Éditorialde Lucienne Magalie Pons
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1 - Le niveau culturel de l'élite politique des démocraties
2 - Comment Athènes pensait-elle de travers ?
3 - De quelle raison l'expérience apporte-t-elle la preuve ?
4 - La cécité de la raison moderne
5 - Qu'est-ce qu'un philosophe ?
6 - Le naufrage de la raison laïque
7 - La régression de la raison démocratique
8 - La scolastique de la vassalité
9 - L'inconscient théologique de la géopolitique moderne
10 - Un trou de serrure
11 - Les Prodicos de la démocratie
12 - Le bûcheron d'Isaïe
La conque osseuse qui couronne les
classes dirigeantes de la civilisation des droits de l'homme est-elle devenue
dramatiquement infirme? Soulever la question de la qualité de la tiare
cérébrale des élites en des termes aussi irrespectueux semble renvoyer à une
polémique superficielle, donc vaine, alors que la question de la pesée du
crâne des démocraties occidentales se trouve vigoureusement posée au monde
entier depuis le 16 janvier 1872, date de la première des six conférences
qu'un professeur de grec nommé à l'Université de Bâle en 1869, un certain
Frédéric Nietzsche, tint à ses "honorables auditeurs" de la
"Société académique" de la ville. Car ces conférences
iconoclastes, intitulées Sur l'avenir de nos institutions culturelles
ne concernaient que par malentendu toute l'éducation nationale allemande. Il
s'agissait seulement de l'essentiel, à savoir de l'initiation de la jeunesse
universitaire à l'esprit des grands fécondateurs de la raison du monde.
Depuis lors, nous avons appris que
l'apprentissage des rudiments de la pensée rationnelle est une entreprise
périlleuse aux yeux de tous les Etats d'hier et d'aujourd'hui et qu'au XXIe
siècle encore, les écoles anglo-saxonnes n'enseignent la philosophie que dans
les Universités - les bacheliers anglais de notre temps n'ont jamais
seulement entendu prononcer les noms de Platon, de Descartes ou de Kant.
Quant à la France, elle n'a pas
tardé à réduire les ambitions de la philosophie sommitale à l'exercice de la disputatio
d'usage dans les facultés de théologie du Moyen-âge - les Socrate salariés de
la République ont été rendus aussi respectueux à l'égard du pouvoir temporel
qu'autrefois à l'égard de la monarchie de droit divin. Ecoutez-les vous
exposer du bout des lèvres le pour et le contre de thèses rabâchées depuis
des générations: le service public invite ses serviteurs à sa table. Il leur
demande de formuler une synthèse toujours optimisante et censée couronner un
débat roboratif, ce qui exclut d'avance l'analyse des englobants
anthropologiques qui enchâssent les savoirs officiels. Les présupposés sont
systématiquement soustraits à l'examen. Comme dans la théologie, il serait
sacrilège d'étaler à tous les regards les prémisses de la connaissance
scientifique.
Et pourtant, Socrate observait
qu'Athènes et les Athéniens pensaient de travers; et Nietzsche nous enseigne
que tout le XXIe siècle illustrera la distanciation nouvelle de la raison que
le monde attend de la philosophie moderne. Car, pour la première fois depuis
la chute du monde antique, la mise en doute de la valeur de l'éducation
officielle de la jeunesse au sein des Etats censés être devenus rationnels ne
concerne plus la critique, réputée obsolète, de la formation religieuse des
populations, mais la critique de la pensée insuffisamment scientifique, ce
qui exige l'initiation de la jeunesse studieuse à une rationalité du savoir
plus profonde que la précédente.
Mais quelle est la nature du recul
nouveau de l'intelligence? Nietzsche nous rappelle que les faits ne sont
nullement rendus rationnels par le constat de leur existence et par la
vérification qu'ils sont bien là, parce que le rationnel est un signifiant.
Comment rendre signifiant un monde muet par nature et par définition,
comment faire tenir un discours de l'intelligence à la nature si tous les
signifiants du monde renvoient à l'humain? Comment la nature va-t-elle nous
adresser une parole qui serait la sienne? Est-il possible de spectrographier
à son tour la distanciation supérieure qui caractérise la philosophie si, en
tant que tels, les signifiants ne sauraient s'incarner?
La pédagogie religieuse se voulait
et se savait de type précautionneusement dogmatique et doctrinal. Mais
maintenant, seule la pesée d'un échiquier mental encore à conquérir conduira
l'humanité à soumettre la notion toujours provisoire de raison à l'examen.
Car, depuis des siècles, les sots évadés de la zoologie se sont naïvement
ahanés à se construire une balance capable de peser leur embryon de pensée -
mais celle-ci est demeurée obstinément semi-animale.
Du coup, la vraie difficulté
philosophique sera de conquérir les instruments de la réflexion critique
transscolaire qui autorisera la pensée socratique, donc suspensive, à déposer
l'entendement simiohumain d'hier et d'aujourd'hui sur les plateaux d'un
appareil de pesée des signifiants aussi insultant à l'égard de l'université
laïque actuelle qu'à l'égard de la Sorbonne de Rabelais. Car, votre éducation
nationale se trouve fatalement ligotée à l'Etat démocratique par des liens
étroitement calqués sur ceux des théocraties.
Mais si les Etats mal émancipés
des présupposés de la logique interne qui pilotait les "cités de
Dieu", si les Etats républicains, dis-je, rencontrent des obstacles
infiniment plus difficiles à franchir que ceux dont les tâtonnements des
cosmologies mythiques des peuples sous-développés illustraient les apories,
quels vices inconnus faudra-t-il apprendre à détecter? Ceux qui infectaient
l'encéphale des siècles écoulés rongeraient-ils désormais l'enseignement
officialisé d'une "reine des sciences" tombée derechef dans une
scolastique cancérigène? Car, pour la première fois dans l'histoire du monde,
ce n'est plus une théologie gangrenée, mais la science expérimentale
elle-même qu'il faudra soumettre à la critique, tellement les faux triomphes
de la raison classique souffrent des carences épistémologiques d'un second
Moyen-Age. L'expérience prononcerait-elle des signifiants tout autres que
ceux que les savants prétendent leur faire énoncer?
Observez de plus près les
comportements prétendument rationnels qu'affichent les élites cérébrales
censées gouverner les démocraties "avancées". Elles souffrent
visiblement des maux désormais sécrétés par une pensée laïque truffée des
mêmes présupposés qui cancérisaient la théologie essoufflée du Moyen-Age, ce
que Nietzsche proclamait par la bouche de son prophète, un certain
Zarathoustra. On sait que ce héros de la pensée vivante dénonçait, il y a
près d'un siècle et demi, une maladie de l'esprit liée à la chute des
théologies dans une scolastique pourrissante. Or cette nosologie se révèle
précisément de nature à nous renvoyer aux enseignements de l'anthropologie
abyssale dont s'inspirait la médecine des grands mystiques. Car, dit
Zarathoustra, les prophètes parlent "pour tous et pour personne".
Comment allons-nous tenter de décrypter le type de pathologie dont souffrent
les descendants actuels d'un quadrumane à fourrure?
On sait que la nature ne les a
détoisonnés que depuis quelque cent mille ans et que nos psychanalystes des
putréfactions, à commencer Karl Gustav Jung, ont échoué à descendre dans
l'abîme de la mystique du Zarathoustra de Nietzsche. Car une universalité de
type laïc a remplacé l'universalité de type théologique. Toutes deux
seraient-elles de pacotille? Quand le Président Hollande universalise des
abstractions pseudo séraphiques, quand Ségolène Royal croit que les Suédois
ou les Iraniens sont des Français vocalisés à l'école d'une autre langue que
la nôtre, quand les Tziganes passent pour des pauvres sur lesquels étendre le
manteau d'un évangélisme de confection, c'est toujours et partout le regard
d'une raison auréolée par des concepts décorporés qui se porte sur les évadés
partiels de la zoologie et qui rend quadriplégique la pensée soi-disant
rationnelle des démocraties modernes - et cela précisément à l'image de
l'entendement infirme d'un mythe de la Liberté étranger au génie prospectif
des grands mystiques.
Nietzsche demandait froidement à
la jeunesse allemande de 1872 si les professeurs de philosophie de son pays
méritaient le titre de philosophes, alors qu'ils l'ont reçu des mains des
Etats qui les paient ou si la tournure d'esprit des fonctionnaires de la
pensée est incompatible avec l'audace à couper le souffle de la haute discipline
trans-confessionnelle qu'on appelle la philosophie. J'ai déjà dit que,
depuis Nietzsche, cette discipline se montre ambitieuse de peser la valeur
non plus seulement d'une vulgate chrétienne périmée, mais de la pauvreté
d'une raison tremblante de peur et péniblement élaborée au cours des
millénaires par un animal en évolution, donc inachevé par définition et qui
ne découvre ses carences cérébrales qu'avec une grande lenteur.
Du coup, une question digne de la
théologie mystique se réintroduit dans le débat; car si l'on sait, depuis le
Théétète de Platon, que Socrate renvoyait au sophiste Prodicos les jeunes
gens dont l'âme n'était "grosse de rien", la question de
l'élévation ou de la putréfaction des âmes retrouve toute sa place dans une
philosophie digne de ce nom; et il faut se demander en quoi les grands
mystiques détenaient, sans s'en douter, les secrets d'un enseignement
ascensionnel. Quel était-il et comment le dispensera-t-on aux philosophes de
la raison laïque?
Car enfin, comment Nietzsche
a-t-il ridiculisé David Strauss, un théologien protestant dont la Vie
de Jésus, publiée en 1835 avait partiellement inspiré son Jésus
à Renan et qui avait donc pris près de trois décennies d'avance sur son
temps? Et pourtant, le Nietzsche des Considérations inactuelles de
1873 ne saluait le Nazaréen ni au nom de la mythologie ecclésiale des
catholiques, ni au nom de la philosophie hégélienne de David Strauss, mais
déjà à l'école de son futur Zarathoustra, c'est-à-dire au nom
de la transcendance dont seuls bénéficient les vrais "sujets de
conscience". On les appelle des prophètes. Ceux-là parlent "pour
personne", avec des mots que le monde entier croit comprendre.
Mais si les mystiques réfutent
d'une seule voix la "théologie administrative" des Etats et
des Eglises, comment se fait-il que Husserl pourfendait la "philosophie
constructiviste"? Qui sont les "constructivistes"
de la raison dont usaient les physiciens classiques? On sait que ces animaux
miraculés ou ces aveugles-nés s'imaginaient que la nature serait rendue
rationnelle de seulement se répéter sans relâche, donc de se rendre
prévisible, c'est-à-dire profitable. Quelle était la psychophysiologie de la
bête qui sous-tendait une physique tridimensionnelle et qui rendait éloquents
les calculs que cette discipline déposait sur ses autels?
Le premier, Nietzsche a déplacé
l'échiquier inconsciemment oraculaire de la pensée interrogative mondiale. Sa
postérité en fait l'inaugurateur d'une raison dont le "feu spirituel"
jugera ridicule de réfuter les miracles et les prodiges que le polythéisme et
le christianisme ecclésial se partageaient, mais également la sorcellerie qui
fait donner un "sens rationnel" en soi aux redites du cosmos.
Mais si la raison des Prodicos de
la philosophie se change en une arme de la platitude d'esprit au sein des
universités et de leur sophistique, comment, encore une fois, initier la
jeunesse étudiante aux ascensions qui transcenderont les théologies truffées
d'images enfantines? Cent quatorze ans après la mort de Nietzsche, la
question se pose à toute la classe dirigeante de la planète des magiciens de
la démocratie, tellement le XXIe siècle souffre des mêmes maux cérébraux que
les théologies pourrissantes: un rationalisme au petit pied et qui ignore ses
propres composantes psychiques a seulement quitté les amphithéâtres des
Facultés de théologie pour débarquer tambour battant dans une société civile
délivrée à trop peu de frais des missels et des prie-Dieu. Quels sont les
cierges, l'encens, les ciboires et les goupillons de l'Eglise de la Liberté?
Car si les plaies saignantes dont
souffrent les deux enseignements mythiques, celles des croyances magiques des
religions d'une part et d'autre part, celles qui affectent les droits
attribués à une raison infirme, si ces plaies ouvertes, dis-je, sont communes
aux deux pathologies, les démocraties rationnelles n'étaient-elles pas, de
leur côté, censées, étendre bien davantage le regard de la pensée sur tout le
genre humain que les théologies dogmatiques et gestionnaires d'autrefois? Les
oracles que le suffrage universel allait proférer ne se promettaient-ils pas
de scruter les secrets de l'animal rationale avec une hauteur et une
pénétration d'esprit à clouer le bec aux catéchismes empoussiérés? On
s'imaginait que l'intelligence panoramique et rieuse du XVIIIe siècle
éduquerait des peuples tout subitement élevés au rang de souverains dans
l'ordre d'une raison enfin libérée de la superstition ; et l'infaillibilité
du jugement des foules inspirées pour le ciel de la Liberté permettrait non
seulement aux Etats éduqués de rivaliser avec la boîte osseuse autrefois
attribuée à un créateur mythique du cosmos, mais de surpasser les exploits de
la cervelle du regardant suprême que consultaient les ancêtres.
Mais Rousseau avait aussitôt
habillé l'écologie évangélisante de son temps du bucolisme théologique d'un
vicaire savoyard; et seul le Voltaire de Candide s'était révélé un théologien
de la finitude simiohumaine plus abyssal que le jardinier sommital qui
traquait un pécheur blotti tout tremblant sous les bosquets de l'Eden et dont
Erasme se moquait déjà dans sa Ratio verae theologiae (1518).
Puis, peu à peu, l'intelligentsia
des démocraties a régressé. Dès le milieu du XIXe siècle, elle est devenue
aussi superficielle qu'une théologie dont la bêche et le rateau s'appelaient
la scolastique. Le ratatinement du regard de l'intelligence sur le pommier
maléfique de là-haut est d'autant plus saisissant que l'arbre n'a pas tardé à
étendre ses ramures feuillues au sein des hautes écoles de la République.
Prenez l'exemple de la
géopolitique pseudo rationnelle actuellement enseignée au CNRS, prenez le
repoussoir des sciences politiques superficielles, donc aveugles qu'on
enseigne de nos jours rue saint Guillaume. S'il est une discipline qui, à
l'instar de la plus haute théologie mystique, devrait traiter du parfum de la
liberté et de la puanteur de la servitude de l'humanité à une profondeur
abyssale, s'il est une science des odeurs qui devrait plonger son pif dans
l'abîme de la vassalisation actuelle des nations européennes pourrissantes
sous la poigne de fer d'un maître malodorant - celui de la pseudo démocratie
mondiale - c'est bel et bien une géopolitique des hauteurs et des bassesses
des évadés de la zoologie.
Ce n'est pas l'appendice nasal
d'un diocèse qui détectera les pestilences de la politique démocratique de la
planète. Et pourtant, le 17 avril 2014, France-Inter a demandé à l'organe
olfactif d'une "chercheuse" au CNRS de commenter la crise ukrainienne.
Et qu'a-t-on entendu? A l'instar de l'enseignement catéchétique du XVIe
siècle, la prétendue "chercheuse" ignorait, la pauvresse, que la
géopolitique n'est pas une discipline paroissiale - du moins si l'on en croit
l'étymologie du terme. Personne ne lui avait appris que cette science
requiert le plus logiquement du monde la conquête d'un regard plongeant, donc
trans-ecclésial sur l'humanité en tant que telle.
Notre "chercheuse"
pré-cléricalisée par le mythe de la Liberté ne traçait que les sentiers qui
lui permettaient de ne pas traiter du sujet. De plus, elle confondait
allègrement la géopolitique en tant que science avec la pratique médicale,
dont j'ai déjà souligné dans un texte précédent (- Les poulets sacrés de la démocratie, 12 avril 2014 ) qu'elle ressortit nécessairement à une discipline
panoramique et englobante, mais qu'elle trouve de grands avantages, et à bon
droit, à tronçonner son cadastre - car il n'est pas nécessaire, écrivais-je,
au spécialiste du nez et des oreilles de rivaliser avec le spécialiste du
tube digestif, des poumons ou du cœur.
En revanche, pourquoi personne
n'enseigne-t-il au CNRS ou rue saint Guillaume que la géopolitique ne saurait
se prétendre une science de la vassalité ou de la Liberté des peuples et,
dans le même temps, passer outre au fait qu'il existe deux cents bases
militaires américaines stationnées en Allemagne - et cela soixante-dix ans
après la paix de 1945 - et cent trente sept dont les bivouacs s'éternisent en
Italie, puis cinq cents en Europe, dont le quartier général américain est
campé à Mons? Si la géopolitique scientifique n'était en rien concernée par
l'offensive américaine sur l'Ukraine de l'Ouest, alors il faut que notre
système d'enseignement, comme disait Nietzsche, commence par définir la
notion de science applicable à telle ou telle discipline de la connaissance.
Ne faut-il pas exclure par décret de l'enseignement public les
"chercheurs" et les "chercheuses" dont la fausse science
répand seulement de vaines fioritures dans le jardinet d'une idéologie?
Pis encore: comme il se trouve que
les bases militaires américaines sont censées protéger la civilisation de la
raison contre un adversaire redoutable, mais tout imaginaire, il est
impossible d'élever la géopolitique au rang d'une science, donc d'une connaissance
des têtes et des âmes si vous ne disposez d'aucune connaissance
anthropologique des poumons et de la respiration du genre humain. Car cette
espèce volète dans la moyenne ou la basse région de l'atmosphère; et la
politique des idéalités dont elle se grise entretient des relations étroites
avec la vie religieuse de la bête. Quelle est la psychobiologie de la piété
qu'illustrent les concepts dévots de la démocratie? Les voyez-vous traverser
à tire d'ailes le ciel des abstractions dont le mythe de la Liberté
s'auréole?
Nul ne doutait autrefois de
l'existence de Dieu et de la sagesse de son programme d'administration et de
sauvetage de l'univers: les Etats et les Eglises ne peinaient côte à côte que
pour aménager les modalités de la gestion d'un créateur du cosmos aussi
omniscient qu'omnipotent. Aujourd'hui, nul ne doute de la droiture d'esprit
du nouveau souverain du monde - il s'agit seulement de savoir comment son
éthique ahane au gré des temps et des lieux. Pour l'apprendre, observez que
le nouveau détenteur du sceptre de la délivrance a expédié en Ukraine trois
de ses apôtres, son ministre des affaires étrangères en personne, M. John
Kerry, puis son vice-roi, M. Joseph Biden et enfin, sous un nom d'emprunt, le
missionnaire le plus symbolique de son ciel et de sa justice, qu'il a placé
en sandwich entre les deux précédents - le chef de sa Central Intelligence
Agency, M. John Brennan.
On voit que les infirmités dont
souffre l'esprit simiohumain passent de la chute des théologies dans la
superstition et la magie à la chute des civilisations décadentes dans les
mêmes maux que les religions d'école - ceux du rabougrissement et du
ratatinement des intelligences. Mais les miroirs aux illusions sont
diversement construits. Comment se fait-il que la science politique
officialisée par l'enseignement superficiel que dispensent les Etats laïcs
reproduise le même rétrécissement de l'entendement que les mythologies
sacrées, sinon parce que les mêmes causes sont à l'œuvre dans les deux
sorcelleries mentales? Partout le "sujet de conscience" se
cache dans une spécularité de la connaissance qui le protège du regard que la
pensée philosophique porte sur le tragique et la solitude de la bête.
Quand un Président de la
République française dûment élu par le peuple souverain se permet de rabrouer
la Russie sur le ton d'un instituteur qui admonesterait un garçonnet sur le
préau de l'école du village; et quand, deux jours plus tard, le même
porte-parole du peuple de la raison républicaine s'adressant à des ouvriers
leur confie, sur un ton bonasse: "L'idée de ce déplacement, elle est
venue d'une visite que j'avais faite avec le ministre du Redressement
productif au Salon de l'auto. Le président Senard (PDG de Michelin, NDLR)
m'avait pris… enfin, tout à fait correctement et avec beaucoup d'égards… ",
faut-il se coller l'œil œil au trou d'une serrure pour rapporter cette
anecdote, à l'exemple du duc de Saint-Simon, qui racontait les maitresses du
roi Soleil dans ses Mémoires, ou bien faut-il déclarer
incurable tout citoyen qui ne jugera pas malade une République dont le
Président élève publiquement une plaisanterie graveleuse au comique de la
sodomie?
C'est de l'histoire véritable de
la planète de ce siècle que vous vous êtes offert le spectacle, tellement la
question de fond, celle qui se pose au même instant, et sur la planète tout
entière, n'est autre que celle de savoir si le simianthrope actuel appartient
à une espèce ascensionnelle, stationnaire ou régressive ou si cet animal en
est réduit à osciller sans relâche entre des progrès toujours locaux de sa
raison et de longues périodes de dissolution de ses civilisations.
Si vous doutez d'assister au
déroulement d'un drame titanesque et visible en tous lieux, sachez que le
même Président a découvert que le scribe enflammé qui lui avait rédigé un
discours de grand patriote possède une galerie de chaussures de luxe qu'il
fait cirer et reluire dans les murs du palais. Mais si votre penchant naturel
vous fait pratiquer le doute cartésien et si, à l'instar de l'auteur du Discours
de la méthode, vous vous demandez sérieusement si vous existez en
chair et en os ou si vous vous trompez sur ce point, soumettez au banc de
l'expérience scientifique les preuves les plus irréfutables que vous ne vous
réduisez pas à une ombre.
Pour cela, mettez deux faits
avérés sur les plateaux de la balance à peser la raison du monde. Avez-vous
vu de vos yeux une Ukrainienne arrêter de la main un char d'assaut couvert de
guerriers en armes, avez-vous entendu de vos oreilles le chef du "gouvernement"
de Kiev, issu d'un coup d'Etat, déclarer le lendemain à un peuple de
cinquante millions d'habitants que les soldats coupables de n'avoir pas
écrasé l'héroïne "passeraient en jugement" et seraient
"sévèrement châtiés"? Avez-vous vu tout cela par le trou de
la serrure des petits historiographes d'autrefois ou bien êtes-vous
convaincus que l'histoire réelle de notre astéroïde se déroule maintenant
sous la lentille du microscope qu'on appelle la raison démocratique et
que cette raison-là n'est pas celle de Zarathoustra?
Et maintenant, les quadrumanes
détoisonnés que vous savez se voient assis jour et nuit au balcon de
l'histoire du mythe de la Liberté; et maintenant la question posée à leur
cervelle est celle de découvrir s'ils appartiennent à une espèce en ascension
ou en cours de dissolution cérébrale; et maintenant, les civilisations savent
qu'elles peuvent pourrir des pieds à la tête en quelques années, mais qu'il
leur est impossible de se transporter plus loin sur un astéroïde devenu trop
petit. Du coup, le trou de serrure logé dans les demeures sert de lanterne
magique à tous les simianthropes de la planète; et cette espèce s'est si bien
enfermée dans l'universalité de son mythe de la Liberté qu'elle doit se
demander quel est l'avenir d'un animal divisé entre l'héroïsme de
quelques-uns et la débandade générale. Les évadés de la zoologie sont-ils à
eux-mêmes leur mont Carmel ou leur pourrissoir?
Décidément, la laïcité se montre
aussi "théologisée" en sous main que les Prodicos du christianisme.
Mais alors qu'en est-il du "totalitarisme de l'universel"
qu'évoquait Pierre Bourdieu? Si vous ne savez pas que l'universel dont il est
question est celui des mots mythifiés à l'école des broderies de la
démocratie mondiale, si vous ne savez pas comment le "sujet de
conscience" s'enrubanne d'un langage auréolé, si vous n'avez pas la
rétine sur laquelle se réfléchit une bête hissée sur le piédestal de son
langage faussement ascensionnel, si vous n'avez pas l'œil de Zarathoustra
pour apercevoir l'animal à la recherche de ses dentelles, si vous ne disposez
pas du globe oculaire nécessaire pour regarder les Etats et les empires droit
dans les yeux, si vous ne voyez pas le mythe de la Liberté sous les traits
d'un carnassier évadé de la zoologie et dont les mâchoires se font une proie
de l' "animal rationale", alors il ne sert de rien que
Pierre Bourdieu vous dise que le monde moderne est celui du
"totalitarisme de l'universel". Initiez-vous à la parole des prophètes
qui connaissent l'animal réfléchi dans le miroir qui le flatte.
Il faut, disait Nietzsche, initier
la jeunesse allemande à une psychobiologie abyssale, donc articulée avec une
connaissance anthropologique de la finitude simiohumaine. Mais, la vraie
théologie n'est-elle pas une spéléologie en avance sur la cécité des petits
philosophes? Le regard d'Isaïe sur l'idolâtre laisse encore sur place nos
premiers psychanalystes prospectifs, qui commencent seulement d'observer la
double vie de la bête oscillante entre le rêve et le fantastique.
Voyons comment, au XXe siècle, la
classe dirigeante des "démocraties" dites rationnelles a sécrété
une intelligentsia frappée d'une cécité hallucinante. Le mythe marxiste ne
reproduisait-il pas fidèlement le christianisme des utopies voraces du
premier siècle de notre ère? On ne trouvait plus un seul " intellectuel
" occidental qui ne fût un théologien ivre de la nouvelle abolition du
péché, celle du capitalisme et de la suppression de l'instinct satanique de
propriété. Puis l'effondrement de la rédemption politique marxiste et du
chapeautage de l'univers par un messianisme de l'abstrait a fait place aux
idéalités gloutonnes de l'atlantisme actuel, dont vous connaissez la
sotériologie et la catéchèse à seulement écouter France-Inter. Mais, cette
fois-ci, la cécité volontaire de la géopolitique des aveugles qu'on enseigne
au CNRS ou rue saint Guillaume reconduit à la lecture du Traité de la
servitude volontaire de La Boétie. Cette fois-ci, le bandeau de la
vassalité atlantiste est tellement serré qu'il est impossible de le retirer
des Sorbonne d'aujourd'hui.
Pour comprendre ce prodige de la
servitude cérébrale de la bête, observez que le mythe théologique de la
transsubstantiation eucharistique n'était pas moins stupéfactoire que celui
de l'invisibilité béatifiante dont bénéficie l'empire américain aux yeux des
nouveaux sorbonagres et sorbonicoles de l'eucharistie démocratique. Mais,
depuis Platon, la philosophie est une anthropologie critique dont la plongée
dans l'inconscient cérébral de la bête conduit Socrate à une spéléologie de
la raison embryonnaire du détoisonné des forêts. A ce titre, cette discipline
s'attache à féconder les relations que la sottise de cet animal entretient
avec son ignorance - car la sottise enfante l'ignorance comme le pommier ses
pommes, tandis que l'ignorance présente l'avantage d'offrir le spectacle des
exercices que la bête dépose sur les autels de son langage.
Mais, ici encore, voyez sur quels
chemins de la postérité de Nietzsche la décadence de la raison des modernes
copie les déconfitures de la théologie du Moyen-Age, voyez comment, trois
siècles après Voltaire, ces deux disciplines se statufient ensemble, se
minusculisent ensemble, perdent ensemble leur âme, leur souffle et leur élan!
Mais voyez aussi le regard de Zarathoustra et celui d'Isaïe se porter
ensemble sur la cervelle du bûcheron qui se chauffait avec la moitié du bois
qu'il avait ramassé le matin dans le forêt et qui se taillait, dans
l'après-midi, une idole avec l'autre moitié de sa récolte. Pourquoi se
prosternait-il devant un objet sorti de ses propres mains? Si vous voulez
l'apprendre, observez nos agenouillement devant la statuette que vous avez
taillée et qui est devenue votre maître, observez vos génuflexions devant le
bois dans lequel vous avez taillé votre empire de la liberté du monde!
Comment se fait-il que la
théologie agonisante et la raison émiettée se barricadent ensemble dans le
même champ visuel resserré, celui de l'esprit de servitude de la bête? Et
pourtant, votre planète d'idolâtres disparaît tout subitement du champ de
votre regard si vous lisez Nietzsche ou Isaïe. Comment se fait-il que
l'empire américain fasse place au bois du bucheron?
Du coup, demandons aux mystiques
de l'abîme de nous instruire de la généalogie et de la psychobiologie qui président
à la sécrétion des idoles mentales propres aux démocraties de bois sec. Nous
sommes tombés en panne d'une anthropologie des idoles du langage qu'enfante
le mythe racorni de la Liberté? Demandons à Freud et à Isaïe de nous
instruire des paniques d'entrailles de l'animal prosterné devant le bois de
ses idoles et souvenons-nous que Socrate et Isaïe se partagent la même
vocation, celle des guérisseurs de la bête malade de ses idoles.
le 26 avril
2014
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