ukraine, ni de
soutenir un gouvernement de Kiev voué au naufrage économique - la victoire
politique de Moscou s'inscrit entièrement dans la postérité politologique et
anthropologique du grand Florentin.
Mais ce que ni M. Helmut Schmidt,
ni M. Helmut Kohl, ni M. Gerhardt Schröder n'osaient regarder en face,
c'était que l'infirmité de leur science des Etats résultait de la puissance
que les empires dominants ont exercé de tous temps sur les esprits: que la
Russie reconquît la Crimée ne concernait en rien l'équilibre des forces dans
le monde. Et pourtant, les vassaux empressés de Washington levaient
subitement les bras au ciel et poussaient des cris d'orfraie, parce que M. Vladimir
Poutine était réputé suivre l'exemple de Hitler avec les Sudètes en 1938!
Washington n'en a pas fini d'exploiter sa victoire de 1989 sur l'empire
défunt de l'utopie marxiste. Mais l'inexpérience politique de la classe
dirigeante des démocraties permet à l'indignation morale sélective des
vaincus de forger les chaînes de leur propre vassalité. Le danger est grand
que Washington mobilise ses vassaux européens contre les "ambitions
impériales" de la Russie de Napoléon III. Un peuple lancé dans le messianisme
démocratique retourne rarement à ses bivouacs.
C'est pourquoi le coucou mécanique
de la sotériologie démocratique dont j'ai évoqué plus haut les ressorts et
les rouages ne changera le registre de ses trilles qu'avec le départ des
horlogers de cette gigantesque rédemption, à savoir la masse des troupes
américaines stationnées en Europe et campées sur cinq cents bases militaires
- il est déjà question d'en multiplier les régiments. Il ne reste à M. Lavrov
que de débattre seul à seul avec M. Kerry à Paris et à l'Europe de s'étonner
bêtement de se trouver mise hors jeu sur la scène internationale. Mais
l'ignorance et la médiocrité des classes dirigeantes que sélectionne
nécessairement un suffrage universel incompétent par nature et par
définition, leur fait méconnaître la nature même de l'arène d'un monde
eschatologisé par la démocratie et avec lequel les grands hommes d'Etat se
collètent désormais.
Paris livré depuis trois quarts de
siècle aux Homais de la politique internationale secrétés par la IVe et la Ve
République n'ose tenter de secouer ni le joug de l'occupation militaire
américaine sur l'Allemagne et sur l'Italie, ni celui de la domination
parallèle du dollar, qui ne s'exerce pas seulement sur le Vieux Continent,
mais sur la terre entière. Du reste, si une politique étrangère n'est pas
soutenue par la carrure d'un homme d'Etat, non seulement elle échoue
fatalement, mais on châtie durement l'effronterie du nain qui aura usurpé la
stature d'un géant.
Tournons-nous donc vers la
civilisation des saints russes de la littérature mondiale - les Soljenitsyne,
les Tolstoï, les Dostoïevski. Ils détiennent les clés du seul renouveau
spirituel, intellectuel et politique actuellement possible dans une Europe
plus livrée que jamais à la "fête de l'insignifiance" d'un
Milan Kundera. Il n'en demeure pas moins tragique que les retrouvailles de la
pensée philosophique avec le génie des grands visionnaires de la condition
simiohumaine rencontre l'obstacle insubmersible de la bancalité originelle de
toutes les Eglises: depuis des siècles, toutes sont vouées à affronter les
écueils de la légèreté d'esprit des peuples et des nations. Car le temporel
se fige et se stratifie dans des rituels qui seuls permettent à la raison
superficielle de l'humanité de se dorer au pâle soleil de ses théologies de
la servitude et de s'éclairer des pauvres lumignons des vassalisateurs qu'on
appelle des dogmes et des doctrines. Mais si les religions sont
nécessairement menacées de périr sous le triste éclat de leurs cierges et de
leurs prières - ou sous les poignards de leurs doctrines - la littérature
mondiale est-elle de taille à substituer l'universalité de son regard sur le
temporel à l'apostolat des saints endormis dans leurs confessions de foi
obsolètes?
Le culte orthodoxe russe agonise
dans les ors, la pourpre et la pompe de l'imagination religieuse devenue
anachronique des Eglises d'aujourd'hui - mais précisément, une France
purifiée des sorcelleries obsolètes et mise à l'écoute de la spiritualité des
grands écrivains de la Russie voudrait redevenir l'inspiratrice mondiale des
feux ascensionnels de la raison au sein de l'humanité et la source vive des
âmes méditantes. (Voir - De Sotchi à Kiev , La postérité anthropologique de
Machiavel et la politologie moderne , 5 avril 2014 )
Qu'en sera-t-il d'une France
ressuscitative et qui demandera au génie de la Russie de Gogol de s'asseoir
au chevet des "âmes mortes" de notre temps? Tentons de franchir
quelques pas sur le chemin de la révolution intellectuelle qui permettrait a
une universalité trans-liturgique de redevenir ascensionnelle et de remettre
l'Europe à l'écoute de l'espérance la plus originelle des saints, celle avec
laquelle Tolstoï avait rendez-vous à l'heure du "matin blême" où
l'immortalité d'une grande âme a éternisé le fuyard sur le quai de gare de
Iasnaia Polyana.
L'alliance du génie slave avec la
France des feux de la raison servira-t-elle de cuirasse et d'armure de la
vitalité politique retrouvée d'une Russie à nouveau guidée d'une main ferme?
Les Uniates de Kiev voudraient faire main basse sur les richesses de l'Eglise
orthodoxe de Kiev et précipiter ce trésor catholique dans l'escarcelle des
vieilles dévotions romaines. Nous verrons bien si la Rome d'autrefois, celle
des pieux larcins de la piété, est bel et bien trépassée à l'écoute du
Poverello. Un Vatican qui, pour la première fois, sanctifie la pauvreté au
point d'installer un miséreux sur le trône en or massif du Saint Siège
scellera-t-il l'alliance des évangélistes russes avec la France des saints de
la raison du monde?
La rencontre piégée du 26 mars
2014 entre le pape François et M. Barack Obama au Vatican a roulé sur deux
thèmes périlleux, donc focaux: primo, le saint Père n'a accepté son
invitation officielle aux Etats-Unis qu'au Lampedusa du pays - on y a compté
six mille cadavres - et secundo, sur les secrets diplomatiques de la guerre
de Syrie, dont on sait qu'elle ne fut empêchée que par un accord secret entre
la Russie d'esprit orthodoxe de M. Vladimir Poutine et le chef d'une Eglise
catholique en cours d'émancipation de sa théologie de juristes du ciel. (Voir
- De Sotchi à Kiev , La postérité anthropologique de
Machiavel et la politologie moderne , 5 avril 2014 )
Mais Washington n'est pas près de
comprendre l'enjeu le plus décisif: il s'agit de savoir quelles mains
tiendront désormais le sceptre d'une éthique de la politique internationale
supérieure à celle d'aujourd'hui. D'un côté, le pape américain de la
démocratie verbale voit son évangile tomber en quenouille, de l'autre,
l'Eglise romaine commence de se demander si sa morale politique héritée de la
monarchie parviendra à dérouiller la cuirasse des cosmologies mythiques du
Moyen-Age, qui ont vieilli dans les catéchismes, les missels et les
bréviaires, mais dont les paroisses n'ont pas été cadenassées.
Comment départager les silhouettes
des trois candidats à la succession du Jupiter des juifs, des chrétiens et
des musulmans si, des siècles durant, les trois monothéismes se sont révélés
coupables de légèreté politique, donc d'insignifiance catéchétique? La
démocratie de la raison n'a pas su se changer en anthropologue des utopies
délirantes et des cosmologies mythologiques, l'orthodoxie romaine n'a pas su
arracher son ciel des mains d'un distributeur ridicule de sucreries posthumes
et flanqué d'un administrateur des tortures éternelles sous la terre. Quant à
l'Eglise orthodoxe, la mieux armée contre l'assaut des chanteries enfantines,
elle n'a pas entendu le message de ses apôtres les plus dignes d'écoute, de
ses visionnaires de génie de la condition humaine, de ses grands écrivains.
Au XVIIIe siècle, l'Eglise romaine
a perdu sa première vocation, celle d'exercer la fonction d'une boussole
universelle de la conscience morale des évadés de la zoologie, tellement il
était apparu que l'histoire et la politique réelles sont pilotées en secret par
une philosophie des élévations de la conscience morale et de la raison
confondues. Mais qu'y avait-il de plus immoral que d'interdire aux fuyards de
la mort de connaître les lois qui régissent l'astronomie dans la cage de
laquelle ils se trouvent enchaînés? Qu'y avait-il de plus immoral que de
croire moraliser et discipliner une bête semi-cérébralisée à seulement la
plonger davantage dans l'ignorance et la sottise? Qu'y avait-il de plus
immoral que de précipiter aux genoux d'un tortionnaire infernal des animaux
terrorisés par leur génocidaire? Des siècles durant, l'Eglise avait refusé
l'héliocentrisme et l'évolutionnisme, parce que les dévotions payantes
avaient besoin d'une cosmologie mythique et d'une domestication des cerveaux.
Mais maintenant, la raison, la
conscience et le savoir des orphelins du système solaire relativement
rassurant de Ptolémée se retournent subitement contre leur propre autonomie;
et l'on voit les rescapés des forêts se livrer au naufrage d'un nouvel
abêtissement au sein des civilisations pourtant expressément construites sur
les prérogatives libératrices de leur récente responsabilité politique. Les
fuyards du géocentrisme sont tombés dans le délire au point de mettre toute
la respectabilité et la solennité de leurs institutions publiques
rationnelles au service d'une légalisation démente de leur folie. Je sais que
vous n'en croirez pas vos yeux et vos oreilles, mais je vous assure que les
sodomites se marient tout soudainement entre eux et les lesbiennes entre
elles et que ces couples se voient subitement autorisés par la loi à élever
des poupons dès le biberon, selon un principe fort nouveau: je vous assure
que les Etats les plus sérieux proclament maintenant une indistinction
doctrinale des sexes plus fantasmée que le mythe de la Trinité, afin de
tenter d'effacer des cervelles en bas âge et derechef catéchisées dès le
berceau - mais par une biologie officialisée - la notion biblique d'un Adam
et d'une Eve que le ciel, horribile dictu, avait dotés à tort,
d'organes génitaux distincts. La question est donc de savoir si, faute
d'installer de force quelque Jupiter barbare et stupide aux commandes des
encéphales des détoisonnés des forêts, cette espèce en perd tellement et si
subitement la tête qu'elle n'a plus d'autres ressources, la pauvresse, que de
vagabonder au hasard sur la terre.
Alors on verra le sceptre de la
morale universelle retomber dans les mains de l'Eglise du Moyen-Age - et
toute la science historique y perdra la viabilité politique qu'elle semblait
avoir acquise depuis Thucydide, parce que la croyance en une raison fiable et
autorisée à diriger le monde à la place des dieux d'Homère y perd l'assise de
sa crédibilité et de sa légitimité scientifique; et les peuples veufs de
leurs Olympe et laissés tout soudainement abasourdis confient aussitôt et
d'un seul élan la direction des affaires de la planète aux plus ignorants et
aux plus sots de leurs doctrinaires. Comment éviter que la classe dirigeante
des irréfutables du ciel de la démocratie ne sombre à nouveau dans les superstitions
et dans les cosmologies mythiques des premiers hommes?
L'entretien du 26 mars 2014 entre
M. Barack Obama et le pape François a duré cinquante minutes, mais la
superficialité d'esprit de l'hôte de la Maison Blanche a fait tourner court
un entretien sur le fond que le pape François avait cru possible entre des
interlocuteurs d'un si haut niveau de responsabilité. De plus, ni l'un, ni
l'autre de ces acteurs de la morale du monde ne pouvaient encore se poser la
seule question décisive, celle de savoir quel est le type de rationalité dont
dispose de nos jours l'animal né semi-pensant, mais demeuré superficiel et
que les Anciens avaient prématurément qualifié de rationale. S'il
s'agissait effectivement d'une bête rendue sérieusement cogitante par un
verdict aussi subit qu' irréfutable de la nature, il aurait fallu se
demander, toutes affaires cessantes, quelle était l'apparence d'intelligence
que sécrèterait nécessairement un traînard devenu soi-disant pensant sur
l'enclume des millénaires, mais dont la raison trompée et trompeuse
demeurerait aiguisée sur la seule meule de l'animalité spécifique de cet
animal.
Une bête dont l'encéphale se
laisse patiemment diriger par des poulets savants - tantôt ils sortent sans
entrain de leur cage, ce qui présage de grands malheurs, tantôt ils ont bon
appétit, ce qui est de bon augure pour l'avenir du pays - une bête à l'école
des crêtes et des becs de ses poules, dis-je, est-elle d'ores et déjà devenue
un homme au sens "rationnel", mais fâcheusement imprécis du terme,
ou faut-il l'appeler, à titre provisoire, un primate en ce qu'il serait
seulement devenu capable de se donner l'estomac de ses poulets pour boussole?
Où faire passer la frontière entre le zoologique et l'humain si l'on ne sait
pas quelles sont les caractéristiques propres à départager ces deux espèces ?
Puisque vous n'avez pas encore appris à quel endroit précis vous ferez passer
la barrière entre vous et la bête prosternée devant ses poulets, qui
êtes-vous et de quel nom faut-il baptiser les gloussants sur leurs ergots?
Les Romains offraient des banquets
succulents aux portraits coloriés de leurs dieux installés sur des coussins brodés.
Et pourtant, ils construisaient des aqueducs titanesques et des cirques qui
ont étonné M. Barack Obama. On appelait leurs festins fantastiques des
lectisternia. L'humanité théologisée par des poulets picorant des grains
était donc une espèce demeurée cérébralement tout animale, mais rendue - et
précisément à ce titre - capable de se procurer de puissants interlocuteurs
gastronomiques et de les installer dans le vide d'une immensité festive, mais
qui ignorait néanmoins que ces images cosmologiques d'elle-même n'étaient
sécrétées que par leurs cellules grises. Et pourtant, cette conviction
s'était tellement inscrite dans leurs gènes que ces animaux brûlaient
dare-dare les impies qui doutaient de l'existence des personnages somptueux
qu'ils exposaient sur les coussins de leur foi.
Mais le cerveau de ce primate se
trouve scindé de naissance entre deux mondes. S'il ne se rendait pas coupable
de formuler des hérésies bizarres, cet animal schizoïde n'en viendrait pas à
douter quelquefois de l'existence objective de ses dieux et de la fiabilité
des volatiles qui s'en révèlent les oracles ou s'en font les témoins. Comment
peser la boîte osseuse bipolarisée d'un malheureux qui, d'un côté,
s'agenouille humblement devant des gallinacés aux entrailles éloquentes et qui,
de l'autre, se glorifie tout au contraire et au péril de sa vie de leur
tourner le dos, mais toujours prudemment et au seul bénéfice de nouveaux
volaillers suprêmes du cosmos? Vingt-trois siècles après Scipion l'Africain,
plus d'un milliard d'animaux de ce type grouillent encore sur toute la
surface de la terre et offrent sans relâche de la viande humaine rémunérée à
manger et le sang d'une potence de la torture à boire à leur souverain
imaginaire du cosmos.
Le Président Barack Obama était un
esprit superficiel. On lui avait enseigné à Harvard à la fois que Dieu
protège l'Amérique et que toute question de fond sur les cultes et sur les
croyances religieuses en général devait se trouver soigneusement exclue de l'enseignement
universitaire officiel; mais, de son côté, le pape François ne savait pas
encore comment faire observer à son hôte les poulets sacrés que l'Amérique
faisait sortir tout pépiants de la cage de la démocratie mondiale et auxquels
il jetait les sacs de grains propices ou maléfiques de la nation de la
Liberté du monde. Car les poulets de l'idole picoraient maintenant leur
nourriture sur le sol de l'Afghanistan, de l'Irak, de la Libye, de la Syrie -
et il fallait se résigner, hélas, à ne lire que des présages funestes dans
les verdicts de leurs becs.
Exemple: longtemps, l'animal à
l'écoute de ses gallinacés s'était donné les divinités les plus fidèlement
calquées sur son propre corps dénudé. Puis, il avait fait parler l'hébreu à
une idole conçue et construite à l'usage du seul peuple qu'elle avait
consenti à se choisir pour élève sur toute la surface de la terre. Puis, un
second démiurge avait parlé le grec à l'intention d' un auditoire plus vaste
que le précédent. Puis un troisième grammairien du cosmos avait parlé l'arabe
- mais bientôt les écrits de ces trois géants des nues se sont révélés
tellement inconciliables entre eux qu'il a bien fallu changer les coussins
usés des lectisternes des ancêtres et en répartir d'autres en divers endroits
du globe terrestre.
Depuis lors, l'existence, quelque
part dans le cosmos, de ces trois écritoires d'âge différent et d'une valeur
littéraire fort inégale a répondu à la progression de leur expansion
territoriale et linguistique. Que faire d'un astéroïde de plus en plus
décompartimenté et dont l'échine plie sous le faix de trois dieux de
complexions distinctes? Si vous observez à la loupe l'animal dont la cervelle
enfante patiemment des acteurs changeants du cosmos et qui les expédie dans
la stratosphère afin de s'assurer de leurs services politiques et moraux en
retour, vous apprendrez à connaître les rouages et les ressorts de l'espèce
née la plume à la main. Sinon, gare à vous: si vous baissez un instant les
bras, vous frapperez toutes vos sciences dites humaines d'un aveuglement sans
remède, parce que la bête se changera en un bipède incompréhensible au bout
de vos calames. Mais comment percer les secrets d'un animal qui ne se rend
intelligible qu'à se précipiter dans des mondes délirants?
Sachez que, le 26 mars 2014, non
seulement le pape François et M. Barack Obama ne parlaient pas du même Dieu,
mais que le Vatican était en gésine d'une divinité dont l'intelligence et la
vie spirituelle écraserait le divinité nationale interdite d'audience dans
les aulas de l'Université de Harvard. Certes, la Démocratie et le Saint-Siège
jouaient des couleurs et des reflets d'un seul et même Olympe originel - mais
à quelle hauteur le pape François plaçait-il le sien pour foudroyer du regard
toute la panoplie des auréoles du dieu de l'Amérique?
Et puis, aucune langue de la terre
ne peut égaler l'éclat et le rythme que seul le grec donne à ces vers
d'Homère: "Chante, Déesse, la colère d'Achille , fils de Pelée, qui
livra les Achéens à tant de souffrances et précipita à l'Hadès les âmes
héroïques de tant de guerriers". Anatole France se moquait gentiment
de Renan, qui dressait l'oreille à chaque mot suspect, tels que Déesse, Hadès
et j'en passe. De quel Dieu le pape François et M. Obama parlaient-ils si
l'âme du poète était plus divine que celle de la démocratie mondiale?
Décidément, il nous sera
impossible d'enseigner l'histoire véritable de notre espèce à nos enfants en
bas âge si, d'un côté, il faut nous rendre à l'évidence qu'il sera bien vain
de leur raconter ce qui sera effectivement arrivé à telle tribu localisée à
tel endroit et en tel siècle, tellement, une science transanecdotique du
temps humain nous enfermera d'avance dans une connaissance toute magique et
ensorcelée de nous-mêmes - celle dont s'obstineront à témoigner les fuyards
du règne animal que nous sommes demeurés. Pourquoi les animaux dichotomisés
par leurs poulets sacrés colloquent-ils leur fausse science d'eux-mêmes dans
le cosmos et pourquoi le pape François regardait-il de haut les poulets
sacrés de M. Barack Obama?
Exemple: M. Le Goff (1924-2014) a
rédigé, des années durant, un savant ouvrage sur le Purgatoire, mais son
récit demeure aussi aveugle à la signification anthropologique des méthodes
de pensée dont usait son auteur que la théologie du Moyen-Age ignorait le
sens de la logique interne qu'elle mettait en oeuvre. M. le Goff n'étudiait
ni les finances de l'Eglise de l'époque - elle tirait des bons de caisse à la
pelle de sa théologie des purge sacrées - ni les cellules grises d'une espèce
docile à passer quelques années de son éternité posthume dans un sas imaginé
entre l'enfer et le paradis par les docteurs de l'Eglise de son temps. Et
pourtant, se disait le pape François, de Sophocle à Shakespeare,
d'Aristophane à Swift, de Dostoïevski, de Gogol, de Soljenitsyne à Cervantès,
c'est toujours l'histoire la plus profonde de l'humanité que les plus grandes
génie de la littérature mondiale ont observée et tenté de comprendre - et si
le génie russe surpasse celui des contemplatifs français et anglais,
serait-ce que Les Possédés, Les Frères Karamazov , La Guerre et la Paix
regardent l'humanité de plus haut et de plus loin que Molière ou Racine?
Qu'est-ce donc, se disait le disciple du Poverello, qui fait du génie russe
un regardant à la fois homérique et sommital de l'histoire du monde?
On sait que ni un pape François en
quête du vrai Dieu des chrétiens, ni un Barack Obama trop sûr du sien ne sont
encore devenus des simianthropologues de haut vol, donc des connaisseurs
d'une vie de l'humanité transportée dans les nues. Mais on observera que
l'hôte de la Maison Blanche forgeait à tour de bras les armes verbifiques
d'une divinité nationale vaniteuse et trompeusement vaporeuse et que les
saintes forgeries d'une démocratie aux auréoles ensanglantées mettaient en
vente sur le marché du langage le feu et la foudre d'une idole vénérée pour
la qualité de ses poulets sur toute la terre habitée. Comment parler de
morale si la bête des lectisternes ignore le fonctionnement de sa cervelle
dans le sacré, comment parler de morale si la bête à l'écoute des oracles de
ses poulets n'a jamais observé, ni sur le terrain, ni en laboratoire,
l'oscillation éternelle de sa boîte osseuse entre la superstition et la
corruption? Si vous redressez l'échine de cet animal à l'école de la panique
d'entrailles que ses dieux et ses devins lui inspirent, il courra consulter
ses poulaillers, mais si vous lui retirez cette médecine, il perdra pied dans
le néant.
Et pourtant, la rencontre avortée
du 26 mars entre le pape François et M. Barack Obama a placé un produit
pharmaceutique prometteur entre les mains du vieux Chronos, et cela non point
en raison d'une accélération subite et miraculeuse de l'évolution cérébrale
de la bête, mais parce que la Démocratie moderne et sa chaste épouse, la
Liberté, accompagnés de leurs deux enfants encore en bas âge, l'Egalité et la
Fraternité, ont commencé de se promener dans le jardin des cultes défunts et
de s'éclairer de la lumière de leur pharmacologie oubliée.
Certes, on savait depuis belle
lurette que les détoisonnés du cosmos sont paniqués de se trouver jetés sans
coussinets dans le sépulcre de l'immensité et du vide. Mais il est bestial en
diable de se donner sa propre effigie pour soleil, il est bestial en diable
de se donner un tortionnaire infatigable pour guide et pour protecteur dans
une nuit sans voix. La théologie romaine, dit maintenant le pape François,
était à la fois harnachée et barricadée dans l'enceinte sanglante des cités.
L'agrippage de cette mythologie à sa propre sacralité élevait une hiérarchie
ecclésiale auto-glorifiée au rang d'un Jupiter armé du couperet de la mort.
Et voici que la bête dentue et
crochue dont l'armure masquait la fragilité se regarde dans le miroir de ses
démocraties enténébrées. Décidément, le pape regarde le christianisme romain
avec des yeux d'anthropologue et de pédagogue d'une démocratie casquée - et
le Poverello, en promenade à ses côtés, visite le jardin des Hespérides des
contrefaçons du dieu Liberté. La compassion franciscaine rapprocherait-elle
l'école d'Antioche des découvertes les plus récentes de la paléontologie?
(Voir - De Sotchi à Kiev , La postérité anthropologique de
Machiavel et la politologie moderne , 5 avril 2014 )
Depuis le XVIIIe siècle, l'animal
terrorisé par le silence de l'univers n'a cessé de se rabougrir. L'étendue de
son ignorance se révèle désormais aussi rapetissante qu'à l'âge de la pierre
taillée. Mais plus ce pape solitaire et méditatif se découvre ratatiné, plus
le mythe démocratique se minusculise, lui aussi. Le voici réduit à une
rêverie à la gueule grande ouverte. Regardez avec les yeux de la mystique
russe la denture de cette sotériologie verbale: ses mâchoires et ses crocs
n'illustrent-ils pas une mythologie sanglante? Demandez-vous quelle était la
distanciation à l'égard de l'histoire et de la politique qui a guidé en
secret la théologie pacificatrice du Saint Siège en Syrie. Quel était
l'anthropologue en apprentissage de la vie spirituelle de la Liberté qui
voyait de haut et de loin germer une "guerre sainte" pour le salut
démocratique du monde, quel était le mystique abyssal qui regardait avec les
yeux de Tolstoï la cosmologie mythique des modernes s'enivrer des reflets de
sa propre équipée? Voyez l'idole étalée sur les coussins de velours de sa
sainteté, voyez l'idole inlassablement magnifiée et glorifiée sur le
piédestal de ses idéalités sanguinaires. S'agirait-il du faux dieu des
modernes? Le pape François voyait-il de haut ces frères jumeaux, le mythe
chrétien et le mythe démocratique échanger leurs présents - les fioles d'un
même parfum, celui de l'opium des peuples?
En vérité, le regard du
Franciscain sur les auréoles verbales dont la bête s'était affublée donnait
au pape argentin un siècle d'avance sur le futur décryptage anthropologique
du narcissisme politique de type démocratique - et la bestialité théologique
commençait de se dessiner sous des traits tellement précis que Rome se
convertissait en douce aux sacrilèges de la sainteté. Le mythe biblique
tombait tout entier dans la cage aux poulets aux yeux du Poverello. Il
existait, disait-il, une manière d'écrire l'histoire ad usum Delphini
- à l'usage du fils aîné du roi - qui glorifiait parallèlement l'histoire du
christianisme et celle de la monarchie de droit divin. Et voici que le pape
de la Liberté américaine apportait au monde l'histoire conjointe du mythe
démocratique et de la gloire de sa nation!
Le pape François occupait la
forteresse de l'anthropologie secrète à laquelle les saints russes se sont
initiés. Comment son regard aurait-il porté sur l'histoire et la politique de
l'humanité titubante du XXIe siècle s'il n'avait commencé de savoir non
seulement comment l'ignorance de type spéculaire de la bête se construit,
mais comment elle se bâtit nécessairement des savoirs en miroir, et d'autant
plus assurés d'eux-mêmes que leurs erreurs de méthode et de parcours leur
fournissent en retour les instruments les plus irréfutables à leurs yeux et
les preuves les plus évidentes de la validité de leur vision du monde?
C'est ainsi que l'Ukraine s'est
révélée la première illustration planétaire de l'animalité théologique des
ostensoirs de type démocratique que l'humanité ait mis en scène. La pièce
semblait agencée d'avance dans les coulisses pour rendre spectaculaire le
choc des idéalités vaniteuses, spectaculaire la mise en scène artificielle
des héros retentissants de l'abstrait, spectaculaire l'étalage des
subterfuges, des attrape-nigauds et des contrefaçons du concept de Liberté,
spectaculaire l'exposition des ciboires d'une religion de pacotille: tout le monde
voyait à l'œil nu les tireurs de ficelles qui faisaient, d'une histoire des
simagrées du monde un mélange de grand guignol et de pièce de boulevard -
mais le titanesque même de la dérision mettait en place un échiquier nouveau
du monde. Le regard de haut que la Curie portait désormais sur les parfums de
l'histoire et de la politique en faisait l'assise d'une nouvelle objectivité
de la science historique.
Du coup, le grand orchestrateur
des idéalités pseudo universelles de la démocratie mondiale s'est trouvé si
soudainement démasqué que le génie du Poverello est devenu l'assiette
nouvelle de la pensée rationnelle du monde et de l'anthropologie
scientifique, tellement les cierges enfumés d'une fausse Justice et d'une
fausse Liberté rendaient inutilisable la catéchèse démocratique et l'encens
de M. Barack Obama. Mais la spécularité humaine, les Anciens l'appelaient l'illusion,
du latin illudere, se jouer de quelqu'un, le tourner en dérision, rire
et se moquer, ce qui démontre que la mystique renvoie à un approfondissement
anthropologique du vocabulaire de tous les jours.
La semaine prochaine, j'observerai
de plus près la condition humaine sur le théâtre de l'évolution cérébrale de
cet animal.
Le 12 avril
2014
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire