En 1889, l'achèvement de la construction de la
tour Eiffel et l'inauguration de l'exposition universelle donnaient son
sens symbolique à la commémoration du centième anniversaire de la prise de
la Bastille. Mais deux interprétations parallèles de la grande Révolution
s'y affichaient déjà à la face du monde : d'un côté, l'universalité du
triomphe des sciences exactes, de l'autre, l'ubiquité croissante de
l'industrie et du commerce. Mais un troisième personnage sortait de
l'ombre: le mythe de la Liberté faisait monter une éthique évangélisatrice
et messianique sur les planches de la politique internationale.
Certes, depuis près de trois millénaires, tous les
gouvernements se légitimaient en dernière instance, à l'école des progrès
moraux des civilisations connectées sur le ciel de leur sotériologie. Puis
la démocratie romaine avait rattaché la citoyenneté à une cité déjà
subrepticement rédemptrice, la civitas. Celle-ci se fondait sur la virtus,
la vertu, donc sur la civilitas, la civilisation. De leur côté, les
Grecs avaient rattaché le citoyen, le politès, à la politeia
et la politèia à une polis, la cité, que Périclès appelait
une pédagogie universelle. Quant au demos, le peuple, il ne
renvoyait pas à la population d'un pays, mais aux phalanges civilisatrices
des habitants des villes, tellement la politique était une affaire urbaine.
(Le net ne prend pas l'alphabet grec)
Mais, au XVIIIe siècle, le genre humain inventait
l'axe central de toute interprétation eschatologique du temps des peuples
et des nations : cette espèce prétendait avoir mis la main sur l'essieu
d'une éthique universelle du salut et de la délivrance par la politique ;
et les démocraties serviraient de fer de lance à ce finalisme
parathéologique. C'est pourquoi on a vu ici même (- Séance extraordinaire de l'Académie des sciences
morales et politiques - Intervention remarquée d'un revenant qui aurait
changé de tête , 17 octobre 2014) un acteur imaginaire prononcer
un discours imaginaire à l'intention d'une Académie des sciences morales et
politiques imaginaire; et ce discours a paru si dangereusement objectif à
une Académie des sciences morales et politiques endormie que son secrétaire
général m'a demandé le plus officiellement du monde de retirer un texte
trop "vrai" à ses yeux.
C'est dire qu'en 1795, c'était une audace de précurseurs
de la pensée politique mondiale de fonder une Académie de philosophes et de
peseurs qui suivraient pas à pas l'histoire d'une morale universelle, d'un
côté, et, de l'autre, celle de son compagnon d'infortune, la politique
républicaine, c'était faire preuve, dis-je, d'une vision de l'avenir de
l'humanité tout entière d'imaginer un déchiffrage désormais
anthropologique, donc métazoologique, de l'histoire conjointe de la
démocratie et du rêve qui la soutient.
Cet appel à la conquête d'une extériorité nouvelle
du regard de l'historien "objectif" sur toute la représentation
donnait à l'objectivité du narrateur une distanciation intellectuelle dont
l'échec allait précisément illustrer la profondeur de son récitatif: car,
depuis 1789, la véritable histoire de la Révolution s'est révélée onirique
par nature, et elle n'a pas trouvé d'interprétation philosophique à ce
titre, tellement le silence perruqué de l'Académie chargée d'articuler une
morale universelle avec l'histoire réelle et contingente du monde se révèle
plus éloquent que de longs discours. Et maintenant, le temporel somme son
narrateur transcendantalisé de répondre à la question soulevée en 1795,
celle des relations semi-célestes que la démocratie mondiale contemporaine
entretient avec la morale de son ciel et, en retour, une politique
contemporaine auto-théologisée avec une pensée rationnelle sans tête.
Mon lecteur a compris qu'il faut changer
entièrement d'échiquier et de problématique, parce qu'il est aussi vain
d'observer l'humanité avec les yeux de l'humanité du moment qu'une
théologie avec les yeux de cette théologie. Au regard qu'Adam portait sur
une animalité censée cernée d'avance et à laquelle l'évolutionnisme
s'exerce depuis un siècle et demi, il faut tenter de substituer le regard
d'une métazoologie sans cesse en devenir sur la zoologie cérébralisée dont
souffrent les détoisonnés en suspens entre deux zoologies.
1 - Les embarras philosophiques de la Révolution
française
De même que
l'Académie française n'est pas une exposition de blasonnés de la
littérature nationale, l'Académie des sciences morales et politiques n'est
pas une exposition de spéléologues patentés des relations que la morale
entretient avec la politique et la politique avec la morale.
Et
pourtant, non seulement la plongée d'une nouvelle anthropologie politique
dans les entrailles de l'histoire se situe désormais au cœur des sciences
humaines, mais si, en 1795, date de la création de l'Académie des sciences
morales et politiques, quelques esprits visionnaires avaient pressenti avec
deux siècles d'avance que l'aporie la plus insoluble était celle que
l'exécution de Louis XVI, le règne de la Terreur et l'ascension de
Bonaparte permettaient d'apercevoir et si ces théoriciens d'avant-garde
savaient que la science de la mémoire se trouvait condamnée à flotter entre
deux eaux, personne ne pouvait se douter que la raison tridimensionnelle
deviendrait plus infirme encore qu'autrefois. Comment lui faire prendre de
l'âge, comme l'étoffer, comment l'armer d'une connaissance plus abyssale de
la bête onirique que celle dont seule la théologie détenait le monopole
d'en fournir le matériau à l'humanité?
L'examen de
l'itinéraire du cerveau simiohumain dans une psychogénétique de l'évolution
et l'interprétation des aventures de cet organe dans une méta-zoologie plus
éclairée que les précédentes allaient se brancher sur les conséquences
oniriques et biologiques confondues d'une Révolution qui, la première,
avait jeté à terre une monarchie censée de droit divin et qui ne savait
plus dans quel royaume de la raison loger l'ascensionnel. Qu'allait-il
advenir d'une espèce rendue orpheline de tous ses Jupiter anciens, présents
et futurs? Qu'en était-il du fossé qui s'était progressivement creusé - et
qu'il était devenu impossible de combler - entre un pouvoir politique
désemparé par son désarrimage des nues et le veuvage, à son tour, d'une
éthique décapitée par le décès de ses parrains dans le surnaturel?
Un premier
Consul aux aguets avait compris où se cachait le danger le plus mortel pour
tous les Césars que le monde allait enfanter - un danger que l'Académie des
sciences morales et politiques originelle avait précisément vocation de
détecter. La cécité intellectuelle du pragmatisme anglais avait exorcisé ce
péril - elle élevait une raison dépossédée du temporel au rang de pape de
la religion du pays. Impossible de plaquer un subterfuge aussi saugrenu sur
une civilisation héritière d'Athènes et de Rome.
Mais seule
une anthropologie politique postérieure à la découverte de l'évolutionnisme
et greffée sur l'animalité spécifique des fuyards tardifs de la zoologie
pouvait soulever la question la plus vitale aux yeux mêmes des acteurs du
séisme politique de 1789: il s'agissait de rien moins que de rebattre les
cartes de la condition humaine, il s'agissait de rien moins que de
découvrir les obstacles philosophiques qui se dresseraient fatalement sur
le chemin du couronnement d'un empereur qu'on brancherait derechef - mais
en vain - sur un ciel moribond. Certes, la Révolution ne songeait pas
encore à fabriquer la balance à peser la cervelle du simianthrope ; et
pourtant, deux siècles plus tard, tout le monde sait que les auréoles
verbales du siècle des Lumières n'y valaient rien.
2 - Le destin politique de la Révolution française
Ni
Robespierre, ni Saint-Just n'étaient des précurseurs dignes de se brancher
sur les neurones du Voltaire prophétique de Candide ou l'optimisme,
qui avait ridiculisé le "meilleur des mondes possibles" de
Leibniz. Mais il avait fallu attendre l'incendie de Lisbonne en 1758 pour
que Voltaire entrât dans la voie du pessimisme radical de la raison du XXIe
siècle, celle dont seul Swift (1667-1745) avait pré-compris les mécanismes
en anthropologue de génie. En France, le futur auteur du Génie du
christianisme allait explorer les sentiers d'une "théologie
poétique". Mais son génie pré-romantique avait avorté: on ne
résout rien à baptiser la liberté de la presse "d'électricité
sociale" et à jeter la pensée dogmatique par-dessus bord sans en
avoir découvert les arcanes. Certes, l'Académie de 1795 pressentait le
gigantesque échec philosophique d'une Révolution française construite, d'un
côté sur les rêves d'un intellectuel rieur et moqueur et, de l'autre, sur
les songeries d'un Rousseau bucolique. Le premier cherchait désespérément
un héritier du Zeus de la scolastique que les laboratoires de la théologie
du Moyen-Age avaient élaboré depuis saint Anselme et le second, un poète et
un écologiste du cosmos inapte à jouer les mécaniciens de l'univers dans
une Arcadie des philosophes.
En ce début
du IIIe millénaire, les moutons blancs de Marie-Antoinette et les ébats de
Paul et Virginie chez les écologistes modernes font face à la dislocation
du système solaire que Copernic et Newton avaient construit sur la
géométrie tri-dimensionnelle d'Euclide. Cette tension latente nous rappelle
que nous avons rendez-vous avec une nouvelle anthropologie du sacré et que
l'expérience de la Révolution française doit nous servir à passer le relais
d'une boîte osseuse à l'autre au sein de notre espèce.
3 - Une Académie banalisée depuis 1832
En 1803, la
dissolution de l'Académie des sciences morales et politiques - un trait de
plume du premier Consul y avait suffi - écartait non seulement la
difficulté pratique de se faire proclamer "empereur des Français",
mais éloignait en outre provisoirement l'obstacle métaphysique et religieux
de se faire couronner de la tiare d'un empereur chrétien, donc de "droit
divin". Il s'agissait d'un exploit politico-cultuel, celui de
brancher la famille corse d'un petit artilleur diplômé de l'école militaire
de Brienne sur la lignée des rois Capétiens, il s'agissait de légitimer un
successeur villageois de Clovis, il s'agissait de prendre la suite des
interlocuteurs attitrés du Créateur de l'univers.
Enfantillages
que tout cela, dira-t-on. Mais la conquête d'un regard de l'extérieur sur
l'animal aux neurones devenus schizoïdes au cours d'une évolution cérébrale
inachevée exige une connaissance psychobiologique des affûtiaux de la
dichotomie qui pilote cette bête. Rappelons que le sang royal passait pour
celui de Jésus-Christ en personne et qu'on l'appelait le sang bleu pour des
raisons théologiques, donc cosmologiques. La Révolution était jugée
satanique de faire couler le sang de la plèbe jusque dans les artères des
rois - c'était armer le peuple du pouvoir de faire changer d'hémoglobine et
d'artères à la politique mondiale. L'enjeu de la décapitation mécanique
d'une théologie aristocratique à l'aide d'un grand tranchoir était
international par nature.
Mais il ne
fallait pas attendre de la médiocrité politique et intellectuelle de la
Monarchie de juillet la légitimation d'une hérésie aussi périlleuse. La
question abyssale était celle de découvrir les fondements à la fois
religieux et sanglants du basculement des évadés partiels de la zoologie
dans une histoire de la généalogie de leur cervelle et de leur sang. La
question se situait désormais à mille lieues aussi bien des amusements
rousseauistes de Bernardin de Saint-Pierre que des rigidités de pacotille
des "rationaux" du XVIIIe siècle.
Aussi
l'Académie n'a-t-elle reparu en 1832 que dûment respectabilisée, donc
banalisée, rentabilisée et muselée par les rubans qu'arborait la
bourgeoisie de l'époque - celle qui, depuis lors, et de génération en
génération - a pris la place des penseurs visionnaires et des
pré-anthropologues de 1795.
4 - A la recherche d'un gouvernail
Il faut
savoir, en outre, que l'horizon mental de l'Académie des sciences morales
et politiques actuelle se trouve non seulement calqué sur les dentelles et
les broderies de la médiocratie philipparde, mais qu'elle est demeurée, de
surcroît, fidèle à sa seconde naissance dans l'irresponsabilité
intellectuelle de la Monarchie de Juillet.
C'est
pourquoi, depuis cent quatre vingt deux ans, cette académie s'est voulue
coite sur la Restauration de 1815 à 1830, mais également sur sa propre
réduction au silence politique perpétuelle. Elle aurait pu jeter à son
rétroviseur un coup d'œil de moraliste. Mais elle affichera successivement
un mutisme bâtard sur les vrais enjeux de la Révolution de 1848, sur le
sens historique du coup d'Etat du 2 décembre 1852, sur la signification
politique de dix-huit ans du règne de Napoléon III, sur la bancalité de la
proclamation de la République de 1871, sur l'occupation allemande de 1940 à
1944, sur "l'Etat français" et catholique de Vichy, sur
les excès de l'épuration de 1945 et 1946, sur la chute progressive de la
République post-gaulliste dans les expédients et les démissions
parlementaires de la IVe et de la IIIe, sur la chute de la démocratie des
droits de l'homme dans les tortures en Algérie, sur les évènements de mai
1968, sur les périls que court un Etat en loques et enfin sur l'abaissement
de l'Occident dans la vassalité atlantiste, donc d'une civilisation en voie
d'engloutissement à force de coller aux chausses d'un empire étranger. Que
dira-t-on demain d'une Académie complice de Washington et qui aide son
maître à élever l'Ukraine au rang d'un centre de gravité artificiel de la
politique mondiale?
5 - Une science de la vassalisation des peuples
Bien pis:
pour la première fois depuis la Révolution française, c'est la réflexion de
fond sur le régime démocratique en tant que tel qui s'imposerait à une
Académie reconvertie à sa vocation intellectuelle et morale originelle. Car
elle voit clairement la Russie dépossédée de ses apanages d'Etat souverain
et contrainte de subir la présence d'un empire étranger massivement campé à
ses frontières; elle constate que cet empire n'aurait pu fomenter des
troubles à Kiev si l'Europe n'était jugulée par la présence d'un César
planétaire qui enserre la planète de plus de mille forteresses et garnisons,
dont plus de cinq cents quadrillent l'Europe de Ramstein à Syracuse et de
Mons au Kosovo. Elle observe que les Etats européens jugulés voient leurs
chefs et leur classe politique exécuter docilement les consignes de
l'étranger sur leurs territoires respectifs et fouler aux pieds les
souverainetés nationales et les décisions du suffrage universel. Elle
remarque que, pour la première fois, un Etat étranger exerce, en fait, le
pouvoir exécutif sur le sol de ses vassaux, elle s'étonne de ce que ces
Etats s'interdisent à eux-mêmes l'exportation de leurs produits en
direction de la Russie, elle découvre, ahurie, que les industriels et les
agriculteurs qui contestent les ordres stupéfiants d'un maître venu
d'ailleurs, paient des amendes colossales dont leurs pays vassalisés
frappent leurs propres citoyens s'ils tentent de se débâillonner et de
sciet les chaînes qui enserrent leurs chevilles.
Une
Académie dite des sciences morales et politiques n'est plus une instance ni
morale, ni politique si elle ne souligne pas l'incompatibilité radicale de
la souveraineté des Etats avec leur chute dans les mains d'un Etat
étranger. Cette Académie se trouve donc à la croisée des chemins, car
l'échiquier et la problématique de M. Vladimir Poutine ne sont pas encore à
la hauteur d'une science anthropologique seule en mesure de rendre compte
de la vassalisation de l'Europe à l'échelle psychogénétique - celle d'une
discipline capable d'interpréter l'évolution cérébrale du chimpanzé. Or ce
retard illustre à merveille qu'il appartiendrait à l'Académie des sciences
morales et politiques de produire une phalange d'avant-garde de la
réflexion politique qui conquerrait l'autorité et le prestige d'expliquer
la fatalité - celle qui commande le suicide de l'Occident.
Et
pourtant, la vassalisation inexorable de l'Europe obéit à un modèle encore
bien connu et souvent rappelé par les grands historiens du XIXe siècle.
Ceux-là se souvenaient-ils que les cités grecques conquises par l'empire
romain étaient tombées dans un ahurissement jubilatoire? Rome disait
qu'elle leur apportait la Liberté, Rome proclamait sans relâche qu'elle
n'était pas venue en conquérante et que ses légions étaient celles de la
délivrance, Rome incarnait inlassablement le premier Alexandre de la Justice
et du Droit que l'univers eût vu naître. Les cités grecques n'en revenaient
pas au spectacle d'un si grand prodige - l'allégresse des foules offrait le
spectacle d'un avènement de la grâce sous les bannières en liesse de la
paix et de la justice.
Las, la
moitié ou les deux tiers de ces bienheureux se sont jetés dans les bras de
leurs délivreurs, et les légions d'une démocratie semi-céleste ne pouvaient
faire la fine bouche au spectacle de l'empressement des moutons de Panurge
de l'époque. Savez-vous que les foules reconnaissantes changent seulement
de sauveur et de maître, tellement, sitôt victorieux, le glaive se change
en hostie d'un asservissement reconnaissant? Trois quarts de siècle après
la Libération, ils sont toujours là et ils ne lèveront le camp que si les
classes dirigeantes de la démocratie triomphante retournent sur les bancs
de l'école et y apprennent à lire les livres des évangélistes de l'histoire
avec des yeux d'anthropologues.
7 - La vassalisation des académies pseudo scientifiques
Cette
situation soulève une question institutionnelle, celle du statut cérébral
et politique des académies apeurées et devenues craintives, donc rendues
ennemies de leur propre vocation. Peuvent-elles jouer les Ponce Pilate
écussonnés dans les eaux tièdes des Démocraties décérébrées, alors que leur
vocation intellectuelle devrait leur interdire de choir parmi les têtes
grisonnantes?
En 1635,
Richelieu avait compris la nécessité politique d'honorer la phalange des
serviteurs les plus talentueux de la langue française et de les placer sous
l'égide d'un Etat "protecteur des Lettres et des arts". De
même, François 1er avait compris que les corps constitués ont des réflexes
d'Eglises en miniature et qu'elles rejettent d'instinct les individus qui
les offensent par leur refus de chanter dans le chœur. Il fallait que
l'Etat accordât un rang sommital aux "immortels" livrés à la
persécution des coupeurs de tête glorifiés par leur médiocrité et il
fallait que le génie conquît une prééminence visible.
Mais si le
Collège de France est demeuré fidèle à sa vocation originelle - il a donné
la parole à Valéry, à Bergson, à Foucault - l'Académie des sciences morales
et politiques, en revanche, est la seule institution prospective imaginée
par la Révolution française dont la vocation était de prendre acte d'une
mutation des gènes de la géopolitique classique: on ferait débarquer la
psychobiologie dans la science historique du seul fait qu'on confierait à
des majorités censées instruites par la seule onction de leur statut
collectif la tâche de prendre le relais de l'infaillibilité doctrinale
qu'exerçait le monopole des mythes religieux.
Nous voici
livrés à la postérité de cette aporie psycho-biologique. Comment introniser
le tribunal d'un suffrage universel réputé se trouver téléguidé par la
bienveillance de la nature si les verdicts de cette assemblée débranchée
des Olympe reposent sur une simple convention de forme - celle d'un
chiffrage rituel des voix dont la sagesse faisait dire à un Socrate amusé
que le hasard d'un décompte entre des aveugles sans doute miraculés par
l'agora était devenu l'Empyrée immanent au peuple athénien. Le formalisme
démocratique peut-il succéder sans autre forme de procès au liturgique
d'Homère à nos jours?
Mais qui
tire maintenant les ficelles du peuple-roi si le Zeus des chrétiens a été
mis sur la touche en 1789? L'Académie de 1795 se posait la question de
savoir si l'on peut fournir une boussole fiable à un animal largué dans le
vide de l'immensité et contraint de s'inventer un gouvernail imaginaire
parmi des aveugles. Cette espèce feignait d'avoir trouvé un Dieu tapi dans
l'étendue. Mais, d'un côté, la démocratie ne sait plus comment concevoir un
Jupiter auquel elle interdit d'avance et froidement de se mêler de tout, de
l'autre, l'Amérique se souvient de ce que, depuis les origines, tous les
dieux logés dans l'espace sont nés pour bavarder et se mêler de tout - sauf
à demeurer muets comme des carpes. Comment faire parler Zeus et comment le
faire taire si l'on tâtonne soi-même dans le cosmos?
Décidément,
ou bien on renonce à faire babiller un Olympe et l'on se collète tout seul
avec les responsabilités que cette montagne magique nous aura mises sur les
bras, ou bien on se heurte à la difficulté extrême que Platon a résumée à
peu près en ces termes: "De leur côté, les Célestes n'exercent aucun
pouvoir sur nos affaires, de l'autre, nous ne disposons d'aucun pouvoir sur
les dieux." Mais alors comment répartir les responsabilités entre eux
et nous?
8 - L'Europe de la trahison des clercs
Pour la
première fois depuis la Révolution de 1789, une crise mondiale de la pensée
politique se révèle parallèle à une crise non moins planétaire des
relations que la raison et la déraison des Etats entretiennent avec un
sacré qu'ils pilotent en secret. Mais, en 1789, les premiers pas de la
production mécanisée des biens de consommation avait amenuisé le prestige
et le rang des valeurs traditionnellement attachées au trône et à l'autel.
Qu'allait-il advenir à la bourgeoisie qui montait subitement sur le pont?
Son expérience de la politique était entièrement à forger. Trois siècles
plus tard, une bourgeoisie augmentée des élites issues des masses
scolarisée dès l'enfance ont enrichi ses rangs. Ont-elles acquis la
tournure d'esprit et les compétences de la classe dirigeante née de la
longue alliance des guerriers avec la monarchie de droit divin? Jamais un
roi de France n'aurait laissé un M. Barack Obama menacer d'envoyer "une
tonne de briques" sur la tête du Président de la République française
s'il se risquait à commercer avec l'Iran.
Mais un
citoyen romain qui revêtait la toge virile dans sa quinzième année aurait
immédiatement compris qu'un continent occupé par cinq cents garnisons et
forteresses en provenance d'un empire venu d'ailleurs ne connaîtra jamais
le souffle des peuples souverains. Dans le même temps, seule la
connaissance des origines semi animales de la vassalisation des peuples se
révèlera en mesure de doter les cerveaux des instruments d'une connaissance
rationnelle des secrets de la méta-zoologie simiohumaine, parce qu'entre
temps, la monarchie pieuse et guerrière a fait place à un mythe
théopolitique conceptualisé, celui d'une liberté messianisée et évangélisée
sur les fonts baptismaux d'une utopie dévotieuse.
C'est dire que
seul un institut de la recherche méta zoologique mondiale permettra
d'affronter d'un nouvel obscurantisme. On combattait une dogmatique ennemie
de la science expérimentale, on combattra une vaporisation des cerveaux
construite sur le même modèle schizoïde que celui de la dichotomie
cérébrale précédente. La sémiologie moderne - ou la séméiologie - se trouve
en germe chez Kantorowicz, qui n'observait pas encore le fonctionnement du
"double corps du roi" au sein des démocraties. Maintenant,
nous voyons le corps collectif et mythique des démocraties se brancher sur
le passé religieux du genre humain, tandis que le corps temporel n'a pas
encore articulé sa cervelle avec la philosophie de l'évolutionnisme, parce
que Max Weber a tiré de Kantorowicz une distinction artificielle et pseudo
rationaliste, celle d'une morale de la responsabilité et d'une morale de la
vérité. Ces concepts ne sont pas scientifiques.
Une
Académie de notables imprégnés de la culture moyenne d'un époque n'est pas
à la hauteur de la panne internationale qui frappe les sciences humaines
d'aujourd'hui et qui condamne la raison de notre temps à conquérir un
regard du dehors sur l'animalité spécifique des semi-évadés de la zoologie.
Seule une anthropologie scientifique qui changera de problématique et
d'échiquier cérébral deviendra la méta zoologie indispensable à la
séméiologie de demain.
La semaine
prochaine, j'approfondirai quelque peu la notion de trahison applicable aux
clercs; puis j'esquisserai une méthode d'apprentissage de la méta zoologie.
J'écrivais
le 25 juillet: "A partir de cette date, et compte-tenu qu'on ne
luttera efficacement contre le naufrage de la langue française que si le
Président de la République et le Premier Ministre se voient nommément mis
en cause, je relèverai quelques-unes de leurs fautes."
M. Valls
ignore qu'on part pour..., et non à...
M Hollande
ignore qu'on ne circule pas en vélo, mais à vélo.
Le 15 novembre 2014
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