Présentation
1 - La définition anthropologique de la
distanciation intellectuelle
2 - Les origines zoologiques du sacré
3 - La bête spéculaire
4 - Une émulsion continue
5 - Le surgissement du néant
6 - Le XXIe siècle et la pesée de l'individu
7 - La dissuasion nucléaire et l'anthropologie
critique
8 - Le vieillissement des civilisations
9 - Les trois étages de la science historique
10 - Les vassaux déclassés
11 - Les progrès du fabuliste
12 - Du fabuliste au zoologue
13 - Une anthropologie de la falsification
intellectuelle
14 - Le XXIe siècle et l'avenir du "Connais-toi"
socratique
Présentation
Quatre
cent soixante sept ans après la découverte de Copernic, qui
a fait changer de rang à notre espèce dans le cosmos, l'année
2013 comptera pour l'une des plus décisives de l'histoire
politique de l'humanité. Mais il a fallu deux siècles pour
que l'Eglise acceptât une mutation irréversible du statut
de l'évadé des forêts. De nos jours, la vitesse de Clio s'est
multipliée par cent - il faudra donc attendre deux ans seulement
pour que la révolution de 2013 devienne aussi largement comprise
que le rendez-vous avec l'infini qui a fait de nous des pucerons
de l'univers.
Mais,
cette fois-ci, l'évènement symbolise une métamorphose copernicienne
de l'univers de la politique. L'expérience de quelques millénaires
de notre histoire nous avait démontré que notre planète n'a
jamais toléré une coalescence de deux guides du destin des
peuples et des nations. Il a fallu choisir entre la puissance
de Rome et celle d'Athènes, puis entre les légions de la Louve
et Carthage, puis entre le sceptre de Londres et celui des
conquistadors - il faudra choisir entre le dragon chinois
et la bannière étoilée, et l'on verra le mâle dominant louangé
par un cortège de vassaux déférents. Sera-t-il possible de
mettre un terme au règne des grands solitaires? Deux aigles
afficheront-ils une conjonction irénique de leur croissance
commune et équitablement partagée?
Telle
est la pièce qui se joue en ce moment, mais encore en modèle
réduit: il ne s'agit pas de savoir si l'Iran disposera un
jour de la bombe atomique, parce que l'arme nucléaire est
obsolète depuis belle lurette. Il s'agit seulement de savoir
si Téhéran sera autorisé par la communauté internationale
à se trouver placé aux côtés de Tel-Aviv par un verdict de
la géographie - sinon, comment porter remède à cette malencontre?
Car Israël appelle le monde entier à reconnaître l'exclusivité
de son hégémonie dans la région; et cet Etat-miniature appelle
avec indignation tout notre astéroïde à réfuter le verdict
du tribunal multimillénaire des empires Sans doute Athènes,
Rome, Madrid, Londres ou Paris étaient-ils trop minuscules
pour appeler le globe terrestre au secours de leur règne solitaire
sur la mappemonde. Israël veut jouir d'un monopole ignoré
des Anciens, celui d'une ubiquité souterraine qui lui permettrait
de crier au loup de génération en génération sur toute la
terre habitée.
C'est l'avenir de ce destin qui se joue cette semaine sur
l'échiquier de la mappemonde. Le coup d'envoi de cette partie
de Titans a été donné le 18 novembre à la Knesset par M. François
Hollande: le jour était venu pour le Président de la République
française de saluer au passage la lutte des Palestiniens depuis
1948 contre leur colonisation et de rendre, du bout des lèvres,
un hommage liturgique au mythe démocratique. On sait que cette
cérémonie cultuelle se trouve ritualisée depuis cinq décennies.
Mais
M. Hollande cachait dans sa manche un cadeau messianique de
belle taille: rien moins que la reconnaissance officielle
de la légitimité dont jouirait Israël à étendre son territoire
et à franchir sans fin ses frontières de 1948. Comment valider
allègrement une violation du droit international de ce calibre
? Il faut savoir que le discours de M. Hollande a été rédigé
à Paris par un membre du Comité représentatif des institutions
juives de France et que cette institution prête officiellement
sa plume au locataire provisoire de l'Elysée, et cela aussi
bien quand un Laurent Fabius se trouve à la tête du Ministère
des affaires étrangère que du temps de son prédécesseur, M.
Kouchner.
Le
18 novembre 2013, la France a donc récité, au sein du parlement
israélien, la deuxième scène du premier acte de la pièce dont
j'annonçais qu'elle rendrait enfin visible à tous le protagoniste
de l'histoire de notre temps sur la scène du monde, à savoir l’État microscopique d'Israël.
Voir
:
On
sait que le renoncement in extremis à la guerre en
Syrie a réfuté les premières répliques de la pièce. M. Hollande
le sait. Aussi a-t-il souligné que les scènes suivantes seront
qualifiées de "gestes" et qu'elles devront se
succéder. Quel sera l'état de la planète à la chute du rideau?
Il se produira une explosion au second ou au troisième acte.
Le satellite du soleil sur lequel Shakespeare aura fait monter
Hamlet et un roi Lear confondus sera devenu méconnaissable.
Pour l'instant, deux hommes d’État seulement ont compris le
scénario: M. Vladimir Poutine et le Pape François. Ils déclarent
que le bimane détoisonné a pris un nouveau rendez-vous avec
l'éthique véritable du monde et que les sanctions économiques
vertueusement démocratiques prises au nom d'Israël à l'égard
des plus grandes nations de la terre ne sont pas une arme
diplomatique civilisée et que le concept de Liberté est tombé
en enfer
Le
mois de novembre 2013 aura été décisif. Certes, la doxa demeure
intacte. Les vœux pieux suivent leur allure de croisière.
La démocratie mondiale est devenue une Curie. Les cardinaux
de la Liberté y promulguent les encycliques dévotes des Républiques.
La parole du droit international et de la justice universelle
est une pastorale aussi mythologique que la précédente. On
croit que si la conquête de la Cisjordanie s'arrêtait, Israël
se trouverait saisi d'un accès de sainteté tellement inguérissable
que sa conversion perpétuelle à une démocratie évangélique
conduirait à la canonisation de Clio sur la terre entière
et que la Knesset remettrait solennellement la moitié de Jérusalem
à l'Autorité palestinienne. Mais tout cela exprime l'évidence
que le politologie moderne est aussi ignorante que la théologie
du Moyen Age et que si notre époque ne donne pas un nouveau
destin au "Connais-toi", les ténèbres du monde moderne berceront
des moribonds de la raison mondiale. Par bonheur, Swift, Eschyle,
Cervantès et Molière tiennent les fils de toute la tragédie.
L'exposé ci-dessous explicite les premiers pas de l'anthropologie
historique du XXIe siècle.
Je remets à la semaine prochaine l'approfondissement anthropologique
de la réflexion sur le tragique de l'histoire mondiale des
démocraties, parce que l'avenir de la pensée philosophique
se trouvera concerné au premier chef par l'entrée de l'humanité
dans une ère entièrement nouvelle de la réflexion sur la condition
humaine.
Car
l'accord partiel de Genève du 22 novembre 2013 ne règle en
rien la question de fond, celle du débarquement d'Israël dans
la politique internationale et de l'affrontement inévitable
entre les ambitions territoriales de cet État et les idéaux
de la démocratie mondiale censés fonder notre civilisation.
Il était fatal que l’État né en 1948 tenterait d'étendre ses
frontières, ce qui conduirait la planète à l'impasse anthropologique
à laquelle nous assistons aujourd'hui.
L'avenir
de la philosophie au XXIe siècle
1
- La définition anthropologique de la distanciation intellectuelle
Quel
sera le tournant le plus décisif que prendra la réflexion
philosophique au XXIe siècle ? Celui qui contraindra la pensée
rationnelle mondiale à une mutation de l'objet même de son
attention: il s'agira d'accéder à une double pesée du cerveau
politique du genre humain et de préciser la spécificité de
la bête que la nature a dotée d'une mémoire conservable dans
le four de la pensée. Confinée dans l'étude annexe ou subalterne
de la logique d'Aristote, reléguée dans la psychologie dite
des "facultés", réduite à l'enseignement d'une morale d'école
et conduite, en fin de parcours, à un aveugle recensement
des coutumes et des mœurs de la "créature", une philosophie,
partie d'un si bon pas, dans la foulée de l'anthropologie
de Platon, a vu le génie de sa vocation native avorter dans
une sociologie privée de tout recul sommital.
Après deux millénaires de christianisme, seul le rappel du
destin anthropologique de la philosophie permettra de conduire
la "science des sciences" à substituer son regard originel
à celui, plus tardif, des mythes religieux et à redonner à
l'intelligence sa profondeur spéléologique.
2
- Les origines zoologiques du sacré
Si
les mythologies religieuses enracinées dans l'âge magique
de l'humanité sont appelées à poursuivre leur chute dans des
sorcelleries théologiques et des catéchismes de plus en plus
anachroniques, la réflexion sur les vraies semences de la
"vie spirituelle" se focalisera sur l'approfondissement de
la connaissance des feux ascensionnels de la raison. L'intelligence
s'éclaire de l'intensité progressive de ses propres lumières.
La notion d'"esprit" a grandi dans le berceau des mythologies
qui fascinaient les peuplades balbutiantes. Elle s'approfondira
à l'écoute de l'interprétation de la notion de raison. On
se demandera comment l'espèce humaine s'est évadée du règne
animal à seule fin, semble-t-il,de peupler le vide de gigantesques statues respirantes. L'enracinement de l'anthropologie scientifique
dans une spéléologie de l'imagination religieuse des nourrissons
conduira la vocation mystique elle-même à se pencher sur ses
sources infantiles, donc à une critique de ses premiers pas
dans une zoologie aphasique .
3
- La bête spéculaire
Quelle
sera la finitude nouvelle d'une condition simiohumaine que
seule l'histoire de la raison "en miroir" des premiers hommes
permettra de mettre en pleine lumière? On tentera d'analyser
les ingrédients spéculaires qui entrent dans le concept
puérils d'intelligibilité appliqué à l'inerte
d'Aristote à nos jours et qui éclairent les sources psychobiologiques
des verbes expliquer et comprendre.
Le XXIe siècle approfondira le sens et la nature des savoirs
théorisés par l'inconscient qui régit leur logique interne.
Du coup, la critique du sacré ira davantage au terme de sa
vocation et de sa méthode naturelles, puisque l'analyse des
composantes mythologiques de la pensée théologique permettra
d'analyser la politique rudimentaire de l'encéphale semi sauvage
de "Dieu".L'approfondissement de la connaissance psychobiologique
de Jupiter passera par la spectrographie et la connaissance
généalogique des songes célestiformes dans lesquels les premiers
évadés du règne animal se réfléchissaient de génération en
génération.
4 -Une émulsion continue
Le
XXIe siècle tentera d'observer l'évolution de l'encéphale
d'Adam et de ses idoles. Mais la logique philosophique ne
partira plus du présupposé illogique par nature et par définition
de la raison classique selon laquelle l'homme et l'animal
appartiendraient à des espèces radicalement différentes, alors
que la notion d'évolution implique nécessairement que
l'espèce rêveuse résulte d'une émulsion en cours de métamorphose
continue. Du coup l'étude de l'inconscient politique qui sous-tend
tout ensemble le mythe théologique et son parallèle, le mythe
scientifique, permettra d'observer les premiers vagissements
de l'encéphale simiohumain non seulement d'un millénaire à
l'autre, mais siècle par siècle et de préciser le contenu
semi animal du savoir dans lequel l'humanité théorise ses
désirs. La notion d'évolution subira un bouleversement
des méthodes inconsciemment narcissiques qui ont présidé à
son interprétation depuis Darwin, parce que l'anthropologie
philosophique pilotera une lecture spéléologique de la signification
subjective de l'évolution des cerveaux.
5
- Le surgissement du néant
Si
la raison généalogique se révèle l'instrument de prospection
de la finitude abyssale de l'espèce, l'apparition d'une conscience
suraiguë du néant deviendra la clé de "l'élévation spirituelle".
Le
XVIe siècle a découvert l'héliocentrisme, le XVIIe, la multiplication
des cultures, des mœurs et de croyances religieuses, le XVIIIe
a fait débarquer l'étude de la superstition dans l'humanisme
mondial, le XIXe a percé les premiers secrets des origines
zoologiques d'Adam, le XXe a exploré la composition originelle
de la matière ainsi que ses relations avec le temps et avec
l'énergie, le XXIe connaîtra la solitude d'une espèce larguée
dans l'infini et observera le personnage qui n'avait personne
dans son dos, afin qu'il pût prendre sur ses épaules l'isolement
de la bête épouvantée par le silence et le vide.
L'avenir
philosophique du bouddhisme sommital culminera dans le démontage
de la raison spéculaire et se confondra avec celui du souffle
ascensionnel d'une conscience intellectuelle devenue prospective.
6 - Le XXI siècle et la pesée de l'individu
Les
sciences humaines du XXIe siècle continueront d'étudier le
genre humain à la lumière des traits qui caractérisent tous
les spécimens de cette espèce. Mais la découverte des allergies,
puis de l'ADN a ouvert une brèche impossible à combler dans
le principe, vieux de trois millénaires, selon lequel les
vérités scientifiques seraient universelles par définition.
Le XXIe siècle conduira à la connaissance rationnelle de l'individu
en tant que tel, donc à la capture de sa spécificité.
Ici
encore, le parallélisme entre l'homme et l'animal servira
de grille de lecture à un humanisme fondé sur la valorisation
intensive du singulier. Toutes les espèces de chiens appartiennent
à la race canine et leur masse se partage la capacité d'aboyer.
Mais la différence entre le lévrier afghan, le saint Bernard,
le bouledogue anglais et le berger allemand est moindre qu'entre
Tartuffe et Jean de la Croix, Alexandre le Grand et Gauguin,
Christophe Colomb et Mozart, Copernic et Shakespeare. Pourquoi
ces individus d'apparence infiniment plus semblable que le
rouge-gorge et l'épervier, le rossignol et l'albatros, le
pinson et le corbeau sont-ils plus différents entre eux que
des volatiles aux multiples plumages et de taille tellement
inégale? Parce qu'une espèce fondée sur la diversification
des cervelles étend à l'infini l'espace à défricher entre
les individus.
Quand la différenciation entre les humains est devenue sommitale,
elle produit des spécimens uniques. L'anthropologie du singulier
débarquera dans la politologie et dans la science historique
du XXIe siècle, parce que le naufrage de la civilisation européenne
résultera de l'hégémonie croissante que les masses exerceront
sur l'individu : Solon et Lycurgue ne se sont imposés que
parce qu'en leur temps, Sparte et Athènes étaient encore capables
de se rallier à des modèles supérieurs - mais, à l'époque
d'Auguste déjà, Rome n'était plus à l'écoute des Tacite ou
des Tite-Live.
Le XXIe siècle étudiera la capacité des élites à reconnaître
les grands regardants. Quatre siècles après la Renaissance,
l'éditeur Calmann-Levy a mis vingt ans à rendre audible un
Stendhal dont Balzac avait aussitôt compris le génie, Max
Brod consacrera trente ans à tenter de faire connaître l'œuvre
de Kafka, dont la nouvelle la plus extraordinaire, La
Métamorphose, n'a été publiée qu'avec dix ans de retard,
parce que son éditeur la trouvait trop longue de quelques
pages, Proust n'a été compris qu'après une longue bataille,
Ionesco était joué dans les capitales du monde entier quand
Paris a fini par le saluer. En 1925 Gaston Gallimard avait
reconnu que les marchands ne comprennent rien aux livres qu'ils
font imprimer et que les manuscrits doivent être jugés par
un comité d'écrivains - mais, cent ans plus tard, des conseillers
commerciaux décident seuls et en dernier ressort de la publication
d'un livre et Gallimard est coté en bourse. On y publie encore
quelques ouvrages dignes des Alde Manuce et des Froben, mais
il n'existe plus ni noyau social de haute culture et en position
de servir de vecteur sommital au génie, ni de relais audio-visuels
ou de presse en mesure de lutter contre la massification des
visions du monde. Mais la question de la pesée du génie n'en
deviendra pas moins focale dans des secteurs d'avant-garde
du seul fait que l'éjection du Vieux Monde de la géopolitique
conduira cette civilisation à une introspection élévatoire
et féconde.
7 - La dissuasion nucléaire et l'anthropologie
critique
L'anthropologie scientifique de demain ouvrira également à
la philosophie, donc à l'intelligence critique une interprétation
prospective de l'évolution des espèces. Celle-ci bousculera
les paramètres actuels de la science historique et de la géopolitique,
parce que, pour la première fois, les sciences humaines conquerront
un regard de l'extérieur sur les semi évadés de la zoologie.
L'observation anthropologique de la stratégie mondiale de
la dissuasion nucléaire deviendra un instrument d'analyse
privilégié de la semi animalité de l'humanité. Du coup, comme
il est dit plus haut, les prémisses de la géopolitologie s'éclaireront
à la lumière des origines zoologiques des théologies.
8
- Le vieillissement des civilisations
On
introduira la notion de "vieillissement naturel" dans l'étude
clinique du naufrage des grandes civilisations. Une démocratie
française âgée de deux siècles souffre nécessairement d'une
obésité administrative et d'un clientélisme inguérissables,
donc de la sclérose cérébrale d'un État devenu réfractaire
à toute thérapeutique efficace. Le XXI siècle saura que les
civilisations ne meurent pas faute de médicaments, mais faute
que la médication appropriée demeure applicable au malade.
On racontera dans les livres d'histoire à l'usage des enfants
des écoles qu'au début du IIIe millénaire, la fossilisation
cérébrale de la classe dirigeante au sein d'une Europe non
seulement hyper bureaucratisée, mais occupée depuis trois
quarts de siècle par quelque cinq cents bases militaires américaines
appelées à exorciser une invasion imaginaire, on racontera,
dis-je, le caractère dérisoire de la décision hautement symbolique
de l'administration de Bruxelles d'unifier de toute urgence
la capacité des chasses d'eau de la Finlande à la Sicile.
La dérision et la superficialité d'esprit du byzantinisme
moderne ne sont jamais que des conséquences fatales de la
sénescence des élites et de la massification des populations.
9
- Les trois étages de la science historique
Les
décadences sont les berceaux des progrès de la science historique.
Thucydide est né des défaites d'Athènes devant Sparte, Tacite
de la chute de l'empire dans la tyrannie, Tite-Live commence
d'observer les effets du climat et de la géographie sur la
qualité guerrière des peuples et à prendre un premier recul
à l'égard des superstitions des peuples sauvages. Le basculement
de l'Europe hors de l'histoire de l'action politique dotera
la science de la mémoire de trois étages de la connaissance
rationnelle des évènements. On distinguera le récit des chroniqueurs
et des mémorialistes, qui s'en tiennent à l'anecdote. Puis
les interprètes en possession de l'outillage et de la problématique
idéologiques de leur temps disposeront les pièces de leur
jeu sur leur échiquier verbifique: on verra la gauche, la
droite et le centre éclairer leurs horizons grammaticaux à
la lumière des bougies cérébrales qui appartiennent en propre
à leur langage. On se situe toujours à la gauche ou à la droite
d'un centre construit sur une culture localisée et privée
de toute conscience de ses fondements anthropologiques.
Le
troisième étage de la science historique sera celui de la
distanciation à la faveur de laquelle l'évolutionnisme, la
psychanalyse, le tragique, les apories psychogénétiques qui
entravent la marche de l'espèce se changent en phares ou en
lampadaires d'une Clio devenue la spectatrice panoramique
de tout le déroulement de la pièce.
10
- Le déclassement des vassaux
Néanmoins, le troisième étage de la science de la mémoire
ne sera pas étranger au regard des locataires du second. Exemple:
l'Amérique est censée recentrer les ambitions de son empire
sur l'Asie et l'Afrique. Du coup, l'Europe se sent délaissée
de ne plus occuper le premier rang dans un univers vassalisé
à son profit, à ce qu'elle s'imaginait; car elle croyait faire
du moins le poids sur les plateaux de la balance à relativiser
sa propre servitude. Le spectacle de la peur et même de l'effarement
des subordonnés européens largués en contrebas de leur Jupiter
demeure inintelligible si les projecteurs du troisième étage
ne courent au secours des chandelles dont s'éclairent les
habitants du second étage.
L'Europe s'était habituée à compter seule en face du lion
planétaire; elle s'affole maintenant de ce que les mâchoires
du grand fauve poursuivent des proies plus dignes de ses crocs.
Seul un regard sur l'espèce humaine tout entière et en tant
que telle parvient à éclairer le deuxième étage et le rez-de-chaussée.
L'empire américain fera la découverte de ce qu'il lui reste
beaucoup à apprendre de la lanterne de La Fontaine, qui écrit:
"
Du coquin que l'on choie, il faut craindre les tours,
Et ne point espérer de caresses en retour".
Naturellement,
le mâle dominant n'abandonne rien de son gigot : il demeure
le maître de la Méditerranée de Gibraltar au Caire et ses
cinq cents bases militaires se sont vissées à jamais sur les
terres du Vieux Continent. Ici encore, ce n'est en rien le
dépit de toute la maisonnée atlantique de se trouver délaissée
au profit de rivages plus lointains qui requiert la profondeur
de l'analyse anthropologique de l'histoire, mais la démonstration
vexatoire que la croissance du souverain n'est pas parvenue
à son terme et que les valets rapetissent encore davantage
quand ils découvrent que leur maître n'a pas achevé sa croissance.
Faute de se donner une anthropologie spectrale pour assise,
la science historique classique se voue à de petits tricots,
tellement l'abyssal de la servitude se nourrit de la méditation
sur le trépas des civilisations.
La chute du paganisme et l'ascension compensatoire d'un monothéisme
nécessairement monopolaire avaient enfanté une distanciation
nouvelle, provisoire et enivrante, celle d'une intelligence
critique relativement déprovincialisée : le genre humain croyait
être parvenu d'un seul coup à se réfléchir sur la rétine définitive
d'un ciel monoculaire. Le XXIe siècle enfantera le premier
regard de l'extérieur sur l'humanité qu'une philosophie et
une anthropologie critique élaboreront coude à coude.
11 - Les progrès du fabuliste
Pourquoi
les décadences approfondissent-elles le regard de Clio ? Parce
qu'elles permettent un premier démontage du moteur d'une civilisation
et l'exposition des pièces au grand jour. Un peuple vivant
se donne plus facilement des œillères sur le marché du temps
qu'une nation vouée à la liquéfaction et qui expose maintenant
à l'étalage les organes dont l'heureux fonctionnement paraissait
trop naturel pour qu'on les mît sous vitrine . Les naufrages
attirent l'attention sur la fragilité des mâts et sur la béance
des écoutilles.
Mais
pourquoi l'approfondissement des intelligences et l'acuité
nouvelle de la vue conduisent-ils à une anthropologie abyssale?
Parce que les vérités fondamentales sont simples: depuis Esope,
elles renvoient à la zoologie. C'est en peintre animalier
que La Fontaine se révèle un profond esprit politique. Mais
si le regard du zoologue n'était pas celui du spéléologue
en herbe, le fabuliste ne nous apprendrait rien. Certes, les
Anciens mettaient déjà des animaux en scène. Un proverbe latin
disait: "Dant veniam corvis, vexant censura columbas -
Ils pardonnent aux corbeaux, ils tourmentent les colombes".
On donnait aux loups des moutons à garder, aux chiens des
chacals à gaver, on chargeait les agneaux de tous les péchés
du monde, on ménageait la chèvre et le chou, on "attelait
des renards - Jungunt vulpes" (Virgile). Mais l'anthropologie
critique du XXIe siècle observera les échiquiers de la cécité
volontaire et leur construction dans l'inconscient simiohumain.
12
- Du fabuliste au zoologue
Prenez l'exemple du conflit sur l'acceptation ou le refus
de la communauté internationale d'accorder à tel Etat et non
à tel autre le droit de fabriquer l'arme nucléaire. Il paraît
hallucinant qu'un État minuscule, mais armé de la foudre de
l'apocalypse, hurle à la mort au clair de lune à l'idée que
son voisin, dont la population s'élève à quatre vingt millions
d'habitants, pourrait s'armer à son tour de songes guerriers,
mais dans un monde tout imaginaire, celui de l'explosion de
l'atome, qui date de soixante huit ans seulement et dont l'origine
et la nature théologiques sont connues. On sait que, depuis
un demi-siècle, les stratèges du monde entier démontrent en
vain que la menace d'auto-extermination réciproque des Etats
modernes ne ressortit pas à la science militaire, mais à un
" retour du refoulé " bien connu, celui de l'Apocalypse
faussement attribuée à Saint Jean et à l'excommunication majeure
de l'Eglise du Moyen Age.mmmmmm
Mais
la feinte para-théologique d'un suicide universel permet au
mammifère semi cérébralisé de soustraire à tous les regards
le champ véritable de la politique et la problématique réelle
de l'action gesticulatoire de cet animal sur la scène internationale.
J'ai exposé récemment que l'existence de Rome était fâcheuse
aux yeux d'Athènes, l'existence d'Albion condamnable aux yeux
de Charles Quint, l'existence d'une Europe unie coupable aux
yeux de Londres, l'existence de Carthage offensante aux yeux
de Scipion l'Africain. Mais, le fabuliste ne saurait accéder
au degré de profondeur de l'observation anthropologique. La
Fontaine observe que le lion a raison, puisqu'il s'appelle
lion et que les jugements de cour vous font "blanc ou noir"
selon que vous êtes "puissant ou misérable", mais son
époque n'accédait ni à l'analyse des stratifications cérébrales
originelles de la bête, ni au spectacle de la mise en place
des horizons mentaux de type semi zoologique qui servent de
moules en acier trempé aux jugements collectifs et qui changent
les croyances en creusets héréditaires du vrai et du faux.
La distanciation du fabuliste à l'égard de l'animal demeure
descriptive et moralisatrice. M. le Corbeau, méfiez-vous des
flatteurs, et vous, lièvres véloces, ne partez pas trop tard,
et vous, cigales cantatrices, écoutez la fourmi, et vous,
chiens bien nourris, apprenez du loup que la liberté fait
maigrir, et vous, grenouilles, méfiez-vous autant de vous-mêmes
que de vos rois - mais tout cela n'instruit encore que les
enfants. La philosophie du XXIe siècle transcendera le niveau
d'analyse du zoologue classique pour scruter des animalités
mentales et cerébralisées - celles qui qui substituent au
réel des mondes fossilisés par des imaginaires semi zoologiques
et devenus le ciment des identités socialisées et intéressées
à se masquer.
Jules César relevait déjà que "libenter homines quod volunt,
credunt - Les hommes sont portés à mettre leurs croyances
à l'écoute de leurs vœux". Mais, ici encore, l'étude de
la capture de sa proie mentale par l'animal pensant et pour
son bénéfice pseudo moral, donc à l'usage de son image idéalisée
n'est pas à la portée de la raison antérieure à la psychanalyse
anthropologique de l'histoire et de la politique.
13
- Une anthropologie de la falsification intellectuelle
Qu'en
est-il du déplacement rusé des paramètres du savoir "rationnel",
de la fixation arbitraire des coordonnées qui permettent d'immobiliser
artificiellement les critères du jugement et de stratifier
des problématiques illusoires sur un champ visuel fossilisé,
habilement faussé et rétréci?
La Fontaine souligne que "la raison du plus fort est toujours
la meilleure". Mais comment la force se met-elle en place?
Comment conquiert-elle, à titre préjudiciel, la maîtrise de
l'interprétation "convaincante", comment efface-t-elle le
vrai à le soumettre à des signifiants a priori, comment
noie-t-elle la vérité dans des signalétiques imposées ou apprises,
comment oublie-t-elle sciemment l'essentiel ou passe-t-elle
outre comme chat sur braise au nœud de la question? Tout cela
n'est pas dans La Fontaine.
Le
XXIe siècle mettra en pleine lumière les procédés qui mettent
en place des problématiques trompeuses; et il éclairera la
nature même de l'intelligence falsificatrice dont la bête
fait un usage astucieux. La politologie en sera fécondée,
parce que la morale véritable pointera son nez parmi les interprétations
truquées. Le peuple iranien humilié doit choisir entre la
famine et la servitude et négocier un canon sur la tempe.
Mais quelle mer poissonneuse de l'éthique des sauvages et
quelle promesse d'un approfondissement moral des sciences
humaines de demain!
14 - Le XXIe siècle et l'avenir du "Connais-toi"
socratique
Le XXIe siècle sera pluridisciplinaire, mais nullement au
sens où l'entendait le XXe siècle. Les disciplines scientifiques
ne sont nullement juxtaposables. Par nature et par définition,
la philosophie se sait et se veut une anthropologie à la fois
originelle et pluridisciplinaire; car le Théétète
observe et hiérarchise les cerveaux à la lumière de leur capacité
fort inégale de forger des concepts heuristique et la
République de Platon valorise la faculté de quelques
encéphales privilégiés d'accéder à la rigueur supérieure des
raisonnements en chaîne qu'aligne la dialectique. Quand Socrate
démontre que le langage ne saurait franchir le mur du singulier,
il porte le premier regard surplombant de notre espèce sur
l'infirmité innée de la parole en tant que telle. Pour tenter
de hiérarchiser les têtes, le IIIe millénaire réclame une
balance nouvelle à peser la politique et l'histoire.
L'anthropologie
moderne se situe tout entière dans la postérité de Platon.
C'est à ce titre que la philosophie du XXIe siècle élargira
la portée anthropologique de la distinction la plus féconde
de Kant, celle qui enseigne que les jugements analytiques
et les jugements synthétiques s'ignorent réciproquement. Mais
pourquoi aucun savoir ne se construit-il les paramètres d'une
problématique extérieure à son enceinte et qui lui permettrait
de se regarder du dehors, pourquoi la chimie ne porte-t-elle
pas de regard sur la chimie, pourquoi la théologie ignore-t-elle
la nature de la théologie, pourquoi la science expérimentale.
ne connaît-elle pas la nature psychobiologique de la preuve
dite "expérimentale"? Parce que la cause dernière de cette
aporie fondamentale est précisément anthropologique par définition:
pour voir que la science croit "expérimenter" des signifiants
censés tapis dans la matière, il faut une anthropologie capable
de peser le probatoire de type semi zoologique.
le
23 novembre 2013
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