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1 - Les masques de théâtre de l'humanité
2 - Le destin politique de la Révolution française
3 - L'Europe des vassaux
4 - Réflexions sur l'Académie des bras croisés
5 - Les innocents d'un ciel vide
6 - Qu'est-ce que l'honneur ?
7 - La fable du Corbeau et du renard
8 - L'horizon intellectuel perdu de l'Académie des sciences morales et politiques
9 - Le blocage de la philosophie allemande
Post scriptum
1 - Les masques de théâtre de l'humanité
Pour
comprendre la géopolitique, il faut recourir à une anthropologie dont
l'échiquier et les coordonnées permettront d'observer le jeu du quitte ou
double auquel le réel s'amuse avec l'imaginaire.
Exemple:
Mirabeau s'écrie: "Nous sommes ici par la volonté du peuple, nous ne
sortirons que par la force des baïonnettes". Cette éloquence signifie
que le pouvoir politique se trouve désormais aux mains d'une autorité aussi
abstraite qu'invisible, celle qu'exprime le terme de peuple, lequel
invalidera un sceptre entièrement matériel, la baïonnette, dont le métal se trouve
réduit à l'impuissance face à l'omnipotence et à l'intangibilité d'une parole
inaccessible.
De
son côté, Louis XIV dit: "L'Etat c'est moi". Ce discours
signifie que le corps du roi sacralise l'autorité publique et la focalise de la
ligoter à des organes éphémères, lesquels livreront au néant des mots privés de
leur peau et déchargés de leur tâche antérieure, celle de vocaliser la force
physique des Etats. Mais, dans un conte d'Andersen, un enfant déclare que le
roi est nu, ce qui veut dire que si vous retirez du corps du roi les dentelles
et les rubans du vocabulaire qui le délocalisait, sa puissance se vaporisera
dans l'atmosphère.
Alors
Homère fait monter sur la scène le corps d'un personnage monoculaire, qu'il
appelle Personne et le Conseil Constitutionnel décide enfin de
promulguer le décret d'application de la loi qui, depuis plusieurs années,
précise la procédure de destitution du cyclope "manifestement
inapte". Partout, les affûtiaux d'un imaginaire greffé sur un lexique
jouent à cache-cache, à colin-maillard ou à qui-perd-gagne avec les baïonnettes
de Mirabeau.
Mais
si vous faites tenir à un candidat imaginaire un discours imaginaire devant une
académie imaginaire (- Séance extraordinaire de l'Académie des sciences morales
et politiques - Intervention remarquée d'un revenant qui aurait changé de tête
, 17
octobre 2014)
l'espèce semi-cérébralisée à laquelle vous appartenez vous rappellera sans
tarder au culte de ses rites grammaticaux, au respect de son effigie verbale, à
l'efficacité de ses prérogatives doctrinales. Celles-ci sont liées au statut
des Etats et à l'autorité officielle de leurs dictionnaires. Tel est le sens de
la missive que le secrétaire général de l'Académie des sciences morales et
politiques, M. Pierre Kerbrat, m'a adressée le 23 octobre 2014, ( Voir: A propos de mon texte: "Séance extraordinaire de
l'Académie des sciences morales et politiques, 24 octobre 2014) afin de souligner
, dirait-on, et sans le vouloir, la pertinence de l'analyse anthropologique des
ressorts de l'histoire exposée ci-dessus.
L'imagination
langagière joue donc à quitte-ou-double avec Clio; car si l'orateur imaginaire
change effectivement de tête et met toute la scène à l'envers, afin de
présenter au public les masques de théâtre de l'humanité, on entendra M.
Sarkozy apostropher vertement à son successeur: "La Russie est notre
partenaire naturel, dira-t-il. La France a signé un contrat avec elle, vous
devez honorer la parole de la nation. Du reste, la livraison d'un vaisseau de
guerre à la Russie ne changera en rien les forces en présence sur les lieux.
Mais c'est une honte, pour nous tous, qu'un Président de la République
française ait menacé le Kremlin de ne pas honorer une commande dûment signée entre
deux Etats souverains et qu'une menace aussi piteuse ait été proférée au moment
même où le vrai maître de l'Europe, qui s'appelle l'Amérique, contraignait ses
vassaux à se blottir autour de lui. La France d'autrefois était un Etat
souverain". On remarquera que la phrase française se retrouve d'aplomb.
Elle a cessé de trébucher, de tâtonner, d'ânonner. Plus de eeeeeeeeeee entre le
sujet, le verbe et le complément.
Mais
un Etat titubant sous les ordres de l'étranger se déplacera sur la scène
crevassée d'un théâtre dangereux: le sceptre de la justice pénale se présentera
tôt ou tard sur l'échiquier de la trahison, parce que la vassalité tente de
cacher son vrai visage, et ce visage-là est celui d'une servitude proprement
intellectuelle. Le genre de trahison dont il s'agit est celle des têtes.
Une
République digne de ce nom ne manie pas le couperet de sa justice au nom des
masques verbaux qu'elle brandit sur les planches. En l'espèce, les vassaux de
l'Amérique acceptent qu'on leur montre du doigt un dossier ficelé dans un coin.
On leur dit que le centre de gravité du monde n'est autre que celui des
relations que la Russie entretient avec l'Ukraine.
Mais
le maître dispose d'un encéphale d'un autre calibre: le déplacement préalable
et artificiel de toute l'affaire sur l'échiquier des esclaves permet au
souverain d'étendre de Brest au Caucase la puissance politique et militaire de
son vocabulaire. Les cerveaux microscopiques que le roi du langage actuel met
au service de son jeu de dupes ne s'aperçoivent même pas de ce que la planète
est tout entière occupée par le réseau impérial de ses garnisons et de ses
forteresses. C'est pourquoi la lutte contre la "force des baïonnettes"
en appelle à la raison et à l'intelligence de la France des métazoologues, qui
tentent d'observer le cerveau simiohumain dans son animalité spécifique - celle
que son langage a cérébralisée.
Tel
est l'esprit dans lequel je traite, dans le texte ci-dessous, la question du
statut psychogénétique de la justice internationale actuelle, celle que Julien
Benda a soulevée en 1929 : qu'est-il advenu de la Trahison des clercs?
L'Académie des sciences morales et politiques est-elle coupable de trahir sa
vocation et sa mission géopolitiques?
Les
indices se multiplient selon lesquels il existerait néanmoins une sagesse
immanente aux démocraties asservies de l'Europe et que des vestiges de leur
raison d'autrefois persisteraient à piloter leurs épaves. Ces symptômes de
survie de leur cervelle sont précisément ceux qui enseigneront à la
métazoologie politique de demain les limites de la faculté des élites naufragées
de rentrer la tête dans les épaules et de raser les murs. Comment les observer
au microscope? Car il demeure évident à tous les observateurs de bonne foi que
l'heure sonnera nécessairement où le vichysme européen aura épuisé ses
subterfuges, ses faux-fuyants et ses flâneries. Que se passera-t-il quand les
Etats du Vieux Monde se verront contraints de constater l'impuissance de leurs
flatteries? Impossible de forger une alliance durable de la ruse avec la
patience, impossible de légitimer l'auto-domestication précaire des Etats,
impossible de valider la présence éphémère de garnisons étrangères sur leur
sol.
Comment
de tels Etats se proclameraient-ils longtemps non coupables de
l'exterritorialité éternelle qu'ils ont accordée à des troupes étrangères
privées de titres de séjour défendables sur leurs terres, puisque les
ambassades et les consulats eux-mêmes ne jouissent que d'un statut révocable à
chaque instant et attaché aux traditions du droit diplomatique du moment?
L'élimination, par la voie judiciaire, des élus qui auront proclamé, un siècle
durant, et innocemment, diront-ils, que le régime démocratique serait
compatible par nature et par définition avec l'aliénation perpétuelle de leur
territoire - et cela au seul profit de leur libérateur d'il y a soixante-dix
ans - ces élus-là, dis-je, il ne sera pas nécessaire de hisser un télescope sur
Sirius pour constater que les principes universels du droit public triompheront
par la force des choses des traités bilatéraux que les serfs auront dû signer à
titre provisoire avec leur maître d'outre-Atlantique.
Mais
l'assujettissement militaire de l'Europe occupée entrave la France d'un statut
particulièrement bancal, parce que le drapeau de sa semi-souveraineté que
brandit désespérément cette nation et qu'elle ne parvient plus à faire flotter
au vent sur la scène internationale, ce drapeau en berne nous préserve du moins
de la caricature d'Etat qu'illustrent les modèles allemand et italien: car la
honte de la France n'est pas allée jusqu'à faire revenir sur le territoire
national les bases militaires américaines expulsées par le Général de Gaulle en
1966.
Certes,
l'atlantisme du précédent Président de la République nous contraint de nous
asseoir sagement et par ordre alphabétique autour du général américain dont les
galons rassemblent ridiculement autour de sa personne vingt-huit armées du
Vieux Monde piteusement privées de leur commandement national. Mais à partir de
l'instant où, à l'exemple de ses comparses menottés, le peuple français reçoit
de la bouche d'un souverain étranger l'ordre impérieux de s'interdire
soudainement ses exportations industrielles et commerciales en direction de la
Russie, ce spectacle de la vassalisation du pays cesse de nous faire rire ; car
il s'agit d'un protocole non moins spectaculairement anticonstitutionnel et non
moins incompatible avec des institutions qualifiables de démocratiques que
celui dont les autres prisonniers portent les chaînes. Nous voici réduits au
rang d'une Allemagne et d'une Italie physiquement ficelées depuis trois quarts
de siècle à leur vainqueur de 1945.
Ce
pénible gigotement du statut international d'une France vassalisée en catimini
est apparu au grand jour à l'occasion des obsèques de Christophe de Margerie.
D'un côté, son entreprise avait été frappée d' une lourde amende par son propre
pays, de l'autre, la France officielle, l'Elysée en tête, lui avait réservé des
funérailles quasiment nationales.
Comment
définir la trahison au sein des Etats bicéphales? M. Medvedev a rappelé
qu'elles seront rares, les entreprises étrangères qui auront déserté le marché
russe sur l'ordre de l'Amérique et de ses vichystes. La place sera prise,
dit-il, par les entreprises locales, puis par celles des pays de l'Union
douanière, puis par celles des pays de la région Asie-Pacifique, qui se
montrent fort intéressées par une intensification de leur coopération avec la
Russie.
Qu'en
est-il de la souveraineté de la France biphasée, bipolaire, schizoïde? Le jus
gentium n'a pas théorisé un statut qui serait propre aux seuls Etats dichotomisés
- il les déclare placés sous tutelle ou sous protectorat - ce qui leur dénie
toute indépendance, donc toute souveraineté. Mais comme il se trouve que jamais
aucun empire du passé n'est parvenu à éterniser l'occupation militaire des
vaincus, la classe pseudo dirigeante française que nous voyons contraindre la
nation à subir un sort semblable à celui de ses malheureuses consœurs, l'Italie
et l'Allemagne, cette classe de figurants impunis, dis-je, joue au loto avec
l'histoire du pays - le tranchoir qui l'attend ne sera pas seulement celui des
verdicts discrets, mais implacables de tous les historiens futurs.
Mais
il y a pis: depuis longtemps, la question de la souveraineté des Etats est
devenue le carrefour de l'histoire où la politique prend rendez-vous avec la
morale du monde. Une Académie des sciences morales et politiques infantilisée
sera-t-elle absoute en raison de ses droits à la candeur? Ainsi posée aux
générations en culotte courte que notre temps a portées au pouvoir, la question
de la puérilité que les démocraties affichent sur la scène internationale
semble insolite et abrupte ; mais sitôt que la réflexion s'approfondit quelque
peu, elle démontre que l'apparente nouveauté d'une interrogation aussi
insolente désoriente les mémorialistes et les juristes, tellement la
singularité de la pantalonnade juridique d'une Europe bifide ne relègue
nullement la question de fond hors de l'arène de l'histoire racontée aux
enfants.
Quand
les industriels allemands tournent le dos à Mme Merkel et quittent de parti du
gouvernement, ils soulignent que la politique étrangère du pays devient
hallucinogène. Vingt-cinq ans après la mort du messianisme marxiste, on voit un
Etat capitaliste - la Germanie - ruiner de ses propres mains son industrie et
son commerce internationaux au profit exclusif d'un autre Etat auto-évangélisé,
lui aussi et situé au-delà des mers - son vainqueur apostolique de 1945.
Cette
vassalisation brutale et à domicile des peuples eschatologisés par leur propre
mythe de la Liberté ne fait pas seulement débarquer jusque dans les provinces la
question de la souveraineté des Etats pendus au bout de leur corde, de la
nature de leurs relations avec leurs corps électoraux respectifs, elle soulève
également la question du statut onirique des évadés de la zoologie, donc de la
pesée de l'encéphale d'une bête évolutive et inachevée: une Académie peut-elle
passer au large de l'histoire de la boîte osseuse de l'humanité sans sortir
définitivement du champ de la recherche anthropologique contemporaine? Que se
passe-t-il quand le thème de la Trahison des clercs (1929) de
Julien Benda s'installe au cœur de toute l'intelligentsia européenne?
Car
si, sous Vichy, quelques écrivains se sont compromis avec l'occupant - ce qui
leur a valu de se voir frappés d'une interdiction plus ou moins longue de se
faire éditer en France, donc dans notre langue - la situation se présente sous
un jour fort différent pour une Académie que son statut spécifique a projetée
d'avance et à titre statutaire dans l'histoire politique et cérébrales
confondues de la France, puisqu'elle s'est vu confier par l'Etat - et dès 1795
-une mission précise et sans équivalent dans aucune autre République, celle de
veiller sans relâche non plus à la solidité de l'alliance de la nation avec une
théologie tenue pour révélée et immuable, mais avec une étoile nouvelle de la
"théologie naturelle", celle d'une vérité subitement élevée au rang
d'une autorité inhérente à la morale universelle des démocraties: un mythe
nouveau, celui d'une Liberté sacralisée par la souveraineté des peuples est
proclamée à la fois immanente et transcendante au monde. Que valent ce gardien,
cette sentinelle et cette chambre ardente, s'il crève les yeux que
l'ascensionnel se légitime désormais sur ses propres fonts baptismaux?
Certes,
un songe politique de cette envergure et taillé à son tour sur le modèle
évangélique précédent aurait pu tourner court, tellement il était menacé dans
son berceau par la chute inévitable des utopies apostoliques dans les
contingences du temporel. Mais on découvre bientôt que les sotériologies ont
raison dans l'ordre politique quand l'heure a sonné où l'histoire
événementielle condamne les prophéties bibliques à débarquer sur la terre sous
une forme nouvelle du sacré. Deux siècles plus tard, rien n'est devenu plus
rationnel, pour tout historien pensant, que d'observer de près l'habillage
d'une histoire mondiale finalisée par la démocratie américaine et qui
contraint, sur les cinq continents, une civilisation eschatologisée par son
langage à se donner les ailes d'un Icare de la Liberté. La rédemption laïcisée
des démocraties modernes a besoin de rassembler les peuples messianisés dans
une Eglise de leur raison en marche et de leur intelligence en devenir. Si ce
temple demeure vide, si les prêtres d'une démocratie aptère désertent soudainement
le mont Carmel de leur sotériologie, une République privée de feu et d'autel
tombe bientôt en poussière.
Mais
une raison livrée à la scolastique des modernes exerce néanmoins un sacerdoce
ennemi de la sophistique des autels. C'est pourquoi la France avait élevé son
intelligentsia d'éveilleurs à un rang sacerdotal latent: elle avait fait à ses
guetteurs et à ses veilleurs l'honneur potentiel de les livrer au peloton
d'exécution s'ils avaient trahi leur vocation de signataires du pacte nouveau
de leur patrie avec l'éternité. Et pourtant, l'occupation allemande n'était pas
allée jusqu'à mettre en scène une classe dirigeante qui, depuis lors, s'est mise
tout entière au service d'une puissance étrangère: la zone dite libre de la
France occupée de 1940 avait livré à la justice pénale les dirigeants, réputés
démocrates, de la IIIe République - les Léon Blum, les Edouard Daladier, les
Paul Reynaud - qui avaient conduit le pays à la capitulation en rase campagne:
seul le sabre de l'occupant avait mis un terme au procès de Riom, qui opposait
dans l'ombre Pierre Laval au vainqueur de Verdun.
Les
serviteurs de l'atlantisme français passeront-ils en haute cour? Dans ce cas,
sauf prescription, M. Hollande sera jugé pour trahison si, sur l'ordre d'un
gouvernement étranger et dans son âge mûr - donc censé responsable de ses actes
en tant que chef d'Etat - il aura refusé de livrer à la Russie un navire de
guerre commandé aux chantiers navals de Saint-Nazaire et payé d'avance.
Mais
que vaut l'académie des chenus du Quai Conti? Veille-t-elle à sauvegarder
l'alliance de la morale universelle de la France avec son histoire sur le
terrain? Comment une assemblée sénescente et qui aura laissé la République sans
tête et sans voix depuis 1832 ne serait-elle pas co-responsable de la démission
morale du pays et de sa chute dans un atlantisme au jour le jour ? Cet
atlantisme n'est-il pas parallèle à l'agonie politique de toute l'Europe du
XXIe siècle? Il ne s'agit pas de scolarisés de l'éducation nationale, mais du
tribunal souverain d'une nation qui n'a pas jeté à la poubelle le sens de
l'honneur que Montesquieu attribuait exclusivement à l'aristocratie - la
Liberté est le blason nobiliaire des peuples démocratiques.
A
la fin de la seconde guerre mondiale, Julien Benda rééditait sa Trahison
des clercs de 1929 , mais avec une nouvelle préface, dans laquelle ce
n'était plus seulement leur mission de gardiens des valeurs universelles que
certains clercs trahissent, c'est aussi, et "expressément", leur
patrie.
Mais
que l'on songe à la difficulté, pour le citoyen lambda, de démêler dès les
bancs de l'école l'écheveau d'une politique internationale tellement vassalisée
que les chancelleries les plus exercées ne parviennent pas, disent-elles, à en
percer les mystères. M. Kerry avait informé des néophytes américains qui
l'écoutaient - les étudiants triés sur le volet de Harvard - qu'il avait, bien
évidemment, dû forcer les Etats européens aux cheveux blancs, mais demeurés des
enfants, à déclarer à la Russie une guerre commerciale suicidaire pour leurs
intérêts nationaux respectifs. Mais le génie politique d'une Blanche Neige
italienne - on venait tout juste de la nommer à la tête d'une prétendue
diplomatie européenne après un examen de passage réussi de son orthodoxie
atlantiste - n'avait pas suffi à lui faire raconter correctement le film de
Walt Disney dans lequel elle disait aux sept nains: "Je me croyais
en conversation avec ce Monsieur Kerry, je ne savais pas qu'il s'agissait, en
réalité, d'un diktat".
Comment
voulez-vous que les citoyens et les gouvernements se montrent mieux informés
que les nains de l'Europe de Blanche Neige quand ils voient une ombre de
Ministre des affaires étrangères du Vieux Continent contrainte de fournir à ses
supérieurs hiérarchiques des gages publics de son orthodoxie atlantiste?
Un
grand chef d'orchestre russe, Valeri Guerguiev, deviendra, à partir de 2015, le
directeur musical de l'Orchestre philharmonique de Munich. Il avait été invité
par le Festival de la Sarre, qui s'est déroulé du mois de février au mois
d'août 2014 et qui était placé sous le patronage de Herman Van Rumpuy, alors
Président du Conseil européen, ainsi que de Frank-Walter Steinmeier, ministre
des Affaires étrangères de Berlin. Mais ces inquisiteurs américanisés avaient
décidé d'annuler brutalement la venue du maestro à Munich: il avait refusé de
critiquer la loi russe, qui interdit la propagande pour l'homosexualité auprès
des enfants en bas âge.
Apprenez
la politique à la lecture des fables de Jean de La Fontaine. Que raconte à la
France et à l'Europe d'aujourd'hui la fable du Corbeau et du renard?
Que si un chef d'Etat comble d'éloges un autre chef d'Etat, ce dernier devrait
savoir qu'il s'est mis au service de son complimenteur; et si le flatteur
laisse de marbre le corbeau, les oisillons porteront aux nues un chef capable
de garder son fromage dans son bec.
Mais
la fable de La Fontaine s'est un peu ramifiée: désormais le flatteur montre du
doigt à ses vassaux la proie qu'ils devront traquer sans relâche et accabler de
leurs imprécations. Et au nom de quelles instances de la morale universelle un
César de la démocratie mondiale tiendra-t-il le sceptre d'une main ferme ?
Décidément la réflexion sur les relations de la morale avec la géopolitique
donne rendez-vous à l'Académie de 1795. Car sitôt que la proie gronde et rugit,
elle glace les vassaux de terreur; et ils disent au renard: "Rends-nous le
fromage qui est tombé dans ta gueule". Mais le flatteur aux dents longues
leur répond: "Il est dans mon estomac, venez- donc l'y chercher."
Si
l'Académie des sciences morales et politiques racontait aux enfants l'histoire
du fromage de la souveraineté, quelle bible de la démocratie que les fables de
La Fontaine!
Mais
la réflexion philosophique - donc anthropologique - sur le statut intellectuel
de l'Académie des sciences morales et politiques nous rappelle les coordonnées
et l'échiquier de la question de fond, celle de la nature des relations que les
Etats d'aujourd'hui entretiennent avec leurs couronnes verbales.
Quelles
sont la fonction, la vocation et la mission qui devrait rendre irremplaçable
l'Académie des sciences morales et politiques? Qu'a-t-elle le devoir de
proclamer au chapitre de la pesée philosophique et anthropologique de
l'inconstitutionnalité d'une loi? Le Conseil Constitutionnel n'est-il pas la
seule instance juridictionnelle expressément habilitée à en juger et sa
souveraineté n'est-elle pas exclusive? Comment se trouverait-elle dédoublée par
une Académie des droits de la morale et de la pensée face à l'arbitraire des
Etats démocratiques eux-mêmes?
Il
existe trois étages de la notion de droit international public. Le premier
concerne les lois du commerce mondial qui interdisent à un Etat de promulguer
des sanctions économiques contre un autre Etat. Le second interdit à un Etat de
soumettre ses propres citoyens à des sanctions de ce type. Le troisième
concerne l'Académie des sciences morales et politiques et enjoint à cette
autorité de poser les ultimes fondements éthiques et universels du droit
constitutionnel.
Or,
M. Poutine se voit accuser "d'expansionnisme" en direction de
l'Ukraine et même, dit-on, en direction de la Moldavie et des Balkans. Quels
sont les titres des accusateurs dont l'audace cite la Russie à comparaître à la
barre de la problématique étriquée, imprécise et flottante des Etats temporels?
Quel est l'empyrée truqué d'une "Justice universelle" ritualisée par
des vassaux au service de leur maître? Il s'agit d'un tribunal qui, depuis
1945, s'est étendu à la terre entière et qui porte les armes d'un empire.
Celui-ci enserre l'Europe de cinq cents bases militaires illégales par nature
et par définition. Il s'agit d'un empire qui domine les océans et qui quadrille
la planète de mille soixante quinze forteresses, garnisons et camps retranchés.
Quel Olympe de la vérité politique et de son alliance avec une "Justice
universelle" qu'un jus gentium aux mains d'un César!
Mais
en quoi, répétons-le, l'Académie est-elle condamnée à prendre le relais d'un
Conseil Constitutionnel dont le regard ne s'étend pas jusque là? Réponse: un
Etat qui viole sa propre loi fondamentale, donc l'esprit de ses institutions,
remet le sceptre de l'histoire du monde entre les mains d'un César; et
l'Académie de 1795 avait précisément la vocation d'interdire la remise du
sceptre de la Liberté, de la République et de la Démocratie entre les mains
d'un empereur.
C'est
ici que la question de l'éthique monte sur les planches du théâtre qu'on
appelle l'histoire, c'est ici que l'Académie a le devoir de suppléer à la carence
d'un Conseil Constitutionnel infirme et de faire entendre à sa place une voix
transcendante à la constitutionnalité ou à l'inconstitutionnalité des lois -
une voix appelée à chapeauter cette institution demeurée à mi-pente et de lui
rappeler la nature des relations que la raison politique suprême des
démocraties entretient avec une morale universelle. Or, je le redis, ce devoir
est exactement celui que les penseurs de 1795 demandaient à l'Académie en 1803
d'honorer. Et à quel moment? Un an avant le couronnement précipité du vainqueur
d'Austerlitz - ce qui leur avait valu la dissolution immédiate de leur
conclave; un trait de plume du Premier Consul y avait suffi. Et, depuis lors,
l'Académie a perdu jusqu'au souvenir de la vie intellectuelle et spirituelle
confondues de la France de l'esprit.
Et
maintenant un empire mondial de la force nue se trouve au pied du mur. Depuis
la fin de la deuxième guerre mondiale, les États-Unis d'Amérique ont tenté de
renverser plus de cinquante gouvernements, dont la plupart avaient été
légitimement élus; tenté de réprimer un mouvement populaire ou nationaliste
dans plus de vingt pays; interféré massivement dans les élections démocratiques
d'au moins trente pays; largué des bombes sur les populations d'au moins trente
nations et tenté d'assassiner avec un taux de réussite élevé plus de cinquante
leaders politiques étrangers.
Il
va de soi que le sommet du pouvoir exécutif français se situe à des
années-lumière de la profondeur de jugement qui lui permettrait de poser la
question du droit et de la justice à une France et à un Conseil Constitutionnel
prisonniers de leur mythe de la Liberté; mais que le pays de Kant, de
Schopenhauer, de Hegel fasse monter une petite cuisinière allemande sur la
scène du monde et lui demande de pointer son index en direction d'un
"envahisseur" est de l'ordre du burlesque, car la Russie tente
seulement - et en toute légitimité - de retrouver l'influence que son pays
exerçait sur l'Ukraine depuis plus de trois siècles afin d'écarter la menace de
la constructions de bases nouvelles des Etats-Unis à ses frontières. Et la
cuisinière se livre sans ciller à la tâche ancillaire de renforcer le sceptre
du César mondial du moment. N'est-ce pas un spectacle de nature à éveiller
l'attention d'Argus aux cent yeux - ceux de la seule Académie au monde dont la
mission propre soit précisément de peser cette situation-là?
Mme
Merkel n'a qu'une semi-formation de physicienne. Mais la question va plus loin
que celle de l'inculture politique des Etats vassalisés et inexperts sur la
scène internationale: si la raison cartésienne souligne que l'alliance, depuis
Platon, de la philosophie avec la logique transcende le temporel, alors le Discours
de la méthode montre son chemin à la pensée rationnelle et ce chemin
nous conduit tout droit à nous planter au carrefour où tous les Etats du monde
sont guettés par un César. Quelle chance ce serait pour la France, de disposer
d'une Académie dont l'Allemagne de Kant manque cruellement!
Il
est philosophique, le sceptre de la pensée que l'Académie de 1795 tend au monde
d'aujourd'hui. Car l'Allemagne de la postérité de la Critique de la
raison pure de Kant n'a pas conquis les armes d'une pesée métazoologique
des relations de la morale internationale avec la politique des Etats, et cela
parce que le protestantisme allemand a sacralisé en catimini une éthique de la
politique des Etats administratifs issus de la Réforme de Luther, qui a
décapité le pouvoir central des nations, mais pour les calquer subrepticement
sur la sacralisation catholique d'en face - celle du droit tant civil que
public.
Le
monde moderne place l'Académie au carrefour mondial de la réflexion sur les
relations de la pensée avec une morale universelle, de la politique avec la
philosophie et des Etats avec leur histoire.
Post
Scriptum
J'écrivais
le 25 juillet: "A partir de cette date, et compte-tenu qu'on ne luttera
efficacement contre le naufrage de la langue française que si le Président de
la République et le Premier Ministre se voient nommément mis en cause, je
relèverai quelques-unes de leurs fautes."
M.
Valls dit: Le gouvernement veut impulser une dynamique de croissance.
Evitant un anglicisme, il devrait dire que le gouvernement veut stimuler
l'économie.
M
Hollande dit: "De nouvelles opportunités se présentent à nous.
Opportunités est un anglicisme. En français on dit: "De nouvelles occasions
se présentent à nous.
Le
15 novembre 2014
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