"Interroger les grands philosophes, c'est
transformer les questions qu'on leur pose en instruments
d'approfondissement de la connaissance du genre humain."
Jaspers
1 - M. Jean-Claude Juncker et la postérité politique de Freud
Profitant
de la pause estivale, j'ai laissé en ligne un mois durant les deux articles
que j'ai intitulés Courage, M. Juncker, de sorte que ces
textes sont également demeurés intégralement présents sur les divers
portails qui me font l'honneur de diffuser chaque semaine ma modeste
réflexion d'anthropologue et de psychanalyse de la géopolitique. Il semble
qu'en raison de sa durée , cette propagation soit venue aux oreilles de la
rédaction du Monde, puisque, le 11 septembre, l'éditorial du
journal titrait: De l'audace, M. Juncker, ce qui me donne une
occasion d'autant plus opportune de soulever la question de la place
décisive que la vraie postérité de Freud occupera dans la pensée politique
de demain que, de son côté, René Pommier vient de publier un Freud et
Léonard de Vinci audacieux et qui fait table rase du pan-sexualisme
freudien (Ed. Kimé, août 2014).
Dans mon
appel du mois de juillet au courage politique de M. Jean-Claude Juncker, je
soulignais la vaillance avec laquelle le nouveau Président de la Commission
de Bruxelles, nommé le 27 juin 2014, reconnaît depuis des années que les
îles sont viscéralement allogènes à leur absorption dans un Continent même
tout proche de leurs rivages et ne laissent jamais aliéner leur identité
collective à l'écoute des Sirènes d'une politique arrimée à la terre ferme.
Cette trahison dissoudrait, pensent-elles, l'autonomie d'une conscience de
soi ancrée dans le dialogue de leurs gènes et de leurs neurones avec
l'espace marin. Le Monde ne fait aucune allusion à cette
argumentation psychobiologique - le quotidien se contente d'adjurer M.
Juncker d' insérer la personnalité spécifique de l'Angleterre dans
l'Europe, sinon on se verrait contraint, hélas, de reconnaître l'échec
définitif de l'Union européenne.
Or, ce
comportement n'est compréhensible que dans la postérité politique et
anthropologique de L'Avenir d'une illusion de Freud: chacun
sait que la théologie se situe avec persévérance dans la continuité de
Pascal, qui disait que si Dieu n'existait pas, l'humanité serait non
seulement bien malheureuse, mais misérable. Comme un tel malheur doit se
trouver exclu a priori, il en résulte que Dieu existe par nature et
par définition. Le simianthrope abstrait juge que la nécessité onirique de
là-haut fait la loi ici-bas. Comme l'escargot porte sa coquille, l'homme
porte sur son dos la cosmologie mythique qui répond à ses besoins.
Ce type de
postulat permet à la politologie contemporaine de soutenir que si le
concept d'Angleterre et l'ombre vocale que l'Europe a déléguée à ses côtés
ne demeuraient pas l'arme au pied, fleur au fusil et baïonnette au canon
dans une Europe qui n'existe pourtant que cérébralement, c'en serait fait
du Vieux Continent en chair et en os. On ne se pose nullement la question
de fait. Mais quand bien même il serait irréfutablement démontré par la
logique d'Euclide et celle d'Aristote confondues qu'une île ne saurait
conformer ni sa charpente, ni sa cervelle aux vues d'une Commission administrative,
la difficulté ne sera pas examinée davantage que celle de l'existence de
Dieu. En revanche, les hommes politiques de Londres qui se sont précipités
à Edimbourg afin de retenir l'Ecosse par ses basques savaient fort bien que
l'unité est la clé de l'identité des nations et que le morcellement de
l'Europe est le rempart derrière lequel l'insularité anglaise trouve
protection.
2 - La dichotomie cérébrale de Dieu
René
Pommier est un éminent psychanalyste de la déraison politique dans laquelle
l'Occident s'est égaré; et, à ce titre, il se situe à l'avant-garde de la
postérité de Freud, celle qui éclairera toute l'histoire du cerveau
schizoïde du genre simiohumain. Exemple: notre célèbre essayiste signale
qu'au terme de sa psychanalyse de Léonard de Vinci, le grand Viennois juge
que son essai est le plus beau de ses écrits, mais il souligne qu'il n'est
nullement convaincu d'avoir raison. Freud écrit en effet: "Si mes
déductions devaient faire naître, même chez des amis et connaisseurs de la
psychanalyse, l'opinion que je n'ai écrit ici qu'un roman psychanalytique,
je répondrai que moi-même je ne m'exagère pas la certitude de mes
résultats." (p.104)
Autrement
dit, observe M. Pommier, tout cela est fort beau, mais il est bien dommage
que ce ne soit pas ressemblant. On retrouve le même raisonnement
para-religieux que plus haut: l'anthropologie critique, que j'appelle une
méta-zoologie, soutient que ce type de jugement se reproduit au cœur de la
dichotomie cérébrale de "Dieu": le souverain biphasé du cosmos
est parfait en ce sens qu' il vous comble des faveurs imaginaires de la vie
éternelle, mais, en réalité, sa politique bipolaire fait rôtir
éternellement ses offenseurs dans le camp de concentration souterrain où il
les précipite par pleines panerées. On voit, à ce seul exemple du lexique
qui régit un monde bifide, que la politique de la planète se situe tout
entière dans la fécondité anthropologique de la postérité politique de
Freud, dont le génie permet désormais de placer toute la géopolitique sous
le regard d'une science du singe parlant, donc d'une pesée de l'évolution
cérébrale des évadés partiels de la zoologie.
3 - Les étapes de la postérité scientifique de Freud
La
postérité philosophique et anthropologique de Freud en est à la quatrième
étape de la démonstration de la rigueur de sa logique interne. Elle a
débuté en 1939, quand les néophytes de l'eschatologie et de la sotériologie
marxistes sont demeurés fidèles à Staline, parce qu'ils ne voyaient pas
l'empire soviétique sous les traits d'un empire temporel en expansion, mais
comme l'avènement du royaume de Dieu sur la terre - prophétie rédemptrice
alors enseignée par de grands spécialistes du salut définitif du genre
humain, tel M. Joliot-Curie, l'un des pères de la bombe atomique française,
qui en a témoigné à la barre au cours du procès Kravchenko-Wurmser en 1949.
La deuxième
étape de la béatification marxiste a duré de 1945 à l'invasion de la
Hongrie par l'armée soviétique; mais, en 1953, cette mythologie rassemblait
encore dans les rues de Paris des dizaines de milliers de fidèles en larmes
à la suite du décès du "petit père des peuples".
La
troisième étape a été brève: on a vu toute l'intelligentsia de gauche se
ruer à Pékin où Mao se présentait en sauveur d'une révolution dite des
"cent fleurs".
La
quatrième étape est celle qui salue la nouvelle révolution des cent fleurs,
celle de la théologie mondiale du mythe de la Liberté capitaliste, qui
permet désormais à Washington de transporter le monde entier au royaume des
cieux - celui qui accouche, sous nos yeux éblouis, du nouveau centre de
gravité de la géopolitique et qui contraint l'Ukraine de l'Ouest à
construire en toute hâte et avec les milliards qu'elle n'a pas, une
nouvelle ligne Maginot d'une longueur de deux mille kilomètres entre
l'Ukraine et une Russie censée présidée par un nouvel Hitler.
De même que
Maurice Thorez et les esprits religieux qui, en 1939, dirigeaient le parti
communiste français en pleine "drôle de guerre" passaient leurs
vacances dans les somptueuses datchas que Staline mettait à leur disposition,
on voit nos sotériologues de la démocratie s'agenouiller devant le veau
d'or de la Liberté dont la statue se dresse désormais dans le temple de
Wall Street. C'est à l'occasion du basculement de la psychanalyse
scientifique dans une anthropologie exploratrice de l'inconscient religieux
qui sous-tend les idéalités de la démocratie mondiale que la postérité
sépulcrale et ressuscitative de Freud donne à l'auteur de L'Avenir
d'une illusion une place centrale dans le décryptage de l'histoire
subrepticement évangélisée de la planète actuelle.
4 - La psychanalyse et ses magiciens
René
Pommier s'attache - et s'attarde quelque peu - à faire table rase du
pansexualisme obsessionnel de Freud, alors qu'il ne subsiste qu'une poignée
de freudiens de la première cuvée. Aujourd'hui, tout le monde s'amuse des
lapsus dans lesquels trébuche la classe dirigeante mondiale des démocraties
- mais je n'ai jamais rencontré un quidam qui s'aviserait de les
interpréter à la lumière du complexe d'Œdipe. On rit à gorge déployée de ce
que les hommes politiques au service du mythe de la Liberté tombent dans
des contradictions révélatrices de leurs embarras cérébraux. Mais ces
apories hilarantes brisent sans cesse et spectaculairement la digue des
conventions et des tabous officiels sur lesquels repose la Démocratie
"en personne", si je puis ainsi m'exprimer.
Il ne
subsiste du freudisme originel que quelques diagnostics sûrs et précis dans
leur ordre - mais cette thérapeutique en lambeaux concerne quelques
névroses obsessionnelles et compulsionnelles placées depuis belle lurette
dans les herbiers de la nosologie obsolète du début du XXe siècle. On
trouvera, sur les étagères du même musée des antiquités freudiennes la
croyance en la nature exclusivement psychologique de l'homosexualité et du
saphisme. René Pommier a raison de trouver cela plus que suspect, non point
parce que Freud aurait pu lire Mort à Venise ou, La Confusion
des sentiments de Stefan Zweig, ou Quinte-Curce, Tacite et Suétone,
mais parce que sa propre fille était lesbienne et qu'il aurait été bien
embarrassé de la soumettre à sa psychanalyse.
Mais la
postérité anthropologique et politique de la psychanalyse de Freud est
ailleurs: l'inventeur du pansexualisme serait effaré, s'il revenait parmi
nous, au spectacle des filous de la psychanalyse, devenus des magiciens de
l'inconscient et qui roulent par centaines en Mercedes ou en Ferrari. Non
seulement l'ancien élève d'un Charcot qui pratiquait l'hypnose à l'hôpital
de la Salpétrière exigeait qu'on fût médecin pour pratiquer la
psychanalyse, mais il refusait de soigner les psychoses - Jung fut le
premier à découvrir la source psychique de quelques psychoses compulsionnelles.
Freud ne soignait une névrose que si la médecine classique avait
définitivement échoué à guérir les dérangements cérébraux bénins.
Pour
observer le caractère universel de la postérité anthropologique, donc
politique de la psychanalyse freudienne, il suffit de constater que le vent
de la rédemption eschatologique et sotériologique a soufflé de l'est vers
l'ouest jusqu'à la révolution dite des cent fleurs et, depuis le triomphe
du mythe démocratique américain, de l'ouest vers l'est. Mais quelle que
soit la direction de la névrose du sacré, elle répond à une schizoïdie
cérébrale universelle - cette bête naît scindée par sa propre voix entre un
réel voué à la platitude et un surréel ensorcelé et livré à des escrocs du
sublime que Freud appelle la sublimation ou les champignons du surmoi,
Stendhal la cristallisation amoureuse, Lacan la vie spéculaire de la
conscience narcissique, Breton le surréalisme, la théologie, la vie
mystique, la République, la transcendance des droits de l'homme, Bergson le
temps intérieur, etc.
5 - Freud dans l'histoire de la philosophie
Aussi
l'Europe vassalisée sous le joug de son surmoi atlantiste, l'Europe dont
quelques anthropologues du narcissisme politique et du culte des idéalités
de type démocratique commencent de scruter la psychobiologie religieuse,
l'Europe fière de sa décadence dans la cristallisation idéologique et de sa
chute dans le rêve politique américain, cette Europe-là est-elle sur le
point de s'éveiller à la lumière du génie politique de Freud, et cela dans
une optique enfin devenue prospective. C'est précisément à une pesée des
cerveaux sublimés dans le spéculaire que René Pommier s'intéresse en
passionné de la littérature et de la musique. "Le mystère de
Léonard de Vinci, écrit-il, est celui de tous les génies: il est né avec un
cerveau doté de possibilités très exceptionnelles." (p.106)
Car l'œuvre
de l'homme de génie peut paraître ne pas laisser pierre sur pierre aux yeux
de ses contemporains, et cela précisément parce que la vocation de
visionnaires et de vigies dont s'alimentent les cerveaux sommitaux les
conduit à féconder l'avenir de l'intelligence de la bête. Il ne reste rien
de la physique d'Aristote, qui porte le fardeau ou le bât du mythe
platonicien de l'être. On sait que cette mythologie du langage a longtemps
permis à la métaphysique chrétienne de se donner un substitut de Dieu
emprunté à Platon et à la grammaire du grec classique et que cette vapeur a
été reprise par Plotin pour ressurgir chez Heidegger après un transit par
Husserl: le grec substantifie des concepts et chosifie des abstractions.
Cette langue dit "le géométrique", "le géographique",
"l'économique", "l'existentiel", "le
philosophique", etc.
Mais
Aristote a fondé la physique en tant que discipline autonome - et sa
postérité véritable n'a ressurgi que par le relais de l'islam, puis de la
Renaissance; mais Thomas d'Aquin tentait déjà de concilier le mythe de la
transsubtantiation eucharistique avec la physique d'Aristote. De même, il
ne restera rien du pansexualisme freudien, mais son génie a rouvert la voie
à la psychanalyse de la politique et de l'histoire, dont le germe se trouve
chez Platon - on sait que l'auteur de La République s'est
demandé pourquoi il n'existera jamais de science du singulier et pourquoi
le discours conceptualisé n'enfante que des spectres et des fantômes du
langage - cette découverte nourrira toute la philosophie du Moyen-Age,
puis, à partir d'Abélard, tous les existentialismes tant religieux que
laïcs.
Car, de nos
jours encore, la philosophie de la connaissance rationnelle n'a pas résolu
l'aporie qui a scindé la théologie entre les nominalistes et les
"réalistes" qui se disaient tels parce que le concept d'homme,
pensaient-ils, présentait plus de réalité physique que l'individu Socrate à
leurs yeux d'enfants. Mais Freud fut le premier philosophe de l'inconscient
infantile à comprendre que le simianthrope crypté mythifie les verdicts du
vocabulaire abstrait et algébrique par nature que sécrète sa parole, ce qui
suffit à brancher la postérité scientifique et philosophique du grand
Viennois sur l'avenir de la pesée moderne de l'évolution cérébrale de
l'espèce parlante.
6 - L'inconscient théologique de l'atlantisme
Pour
comprendre le branchement de la raison semi-animale sur les oracles du
concept, donc sur une sacralisation du langage universalisant, vous
remarquerez que l'atlantisme se fonde sur les mêmes naïvetés philosophiques
que celles des reales du Moyen-Age et sur des perversions
messianiques de l'abstrait fondées sur une scolastique des idéalités
proclamées rédemptrices, donc copiée sur la sophistique des sorbonagres de
Rabelais: le collabo atlantiste commence par rétrécir fallacieusement la
plateforme de la raison sur laquelle la vraie question se trouve posée à la
politologie mondiale, à savoir, l'hégémonie planétaire de l'empire
américain, dont l'étalage devrait lui crever les yeux. Puis il affecte de
peser le pour et le contre à partir du rétrécissement
préalable du dossier auquel il vient de procéder. Il lui faut recourir à
une assise préfaussée et artificiellement rabougrie pour donner son élan à
sa paroisse - celle de la démocratie spécularisée par le mythe américain du
salut politique et fétichisée dans un imaginaire politique pré-vassalisé
par son propre narcissisme langagier.
C'est ainsi
que la logique amputée et scolarisée dont témoigne la problématique
sous-jacente à l'article du Monde cité plus haut se garde
rien d'évoquer la question réelle de l'occupation censée surréelle
de l'Europe par cinq cents bases militaires américaines - et trois quarts
de siècle après la seconde guerre mondiale. Car le quotidien réduit sa
propre audace politique à demander à M. Jean-Claude Juncker de se
livrer à des arbitrages de théologien de Sorbonne concernant le dosage
calculable entre l'austérité budgétaire et les investissements industriels
européens. L'inconscient politique mis au service de cette gesticulation
verbale permet au surmoi politique ratatiné des modernes et à leur
rhétorique d'école d'éliminer la question posée à la conscience claire pour
lui en substituer une sorbonicole - donc greffée sur une théologie
spéculaire. Il faudra résoudre "objectivement" la difficulté, dit
Le Monde - mais on ne saurait comprendre la postérité
politique mondiale de Freud si l'on se garde bien d'observer au préalable
le fondement narcissique d'une fausse "objectivité", chargée
d'escamoter subrepticement une dérobade politique - celle qui précède
l'argumentation dans l'inconscient et qui donne son assiette de
substitution à une mythologie de la démocratie.
Car toute
apparence de réalisme politique place son panier de fleurs à des hauteurs
diverses: une nation qui n'a plus de vocation planétaire n'a plus de destin
en altitude et un peuple qui n'a plus de destin élévatoire n'a plus
d'identité ascensionnelle. Du coup, il se replie sur une identité
collective de village et il se balkanise. L'homme d'Etat qui n'a pas de
philosophie de la personnalité respirante des nations n'a ni envol, ni
hiérarchie des valeurs - la politique et l'histoire ne sont plus ses
interlocuteurs réels. C'est cela, se tromper de réalité.
7 - Un parallélisme entre deux orthodoxies
Tout cela
nous ramène au défaussement théologique le plus originel: en amont, la
cristallisation idéaliste de type démocratique n'expose pas davantage la
question de l'existence "objective" ou de l'inexistence d'un Dieu
censé localisable quelque part hors de la conscience du sujet que les
sorbonicoles de l'atlantisme ne soulèvent en aval celle de l'existence
spatialisée du souverain américain dont ils dressent la statue dans leur
tête. De même que la dérobade religieuse s'interroge seulement sur les
droits civiques étriqués et les devoirs considérables de la créature à
l'égard de son créateur, mais nullement sur la nature de l'identité
politique de ce dernier dans leur esprit, Le Monde ne
s'interroge que sur la pertinence de ses tâches confessionnelles à l'égard
d'un Washington, dont l'existence va de soi, puisqu'elle ressortit aux
promesses théologiques du mythe de la Liberté - ce qui suffira à fonder sa
légitimité dans les esprits sur celle du nouveau royaume des grâces qu'on
appelle la démocratie - et cela de manière aussi évidente et incontournable
que la théologie présuppose l'existence en soi d'un créateur généreux du
cosmos.
On
remarquera le parallélisme entre le réseau d'interdits qu'enserre la
théologie et le tissu des censures qu'impose l'atlantisme. Les deux
encagements refusent tout débat sur les questions de fond - cent tabous
soustraits d'autorité à tout examen cernent le territoire du permis et du
défendu au sein des deux orthodoxies - ici la pesée du contenu psychique du
mythe de la naissance virginale, là toute pesée de l'inconscient qui
sous-tend le vocabulaire doctrinal de la Liberté américaine. Silence sur
l'appareil pénitentiaire de la divinité, silence sur les châtiments censés
punir les "péchés" de la Russie, silence sur les apanages et les
prérogatives d'un sacerdoce bimillénaire, silence sur les privilèges des
clergés du langage démocratique, silence sur le poids du discours ritualisé
et centralisé du Saint Siège, silence sur la fonction ecclésiale du
pontificat américain de la Liberté, etc., etc.
8 - Où le " réel " se cache-t-il ?
Le général
Marmont raconte dans ses Mémoires comment le peuple espagnol
n'a pas cru un instant que Napoléon occupait l'Espagne réelle, donc idéale,
comme le Général de Gaulle n'a pas imaginé une seconde que l'armée
allemande occupait la France véritable et que le gouvernement de Vichy
existait sur les planches d'un droit international qui aurait légitimé un
théâtre de marionnettes. La question de la définition des acteurs tantôt
réels et tantôt irréels qu'on voit figurer sur la scène du monde pose donc
la question du statut de l'imaginaire en politique: l'atlantiste ne se
demande pas davantage quelle France se déplace sous ses yeux et quel sera
le poids de notre nation dans le monde physique de demain si les États-Unis
devaient triompher mécaniquement de la Russie que Pierre Laval ne
s'interrogeait sur le sort de l'hexagone après une victoire définitive de
l'Allemagne militaire sur la IIIe République. Mais Socrate ne riait-il pas
du Criton éploré, qui s'imaginait, le pauvre, que c'était le vrai
Socrate qu'on allait porter en terre et sous ses yeux, alors que
c'était une métaphore qui seule donnait au philosophe son identité
véritable - l'abeille, disait-il, emportait son miel.
L'homme
politique digne de ce nom est une abeille. A ce titre, il ne se préoccupe
que du sort de son pays réel et il qualifie de réel un pays
transcendantal et indestructible. Quand Freud fonde la psychanalyse
politique sur l'individu réel, il le fait en nominaliste, parce que
la psychanalyse réelle est porteuse de l'avenir " socratique " de
l'intelligence et de la conscience.
Le
débarquement de la postérité vivante de Freud dans la psychanalyse respirante
des XXe et XXIe siècles se cache dans la connaissance anthropologique de la
vassalisation parareligieuse - donc idéaliste - de type démocratique; et ce
débarquement-là, relève de la postérité planétaire de L'Avenir d'une
illusion, publié en allemand en de 1926 et traduit en français par
la princesse Marie Bonaparte en 1932. A ce titre, Freud est le visionnaire
d'un continent de la connaissance scientifique, celui de l'inconscient en
tant que tel, le Christophe Colomb qui a fait débarquer le surréel et le
souterrain de la politique et de l'histoire dans la postérité de Socrate.
Mais on
voit également qu' aux yeux de ses biographes "réalistes",
l'existence spécifique de l'homme de génie n'a pas d'avantage de réalité
que celle de Socrate qui se promenait en chair et en os dans les rues de sa
ville. Quant à Aristote, on sait qu'il quitta Athènes pour se réfugier
auprès de Philippe de Macédoine, l'ennemi de sa patrie, dont il éduqua le
fils, un certain Alexandre, afin de ne pas subir, disait-il, le même sort
que Socrate. Les hommes de génie sont de la trempe qui permet à leur
postérité de les rendre germinatifs. Le Jésus réel est le fruit de vingt
siècles de réflexion philosophique, morale et théologique sur l'homme
ascensionnel, mais le prophète des chrétiens ne pouvait comprendre le sens
que la lettre de ses dires prendrait aux yeux de sa postérité sommitale. La
vraie philosophie est celle qui inspire la vraie postérité de Socrate,
comme la psychanalyse vivante est la postérité respirante de Freud. Il n'y
a que les Criton pour croire à la réalité des cadavres, il n'y a que les
atlantistes pour s'imaginer que l'Europe réelle serait la dépouille
mortuaire qu'ils s'attachent à embaumer et à couvrir du linceul d'une
scolastique de la démocratie.
C'est
également dans cette optique "socratique" que le continent de
l'inconscient s'ouvre à la pesée de la sauvagerie et de la férocité des
dieux à rotissoires: la postérité de Freud introduit au scannage du
génocidaire du déluge et à la radiographie politique du tortionnaire enragé
des enfers. Freud branche l'éthique de la connaissance scientifique des
religions sur une anthropologie de la putréfaction du Dieu des animaux. De
même qu'Aristote se situe à l'origine de la physique moderne, Freud se
plante à la croisée des chemins entre l'humanisme qu'habitait une divinité
punitive et celui d'une psychanalyse "spirituelle" du monothéisme
primitif. La connaissance anthropologique du sauvage divinisé est en vue -
la psychanalyse de Freud ouvre le "connais-toi" à la connaissance
du Dieu sauvage que l'homme est à lui-même.
A ce titre,
René Pommier l'ascensionnel est un précurseur de la connaissance
rationnelle et en devenir, tant des potentialités des hommes de génie que
de leurs relations avec la logique interne qui commande leur destin
posthume, celui auquel la transcendance innée de leur intelligence est
promise. Certes, il s'embarrasse quelquefois dans les apories de la
critique universitaire de l'agrégé de Lettres classiques. On sait que cette
méthode observe ce qui est écrit noir sur blanc, puis en soumet la lettre
aux verdicts d'une raison placée sous l'autorité exclusive et censée
infaillible du tribunal du sens commun.
Les
cervelles qui, comme dit Jaspers n'ont pas rédigé une seule ligne, mais ont
"donné la mesure de l'humain" - Jésus, Socrate, le
Bouddha, Confucius - ne se promènent pas sur ce chemin. Mais Descartes
raconte le rêve qui a déclenché le Discours de la méthode
dans sa tête et qui a conduit sa postérité en direction de la vraie
question, celle qui se cachait sous le vêtement trompeur du "Je pense,
donc je suis". De siècle en siècle la face cachée du songe apparaît
aux yeux de la philosophie de l'inconscient: car la véritable interrogation
était celle-ci: "Qu'est-ce que penser? Qui es-tu quand tu
penses?" Autrement dit, qu'en est-il de la bête prématurée dont la
semi-animalité s'imagine réflexive avant l'heure? Un siècle et demi plus
tard, Kant se demandera: "Comment se fait-il que ma cervelle
fonctionne sur des catégories a priori de mon entendement? Qu'en
est-il de la machine cérébrale qui ne produit que des pièces empaquetées
d'avance dans une logique des phénomènes? Comment le "sens
rationnel" du monde est-il préconstruit dans ma tête?"
Voilà la
postérité que Descartes et Freud se partagent, celle qui raconte l'histoire
cachée du cogito européen. Car, depuis lors, le sens commun a fait naufrage
dans la relativité générale d'Einstein, l'espace et le temps ont conclu une
alliance incompréhensible et instable, les clepsydres d'Aristote ont cessé
de mesurer le mouvement dans le cosmos - et le Dieu de Copernic ou de
Galilée est devenu un personnage onirique égaré dans le vide de l'éternité.
Comment faire rêver demain la bête à laquelle Freud a enseigné à
déconstruire ses songes sacrés et qui s'est donné dans le cosmos un tueur à
son image? Qui suis-je dans ce miroir? Comment se fait-il que je me sois
construit ce Dieu-là et non un autre?
Décidément,
la postérité des hommes de génie se met à l'écoute d'une histoire russe qui
raconte: "Si tu vas à droite, tu survis, mais tu perds ton cheval
et si tu vas à gauche tu meurs, mais tu gardes ton coursier".
Autrement dit, si tu conserves ton fer de lance le grain que tu auras semé
lèvera et ta postérité engrangera tes moissons. Mais sache que la monture
de ton temps n'est pas celle de ta postérité.
Servi par
une rigueur intellectuelle hors du commun, René Pommier sait que depuis
Platon, penser est un sport de combat et que si la métaphore, la parabole
ou l'allégorie ne venaient pas au rendez-vous de la guerre du sens, il n'y
aurait pas d'humanité en devenir. Voyez comme le symbolique se place à la
racine du décryptage anthropologique du sens commun: la bête découvre que
le répétitif est prévisible et que le prophétisable se révèle profitable -
elle proclame donc intelligible en soi ce qui lui réussit. Mais cette
logique-là est animale: Montaigne l'a observée chez le renard et Rabelais
l'appelle Messire Gaster.
Le conte
russe raconte que l'homme de génie meurt plutôt que de perdre sa cavalerie.
En ce sens, la psychanalyse de la politique simiohumaine démasque l'erreur
qui fait trébucher la raison de la bête: elle croit que le profitable dit
le vrai, alors qu'il est suicidaire sur le long terme. C'est précisément à
ce titre que la postérité de René Pommier va au fondement de l'erreur
abyssale, celle qui conduit à la connaissance anthropologique du
tartuffisme simiohumain. Lisez Etudes sur le Tartuffe (Sedes,
1994 réédition Eurodif 2005): René Pommier y étudie le héros de Molière en
psychanalyste-anthropologue du tartuffisme politique et religieux
étroitement confondus. Quel décodeur que l'auteur de Assez décodé!
Mais ce décodeur-là nous dit que le monde est plein de petits serruriers
qui introduisent leur clé microscopique dans la gigantesque serrure qu'on
appelle l'histoire, puis qui vous disent que le cosmos n'a pas de serrure.
René
Pommier se veut le Descartes qui a jeté à la ferraille tout le fatras de la
métaphysique verbifique du Moyen-Age pour nous demander: " Et
maintenant, qui es-tu?"
J'écrivais le 25 juillet:
"A partir de cette date, et compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la langue française que si le Président
de la République et le Premier Ministre se voient nommément mis en cause,
je relèverai quelques-unes de leurs fautes."
- 1 - M. Valls ignore qu'on ne dit pas ceci dit,
mais cela dit.
- 2 - M. Hollande ignore qu'on ne dit pas il
faut mieux, mais il vaut mieux.
Le 27
septembre 2014
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