Depuis
1973, date à laquelle les Iles Britanniques ont réussi à forcer la porte de
l'Europe - il y a fallu quatre ans d'une offensive diplomatique obstinée -
la politique anglaise s'est révélée aussi nocive qu'à l'heure où le Général
de Gaulle les maintenait au dehors à la force du poignet.
Mais
supposons un instant qu'une révolution copernicienne de la politique
actuelle et de sa scolastique se produisent subitement en Europe et que la méta-zoologie
perce quelques secrets psycho-biologiques du messianisme pseudo laïc dont
le mythe de la liberté professe la sotériologie; supposons un instant que
la pensée politique soudainement ressuscitée au sein des Républiques
parvienne à propulser un Continent vieilli sur les chemins de la simianthropologie
dont j'ai évoqué les principes la semaine dernière.
Comment,
dans cette hypothèse, enseigneriez-vous à une classe dirigeante au petit
pied l'évidence la plus criante de toutes, à savoir que l'expulsion manu
militari de l'Angleterre hors d'une Europe empêtrée dans sa sophistique ne
résoudra en rien les difficultés pratiques et de méthode que vous allez
rencontrer à la tête de la commission de Bruxelles? Car, hier comme
aujourd'hui, ce sera un jeu d'enfants, pour l'Angleterre et pour les
Etats-Unis, de débaucher de l'extérieur une armée de Pygmées agglutinés à
leurs cadastres.
On se
demande, du reste, pourquoi, il y a quarante et un ans, Londres a
subitement jugé non seulement réalisable, mais miraculeusement rentable de
paraître sacrifier la fierté insulaire et les gènes qui pilotent sa
psychobiologie depuis des millénaires pour multiplier tout à coup les
déclarations les plus solennelles censées convaincre illico le monde entier
de la mutation d'un peuple de marins à l'éloquence d'une politique
d'indépendance propre aux terriens.
M. Heath,
alors Premier Ministre de sa très gracieuse Majesté, s'était échiné, avec
des trémolos dans la voix, à renier les racines du monde des navigateurs,
alors que, depuis lors, la politique de municipalisation des esprits sur
l'autel de la Liberté a coûté dix fois plus cher aux finances publiques de
l'Angleterre que celle en provenance de l'extérieur. Je dirai plus: si les
Iles britanniques revivifiaient leur alliance de 1945 à 1973 avec les
Etats-Unis d'Amérique, elles se trouveraient mieux armées sur le long terme
que sous le revêtement fallacieux et fatalement tout provisoire d'un Etat
censé être devenu intra européen par un prodige chromosomique. Il vaut
mieux se briser sur le monde réel que de périr empêtré dans les artifices
d'un jumelage fallacieux.
2 - L'exemple de la Suisse
Pis que
cela, M. le Président: Tocqueville le visionnaire avait cent fois raison de
soutenir mordicus que jamais la Suisse ne deviendrait un véritable
Etat - et cela, disait-il, à cause de la scission de cette contrée entre
deux théologies irrémédiablement incompatibles entre elles, trois langues
de culture, donc trois psycho-physiologies, et un idiome, le romanche, qui
n'accouchera jamais d'un Cervantès ou d'un Shakespeare. De plus la disproportion
entre l'étendue territoriale de Berne et de Glaris, de Zürich et d'Uri, de
Vaud et d'Appenzell empêchera toujours l'Helvétie de devenir un Etat
mentalement unifiable - seules sa neutralité, déclarée perpétuelle en 1814
et sa minusculité ont pu lui donner une illusion aussi trompeuse.
C'est dire
qu'une Europe dirigée, à l'instar de la Suisse, par un conseil
d'administration ne pourrait se donner une vocation et une volonté
politiques plus unifiées que celle des retraités de Marignan, qui fêtent le
cinquième centenaire de leur prospérité d'actionnaires d'une société
anonyme aux ramifications planétaires.
3 - Comment attaquer un empire sur le déclin ?
Mais
supposons, amiral, que vous entendiez relever le défi superficiel que les
éducations publiques pseudo-laicisées lanceront aux théoriciens du statut
viscéralement insulaire de l'Angleterre. Dans ce cas, demandez-vous d'abord
comment vous donneriez à des populations cancérisées depuis trois quarts de
siècle par un atlantisme acéphale la connaissance psychobiologique de
l'idéalisme politique que requerrait une Europe susceptible de devenir -
aux côtés de la Chine, de la Russie, de l'Amérique du Sud et demain de
l'Afrique - la flotte de guerre d'une civilisation de pionniers de la pesée
simianthropologique du genre humain. Les opinions publiques gangrenées
d'aujourd'hui ne sont pas davantage informées des questions métazoologiques
posées à l'humanité un siècle et demi après Darwin, que la population
chrétienne du Moyen-âge ne se posait la question de la validation
théologique des religions placées sous le sceptre de la multiplication des
monothéismes.
De quoi MM.
Hollande et Renzi se sont-ils exclusivement entretenus - et de toute
urgence - en prévision de votre élection du 27 juin à la présidence de la
Commission? De l'enracinement à perpétuité des bases américaines en Europe?
De la dictature du dollar? De la comparution de la France à la barre d'un
tribunal américain? Nullement : il s'agissait seulement de savoir si une
Europe dont l'échine s'est amollie avec l'âge échouera à s'imposer l'ascèse
sévère des Germains de Tacite ou si elle échouera sur le modèle de la
République de Weimar. Alors que l'Europe n'aura pas de politique aussi
longtemps que cinq cents forteresses étrangères n'auront pas quitté ses
arpents, vous ne lirez dans aucun journal et au sein d'aucun gouvernement
une seule ligne qui contesterait, même timidement, la légitimité du
campement éternel des troupes de l'étranger sur les terres du Vieux Monde.
Or, pour
traiter de cette question, il faut savoir que la politique n'est jamais
qu'un acteur intermittent de l'histoire. Quand M. Del Cano, un économiste
de renom, se trouvait à la tête de la République de Weimar, il s'est dit
que la France exploitait évidemment les mines de la Ruhr pour des raisons
exclusivement économiques et qu'elle quitterait les lieux sur l'heure si
seulement des grèves allemandes cessaient de rendre rentables les
entrailles de la terre. Quand les démocraties mettent des tenanciers à la
tête des Etats, elles ignorent que les tenanciers ne sont pas davantage des
hommes politiques que les cordonniers ne sont des dentistes. La même
méprise s'est produite quand le Parlement allemand a porté le Dr Erhardt,
le père du "miracle allemand" à la succession de M. Konrad
Adenaueur. Si M. Giscard d'Estaing avait eu la tête d'un homme d'Etat
jamais il n'aurait marché à la rencontre de M. Jimmy Carter sur les plages
de Normandie le 6 juin 1974. Le cerveau humain n'est plus polyvalent sitôt
qu'il devient sommital dans telle ou telle discipline.
4 - Aux sources de l'anthropologie politique
L'anthropologie
politique enseigne qu'au XIe siècle, l'humanité a changé l'assise de la
légitimation simianthropologique de l'expansion des Etats. Alors que les
Romains décidaient d'entrer en guerre, puis demandaient à leurs dieux de
les aider à remporter la victoire sur le champ de bataille, le
christianisme a découvert que les Etats se rendent plus puissants à
combattre sous le sceptre d'un souverain omnipotent du cosmos; car, en
nommant les évêques et les prêtres au sein de tous les Etats, le Saint
Siège coiffait les rois du monde de la gloire du sceptre et de la tiare de
Jésus-Christ et leur montrait à tous que le pouvoir terrestre ne devient
absolu qu'à trouver sa source dans un ciel despotique.
Quand Henry
IV d'Allemagne eut pris sa revanche sur Grégoire VII, qui l'avait humilié à
Canossa, il se mit à son tour à la tête d'une croisade, tellement la
victoire politique passait maintenant par le pilotage des cervelles. Si
vous ne savez pas que M. Obama est le continuateur de cette mutation de la
psychobiologie de la politique et que la Liberté est le nouveau Dieu de l'hégémonie
politique sur les cinq continents, vous n'avez pas la connaissance de la
psychogénétique du genre simiohumain qui vous mettrait en main les clés de
l'Europe.
Car en
2003, les troupes américaines se sont ruées sur l'Irak à partir du camp de
Ramstein en Allemagne et ces théologiens du Saint Siège de la Liberté ont
traversé l'Italie du Piémont à la Sicile. Treize ans plus tard, sachez
qu'il ne faudra pas confier à des historiens, mais à des caricaturistes de
la cervelle de l'humanité le récit hallucinant d'une petite Allemande
furieuse qu'on ait espionné son téléphone portable, mais nullement
incommodée par la présence, soixante-dix ans après la capitulation de son
pays, de deux cents forteresses américaines sur le territoire de sa patrie.
5 - Les croisés du mythe de la Liberté
Une seule
voie vous demeure ouverte au sein d'une Europe tombée au pouvoir des
magiciens et des sorciers de ses idéalités, celle de vous initier à une
méta-zoologie politique qui enseignerait à votre Commission en état
d'hypnose l'art de peser et de calibrer les fautes stratégiques dans
lesquelles s'enferre à son tour un empire américain tétanisé, lui aussi et
qui n'en revient pas de se trouver subitement attaqué de tous côtés dans sa
mythologie de sauveur du monde.
Quelle est
la plus titanesque erreur théologique de Washington? Celle de s'imaginer
que, près d'un quart de siècle, depuis la chute du mur de Berlin, le Vieux
Monde ne changera pas d'inconscient religieux et que, pendant des
générations encore, la masse des esprits municipaux que sécrètent les bas
empires se laissera facilement convaincre de poursuivre le combat du
messianisme démocratique américain jusque dans leurs jardins et leurs
potagers. Il sera impossible à Londres et à Washington de convaincre les
villages de la Providence républicaine de ce que Moscou et Pékin auraient
pris la relève des ambitions guerrières du IIIe Reich et que ces deux
mastodontes prépareraient en douce la troisième guerre mondiale contre la
démocratie des bivouacs américains. L'Europe attend le Charles Martel qui
arrêtera les croisés du mythe de la Liberté à Poitiers.
6 - La fin des civilisations messianiques
Voyez comme
l'Amérique ne se doute de rien; c'est le nez au vent et les coudées
franches qu'elle tente de forcer la transition impossible qui conduirait la
démocratie messianisée sur le modèle des idéalités rédemptrices aux
victoires brutales d'une démocratie convertie à la loi du glaive. Le Pégase
des abstractions éloquentes a fait son temps.
Le mythe
américain a passé du grotesque au burlesque et de l'ubuesque au
funambulesque quand il prétend habiller d'éloquence un mythe du salut en
haillons. Certes, au premier siècle de notre ère, la chute inexorable, mais
lente, de l'empire romain ne faisait pas l'objet de toutes les
conversations, bien au contraire. Tacite lui-même n'est pas un catéchète
sommital: il vous peint une agonie colossale, mais il ne la contemple ni de
haut, ni de loin et ne tente en rien de la comprendre en anthropologue
avant la lettre, mais seulement de la raconter pas à pas. Son ambition est
celle des grands solitaires de l'écriture, qui ne songent jamais qu'à
laisser une œuvre aere perennius - plus durable que l'airain. Or,
l'immortalité d'une écriture n'est pas celle de la pensée.
On attend
un tableau de la paralysie au ras du sol dont souffre une civilisation
européenne étêtée. De 1917 à 1989, il était jugé sacrilège de laisser, même
timidement entendre aux paroissiens du rêve marxiste qu'un Etat
évangélisateur et dévot, mais construit sur une utopie pétrifiée, serait
une variété de la cécité des empires ecclésiaux: une sotériologie est
posthume ou n'est pas. Puis, seul Hitler fut censé avoir nourri les
ambitions propres aux empires cuirassés, comme si Athènes, Rome,
l'Angleterre et la France n'avaient pas porté de cuirasse. Mais il
n'existait pas d'empires de type eschatologique, messianique et rédempteur,
croyait-on, alors que le christianisme avait nourri ce composé pendant deux
mille ans. Mais si le marxisme ne peut plus donner à l'animal démocratisé
un ennemi à combattre sur toute la terre messianisée par le mythe de la
Liberté, comment l'empire américain ne deviendrait-il pas le premier roi nu
de la tête aux pieds qu'un conte d'Andersen ferait voir à tout le monde?
7 - Psychanalyse de l'euthanasie
Esquissons
les traits de la mutation future des méthodes de l'anthropologie
balbutiante d'aujourd'hui. Votre fonction vous permettra d'observer de près
les fondements de cette révolution et de préciser les progrès d'une
discipline encore embryonnaire. Son échiquier illustrera la cohérence
interne d'une nouvelle politologie. Quelle problématique enseignera-t-elle
l'histoire réelle de l'Europe aux sophistes de la démocratie ? Que la
feinte idéalisante et la ruse verbifique sont les premiers masques du
sacré. Elles ont permis à la bête de s'auréoler à l'école de sa vocalisation
et de se planétariser à l'écoute de ses défaussements sotériologiques sur
des abstractions glorifiées.
Les formes
auto-sanctifiantes de l'euthanasie hospitalière en présentent un récit
universalisé. Quand les malades reconnus incurables par le corps médical et
dont une thérapeutique dévotement prolongée ne ferait que retarder la mort
au profit d'une piété affichée, quand ce type de patients, dis-je, met
soudainement Hippocrate dans l'impossibilité de se cacher plus longtemps
l'évidence qu'il dispose de moyens expéditifs et rationnels d'abréger au
grand jour l'agonie des moribonds, jamais ce vivant ne s'autorisera à
achever ses congénères de sang froid: il appellera le tiers mythique et
gigantesque du haut Moyen-Age à lui apporter le secours de son ubiquité; et
le ciel les aidera, de son côté, à cesser brutalement de soigner et
d'alimenter les mourants. Il y aura collaboration et complicité dévotes
entre le praticien et le sacré: on laissera au double colossal la tâche de
prêter au médecin l'aide de sa théologie de la vie posthume. Mais la
science médicale du trépas se cachera soigneusement sa propre décision de
demander assistance au ciel de l'endroit - elle cachera également sa
décision au créateur imaginaire du cosmos lui-même, sur lequel elle se
défaussera pourtant angéliquement - le secouriste de là-haut achèvera le
malade de sa main en lieu et place du médecin délivré, lequel poussera un
soupir de soulagement: le ciel aura pris saintement la relève de sa
trousse.
8 - Psychanalyse anthropologique d'une gestuelle
Observez à
la loupe la signification anthropologique de la gestuelle qui commandera la
dérobade de la bête réfugiée dans un fabuleux secourable. Pourquoi ce
défaussement réconfortant s'est-il inscrit depuis des millénaires dans les
gènes du primate au cerveau biphasé? Les dichotomisés à titre héréditaire,
les scindés de naissance, les spécularisés par la projection de leur
panique d'entrailles dans le céleste soumettront le mourant aux souffrances
de la faim et de la soif. Il y faut la salle d'attente de la mort qu'on
appelle une Eglise. La piété montrera quelque impatience à enregistrer la
décision d'un Créateur du cosmos bipolarisé à son tour et qui sera censé
achever le malheureux à l'école de son euthanasie à lui, celle qui fera
bénéficier la bete des masques sacrés de son dédoublement rédempteur dans
l'éternité.
Un
raisonneur intrépide et qui aurait pris une avance audacieuse sur
l'évolution du cerveau paresseux hâterait le travail plus ou moins rapide
de l'exécuteur absolu dont cet animal a transporté les seringues dans un
ciel mortifère. Mais, dans ce cas, il serait poursuivi et châtié pour
assassinat pur et simple - à moins que notre Hippocrate n'ait rassemblé en
toute hâte un second cénacle d'empressés charitables et d'exorcistes d'un
code pénal forgé en épée de Damoclès. Mais ces secouristes de Dieu se
voileront la face à leur tour et non moins collectivement que les
précédents, donc avec le même masque collé sur le visage - et pourtant, ils
avaient bel et bien commencé tou seuls d'exécuter le mourant sous deux
tortures cruellement accélératrices de la mort, la faim et la soif.
9 - L'euthanasie de l'Europe
Il en est
ainsi de l'Europe mi-religieuse, mi-laïque: ce malade se trouve placé sous
perfusion depuis des décennies; mais on le voit désormais dépourvu aussi
bien d'une thérapie énergiquement célestiforme - parce que la médication
théologique est reconnue pour vaine par la majorité du corps médical
moderne - que privé de toute nourriture de retardement artificiel du décès.
Mais si le moribond se trouve expressément condamné au trépas par un corps
médical à bout de ressources, la question demeure ouverte de savoir à quel
rythme le sursitaire sera mis en terre, et dans quel corbillard il sera
transporté, et qui orchestrera les funérailles, et quels seront les rites
d'un ensevelissement cérémonieux.
Depuis le
paléolithique, la bête sépulcrale se cérébralise à substituer un Zeus et sa
prêtrise à l' épouvante originelle qui la tenaille. C'est prosternée
qu'elle refuse jusqu'au bout de paraître prêter la main à la fatalité
répressive dont elle a pourtant vivement précipité le cours. Pourquoi ces
agenouillements? Parce qu'elle ne sait pas encore et pourtant elle sait
déjà qu'elle se trouve privée de témoin dans le vide et le silence de
l'éternité - et elle s'en trouve tétanisée. Ce flottement de la conscience
de soi est le chronomètre de l'évolution cérébrale du simianthrope.
Une
anthropologie armée d'un regard de l'extérieur sur son objet ne pourra
fabriquer et régler cette montre de précision qu'à partir de l'observation
du cerveau de la bête scindée entre le réel et le fabuleux. Or, l'Europe,
livrée à l'euthanasie passive fait d'ores et déjà débarquer l'horloge de la
thanatologie dans la politique et dans la science historique.
10 - M. Juncker et l'euthanasie de l'Europe
Telle est
votre situation, M. Juncker: il vous est interdit aussi bien d'achever un
malade reconnu incurable que de prolonger son agonie à seule fin de
permettre à tout le monde de se voiler plus commodément la face sous le
dernier des masques sacrés du genre humain, celui qu'arbore une démocratie
mondiale auto-sanctifiée par le mythe de la Liberté. Certes, vous pourriez
remettre sur pied un mourant artificiellement couché sur son lit d'agonie
patriotique et républicain. Il existe une thérapie de choc bien connue des
Anciens et qui a fait cent fois ses preuves dans le passé. Mais chacun
feint de s'affairer autour d'un malade que Monsieur-tout- le- monde a
conduit pas à pas au tombeau.
M. Juncker,
abrègerez-vous les souffrances du sursitaire au chevet duquel vous êtes
appelé ou bien ferez-vous boire in extremis une potion résurrectionnelle au
moribond? Mais prenez connaissance du regard que l'anthropologie de demain
portera sur la bête semi cérébralisée à l'école de ses dieux, donc de ses
masques divinisés; observez la classe dirigeante accroupie autour du lit de
mort de la civilisation du "connais-toi" et initiez-la à la
méta-zoologie de la politique.
Quinte-Curce
raconte qu'Alexandre avait été retiré mourant d'une rivière glacée dans
laquelle, au sortir d'une bataille, il s'était précipité tout transpirant
et couvert de poussière. Son médecin disposait d'un traitement de cheval,
comme on dit, mais une lettre anonyme avait averti avec force détails le
fils de Philippe de ce que son médecin - pourtant un ami d'enfance - avait
été corrompu par Darius et entendait lui faire boire un poison mortel
déguisé en remède . La crédibilité de ce complot reposait principalement
sur l'empereur perse, qui avait eu l'imprudence de faire proclamer à son de
trompe qu'il donnerait mille talens à l'assassin d'Alexandre. "Aussi
personne n'osait-il prendre le risque d'essayer un médicament que sa
nouveauté rendait suspect." (Quinte-Curce, Histoires,
L.3, chap.6)
Or, la
tisane miraculeuse que proposait le médecin, dont la célébrité est attestée
par Arrien, n'avait pas "un effet immédiat" et ne pouvait
être prise que quelques jours plus tard. Quand, à la date convenue, "le
médecin se présenta, tenant à la main la coupe où il avait dissous le
médicament, Alexandre se soulève sur son lit et, tenant à la main la lettre
de dénonciation, la tend à l'Hippocrate. Puis, tout en observant du coin de
l'œil le médecin plongé dans la lecture de la lettre, il prend la coupe et la
vide sans effroi apparent (interritus)."
M. Juncker
si vous faites boire la coupe de la vie à l'Europe, sachez que vous
semblerez d'abord donner raison à votre dénonciateur. "Le
médicament agit si vigoureusement que les résultats immédiats confirmèrent
l'accusation :le malade haletait, le souffle court (…) Mais aussitôt que le
médicament se fut répandu dans les veines du patient et qu'il eut pénétré
insensiblement le corps tout entier, l'esprit d'Alexandre retrouva sa
vigueur, puis son corps; et cela plus rapidement qu'on ne le croyait, car
trois jours seulement après s'être vu réduit à la dernière extrémité, il se
montra aux soldats."
11 - M. le Président, montrez-vous aux soldats
M. le
Président, si vous parvenez à ouvrir les yeux de cinq cent quarante
millions d'ensorcelés et si vous les convainquez de porter leur regard sur
le nouveau centre de gravité de la planète que l'empire américain déclinant
entend occuper - à savoir, l'espace qui s'étend de Brest au Caucase - vous
aurez quelques chances de faire gagner la bataille au mourant. Car le
continent européen est devenu un rassemblement de petits cantons suisses.
Mais s'il devenait conscient de son helvétisation larvée, il aurait des chances,
ou bien de se redonner un globe oculaire à l'échelle de la planète, ou bien
de prendre définitivement le chemin de son rabougrissement, ce qui lui
permettrait de quitter la scène internationale sur la pointe des pieds.
Courage, M.
le Président de l'Europe d'Uri, de Schwytz et d'Appenzell, le Darius
américain se cherche désespérément un empire de substitution à celui de
1945. Aussi, votre siècle vous divise-t-il entre votre tâche d'instituteur
d'une Europe à ressusciter et celle de votre vocation d'avocat, qui vous
appelle à plaider à la barre de l'histoire la cause d'une civilisation sur
le point d'accoucher d'une méta-zoologie de la politique mondiale. Dans
votre rôle d'instituteur, c'est l'alphabet de la géopolitique du
simianthrope que vous devrez enseigner aux vassalisés en culottes courtes.
Si vous ne donnez pas aux générations de demain un regard de l'extérieur
sur l'animalité spécifique du cerveau simiohumain actuel, qui est vocalisé
et logicisé, si vous n'entrez pas dans la postérité vivante de Darwin et de
Freud, si vous n'enseignez pas les rudiments de la simianthropologie aux
démocraties endoctrinées par le mythe de la Liberté, vous n'enfanterez pas
les pionniers du "connais-toi" qui attendent de vous
l'accomplissement d'une mission socratique, celle de donner son élan à
l'humanisme abyssal de demain.
Mais, dans
votre rôle d' avocat, le remède dont vous portez la coupe à la main ne sera
pas moins difficile à faire boire au tribunal de l'humanisme moribond des
croisés d'aujourd'hui et de demain que celui du "connais-toi"
révolutionnaire que vous enseignerez aux enfants retirés de la rivière; car
il vous faudra initier les juges à la lecture d'un codex civil qu'ils n'ont
jamais ouvert et qu'ils ne sont pas près de consulter. Vous aurez grand peine
à seulement faire feuilleter aux magistrats un code de la Présence et de
l'Absence des peuples et des nations sur la scène internationale. Dites aux
soldats d'Alexandre que les absents de l'histoire du monde ne se trouvent
pas rayés de la carte pour si peu. Sparte est un gentil village blotti au
bord de l'Eurotas et elle y campera longtemps encore. En revanche, les
trépassés de Clio s'installent désormais dans des hôtels de grand luxe. Les
salons du palais des Absents, sont remplis de fantômes chamarrés. Que de
dépenses somptuaires, que d'effigies dispendieuses, que de solennités
rutilantes!
L'hôtel des
Absents est un palace dont les joyaux illustrent l'amnésie. Faites boire à
l'Europe la coupe de la mémoire du monde; le malade halètera, le souffle
court et une nuée d'accusateurs vous traiteront d'empoisonneur de l'Europe.
Courage, M.
le Président, vous avez la chance de diriger un musée de l'Europe. Il vous
appartiendra soit d'y épousseter les spectres des nations, soit de leur
redonner la vie. Victor Hugo a inventé le terme de "résurrecteur".
C'est un grand privilège, pour un homme politique entouré d'orfèvres de la
mort de se choisir un destin de résurrecteur.
La pause
estivale prendra fin le 23 août.
A partir de
cette date, et compte-tenu qu'on ne lutter
efficacement contre le naufrage
de la langue française que si le Président de la République et le Premier
Ministre se voient directement mis en cause, je relèverai quelques-unes de
leurs fautes.
Exemple: M.
Manuel Valls confond il y va avec il en va.
Il en va s'emploie dans un sens comparatif: il en va de
la France comme il en va de sa grammaire.
Il y va renvoie à un enjeu: il y va de la survie de
la France.
M. Hollande
ignore le sens du verbe initier, qui signifie
enseigner les secrets d'une religion, d'une doctrine, d'une discipline
scientifique.
Le 18
juillet 2014
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