L'anthropologie
scientifique, donc philosophique, se trouve à une croisée crucifiante de
son chemin. Le Président Vladimir Poutine en a pris date le 27 février
2018. C'est à ce titre, en réalité, qu'il s'est demandé dans quelles
conditions la bombe atomique serait utilisable par la Russie. Premièrement,
dit-il, dans le cas où la Russie serait la victime d'une attaque nucléaire,
secondement, dans le cas où une attaque avec des armes conventionnelles
mettrait son existence même en péril.
En vérité
la première de ces deux menaces ne ferait qu'illustrer le schéma actuel de
la dissuasion actuellement conforme à tous les schémas prévus par tous les
états-majors en droit international actuel. Si la bombe avait existé en
1940, la France du six juin aurait été mise dans ce type d'inexistence
juridique.
La seconde
hypothèse renvoie la réflexion à un fondement beaucoup plus originel, car,
dans ce cas, la question réellement posée en profondeur est de savoir si
l'homme est un animal guerrier au sens où le lion a des griffes et une
mâchoire, le rhinocéros une corne et l'éléphant des défenses d'ivoire. Les
éléphantologues viennent de découvrir avec une intense stupéfaction, qu'il
nait désormais des éléphants privés des défenses redoutables de leurs
ancêtres, comme si, dans la profondeur de ses mystères, la nature et la vie
avaient déjà pris leurs dispositions afin de faire face à cette situation.
Pour l'instant, les faits contredisent une telle hypothèse.
L'heure a
sonné pour la philosophie de se demander si l'homme appartient à une espèce
guerrière à titre psychobiologique ou seulement au gré des circonstances.
Car enfin, la bombe d'Hiroshima remonte à soixante-treize ans. Elle a paru
seulement aux yeux de quelques esprits d'avant-garde illustrer la fin de
toute guerre , du moins entre les continents et les civilisations. Puis ce
verdict a semblé confirmé par l'invention de la bombe thermonucléaire que
la France a mis plusieurs années à redécouvrir, parce que son déclencheur
était trop simple pour les élèves de nos grandes écoles : il suffisait de
lui donner une bombe d'Hiroshima miniaturisée pour déclic.
Tout le
monde admet que la bombe thermonucléaire ne fait reposer la guerre que sur
un seul ressort - la dissuasion - c'est-à-dire sur l'art d'éviter une
catastrophe mondiale sans remède. Car enfin l'arrière-plan mythique de
l'arme thermonucléaire fait entrer la terreur militaire dans son aura le
plus primitif, l'aura théologique d'une fin apocalyptique du monde.
Et
pourtant, le Général de Gaulle lui-même n'a cru que fort tardivement que la
guerre atomique était impossible - il croyait en l'imminence d'une guerre
de ce type entre les Etats-Unis et l'URSS. Puis il a cru que l'arme
française qualifiée de "tous azimuts" serait utilisable
solitairement et serait miraculeusement immunitaire au profit de la seule
France. Et que se passe-t-il sous nos yeux? Les Etats-Unis mettent en scène
sur tous les océans une armada impavide de douze porte-avions à propulsion
nucléaire dont la plupart à rayon d'action illimité et ils viennent
d'inscrire dans leur programmation la possibilité qu'ils revendiquent
désormais, d'utiliser l'arme atomique les premiers, donc en solitaires.
Or, tous
les stratèges de grande envergure d'aujourd'hui savent que porte-avions
sont des îles flottantes vulnérables à souhait, tous les vrais connaisseurs
de la guerre navale moderne savent que quelques centaines de missiles
lancés à partir des rivages et enfouis à des dizaines de mètres sous terre,
en auraient raison en quelques secondes. C'est à cette réalité nouvelle que
Vladimir Poutine a clairement fait allusion le 27 février.
Or le monde
entier fait semblant d'ignorer ce qui se trouve actuellement théorisé, donc
actualisé dans quelques cerveaux d'avant-garde. C'est donc bel et bien que
le besoin de croire en une volonté guerrière immanente à la
psychophysiologue du simianthrope est intouchable et d'origine quasiment
sacrée. C'est donc bel et bien que cette bête est née et mourra
belliqueuse, c'est donc bel et bien que ce bipède se croirait hors jeu et
définitivement émasculé s'il perdait sa passion d'anéantir son voisin et
lui-même en retour.
De même des
milliers de bombardiers lourds se font de leur cargaison de terreur un
glorieux holocauste potentiel, de même, sans encore oser l'avouer, toutes
les nations dites civilisées ont amplifié et perfectionné leurs armes
chimiques et biologiques. Mais elles se révèlent inégales dans l'art
d'affiner leur stockage et leur protocole d'utilisation; et tous les océans
du monde emplissent leurs vastes flancs de sous-marins branchés à leur tour
sur l'apocalypse atomique.
Que va-t-il
donc immanquablement arriver sur la planète des guerriers aveugles? J'ai
déjà raconté sur ce site comment en 1962, Raymond Aron , l'illustre auteur
de l'Introduction à la philosophie de l'histoire et
éditorialiste au Figaro, avait tenu à me rencontrer à la
suite d'un article sur la dissuasion nucléaire que j'avais publié dans la
revue Esprit à une époque où le premier ministre du
Général de Gaulle, M. Michel Debré, s'ingéniait à inspirer des
pseudo-stratèges de la guerre nucléaire française dans les colonnes de
la Revue de défense nationale: " Naturellement, me
dit l'illustre Pic de la Mirandole de la géopolitique de l'époque, à la
première attaque nucléaire russe, on capitule. " Et comme je luis
demandais pourquoi il n'osait pas l'écrire noir sur blanc dans un éditorial
du Figaro, sa seule réponse confirma ses vues: "Cela ne servirait à
rien".
Mais
aujourd'hui, il est clair que la seule connaissance humaine qui puisse se
qualifier de scientifique est philosophique, parce qu'elle se révèle une
anthropologie abyssale depuis Socrate et Platon. C'est elle qui, seule dans
le parc d'attraction du monde moderne qu'on appelle les sciences humaines,
aille plus loin dans le défrichage de l'inconscient de la bête onirique que
nos psychanalystes qui se révèlent bien incapables d'entrer dans le gouffre
de l'avenir riche en vertiges de Socrate.
Or, une
paralysie nouvelle du cerveau simiohumain se profile à l'horizon: nous
commençons de savoir qu'une guerre thermo-nucléaire n'est pas menable sur
un champ de bataille réel .
Nous commençons également de savoir qu'il sera
impossible de feindre longtemps de nous menacer de l'apocalypse les uns les
autres sur un astéroïde minuscule.
Nous commençons de savoir que l'ère des
rodomontades est nécessairement d'une durée limitée et que nos croiseurs
nucléaires voient l'opulence de leurs pavanes sur les ondes menacée d'un
prompt engloutissement ; car si le ridicule dure dans la minusculité qui le
cache à tous les regards, le ridicule porté au titanesque tombe dans le
grotesque et fait appel au grand rire des Rabelais et des Aristophane, des
Cervantès et des Shakespeare , des Swift et des Voltaire.
8 mars 2018
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire