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Etienne de la Boétie et
la servitude volontaire de l'Europe
La IIIe République
avait mis en place une science historique fondée sur le refus de penser, donc
de comprendre, ce qu'elle se racontait. Elle se contentait de narrer les
évènements sans seulement prendre la peine d'interpréter ce qu'elle racontait.
Mme de Romilly, professeur de grec au Collège de France, et spécialisée dans le
grec de Thucydide et de Platon, n'avait jamais entendu parler d'un certain
Frédéric Nietzsche et encore moins d'un empire de l'inconscient découvert par
un allumeur viennois - Sigmund Freud.
La laïcité ayant pris
acte de ce que l'humanité se trouve livrée au torrent des billevesées qu'elle
enfante, il suffisait que le saugrenu n'intéressât personne. On fondait la
raison de la IIIe République sur la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat
de 1905. On interprétait la civilisation athénienne à l'écoute d'une raison
scolarisée. A ce prix, on se proclamait impunément helléniste de haut vol à
enseigner l'ignorance au Collège de France.
On se fondait sur le
postulat selon lequel tout le monde savait ce qu'il est convenu d'appeler
l'Histoire. Peu importait que Jean-Pierre Vernant eût été un marxiste enflammé,
puisqu'il partageait avec Mme de Romilly la croyance que l'Histoire ne
présentait aucun mystère. Il n'y avait donc pas lieu de se demander au
préalable quel était le contenu psychique de la croyance des Grecs en
l'existence de Zeus, d'Hermès ou de Poséidon. Bien plus, Mme de Romilly
accusait les interrogateurs du genre humain de faire preuve de subjectivité,
tellement tout ce qui échappait à l'empire de la connaissance rationnelle mise
en place par la laïcité et par la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de
1905, se révélait étranger à la connaissance réelle de la civilisation grecque.
L'anthropologie
critique, en revanche, observe le genre humain comme une espèce animale
tellement singulière et tellement difficile à décrypter qu'il faut se demander
en premier lieu pourquoi l'homme s'imagine que l'univers serait dirigé par un
administrateur, un organisateur et un gestionnaire. Chaque année, comme du
temps d'Etienne de la Boétie, des centaines de milliers de pèlerins s'en
allaient lapider le diable, cet extraordinaire personnage censé jouer, à la
barbe de trois dieux uniques, le rôle d'un chef d'orchestre du Mal.
L'abîme qui sépare le
regard de l'anthropologie critique sur l'humanité de la cécité de la science
historique classique ne saurait se trouver comblé à peu de frais. Il y faut une
mutation de la notion même de raison, il y faut un globe oculaire capable de
porter un regard du dehors sur l'espèce de raison dont la science historique
classique faisait usage. Et cette mutation du regard de l'extérieur sur le
genre humain débouche sur le tragique.
C'est pourquoi la
postérité d'Etienne de la Boétie est encore devant nous. Car la servitude
volontaire de l'Europe sous le sceptre et le joug de l'OTAN nous démontre qu'il
faut s'interroger sur ce que la Boétie et Montaigne appelaient une
auto-domestication volontaire. Car la cécité moderne est largement
involontaire. Quand toute la politique occidentale ignore que l'OTAN n'est pas
un club de nations consciemment asservies à l'empire militaire américain, il
faut s'interroger sur le fondement religieux de ce type de servitude et tenter
de comprendre pourquoi une divinité censée omnisciente et omnipotente exprime
nécessairement le vœu secret d'un animal en quête d'un protecteur patelin.
Celui-ci masque sous de saints sacrifices à sa puissance, sa volonté de régner
sans partage sur sa créature.
L'Europe de la
servitude volontaire sait que la vraie servitude est involontaire et qu'elle
repose sur le vœu d'un animal devenu pseudo pensant de déléguer à un créateur
mythique de l'univers la responsabilité de sa solitude dans le vide et le
silence d'un cosmos désert. Tel est le tragique de la condition simio humaine,
celle qui fait de la vraie postérité d'Etienne de la Boétie un champ nouveau de
l'interrogation sur lui-même de l'animal pseudo réflexif.
De nos jours, la
servitude volontaire est celle d'une Europe qui, vingt-six ans après la chute
du mur de Berlin, entend éterniser la présence de cinq cents bases militaires
américaines sur son territoire. Cette forme de servitude volontaire devrait
nous laisser éberlués, ahuris, ébaubis, interloqués, estomaqués. Or, elle ne
nous surprend même pas, elle nous semble même toute naturelle et pour ainsi
dire, inscrite dans la nature des affaires de ce bas monde. Ce degré-là de la
servitude inconsciente demeure sans autre exemple dans l'histoire du genre
humain.
L'évidence qu'en cas de
réveil de la lucidité de l'Europe, cette cécité inconsciente sera jugée
tellement volontaire qu'elle conduira l'élite politique contemporaine à
comparaître devant une cour de justice pour cause de trahison des peuples et
des nations, ne traverse même pas l'esprit des futurs accusés, et les rares
élites politiques qui en ont conscience s'appliquent à perpétuer leur propre
servitude à seule fin de retarder l'heure de leur comparution devant une haute
cour de justice.
Aujourd'hui, c'est au
profit du sceptre et du joug de l'OTAN que la servitude volontaire illustre ses
exploits, ce qui permet à l'anthropologie critique de préciser davantage le
contenu psychobiologique de cette notion et d'approfondir la connaissance du
genre humain. Mais, pour cela, il convient de rappeler que l'homme est un
animal meurtrier et une bête de proie appelée à s'illustrer sur les champs de
bataille. La guerre est l'expression naturelle de cet animal. Mais, dans le
même temps, l'art de combattre sur les champs de bataille révèle que l'homme
est également un animal qui s'avance masqué - larvatus, dit Descartes.
Il convient donc
d'observer comment l'OTAN permet à la bête masquée par le culte même de ses
idéalités de se ruer dans la servitude et cela à l'écoute de son culte de la
Liberté. Car c'est au nom des droits de la Démocratie, donc de la Liberté, de
la Justice et du Droit que l'Europe de la servitude volontaire se ligote à
l'OTAN.
Mais pour que la
servitude volontaire puisse jouer pleinement son rôle, il faut que la volonté
de s'asservir soit inconsciente. A ce titre, elle escamote le spectacle qu'elle
s'offre à elle-même. Quand un Etat européen s'ajoute à la liste des vassaux de
l'OTAN, il s'empresse de souligner qu'il combat pour le triomphe de la Justice,
du Droit et de la Liberté, donc pour la défense de la Démocratie.
On ne saurait donc
comprendre la notion de servitude volontaire sans donner toute sa signification
à l'anthropologie critique, puisque la servitude de l'Europe nous fournit un
document anthropologique de première force. Chaque fois que le Pentagone
renforce son emprise et sa tutelle sur un continent fier de sa servitude même,
c'est la Démocratie qui est censée triompher. C'est donc le vassalisateur qui
est censé enseigner la Liberté aux Etats qu'il soumet à sa domination !
C'est pourquoi la
notion de servitude volontaire est devenue la clé de l'histoire contemporaine,
et c'est pourquoi la psychanalyse politique de la servitude écrit l'avenir du
célèbre essai d'Etienne de la Boétie.
Car l'heure est proche
où une classe dirigeante asservie à son propre aveuglement se verra contrainte
de cesser de se voiler la face. Elle donnera alors toute sa portée à la
postérité de la Boétie qui, près d'un demi-millénaire après sa mort, nous
rappelle que le génie est un prophète et qu'il enfante sans relâche sa propre
postérité.
Fin du I
Le 21 octobre 2016
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