Une mutation
du lectorat mondial
La classe politique
française compte dans son enceinte une frange de quelque vingt
mille têtes averties des règles qui régissent la politique internationale.
Face à cette caste, la masse de la population, comme l'a souligné
M. Hubert Védrine, est faite d'enfants auxquels les grandes
personnes n'ont pas à communiquer des renseignements qu'ils
ne comprendraient pas et qui ne les intéresseraient en rien
si l'on tentait de leur en expliquer les enjeux.
Mais entre cette
aristocratie intéressée à demeurer motus et bouche cousue, d'un
côté, et, de l'autre, une masse qu'il serait absurde d'initier
aux affaires du monde, il existe une classe sociale qu'on appelait
autrefois le "grand public cultivé". C'est à elle que je m'adresse
depuis douze ans sur ce site. Mais le statut de cette couche
de la population a changé : au XIXe siècle, elle lisait Renan,
parce que la vie bucolique de Jésus répondait à la fois aux
séquelles de l'esprit du siècle des Lumières et aux écologistes
de l'époque, les rêveurs rousseauistes, qui mettaient les sacrilèges
des encyclopédistes à l'eau de rose du petit Trianon de Marie-Antoinette.
Mais ne croyez pas
que cette phalange de la France pensante se ruait davantage
sur L'Origine des espèces de Darwin, paru en 1859,
que les escadrons de l'intelligentsia du XXe siècle sur les
équations d'Einstein, qui ont anéanti l'univers à trois dimensions
d'Euclide, ou sur le décryptage du code génétique de l'humanité.
Et pourtant, des
légions nouvelles sont prêtes à entrer dans l'arène de la culture
de notre temps - celles qui ne demandent qu'à y voir plus clair
sur l'échiquier de la politique et de l'histoire du monde. Car,
de même que Voltaire s'adressait à une bourgeoisie proche de
briser les chaînes théologiques qui enserraient l'univers, le
XXIe siècle attend l'ouverture des vannes d'une autre révolution
planétaire, celle qui ouvrirait les esprits à la connaissance
de la politique des grands Etats; et comme la mappemonde rapetisse
et que l'Europe se sait progressivement éjectée de l'histoire
des Titans, je puis m'adresser à un public virtuel, mais avide
d'ouvrir les yeux et les oreilles sur ce qui se passe réellement
sur notre astéroïde.
Quelles sont les
potentialités intellectuelles d'une armée d'un demi-million
de Français ardents à donner un nouveau scalpel au siècle des
philosophes? Il existe encore une jeunesse de cinq cent mille
enfants que leur formation scolaire initie quelque peu au latin.
Ceux-là ne répugnent ni à rencontrer, ici ou là, une citation
de Cicéron, de César ou de Tacite dans mes analyses, ni à lire
une langue ennemie de la fausse clarté des grands journalistes,
qui masquent leurs présupposés idéologiques sous la parure d'une
componction semi universitaire. Mais surtout, la politique et
l'histoire attendent un recul de la réflexion différent de celui
de la raison française forgée depuis le XVIe siècle. Celle-ci
se voulait frappée sur l'enclume d'une Renaissance complaisante
à réconcilier le discours scientifique avec des dogmes chrétiens
de moins en moins "révélés". Mais, de nos jours, l'Europe moribonde
a intérêt à sombrer à l'écoute d'une distanciation anthropologique
nouvelle à l'égard du genre humain. Il est des engloutissements
élévatoires.
Dans le texte ci-dessous,
je tente de faire débarquer un acteur nouveau et omniprésent
depuis longtemps sur la scène demande: Israël. Quand une pièce
de théâtre tente d'escamoter sur les planches le protagoniste
même de la pièce, le spectateur demande de s'y retrouver dans
un scénario dont on lui cache le déroulement .
*
1 - Un tournant de géopolitique
2 - La démocratie et la philosophie
3 - Tout corps collectif s'auto- totémise
4 - La théologie des démocraties
5 - La désacralisation israélienne
6 - La nudité et le sacré
7 - Le nucléaire, une arme anachronique
8 - Le mythe démocratique et la politique
9 - Israël au pays des merveilles
10 - La vassalisation de l'Amérique
11 - Le moteur onirique de la géopolitique
12 - Le génie juif
13 - Le revers de la médaille
1 -
Un tournant de la géopolitique

Depuis près d'un an, je m'abstiens de poursuivre sur ce site la
série de mes spectrographies anthropologiques du printemps arabe
que j'avais inaugurées à l'heure de la révolution de Tunis en
2011. Cette interruption momentanée de mes spectrographies n'est
nullement due à l'épuisement de l'évènement en de nombreux ruisselets,
mais, tout au contraire, à la fécondité même d'un coup de tonnerre
qui ne cesse de se révéler tellement riche de sens qu'il m'a fallu
attendre quelques mois pour que l'abondance de la récolte me permît
d'éviter des engrangements méthodologiques provisoires, partiels
et précipités.
Mais
il est évident que la guerre de Syrie est une guerre juive et
qu'elle placera dans quelques semaines la politique d'expansion
territoriale d'Israël au cœur de la géopolitique; il est non moins
évident que l'union entre le Brésil, la Russie, la Chine, l'Inde
et l'Afrique du Sud, d'un côté et l'alliance des USA et de leurs
satellites européens avec Israël scindera la planète en deux parties;
il est évident, enfin, que la question de savoir qui pilote notre
astéroïde va se situer au centre de l'observation anthropologique
nouvelle du genre humain. La distanciation post-darwinienne du
regard de la raison scientifique de demain sur la politique et
sur l'histoire de notre espèce se prépare à Ankara,
au Caire et à Tunis.
2
- La démocratie et la philosophie
J'avais
explicité, dès 2002, le branchement originel de la démocratie
sur la philosophie socratique, donc critique et sur le recul anthropologique
explosif qu'appelle notre temps. Il y a vingt-cinq siècles, disais-je,
la démocratie a permis à la science de la raison de préciser l'incompatibilité
de la déflagration philosophique avec le principe fondateur de
la mollesse démocratique, selon lequel les majorités baigneraient
dans la vérité en vertu de leur nature. Platon combat la sottise
de la croyance en un si grand prodige : un seul homme qui pense
juste a toujours et nécessairement raison face à des centaines
d'ignorants auto-miraculés par leurs faux raisonneurs. Rien de
plus erroné que l'adage de Descartes selon lequel le bon sens
serait "la vertu la mieux partagée".
Mais
c'est à ses dépens que Socrate a bien vite compris que si les
savants et les logiciens demeurent évidemment minoritaires dans
la cité et si la philosophie serait rendue irrationnelle en son
fondement et à jamais si les masses jugeaient droit par définition,
il serait non moins irrationnel d'en conclure que les minorités
seraient instruites de naissance et qu'elles emprunteraient spontanément
le droit chemin: après la défaire navale d'Aegos Potamos, Athènes
connut la thérapeutique des Trente Tyrans, et ce fut au péril
de sa vie que Socrate s'opposa au faux remède du despotisme.
Du
coup, la réflexion médicale qu'on appelle la philosophie s'est
vue contrainte de suivre un chemin beaucoup plus sinueux de sa
thérapeutique, mais dont les lacets nous conduisent rapidement
à l'anthropologie de l'histoire que j'ai évoquée plus haut. Car,
à la théorie de Montesquieu selon laquelle tous les régimes politiques
se ramèneraient à trois modèles seulement, les monarchies, les
oligarchies et les démocraties, il vaut mieux en revenir à la
formule chimique de Cicéron, qui préconisait un savant dosage
de leurs ingrédients respectifs, parce que les royautés conduisent
au despotisme, les oligarchies aux factions et les démocraties
aux troubles et à la confusion. Existit ex rege dominus, ex
optimatibus factio, ex populo turba et confusio. (Rep.1, 45,
69)
3
- Tout corps collectif s'auto- totémise
Cette
classification nous conduit tout droit à une première interprétation
anthropologique du printemps arabe, parce qu'elle place exclusivement
au fondement de tout ordre public le pouvoir qu'une minorité conquiert
avec prudence et qu'elle impose en douceur à une majorité flottante
, celui de rendre une population provisoirement consentante au
sage exercice d'une autorité toujours indispensable. La monarchie
entraîne l'adhésion corps et âme des sujets à la légitimité céleste
d'un roi, l'oligarchie repose sur le consentement général de la
cité à l'autorité de quelques-uns et la majorité démocratique
n'est jamais que l'expression d'une forme incontestée du règne
paisible d'une minorité de dirigeants jugés momentanément acceptables,
donc provisoirement tenus pour persuasifs.
Mais
si ce sont toujours et partout les masses qui détiennent, en réalité,
le pouvoir politique, comme la Turquie vient encore de le démontrer,
la question centrale que le printemps arabe posera à une politologie
enfin universelle sera de nature anthropologique au premier chef:
il s'agit de rien moins que de savoir comment il se fait que diverses
minorités dirigeantes parviennent tant bien que mal et toujours
sporadiquement à se faire approuver ou applaudir par la foule.
Or, ce phénomène extraordinaire repose sur l'automatisme d'un
dédoublement psychique des masses. D'un côté, leur approbation
cahin caha de la politique de leurs élites ne ressortit nullement
à la magie du décompte des voix: ce n'est pas un sortilège de
l'arithmétique qui fonde la puissance des majorités, mais le prodige
de la métamorphose spontanée et inconsciente du plus grand nombre
en un personnage cérébral nanti un instant à ses propres yeux
d'un prestige auto-sacralisé.
Les
majorités démocratiques se changent bientôt dans les têtes en
une instance surréelle, sinon surnaturelle, parce que l'animal
au cerveau schizoïde obéit à un instinct de conservation inné
et qui fonde toute sa politique, à savoir la métamorphose affichée
ou subreptice d'un acteur public en une idole déférente à l'égard
de sa propre masse psychique et respectueuse de son rayonnement
transfigurant. Un hiératisme éphémère, mais ensorcelant des identités
collectives se révèle donc le fondement anthropologique universel
de la politique et son deus ex machina le plus originel.
4
- La théologie des démocraties
Parmi les théoriciens des dynasties dites de droit divin, ce principe
n'est pas devenu pleinement conscient de sa nature spécifique
et de son efficacité axiale. Et pourtant, les monarchies constitutionnelles,
donc démocratisées, se fondent à leur tour sur l'autorité du ciel
de l'endroit: le roi d'Angleterre porte la couronne papale de
l'anglicanisme, le roi de Suède ou du Danemark celle du luthéranisme
- il n'est pas de trône qui ne s'entoure de thaumaturges d'une
Eglise dont les dogmes se transmettent sans examen d'une génération
à l'autre. Il en est de même des oligarchies, qui ne se rendent
héréditaires, donc inamovibles qu'à l'école d'une cosmologie proclamée
immuable. Casanova a été enfermé dans la prison dite "des plombs"
de Venise parce que sa vie libertine outrageait le catholicisme
inébranlable et dont les doges de Venise s'auréolaient de père
en fils.
Pourquoi les sociétés humaines transportent-elles leur surmoi
sacré sur leurs épaules comme l'escargot sa coquille sur son dos?
Parce que le champ du regard dont bénéficie cet animal le contraint
d'habiter et de peupler le vide qui l'enveloppe - aussi le remplit-il
des effigies fantastiques qui lui permettent de vivifier la distance
fabuleuse qui le sépare irrémédiablement de son propre corps.
L'homme n'est pas le seul animal né la peur au ventre,
mais le seul qui exorcise son épouvante à remplir
le vide et le silence de l'infini de sa propre effigie éternisée.
Mais
l'auto-sanctification qui chapeaute les démocraties laïques est
la plus frappante de toutes, parce que ce régime politique invoque
une raison aussi onirique que celle des théologies irrévocables
qu'il prétend réfuter: le mythe de la Liberté exerce l'autorité
surréelle d'une instance religieuse. Le principal moteur psychobiologique
de son immortalité lui inspire une croisade langagière:
le concept de démocratie et sa vocation apostolique innée enrobent
une identité collective mythifiée par son verbe. La mission métamorphosante
attribuée à quelques vocables leur enjoint de convertir le monde
entier non seulement sur le modèle messianique des religions du
salut, mais à l'imitation d'un vocabulaire censé véhiculer une
délivrance. La parole démocratique incruste dans les cerveaux
un monde rédempteur, un paradis des idéalités collectives
à conquérir en imagination.
5
- La désacralisation israélienne
La première erreur du printemps tunisien n'est pas seulement d'avoir
ignoré les fondements anthropologiques de la politique mondiale
- à savoir, l'auto-sacralisation des majorités cérébrales - mais
de s'être imaginé que, dans les nations dans lesquelles tous les
esprits se trouvent branchés dès le berceau sur une théologie,
la rationalisation du monde par l'intercession des bienfaits cérébraux
que le monde démocratique est censé distribuer pourrait devenir
majoritaire, donc convaincante.
L'auto-sanctification
collective ne se produit pas sans coup férir: il suffisait, pensaient-on
à Tunis, les Tunisiens, d'opposer aux partis islamiques
un front uni, donc composé d'individus censés penser par eux-mêmes.
Mais cette minorité n'avait aucune chance de jamais remporter
une victoire électorale face à des cerveaux construits
sur le modèle théologique. En France, il aura suffi à l'Eglise
catholique du XIXe siècle de feindre son ralliement au régime
démocratique pour que la majorité populaire devînt l'assise nouvelle
d'une prétendue "démocratie chrétienne", alors qu'un christianisme
converti à la démocratie ne recevrait plus ses convictions
et ses directives de l'autorité de son ciel, ce qui en ferait
un carré rond. Les démocraties islamiques sont aussi peu fondées
sur une auto-sacralisation de type démocratique des majorités
que le régime de Louis-Philippe ou de Napoléon III.
C'est pourquoi le génie de la destruction des identités collectives
et magiques d'un Georges Soros est allé droit aux sources psychobiologiques
du sacré. C'est face à l'autel d'une église russe que les "Femen"
salariées par ce milliardaire juif et d'origine hongroise se sont
d'abord exposées à demi-nues, c'est sous la voûte d'une église
allemande qu'elles se sont ensuite présentées les seins à l'air,
c'est dans l'abside de la cathédrale Notre-Dame de Paris qu'elles
ont poursuivi leur tentative, certes infantile, de désacraliser
le monde, c'est dans les rues de Tunis qu'elles se sont présentées
dénudées jusqu'à mi-corps.
6
- La nudité et le sacré
Le vêtement est le signe distinctif de la bête universalisée par
son langage; si vous la déshabillez en public, vous la privez
des apprêts et des apanages de son identité focalisée et
centralisée par des divinités. Mais la sanctification de la nudité
est auto-sacralisante à son tour.
La sculpture de la Grèce antique n'était pas fondée sur un réalisme
d'anatomistes, parce qu'une statue ne représentait jamais le corps
de tel individu, mais un corps universalisé par l'idée de perfection
et d'harmonie cosmique. Ce sont les Romains qui ont individualisé
des visages et habillé des corps désacralisés. Pour les Grecs,
la recherche de la vérité visait à conquérir l'universel et l'universel
ne reposait pas sur l'abstrait, mais sur la divinisation de l'idée
de beauté appliquée à des corps parfaits. On sanctifiait une anatomie
surréelle idéalisée et purifiée.
Les Femen sont donc profanatrices du sacré non point par le spectacle
de leur nudité, mais parce qu'il s'agit d'une nudité triviale
et qui individualise une anatomie médiocre. C'est la vulgarité
qui salit le sacré islamique ou chrétien, parce qu'elle souille
la notion même de beauté, qui est métaphysique ou n'est pas. Tous
les créateurs savent qu'ils n'ont pas rendez-vous avec la beauté,
mais avec la vérité et que la vérité n'a qu'un seul moyen d'expression
authentique, la beauté. Au spectacle des plus "belles" victoire
de Bobby Fischer au championnat du monde des échecs de Reykjavik
en 1972, la presse profane elle-même avait salué d'un seul élan
le "Mozart des échecs", tellement son génie du jeu répondait
à la forme mozartienne de l'alliance de la vérité avec la beauté.
C'est pourquoi la Renaissance a pu perpétuer la tradition grecque
du nu dans la peinture chrétienne. Au XVIIIe encore, Pigalle avait
sculpté Voltaire nu. C'était une commande des encyclopédistes,
mais il était absurde d'individualiser le corps d'un vieillard.
C'est que le nu était déjà devenu une convention stérile de l'art
pictural européen. Il en est résulté un débat fort embarrassé,
jusqu'à ce que le patriarche de Ferney tranchât en faveur de Pigalle.
Nu ou habillé, disait-il, c'était le même Voltaire. Quel Voltaire?
Si l'auteur de Candide revenait parmi nous, sans
doute dirait-il qu'il ne suffit pas de se déshabiller en public
pour devenir pensant.
Sous
les dehors d'un combat universel pour une prétendue liberté politique
en soi, Soros réserve à Israël l'exclusivité du droit de revendiquer
son identité collective à la fois sacralisée par son messianisme
inné et guerrière en ce bas monde. Mais ni la politologie russe,
ni celle des démocraties occidentales et encore moins celle de
l'islam ne disposent d'une anthropologie en mesure de rendre compte
des alliances de l'art avec le surréel religieux, donc de scruter
les secrets psychobiologiques dont témoignent les diverses rencontres
que la politique mondiale ou locale conclut avec le "divin", donc
avec les modulations territoriales du religieux.
7 - Le nucléaire,
une arme anachronique
Le
second volet de l'interprétation anthropologique du printemps
arabe et de sa surréalité spécifique illustre l'évidence que la
paralysie méthodologique qui frappe des sciences humaines encore
privées d'une philosophie de la transcendance de l'humain a permis
à Israël de débarquer corporellement sur une scène internationale
eschatologisée à son profit. Avant la guerre de Syrie, la position
stratégique qu'occupait ce peuple minuscule sur la scène du rêve
était délibérément ignorée ou passée craintivement sous silence.
Mais à partir de l'instant où il devenait impératif, pour ce petit
Etat à la fois messianique et guerrier, de présenter la guerre
comme la continuation logique du songe et de l'élan politique
de type démocratique né à Tunis il y a deux ans, des obstacles
nouveaux et immenses se présentaient fatalement à l'expansion
coloniale de ce peuple religieux en Cisjordanie.
On connaît l'axe central de la croisade dite "démocratique" et
"libératrice" d'Israël au Moyen Orient: il s'agit de détourner
le plus durablement possible l'attention de la planète de la conquête
militaro-sacrée de la Cisjordanie. Pour cela, il est indispensable
de diaboliser l'Iran. Mais, du coup, la difficulté internationale
devient celle de perpétuer la sotte crédibilité de l'efficacité
de l'arme nucléaire dans les esprits, alors que, depuis plus de
soixante cinq ans, les états-majors du monde entier savent fort
bien que la bombe atomique n'est pas et n'a jamais été une arme
de combat et que le prestige diplomatique de plus en plus désuet
qu'elle continue de nourrir ici ou là dans les imaginations repose
sur le vieux mythe de l'apocalypse biblique. Si le nucléaire était
une arme de guerre, le Pakistan, qui la possède, en menacerait
les Etats-Unis, qui ne cessent de violer son espace aérien et
d'y assassiner impunément des centaines de civils - on sait que
les drones frappent en aveugles. Mais un enfant de dix ans comprend
que deux matamores du suicide se neutralisent nécessairement et
qu'à Hiroshima, les Etats-Unis disposaient du monopole de la foudre
exterminatrice. Dieu lui-même a perdu l'arme de la dissuasionn
par la mort.
8 - Le mythe démocratique
et la politique
C'est dans ce contexte que le printemps arabe a pris, depuis deux
ans ,une place de plus en plus focale dans l'ébranlement de la
foi en un messianisme israélien supposé au service du salut du
monde. Comment feindre de défendre le réveil politique de l'islam
au nom de la défense des idéaux de la démocratie mondiale si,
non seulement la branche des terroristes d'Allah engagée sur le
modèle des guerres saintes du Moyen Age contre le régime du Président
Bachar el Assad - et cela à partir de l'Arabie Saoudite, d'autres
pays du Golfe, de Turquie et d'Europe - n'est nullement inspirée
par l'universalisme pseudo séraphique des démocraties apostoliques,
mais par la branche sunnite de la religion du Coran et si, de
surcroît, tout le monde voit clair comme le jour qu'il ne s'agit
nullement, pour les stratèges aux aguets à Tel-Aviv, de verser
des torrents de larmes
rédemptrices sur le peuple syrien, mais seulement de couper les
liens de la Syrie avec l'Iran, d'étouffer le Hezbollah et d'assurer
le passage du gazoduc depuis le Qatar jusqu'à Homs, donc de poursuivre
à marches forcées la colonisation salvifique de la Cisjordanie
et la conquête célestiforme de Jérusalem maison par maison - ainsi
que de consolider, au passage, l'annexion "patriotique" du Golan
en 1978, alors que non seulement aucune de ces conquêtes guerrières
n'est légitimable par le droit international, mais qu'elles se
trouvent expressément invalidées par des dizaines de décisions
solennelles des Nations-Unies auxquelles les Etats-Unis ont opposé
un veto non moins messianique que celui d'Israël? De plus l'élévation
officielle de la Palestine au rang d'un "Etat observateur" sur
le modèle du Vatican ne répond en rien à l'affichage de la charité
internationale d'Israël et fait couler des pleurs amers à Tel
Aviv.
9
- Israël au pays des merveilles
Comment
l'expansion territoriale continue d'Israël peut-elle paraître
irrépressible depuis soixante cinq ans sans jamais rencontrer
d'obstacle décisif à sa perpétuation? Certes, aucun organe de
presse et aucun média européens n'osent porter un regard de haut
et de loin sur l'échiquier réel de la politique internationale.
On se souvient qu'en 2007, M. Nicolas Sarkozy, issu d'une famille
juive de Salonique, avait néanmoins tenté de nommer, à la tête
de la diplomatie française un ancien Ministre socialiste des Affaires
étrangères, M. Hubert Védrine, mais qu'il avait suffi de vingt-quatre
heures au Conseil représentatif des institutions juives de France
pour lui faire annuler une nomination jugée sacrilège par la communauté
juive du pays - et M. Nicolas Sarkozy avait nommé sur l'heure
M. Kouchner. On doit à la judéité ardente et combattante de ce
Ministre l'enterrement de l'Union des peuples riverains de la
Méditerranée dont la France nourrissait l'ambition depuis deux
décennies. Mais M. Kouchner ne pouvait que tenter non seulement
d'attribuer à Israël une position centrale, mais, en fait, de
remettre à ce pays le commandement central de cette alliance au
détriment de la France, ce qui la rendait nécessairement inacceptable
par définition au monde arabe. Puis M. Hollande, que le Conseil
représentatif des institutions juives de France tient pour l'un
des siens - on attend des preuves - a aussitôt nommé M. Fabius
au Quai d'Orsay. On n'a jamais entendu un seul mot sur la politique
internationale d'Israël dans la bouche de ce ministre.
Et
pourtant, le Vieux Continent n'est pas un caisson étanche: des
millions d'Européens se branchent tous les jours sur des sites
russes ou arabes. Internet a pris le relais mondial de radio Londres
sous l'occupation. De plus, comme le rappelait M. Nicolas Maduro,
successeur de M. Hugo Chavez à la présidence du Venezuela, l'Union
du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique
du Sud face à l'alliance indissoluble des Etats-Unis et de ses
satellites européens avec Israël constitue une masse de sept milliards
d'yeux et d'oreilles. Comment, dans ces conditions, décrypter
le scénario vétéro-testamentaire de la pièce, comment passer derrière
un rideau si épais, comment observer la partie sur son échiquier
trans-évangélique? Des décors solidement plantés et protégés par
des piquets de fer suffiraient-ils à boucher la vue à la moitié
du genre humain?
10
- La vassalisation de l'Amérique
Pour
comprendre un phénomène psychologique aussi extraordinaire, il
faut se souvenir de ce que Congrès américain, qui rassemble les
représentants du Sénat - dont la majorité est républicaine - et
les élus de la chambre des représentants, qui penchent du côté
des démocrates, le Congrès, dis-je, a été acheté en sous-main
et voix par voix par le groupe de pression d'Israël appelé The
American Israel Public Affairs Committee et que la preuve de ce
prodige a été apportée sur le mode le plus spectaculaire sans
que la nouvelle eût fait la une de la presse mondiale.
C'est
ainsi qu'on a pu entendre M. Netanyahou, chef du gouvernement
israélien, haranguer le Congrès sous les yeux de toute la classe
politique du pays et face aux caméras des cinq continents. Son
discours, tout entier dirigé contre la faiblesse de la politique
d'un Président des Etats-Unis censé ne pas défendre suffisamment
les intérêts territoriaux d'Israël au Moyen Orient, a bénéficié
de cinquante sept ovations debout, ce qui implique nécessairement
une mise en scène minutieuse de la pièce, une direction à la baguette
et une orchestration préparée de longue date dans les coulisses
du théâtre.
Il
est non moins évident qu'un Président des Etats-Unis ne saurait
exercer les prérogatives attachées à sa fonction sous un tel asservissement
de ses responsabilités nationales - du reste, M. Barack Obama
a quitté le pays deux jours durant afin de s'éviter le spectacle
d'une représentation officialisée et en direct de la vassalisation
du pays au bénéfice d' une puissance étrangère - mais l'humiliation
publique de l'autorité constitutionnelle de la Maison Blanche
et d'un suffrage universel tragiquement tourné en dérision à la
face du monde ne saurait se trouver soustraite au regard des historiens
et des politologues fidèles à la méthode scientifique. Dans ces
conditions, comment expliquer les succès diplomatiques inattendus
que le spectre de M. Barack Obama a néanmoins remportés en Europe,
alors que son autorité se trouve diminuée à domicile de 97%? Comment
ce fantôme politique est-il parvenu à paraître exercer normalement
les responsabilités attachées à sa fonction?
11
- Le moteur onirique de la géopolitique
Ce
chemin de la réflexion anthropologique nous reconduit par un raccourci
à la pesée des ressorts psychobiologiques du printemps arabe;
car si les pouvoirs de comédie de M. Barack Obama n'étaient pas
oniriques, donc crédibles en tant que mythologiques par nature
et fondés sur l'auto-sanctification mécanique des masses humaines,
autrement dit, si ce n'était pas un songe de croisade et armé,
précisément à ce titre, du sceptre d'une Liberté tenue pour salvatrice
qui pilotait le messianisme international de la démocratie, jamais
M. Barack Obama ne serait parvenu à mettre en marche l'effigie
du mythe délivreur actuellement en service.
Or,
avec l'aide de son seul ministre des affaires apostoliques - un
ancien candidat à la Maison Blanche, M. John Kerry - l'Europe
et le monde sont si bien entrés dans la fiction selon laquelle
il existerait un Président des Etats-Unis présent en chair et
en os sur la scène de la rédemption du monde, qu'on a vu M. Kerry
prendre plusieurs rendez-vous gastronomiques avec M. Lavrov, Ministre
des affaires étrangères de la Russie, l'un en Suède, l'autre en
Suisse, un troisième en France, sans que les Ministres des affaires
étrangères des pays d'accueil fussent seulement conviés à ces
agapes à titre de figurants, sinon pour le dessert et le café.
Dans le même temps, M. Barack Obama citait M. Erdogan à comparaître
devant son tribunal et le sommait de cesser de livrer des armes
aux faux archanges d'une fausse démocratie arabe censée en marche
au nom d'Allah à Damas. On connaît la suite.
Bien
plus, avant même la victoire militaire de M. Bachar Al Assad à
Qussair, M. Kerry parvenait à convertir l'Allemagne, la Belgique,
l'Autriche et l'Italie à maintenir l'embargo des armes et à se
désolidariser du Conseil représentatif des institutions juives
de France à Paris et de la City à Londres, qui en demandaient
ardemment la levée. On sait que le gouvernement de Londres est
l'otage non seulement de la City, mais de la Conservative Friends
of Israël, qui rassemble quatre-vingts pour cent des députés conservateurs
à la chambre des Communes. M. Kerry plantait en outre dans le
pied d'Israël une épine de taille en offrant au plus mauvais moment
un prêt de trois milliards de dollars à l'Autorité palestinienne,
ce qui a contraint Tel-Aviv à demander des "compensations", donc
des concessions politiques supplémentaires à Ramallah à titre
de garantie "pour la sécurité d'Israël".
Pour
la première fois, le sionisme du Quai d'Orsay ridiculisait la
France sur la scène internationale - et un ancien Ministre des
Affaires étrangères, M. Roland Dumas, le soulignait dans la presse.
12
- Le génie juif
Le
résultat le plus évident du printemps arabe inauguré à Tunis il
y a deux ans, sera de faciliter à l'anthropologie politique de
demain l'élaboration de sa problématique et de sa méthode et de
faire comprendre à la scolastique de la politologie d'école la
véritable nature de l'expansion d'Israël . Pour la première fois,
on aura observé sur le vif et à plein temps la sophistique de
cet acteur sur la scène du monde; car, à la suite d'un instant
d'affolement de cet Etat, qui s'est livré à un coup de main aussi
meurtrier qu'irréfléchi sur la Syrie à la veille de l'intervention
inévitable du Hezbollah sur le champ de bataille, il ne sera plus
possible d' éviter des radiographies de la bête schizoïde qu'on
appelle l'humanité et dont l'encéphale mi-séraphique et mi-réaliste
s'engrène tour à tour sur le monde réel et sur des mondes oniriques
qui le dédoublent. A la suite de l'évasion continue de cet animal
de la zoologie qui lui a servi de berceau il y a de cela quelque
cent mille ans seulement, il devient de plus en plus impossible
de recourir plus longtemps aux schémas d'interprétation classiques
de la politique. Quels sont les engrenages psychobiologiques qui
président à l'auto-sacralisation des masses et qui les changent
en personnages plus ou moins mythiques à leurs propres yeux?
C'est
le ressort central du mélange humain que M. Soros a tenté de mettre
en oeuvre: pour que le mythe démocratique fonctionne pleinement
et devienne ultra-vaporeux, donc totalement invertébré dans les
têtes, mais au profit exclusif de l'expansion territoriale d'Israël,
il faut dissoudre au préalable les identités théologiques actuelles,
donc les faire sortir de l'enceinte cérébrale qui freine leur
expansion dans le vide. Mais comment anéantir le surnaturel conquérant
qui greffe l'islam sur la politique et sur l'action? M. Biden,
vice-président des Etats-Unis et connu pour ses attaches familiales
avec Israël, a tenu à souligner que le principe de dissolution
qu'inaugure le mariage entre hommes et entre femmes et le droit,
qui leur sera accordé en Amérique à son tour, d'acheter de moins
en moins cher des enfants encore couvés à haut prix dans des ventres
coûteusement loués à cette fin, est une invention d'origine israélienne
et qu'il faut en attribuer tout le mérite au seul génie juif.
13 - Le revers de
la médaille
Mais,
du coup, le revers de la médaille apparaît en pleine lumière,
tellement il est évident qu'Israël se procure une lame à double
tranchant. Pour détruire les identités nationales au profit exclusif
de celle d'Israël, il faut, certes, s'attaquer aux fondements
anthropologiques de toutes les collectivités humaines, qui s'auto-totémisent
spontanément dans un sacré théorisé, donc canalisé par des théologies.
Mais, dans le même temps, la dissolution psychique des peuples
dans l'évanouissement de leurs cosmologies mythiques échoue à
enfanter un désert identitaire mondial et renforce, au contraire,
les peuples et les nations dans la revendication tenace et irrépressible
de leur spécificité psycho-cérébrale. La nature a horreur du vide
doctrinal. Quand le contribuable français paie le "voyage de noces"
en Israël du premier couple homosexuel national, tout le monde
sent qu'une réaction de rejet viscérale se prépare dans les profondeurs
contre un credo officiel dissolvant.
Comment
Israël a-t-il pu se convaincre que l'identité multi-millénaire
de la Palestine serait soluble en quelques générations seulement
et qu'un siècle d'occupation militaire du pays suffira à le changer
en une masse décérébrée? Tout le monde sait que l'expérience de
l'histoire démontre exactement le contraire, à savoir que le temps
se révèle l'allié invincible des nations écrasées en apparence.
L'Algérie en quête de son autonomie et de son identité s'est forgée
de 1830 à 1962, l'Afrique du Sud ne s'est pas affaiblie, mais
fortifiée souterrainement au cours de deux siècles de sa maturation
psychique sous le joug de l'Angleterre, la Gaule et l'Espagne
vaincues ont fait naître deux langues nouvelles au cœur même du
latin, le Royaume chrétien de Jérusalem, fondé par les croisés,
s'est libéré au terme de deux siècles de combats et l'Espagne
a mis plusieurs siècles à chasser des Maures pourtant hautement
civilisateurs de son territoire.
Pis
que cela: ce ne sont plus les élites - elles se montrent achetables
pendant des générations - qui servent de fer de lance aux retrouvailles
des nations avec leur souveraineté, ce sont les peuples modernes
eux-mêmes qui se forgent désormais et à toute allure des élites
frappées sur l'enclume des moyens de communication nouveaux qui
leur assurent l'instantanéité et l'ubiquité de leur voix et de
leur image. En Tunisie, en Egypte, en Turquie, partout ce sont
les masses alertées en quelques secondes qui deviennent subitement
à elles-mêmes des personnages à la fois vivants et guerriers,
conjointement vivants et oniriques, parallèlement vivants et mythologiques.
Et pendant ce temps-là, la greffe de l'Israël biblique sur la
Palestine se rabougrit et sèche sur pied.
La semaine prochaine, je poserai la question de savoir comment
faire parler la France de l'esprit.
Dernière
minute: avant dix jours, le rideau se lèvera sur les
vrais acteurs de la pièce.
Le
15 juin 2013
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