Une grande majorité
des internautes qui m'écrivent approuvent l'insistance avec
laquelle, depuis le mois de juin, j'estime que M. Vladimir
Poutine et le pape François se placent au cœur de l'histoire
mondiale. Le 30 octobre, Forbes, qui établit chaque année
un classement devenu officiel des personnalités dominantes
de la planète , accorde le premier rang à M. Vladimir Poutine
et, tout de suite, après le trio des Etats-Unis , de la
Russie et de la Chine, à un nouvel arrivant dont l'autorité
sur la scène internationale n'est autre que celle du pape
François.
L'un des évènements
les plus extraordinaires et, il faut bien le dire, les plus
incroyables de ce début du IIIe millénaire aura été le retour
torrentiel sur le théâtre du globe terrestre d'une Eglise
de plus en plus marginalisée dans l'enceinte de tous les
Etats démocratiques depuis la loi de 1905, qui a déclenché
la laïcisation accélérée d'une civilisation mondiale censée
avoir substitué la liberté terrestre à la liberté de la
foi selon Saint Paul. Jamais, même sous Dioclétien ou Constantin,
la religion fondée sur la divinisation d'un supplice sacrificiel
perpétré sur le bois d'une potence n'avait guidé l'empire
romain agonisant. Assistons-nous au passage du sceptre de
la raison politique des mains des défenseurs d'une religion
de la Liberté humaine à celle d'une classe dirigeante un
peu plus éclairée sur la barbarie nouvelle de la planisphère
qui substitue désormais à la colonisation armée de la mappemonde,
un crime inconnu des ancêtres , celui de la strangnulation
économique d'un peuple de quatre vingt cinq millions d'habitants
: l'Iran héritier des Darius et des Artaxerxès?
Certes, la domination
sauvage des puissants sur les faibles et des vainqueurs
sur les vaincus faisait l'histoire du monde depuis des milliers
d'années ; mais qui aurait seulement imaginé qu'une religion
des valeurs morales fondées sur les droits innés du genre
humain ne courrait pas à toute allure vers le bonheur universel,
parce que les auréoles des idéalités manqueraient de carburant
surnaturel?
Dans le texte
ci-dessous, j'ai tenté de spectrographier les promesses
de l'éthique internationale dont l'Eglise ne tient pas encore
les cartes en mains , parce qu'une religion n'apprend pas
tout subitement à porter un regard d'anthropologue sur la
barbarie du Dieu des théologiens. Mais le pape François
est déjà devenu un acteur immense du monde contemporain,
parce que l'âme et la raison à la peine sur notre astéroïde
ne reposent pas sur une cargaison de dogmes intouchables,
mais sur des témoins respirants de l' "esprit".
Malraux ne renvoyait
en rien à l'Eglise quand il disait : " Le XXIe siècle sera
spirituel ou ne sera pas ". Qu'est-ce que le " spirituel
" ?
1 - Une nouvelle intelligentsia mondiale
2 - L'Eglise et la raison politique
3 - Le péché de candeur
4 - L'anthropologie scientifique et le mythe
de la révélation
5 - L'Eglise et le trépas des utopies
6 - Un cas d'école
7 - La chute d'Achille dans le fantasmagorique
8 - Qu'est-ce que le génie politique?
9 - Les nouveaux lunetiers de la mort
1
- Une nouvelle intelligentsia mondiale
Il est paradoxal d'imaginer que, trois siècles après Voltaire,
ce serait au sein de l'Eglise et, plus précisément, à la tête
même de la religion catholique que l'avant-garde de l'intelligentsia
politique mondiale trouverait les promesses d'une écoute.
Bien plus, qui aurait cru que le nouveau Vatican deviendrait
l'interlocuteur le plus attentif aux progrès de la connaissance
rationnelle du genre humain, parce qu'il rénoverait la méthode
historique superficielle qui ridiculise la science officielle
de la mémoire du monde depuis un siècle et demi? Ce prodige
culturel s'expliquerait pourtant par vingt siècles d'expérience
secrète des Etats dont bénéficie le Saint Siège et que nulle
autre autorité politique ne saurait égaler: deux millénaires
de documentation anthropologique cachée à une Clio puérile
ont armé la Curie romaine d'une lucidité et d'un pessimisme
à toute épreuve. Les intellectuels laïcs ont à en prendre
de la graine, et cela nullement parce que François est devenu
une star mondiale aux yeux d'une jeunesse de plus de dix millions
de "followers", mais, tout au contraire, parce queson
grand âge illustre l'analyse de Platon dans La République,
qui explique qu'il faut attendre deux générations après la
défaite militaire d'une nation pour qu'elle retrouve son courage
et sa lucidité. La Libération est désormais ressentie comme
le déclencheur de l'éjection du Vieux Continent de l'arène
de l'histoire. C'est pourquoi la troisième génération des
vaincus trouve ses guides intellectuels et politiques chez
les septuagénaires et les octogénaires, tandis que les phalanges
de la raison nées entre 1950 et 1970 se révèlent endoctrinées
par les ressassements stériles d'un désastre.
Jean
Paul II, né en 1920 savait encore que la chute du socialisme
serait nécessairement suivie de l'échec aggravé du capitalisme
mondial. Pas un instant il n'a cédé à l'euphorie qui a embrumé
l'encéphale du monde entier à la suite de la chute du mur
de Berlin. Mais seule une poignée d'intellectuels nés entre
1920 et 1930 ont compris la portée du jugement de Cicéron:
"Exsistit e rege dominus, ex optimatibus factio, e populo
turba et confusio" - "La royauté conduit au despotisme, l'oligarchie
au règne d'une faction, le peuple à la chienlit".
En
revanche, les hauts dignitaires de l'Eglise savent depuis
des siècles qu'à l'opposé des fourmis et des abeilles, les
évadés du règne animal sont ingouvernables sur la longue durée
et que, de siècle en siècle, la raison politique se trouve
alertée et sur pied de guerre non point seulement afin
de combattre des décadences en chaîne, mais des naufrages
successifs. De plus, l'Eglise sait que l'identité d'un troupeau
de bœufs se reconnaît au seul nom de son propriétaire, tandis
que l'identité des peuples et des nations ressortit à l'inventaire
du patrimoine d'une divinité. Elle sait également que le troupeau
choisit son propriétaire céleste, le peint à son image et
en dresse le portrait. Aussi Rome expose-t-elle une galerie
d'encéphales d'Adam dont l'intelligentsia prospective du IIIe
millénaire ne cessera de décrypter les armoiries. Les ultimes
secrets des pavanes de l'histoire et de la politique sous
le soleil se trouveront progressivement décodés à l'école
des déchiffreurs à venir de la succession des pavois théologiques
auxquels notre espèce s'est livrée. Ce sera à l'école du réalisme
politique le plus sûr, celui dont les archives de la foi conservent
le trésor, que l'anthropologie iconoclaste s'initiera
à la lecture des documents secrets en possession de l'interlocuteur
le plus lucide du genre humain .
2
- L'Eglise et la raison politique
Prenons
un seul exemple du quasi monopole de la lucidité anthropologique
dont témoigne une papauté paradoxalement demeurée juvénile
face aux défaussements narcissiques que les piétés collectives
présentent sur le théâtre du monde. Il
est évident qu'Israël est un quinquagénaire déphasé et qu'il
a grand besoin de faire preuve de constance dans l'étalage
de ses dévotions sur la scène internationale. Ce sera donc
au nom d'une Liberté et d'une Justice universelles et catéchisées
que cet Etat fera sans cesse appel à la conscience de soi
édénisée que tout le genre humain sera censé partager
face à la menace militaire de l'Iran. Mais tout le monde sait
que deux Etats armés de la foudre de l'apocalypse se neutralisent
réciproquement sur les planches de l'histoire et que tel est
le fondement anthropologique planétaire de la stratégie de
la dissuasion vertueuse.
Voir
: Trois textes sur la dissuasion nucléaire que j'ai publiés
dans la revue Esprit, présentation mise en ligne
le 1 er septembre 2005
Le
dissuadeur dissuadé, Esprit, novembre-décembre
1980
Critique
de la dissuasion, Esprit, juin
1979
La
crédibilité de la dissuasion nucléaire, Esprit,
novembre 1977
Or,
David dispose de cent quatre vingt cinq frondes atomiques
et le Goliath de Téhéran d'aucune. La menace s'exerce-t-elle
du faible au fort ou du fort au faible?
3
- Le péché de candeur
Aussi
les phalanges originelles des Pères de l'Eglise n'ont-elles
pas attendu Molière pour découvrir à quel point le dédoublement
confortable de la sainteté entre le ciel et la terre fait
tomber les théologies banalisées dans un péché originel biface.
Toutes les religions qui se savent perfectibles connaissent
la sclérose des auréoles de l'angélisme, et le christianisme
de paroisse est le principal otage des défaussements de la
foi sur un apostolat de façade. Mais qui d'autre que l'Eglise
de François armera la naïveté des intellectuels laïcs d'un
réalisme politique guéri de ses illusions les plus infantiles?
Car le tartuffisme confessionnel de type démocratique s'est
calqué sur les masques sacrés d'une Eglise confite en dévotions.
Les Etats modernes se sont bien vite revêtus de la chasuble
des idéalités de 1789. Comment se fait-il que le rationalisme
énergique, mais en apprentissage du XVIIIe siècle n'ait pas
gagné en profondeur au sein de la politologie pseudo-scientifique
mondiale, sinon parce que la raison adolescente dont le mythe
de la Liberté rédemptrice des modernes nourrit ses candeurs
s'est révélé aussi faussement séraphique que le confessionnalisme
bourgeois d'autrefois?
Mais
il se trouve que le pape François a fait un pas de plus -
et sans doute le plus décisif - dans la dénonciation d'une
histoire des religions masquée et truquée à l'usage des nourrissons;
car il a refusé tout net de recevoir M. Netanyahou. Serait-ce
parce que ce dernier a traité le Vatican avec une désinvolture
diplomatique affichée? On ne rend pas visite au Saint Père
en passant et seulement à l'occasion d'une rencontre programmée
depuis longtemps avec le chef du gouvernement italien. Mais
le nouveau Vatican fait débarquer dans l'histoire du monde
une connaissance psychobiologique de la géopolitique: le regard
d'anthropologue abyssal que l'Eglise porte secrètement sur
la conscience superficielle et spéculaire d'une humanité de
nouveau-nés dresse le portrait d'une espèce viscéralement
onirique et dont le miroir des théologies réfléchit depuis
deux millénaires la dichotomie cérébrale apeurée.
4 - L'anthropologie scientifique et le
mythe de la révélation
Mais
le réalisme du spéléologue que le regard trans-zoologique
de la foi religieuse porte sur la crudité de la politique
semi animale d'Adam étoffe également le récit biaisé et paniqué
que le défaussement dévot de la bête tente de voiler. La haute
classe dirigeante d' Israël sait fort bien que l'Iran n'est
coupable que d'un seul forfait, mais irrépressible, celui
de se trouver à tel endroit précis du globe terrestre. Elle
n'ignore pas non plus que, depuis trois millénaires, la science
historique réfléchie enseigne que le destin des nations et
des empires est commandé par un défi inhérent à ce type impardonnable
de face à face entre les Etats. Thémistocle passe deux ans
à Sparte: il feint de négocier avec la cité de Lycurgue, alors
qu' il s'agit seulement de permettre à Athènes de s'entourer
de murailles à l'insu de Lacédémone. Trois siècles plus tard,
c'est avec un grand retard que l'empire athénien découvre
le scandale de l'ascension patiente et continue de Rome à
l'ouest. Puis la ville éternelle mettra longtemps à comprendre
que le commerce maritime avec la Phénicie passe par la conquête
de la Sicile et que "Carthago delenda est".
L'Espagne
dévote de Charles-Quint découvrira que l'Angleterre
n'a aucune raison légitime de se dresser effrontément
aux côtés de l'empire des conquistadors, puisqu'elle porte
ombrage à sa tiare. Puis, Napoléon découvrira que la France
ne saurait régner sur le Continent face au souverain de toutes
les mers du globe. Quant à la Grande Bretagne d'aujourd'hui,
elle sait, depuis Jules César, qu'elle ne saurait tolérer
l'unification pécheresse d'un Continent face à ses
rivages. La voici rassurée: cette unification périlleuse pour
son identité insulaire ne se fera jamais - inutile de combattre
des moulins à vent.
5 - L'Eglise et le trépas des utopies
Les
hauts dignitaires d'Israël, en revanche, se savent piégés
par la religion actuellement culpabilisante sur toute la mappemonde
et qui répand partout le venin de ses songes vaporeux - ceux
des droits d'un homme universel, donc schématisé, mais flanqué
en tous lieux d'une théologie abstraite de la décolonisation
mondiale. Or, cet Etat en expansion n'a pas achevé la conquête
de son territoire biblique. Depuis trois quarts de siècle,
il combat d'estoc et de taille en Cisjordanie et à Jérusalem
afin d'en expulser manu militari la population autochtone
qui l'empoisonne et d'y imposer la domination exclusive du
glaive de son ethnie messianique.
Mais
qui se trouve le mieux armé pour peser l'échiquier des rêves
eschatologiques à la lumière d'une anthropologie de spéléologue
du sacré, sinon, comme il est dit plus haut, le théologien
des alliances en profondeur de la sotériologie chrétienne
avec la politique? Seul le mythe du salut permet de braquer
sur le bimane détoisonné le télescope des paradis verbifiques
dont se nourrit la politique des démocraties infernales. On
sait qu'avec Jean Paul II l'Eglise était déjà devenue discrètement
suspecte de darwinisme et qu'elle voyait dans l'évolutionnisme
"bien davantage qu'une hypothèse", parce qu'une humanité
en marche vers le ciel répond au fondement même de la vie
mystique: depuis les origines, celle-ci met l'histoire du
salut à l'écoute d'une annonciation progressive. L'Eglise
sommitale a perdu ses illusions politiques dès le premier
siècle. Mais elle sait qu'un animal évolutif, donc
inachevé par définition a placé ses neurones à des altitudes
variables entre le réel et l'utopie et qu'il s'agit de fabriquer
la balance nécessaire à la pesée d'une bête en suspension
germinative dans le néant.
6 - Un cas d'école
Bien
plus, depuis Jean Paul II, une alliance souterraine de l'intelligentsia
ecclésiale d'avant-garde, d'un côté, avec, de l'autre, le
"clergé" sommital de la raison scientifique fournit à l'Eglise
en marche de François les armes nouvelles d'une simianthropologie
critique. Une politologie mondiale du bébé humain se trouve
en cours d'enrichissement cérébral dans les profondeurs de
notre civilisation, parce qu'Israël présente désormais un
cas d'école à l'examen spectral de cette discipline au berceau:
pour la première fois au monde, un Etat réputé rationnel,
donc doté d'une raison encore infirme, se voit contraint de
s'armer d'un tartuffisme politico-religieux internationalisé
et étalé sans relâche, en raison de la nécessité absolue dans
laquelle il se trouve de se fonder sur une foi démocratique
plus planétarisée qu'aucune religion du passé. Mais, dans
le même temps, il s'agit, plus que jamais, d'une rivalité
politique inscrite dans le temporel depuis qu'il existe des
Etats et des peuples ambitieux de s'accroître. La haute classe
dirigeante d'Israël sait fort bien que son hégémonie locale
au Moyen Orient n'est pas moins incompatible sur le long terme
avec l'existence d'un Iran puissant et en devenir que l'Angleterre
de Wellington ne pouvait partager "équitablement" l'empire
de Neptune avec la France du Ier Empire ou l'Amérique d'aujourd'hui
se réjouir de l'ascension irrésistible de la Russie de la
Chine, de l'Inde, du Brésil et de l'Afrique du Sud.
Le sceptre du monde ne se partage pas. Mais, en raison de
sa taille, Washington peut encore s'offrir le luxe de se rendre
crédible sur les deux fronts, celui de sa piété démocratique
et celui de sa vocation impériale, tandis qu'Israël n'est
pas d'une stature suffisante pour brandir efficacement ses
bénitiers: sitôt que ce nain tire son épée du fourreau et
se campe en matamore sur le champ de bataille de l'histoire
de la planète, tout le monde lui glisse à l'oreille: "Ne serais-tu
pas exclusivement la victime pitoyable de l'holocauste, le
crucifié immémorial sur la potence de l'histoire du monde
, le Christ nouveau et universel de l'humanité?"
7
- La chute d'Achille dans le fantasmagorique
Israël s'affole: Netanyahou déclarait tout de go dans le Monde
que la future bombe atomique de l'Iran menacerait de pulvériser
non seulement son pays, mais Paris, Berlin, Londres ou Rome
et qu'il était mortifère de remettre l'arme de l'apocalypse
terminale entre les mains d'un tueur-né, parce que, dans ce
cas, la survie même de tout le genre humain dépendrait des
caprices d'un dément incurable . Tel-Aviv déclarait en outre
que tous les Etats du globe peinent sang et eau à augmenter
la radioactivité de l'uranium afin de porter l'évaporation
naturelle de cette matière à la "masse critique" qui
permettra de la faire exploser, tandis que l'Iran serait capable
de vaporiser la mappemonde dans les plus hautes régions de
l'atmosphère avec de l'uranium enrichi seulement à 3,5%. Comment
expliquer la pathologie cérébrale qui rend incontrôlable l'encéphale
délirant d'une humanité encore en bas âge et reléguer dans
le bucolique les rêveries guerrières, mais contagieuses dont
s'enflaient les cosmologies mythiques des premiers millénaires?
Mais
tout se tient. Si la conque osseuse de l'Europe de la raison
ne se trouvait pas contaminée par l'épidémie du fabuleux nucléaire,
Israël ne pourrait se livrer à une fantasmagorie gesticulatoire.
N'est-il pas hallucinant que les plus vieilles nations du
Continent d'Archimède et de Copernic rivalisent dans le ridicule
de s'exercer, chacune pour son compte et sur ses lopins à
des manoeuvres militaires exclusivement cérébrales? Le Ministre
allemand de la défense, M. de Maizières, se frotte les mains:
il aurait consolidé, dit-il, le rang de Berlin au sein d'une
Alliance résignée à se trouver privée
d'ennemis et dont le commandement pseudo salvifique se trouve
entièrement entre les mains d'un galonné américain.
La logique interne d'une humanité redevenue aussi onirique
qu'au Moyen Age conduit à l'émergence du plus vassalisé des
Etats: le prestige du miraculé de première classe appartient,
depuis soixante-dix ans, à une Allemagne domestiquée par le
bivouac de deux cents bases militaires de l'étranger campées
sur son sol. Il est normal que la masse la plus nombreuse
des valets conquière une hégémonie de marionnette militaire
au détriment de sa compagne d'infortune, la Gaule, qui a perdu
l'avantage de prêter son territoire aux garnisons de l'étranger.
Certes, la France s'est placée derechef sous le joug dont
elle s'était libérée en 1966. Mais, sur le terrain, elle n'est
plus attelée au char du triomphateur de 1945. Raison de plus
pour qu'elle retrouve le sens rassis et qu'elle apprenne à
décrypter les mécanismes psychiques délirants, mais guérissables
qui commandent le fonctionnement mental d'une scolastique
politique débile.
Comment
se fait-il que les guerriers nouveaux de l'imagination para
religieuse de l'humanité invoquent le plus sérieusement du
monde et avec des mines sévères de stratèges avertis la "capacité
de réaction" rapide de leurs légions face à une attaque ennemie
qui surgirait de nulle part? Où le champ de bataille se trouve-t-il
si l'ennemi à combattre se révèle aussi verbifique que Lucifer
dans les boîtes osseuses du Moyen Age ? Mais la Turquie ayant
fait mine d'acheter des armes moins coûteuses à la Chine,
Washington a bondi comme le diable de sa boîte: les apôtres
d'une sophistique universelle et vaporisée ont l'obligation
de ne se présenter qu'à un guichet hors de prix et de ne remplir
qu'une seule caisse, celle de l'Amérique, parce que le ciel
de la démocratie idéale n'a qu'un seul coffre à remplir et
un seul fabricant d'armes à rémunérer.
8
- Qu'est-ce que le génie politique?
Pour
comprendre le fonctionnement cérébral des nains de la politique
internationale tridimensionnelle, il faut méditer la portée
anthropologique de la remarque d'Einstein, qui disait aux
physiciens de son temps qu'ils connaissaient la physique sur
le bout des doigts, mais qu'ils n'avaient aucune compréhension
du génie. C'est que, pour bousculer les notions d'espace et
de temps et pour mettre l'univers cul par-dessus tête, il
faut renverser la table de jeu de la raison combinatoire et
changer tout l' échiquier d'Euclide et d'Archimède.
Le
petit homme d'Etat est un caissier: le nez sur ses dossiers,
il connaît les paramètres à appliquer au traitement bon marché
des affaires les plus courantes. Il s'agit de régenter l'équilibre
des forces et des comptes sur la route des Etats. M. Sarkozy
demandait: "Si Israël attaque l'Iran, qu'est-ce qu'on fait?".
A son tour, M. Hollande contemple une châsse, celle qu'on
appelle "l'équilibre des forces aux Moyen Orient".
Le
petit homme d'Etat fait ses additions et ses soustractions.
Cet arithméticien de l'histoire ne sait pas que le monde se
trouve perpétuellement en mouvement et il ignore où il se
rend de ce pas. Un vrai chef d'Etat européen saurait que la
question de l'illégitimité fondamentale de l'occupation militaire
perpétuelle du Vieux Monde par les troupes d'occupation d'une
puissance étrangère est un propulseur de la révolte dont il
entendrait vrombir le moteur et dont les pistons poseront
inévitablement aux démocraties de ce continent le problème
de leur survie politique. La France jouerait un rôle immense
dans le monde actuel si elle s'était engagée sur le chemin
de la logique qui commande l'histoire universelle. Mais, pour
cela, il aurait fallu atteler au timon des affaires un chef
d'Etat informé de ce qu'on ne négocie pas à armes égales avec
une puissance commerciale dominante, sinon elle qualifiera
de négociation des pourparlers condescendants avec
des subalternes dont elle prendra sans tarder le commandement.
Certes,
l'Europe en marche vers sa souveraineté aurait subi de lourdes
rétorsions économiques de son maître si elle avait placé
des chefs d'Etat à sa tête, mais l'élan de ses exportations
aurait été irrésistible, parce que le prestige politique s'attache
à l'indépendance des Etats et le commerce ne fait jamais que
drainer après coup des écus dans l'éclat des armes qui précède
le charroi des marchandises. Mais la fortune sourit aux audacieux:
voici que de petits cailloux dans les chaussures du géant
entravent son expansion sur toute la terre habitée.
Car
si l'Amérique cesse de placer ses vassaux sur écoutes, elle
renonce à ses ambitions d'empire, ce qui lui est bien impossible,
et si elle persévère, elle perdra plus lentement, mais non
moins irrévocablement son statut de pieuvre dominante de la
planète, parce que personne ne croit que les affranchis enrubannés
pourront se savoir écoutés sans se ridiculiser sans cesse
davantage aux yeux de leur propre nation. Petites causes,
grands effets, dit la sagesse populaire. Elle a tort: les
petites causes ne sont jamais que des rejetons des grandes,
mais leur minusculité permet de porter le regard sur l'histoire
des vaines chamarrures des esclaves.
9
- Les nouveaux lunetiers de la mort
Pourquoi
les Etats démocratiques de l'Europe encore qualifiés de souverains,
mais seulement du bout des lèvres, n'ont-ils pas d'yeux pour
les cinq cents gigantesques forteresses américaines qui campent
le plus bibliquement du monde sur leurs lopins? Parce que,
dans ce cas, Israël se trouverait réduit à invoquer à l'écart
du troupeau la menace atomique imaginaire dont l'Iran est
censé menacer son apostolat . Il faut donc que l'Europe se
dévoue à porter le harnais du mythe-alibi de la planète des
sauvages du XXIe siècle. Mais, encore une fois, qui donc,
à l'exception de l'Eglise romaine, expliquera jamais aux Etats
devenus soi-disant rationnels à l'école de leurs idéalités
de 1789 le fonctionnement viscéral d'une espèce censée placée
sur écoutes depuis les origines du monde et dont un créateur
du cosmos aux longues oreilles écouterait les conversations?
Faute
d'un décryptage anthropologique des téléphones cosmiques,
dont la fabrication qui remonte à la Genèse, une humanité
devenue onirique à titre atavique demeurerait à jamais indéchiffrable,
parce que l'asservissement cérébral d'une Europe mythologisée
dans l'inconscient sur le modèle vétéro-testamentaire demeurerait
purement et simplement incompréhensible à elle-même. Les dossiers
ne portent pas de regard sur eux-mêmes, dit Einstein, fort
médiocre physicien classique, mais génial regardant.
Certes,
on n'élèvera pas l'Eglise tout entière et d'un seul coup au
rang d'un pédagogue de la classe dirigeante mondiale - mais
le globe oculaire qui observera la cécité édénisée
de l'humanité naîtra dans l'Eglise de François et de ses successeurs,
parce que seuls les deux mille ans d'expérience de l'histoire
et de la politique catéchisée dont dispose le
clergé catholique permettraient dès aujourd'hui à des iconoclastes
ecclésiaux d'élargir le champ de vision d'une phalange de
croyants aux yeux isaïaques.
Quelle
tâche plus digne du réalisme sacerdotal de demain que de percer
les secrets théologiques de la bête frappée de cécité
par le fabuleux cérébral qui nourrit le sacré et qui lui interdit
de regarder du dehors la divinité censée jouir du monopole
de l'extériorité! Mais comment se fait-il que la "raison"
des nains de la politique enfante des religions infantiles,
mais autrefois reléguées dans l'au-delà des Pygmées?
Puisque
la bête dichotomisée de naissance reproduit le modèle politique
de son ciel schizoïde, puisque l'animal bipolaire est appelé
à doter un géant du cosmos du recul intellectuel d'Adam, puisqu'enfin
l'envers de l'idole construite sur le modèle d'un réseau
téléphonique révèle les secrets de la liberté
cérébrale de la créature, puisse le Vatican éclairer un jour
l'histoire du cerveau humain à une profondeur inconnue des
anciens lunetiers de la mort. .
le 2 novembre 2013
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