1 -
Regardez la lune, non le doigt qui vous la montre
Depuis
1989, une seule évidence, mais aussi titanesque qu'aveuglante, écrase la
scène internationale - l'accession pourtant provisoire des Etats-Unis
d'Amérique au rang d'un empire militaire à vocation mondiale. Je ne
m'étonne en rien de ce que notre espèce se range massivement sous le
sceptre éphémère de la puissance dominante du moment et lui prête
allégeance sans seulement y penser, tellement l'attirance qu'exerce le lion
sur tous les autres animaux de la jungle paraît légitime aux yeux peuples
et des nations. Comme l'a écrit le fabuliste, "La raison du plus fort
est toujours la meilleure".
En
revanche, je m'étonne de ce que, dans les démocraties dites rationnelles,
des milliers de dirigeants élus au suffrage universel, donc censés informés
du chemin à faire suivre aux Etats et initiés à la conduite des affaires du
monde par une sagesse populaire pilotée en amont par la déesse Liberté, des
milliers de dirigeants, dis-je, voient des régiments d'intellectuels
chevronnés leur emboiter le pas. Tout le monde croit s'occuper de politique
dans la pleine acception de ce terme, alors que chacun jette un regard
distrait à la brousse dont l'étendue bouche l'horizon. Et pourtant, un
général qui soustrairait à sa vue le champ de bataille sur lequel on lui
demande de gagner la guerre se rendrait coupable d'abandon de poste et
serait fusillé pour haute trahison. C'est pourquoi Charles de Gaulle disait
à ses ministres qu'ils étaient l'œil du quartier général de la France et
qu'il positionnait ses sentinelles du sommital sur tels ou tels arpents.
2 - Un phare de la géopolitique
Pourquoi,
dans ces conditions, évoquer comme un phare de la géopolitique la dette
fantastique infligée à la BNP Paribas par une puissance étrangère et avec
la complicité du chef de l'Etat? Ne vaudrait-il pas mieux évoquer le drame
de Gaza, les sanctions économiques réputées frapper la Russie en plein
cœur, la contre offensive foudroyante du Kremlin, le drame de l'Ukraine, où
les Etats-Unis entendent s'implanter afin d'étendre leur empire de l'Océan
au Caucase? Mais le sort de ce soleil de la finance éclaire d'une lumière
éblouissante la descente accélérée aux enfers de la France et de l'Europe.
De plus,
nous n'en sommes qu'au deuxième ou au troisième acte de la tragédie en cinq
actes de la chute de l'Occident dans l'abîme: car la plus grande banque
française est devenue, de facto, une entreprise américaine. Son
service de sécurité financière se trouvera entièrement transféré aux
Etats-Unis. Cet Etat étranger installera des fonctionnaires du Ministère
américain de la Justice au cœur même de Paribas, dont ces administrateurs
contrôleront les activités. Ils auront accès à l'ensemble des opérations.
C'est précisément afin de préparer cette mainmise sur le système bancaire
de la France que Washington a obtenu le limogeage de tous les hauts
responsables de la banque censés coupables de montages financiers "frauduleux",
parce que conclus en dollars.
C'est dire
qu'il sera demandé aux historiens de demain de résoudre une énigme
indéchiffrable en apparence: car ils auront beau se visser la loupe à l'œil
et scruter les virgules des archives, jamais ils ne s'expliqueront à ce
compte que M. Hollande, qui avait enfin - à l'occasion de la commémoration
solennelle du soixante dixième anniversaire du débarquement du 6 juin 1944
sur les plages de Normandie - que M. Hollande, dis-je, ait su donner à la
Russie la place qui lui revenait de longue date dans l'histoire du monde,
pour tourner subitement le dos à Moscou et capituler en rase campagne par
crainte des représailles de Washington.
Mais le
défi le plus énigmatique, pour la science historique de demain, est celui
que Mme Merkel avait lancé à Washington. Ne menaçait-elle pas de rompre les
négociations sur le traité de libre échange chargé de la déglutition de
l'Europe par l'économie d'outre-Atlantique? Quant à M. Renzi n'avait-il pas
avancé flamberge au vent? Ne se promettait-il pas d'armer la Commission de
Bruxelles d'une charpente politique? Or, tout ce petit monde a soudainement
tourné casaque sur tous les fronts et déclaré une guerre industrielle
totale à la Russie. Pour expliquer une volte-face aussi ahurissante, à quel
discours de boxeur Washington a-t-il recouru et quelles menaces militaires
et économiques a-t-il brandies sur le ring? Si vous observez ce spectacle
par le trou de serrure de Paribas, je vous assure que vous ne quitterez pas
d'une semelle le quartier général des opérations. Petites causes, grands
effets - mais, attention, ne cessez pas un instant d'observer le paysage à
la jumelle.
4 - Repentance et pénitence
Observons
au télescope le monopole cérébral qu'exerce la denture du roi de la jungle
sur les gambades des autres animaux. Dans une lettre de pénitence fort
piteuse et adressée nommément à tous ses clients ébahis, mais rendus
craintifs par leur crédulité, le directeur des relations humaines de
Paribas, en pilote agrippé au gouvernail d'un géant de la finance mondiale,
a dû confesser à la terre entière la gravité du péché qui a incommodé les
narines de la justice démocratique mondiale. Quel forfait, assurément, que
d'avoir osé "contourner" la loi! M. Bonaffé, a écrit aux
plus microscopiques de ses clients: "La BNP a reconnu sa
responsabilité et devra s'acquitter d'une pénalité de 8,97milliards de
dollars".
Jamais
encore l'humanité n'avait pu observer simultanément et sur les planches de
la planète entière une capitulation aussi théâtrale de tous les
gouvernements et de tous les appareils de la justice des Etats qualifiés de
souverains devant la force musculaire ostensiblement affichée du lion
américain! Quelle vaste scène que celle du fauve à crinière lâché dans la
brousse de la Démocratie mondiale! Depuis la nuit des temps, l'histoire
proclame que le lion rugit à pleins poumons les volontés carnassières de
ses mâchoires; et toutes les bêtes soumises aux crocs de cet ange de la
Liberté rampent sur le sol purifié par sa loi et par la flamme de sa
justice. Il aura suffi à la Maison Blanche de planter ses ongles sur trois
Etats censés souverains - le Soudan, Cuba et l'Iran - mais placés sous les
pattes d'une législation américaine dont la vocation pénale se veut
universelle pour que toutes les nations de la mappemonde se prosternent
devant son pelage. Qu'est-ce qui précipite le globe terrestre la face
contre terre et le front dans la poussière devant le sceptre de la justice
sans appel du lion?
5 - Panorama de la vassalité
Observez
avec attention le lien que la piété démocratique du simianthrope tisse, primo,
entre la responsabilité vertueuse et la culpabilité des paquebots de la
finance, secundo, fixez ensuite votre regard sur la courroie de
transmission entre la désobéissance des monstres bancaires et le prix qu'il
leur faut payer pour le sauvetage de leur coque, remarquez, tertio,
la chaîne qui rattache le châtiment infligé aux Titans marins au tirant
d'eau de leur carène. Seuls le poids et le degré de remplissage du coffre
du roi des Océans permet aux serviteurs du lion d'extorquer aux hérétiques
le fabuleux montant de l'amende qui leur sera facturée, seuls les
trésoriers avides du roi des Océans tiennent la balance de la justice
universelle entre leurs mains. C'est dans un style para-confessionnel,
apostolique et copié sur celui des châtiments éternels dont l'Eglise du
Moyen-âge brandissait le sceptre que l'accusé rédige l'aveu public de sa culpabilité:
"Les opérations en cause", plaide le coupable, "auraient
été licites au yeux de la règlementation française et européenne, mais
elles ont été conclues en dollars et se trouvent donc sanctionnées par les
autorités des Etats-Unis."
Autrement
dit, le fauve de la Justice du monde a donné de la voix dans la brousse du
temporel et ses rugissements ont anéanti en un instant et dans tout
l'univers non seulement la légitimité des droits nationaux autrefois
validés jusque dans la jungle de la finance mondiale, mais également la
législation entière d'un continent européen tétanisé par le roi des
carnassiers à crinière.
6 - Le vassal de la démocratie mondiale
Ecoutez la
voix de votre juge, écoutez-la dans l'humilité et dans l'obéissance,
prêtez, malandrins que vous êtes, une oreille attentive aux verdicts du
tribunal de la démocratie mondiale: vous êtes coupables de "défaillances
inadmissibles". Vous avez "contourné" par la
ruse, donc violé en cachette les oracles jaillis tout saignants des griffes
de votre monarque, à savoir les "règles américaines".
Du coup,
Paribas exprime sur la place publique et par la voix de l'un de ses
capitaines, non seulement la repentance de la banque vaincue par ses
propres dévotions à l'égard d'une fourrure, mais également les "promesses
de son baptême", comme disait Jean-Paul II, et ses convictions
doctrinales demeurent intactes, dit-elle - l'épreuve a raffermi sa foi et
rendu sa fidélité plus inébranlables que jamais. L'établissement a si bien
retenu la leçon du catéchète du monde qu'il deviendra un justiciable
exemplaire et soumis pour toujours à la juridiction suprême de Washington.
Non, dit M. Bonaffé, la banque ne saurait retomber dans le Mal, puisqu'elle
jure, la main sur le cœur, qu'on ne saurait la soupçonner d'une tentation
de rechuter dans la désobéissance. Les aveux de l'atlantiste assermenté se
métamorphosent en validation des "valeurs", donc des
dévotions inscrites dans le bréviaire des fidèles: "Nous avons
pris la décision que ces problèmes ne se reproduiraient plus."
Notre Père américain qui êtes au ciel, pardonne-nous nos offenses...
7 - La balance à peser la condition humaine
Comment la
justice souveraine du lion et la piété penaude des adeptes d'un droit
international censé exprimer la conversion définitive du monde à la
pénitence démocratique feront-elles bon ménage? L'Europe vivra-t-elle jour
après jour sous la férule d'un confesseur universel du Beau, du Bien et du
Juste? Jamais les foudres et les fulminations du ciel du Moyen-Age
n'avaient égalé l'omnipotence des confesseurs de l'Eglise de la Liberté.
Litanies et
complaintes, montez du troupeau des ignorants. "Que vous soyez
commerçant, artisan, profession libérale, entrepreneur ou dirigeant
d'entreprise, vous n'avez rien à craindre à titre personnel." Mais
que les sujets du monarque de la brousse se trouvent à l'abri de ses
mâchoires, est-ce une nouvelle tellement rassurante, si de leur côté, les
Etats autrefois souverains du Vieux Monde se sont, eux aussi, mis un sac de
cendres sur la tête? Et puis, un étranger armé jusqu'aux dents peut-il
terrifier toutes les nations de la terre sans que la multitude des citoyens
ne soient concernés par la lâcheté de leur patrie? Si votre maigre
escarcelle se sera mise à l'abri du pillard, vendrez-vous les droits de
votre conscience nationale pour une soupe aux lentilles?
Certes, M.
Bonaffé est un navigateur non seulement dûment autorisé, mais rudement prié
par l'Elysée et par le Quai d'Orsay de transmettre aux Français les
directives d'une puissance étrangère. Mais si ce capitaine au long cours
est légitimé à servir d'intermédiaire aux vassalisateurs de la France, qui
l'absoudra d'anéantir, en retour, la souveraineté et l'indépendance de son
pays ? Les lois nationales ne sauraient se proclamer équitables si elles
sont condamnées à se soumettre pieds et poings liés aux verdicts d'une
législation assujettie aux intérêts d'une puissance ennemie.
Les
directeurs chevronnés des plus grandes banques du pays sont-ils devenus de
simples majordomes du roi de la jungle? L'Elysée et le Quai d'Orsay
sont-ils les maîtres de maison d'une valetaille à laquelle ils donneraient
l'ordre de garnir la table du roi des animaux? Quaestio disputata,
disait-on dans les amphithéâtres où les théologiens d'autrefois
délimitaient, au nom de leurs bénitiers, l'étendue et les limites des
droits sur leur tête qu'ils accordaient pieusement à leur Créateur? Mais si
les Sorbonne d'autrefois dressaient des clôtures infranchissables entre les
territoires respectifs du ciel et ceux de la terre, les ostensoirs
d'aujourd'hui ne règnent-ils plus que sur les ciboires de la démocratie?
8 - De la souveraineté des Etats
La
capitulation de centaines de milliers de petits déposants de leurs
économies dans les coffres de la plus puissante banque du pays ne tombera
pas sans bruit dans le gousset d'une histoire de la vassalisation
financière de la France et de la civilisation européenne sous le sceptre du
dollar. Rappelons quelques difficultés de trésorerie qui feront, d'un fait
divers, un déclencheur géant de la fatalité; et observons le travail de
sape qui a porté l'assujettissement de l'Europe de l'anecdote à la
tragédie.
Pour
agrémenter de dentelles précieuses et de broderies dorées une servilité
parée des frou-frou de la Liberté, la première difficulté pratique que présentera
le nettoyage de ces salissures sera d'observer comment un gouvernement de
couturières des haillons de la République aura contraint une partie
considérable de sa clientèle à soumettre à la surveillance et au contrôle
d'une puissance étrangère la gestion de sa garde-robe en lambeaux; car un
gouvernement livré à ce type d'économies vestimentaires ne saurait se
prétendre au service d'un Etat, tant aux yeux d'un droit international
sourcilleux au chapitre de la définition de la souveraineté des Etats que
des règles constitutionnelles qui régissent les institutions réputées
démocratiques.
Comment
sauver la crédibilité juridique de l'alliance traditionnelle, au sein de
tous les Etats reconnus, de l'autorité des lois établies avec le culte de
l'autarcie de leur appareil de la justice? On sait que la crédibilité des
tribunaux est nécessairement connaturelle à celle des gouvernements légaux
et qu'elle se trouve imposée à la confiance des peuples qualifiés de
libres. C'est dire que si la fiabilité judiciaire se place nécessairement
au fondement de l'autorité législative, donc au cœur de tous les pays
proclamés républicains, c'est que l'indépendance des nations modernes
repose sur un suffrage universel censé le garant de la raison publique.
C'est dire également que le peuple se trouve humilié par le spectacle de
l'abaissement partagé de sa propre voix et de celle de ses élus sur la
scène internationale.
Seconde
difficulté constitutionnelle et d'exécution: comment un Etat condamné au
grand jour à placer son escarcelle sous le joug des décisions de justice
d'un autre Etat disposerait-il encore des apanages et des prérogatives dont
se réclament les nations qualifiées de souveraines par la voix généreuse ou
récalcitrante du jus gentium? Comment cette aporie ne se révèlerait-elle
pas étroitement connaturelle à la première - mais à cette nuance près que,
cette fois-ci, il s'agit du rang d'un Etat aux yeux de ses pairs?
On l'a
compris à l'occasion des difficultés internes que la livraison des Mistral
à la Russie n'a pas manqué de rencontrer: depuis quand un Etat souverain se
permet-il de "faire pression" sur un voisin du même
calibre que lui aux fins qu'il cesse d'entretenir telles ou telles
relations militaro-industrielles sur la scène internationale avec un
troisième acteur du monde? Que Washington s'y autorise répond à la logique
interne qui sert de moteur à l'expansion calculée des empires; mais que
l'Angleterre et l'Allemagne aient pu se joindre un instant à cette curée
verbale en dit long sur l'affaiblissement durable de la souveraineté de la
France sur la scène internationale.
Mais
comment un Etat dont le système bancaire se met à la merci des rapaces d'un
autre Etat serait-il respecté? On voit que le scénario a déjà déplacé son
récit: l'Allemagne et l'Angleterre ne sont plus souveraines au sens plénier
du terme, et c'est précisément en tant qu'elles sont devenues infirmes et
boiteuses à leur tour qu'elles ont tenté de frapper un éclopé à terre. La
simianthropologie révèle que les naufragés de l'histoire ne courent pas au
secours des survivants un peu moins mal lotis qu'eux-mêmes, mais qu'ils
aident leur maître à les noyer à leurs côtés, parce qu'un désastre paraît
moins calamiteux s'il se trouve partagé et ne fait du moins pas de jaloux.
C'est pourquoi, dans les décadences, les esclaves tombent à bras raccourcis
les uns sur les autres et enfoncent sous les eaux les nageurs trop lents à
suffoquer.
Un
anthropologue qui, un siècle et demi après Darwin, ne porte pas encore un
regard de l'extérieur sur les évadés de la zoologie souffre d'une panne
cérébrale préoccupante. Comment se fait-il que l'Allemagne et l'Angleterre
se soient hâtées d'emboiter le pas au défaitisme d'une France devenue
reptative ? Comment se fait-il que, le 24 juillet, le Monde
titrât encore: "Le chef d'Etat tient à livrer ce navire de guerre à
Moscou. Mais depuis la crise ukrainienne, ses partenaires occidentaux le
pressent de renoncer à ce contrat négocié par Sarkozy."
Ce
spectacle contraint l'anthropologie critique à explorer l'inconscient
politique de la bête gisante à terre ou encore sur ses deux jambes. Dans
les deux positions, on affecte de s'imaginer que la question demeurerait
gentiment négociable, alors qu'il s'agit d'escamoter l'impossibilité
politique, pour un Etat souverain, de capituler sous la pression des mimes
de sa propre servitude. Mais que la vassalité d'un Etat puisse aller
jusqu'à envisager au grand jour et dans la honte d'une rivalité entre des
serfs de ne pas honorer des contrats solennellement conclus avec un autre
Etat -et cela pour des raisons censées ressortir au seul marché du travail
- voilà qui soulève la question vitale d'une souveraineté nationale d'ores
et déjà interdite de parole. Comment le comprendre en aval, si vous ne
disposez d'aucun regard situé en amont?
10 - Les valets de l'histoire
Une nation
battue à plate couture sur le champ de bataille et qui voit les troupes de
l'ennemi victorieux quadriller son territoire soulève du moins la
compassion de ses pairs, parce que le "champ d'honneur",
comme on dit, demeure ouvert à la loyauté des combattants, et cela d'autant
plus, hélas, que la divinité de l'endroit - toujours proclamée unique - se
voit néanmoins appelée à bénir les deux armées et à illustrer leurs
exploits dans un camp comme dans l'autre. Aussi demeure-t-il digne d'une
nation monothéiste - donc fière de l'universalité d'une justice copiée sur
celle du ciel - de se faire reconnaître avec le plus grand éclat sur le
théâtre de sa théologie des sacrifices à la patrie. Mais comment un pays en
délicatesse avec les trois dieux uniques et tétanisé par la lâcheté du
consentement des démocraties actuelles à l'amputation de leur indépendance
judiciaire, comment un tel pays, dis-je, pourrait-il éloigner de ses lèvres
le poison qui, depuis trois quarts de siècle, vassalise une classe
dirigeante européenne en déroute?
A l'origine
des naufrages de l'été, ne faut-il pas placer la question des guichets de
Paribas? Car, d'un côté, les élites politiques de la France se placeront
sans cesse davantage sous le harnais de leur infirmité et
s'auto-assujetiront de plus en plus sous la bride de leur suzerain d'outre
Atlantique, tandis que, de l'autre, elles porteront avec une ostentation
accrue la perruque frisée d'une démocratie réelle. Mais un estropié ne
saurait se faire applaudir longtemps sur les planches.
Du coup, il
affectera de cacher son infirmité aux yeux du public; et il se donnera une
allure plus impérieuse encore dans l'arène du droit international, comme on
l'a vu en Irak où une France mise à terre tente de jouer les supplétifs
avec autant de ridicule qu'en Syrie. Mais un Etat condamné à se présenter
sous le double accoutrement d'un avocat de sa propre servitude et d'un
défenseur de sa souveraineté à la barre du tribunal dont j'évoquerai plus
loin les verdicts, un tel Etat présente non seulement des plaies béantes
sur la scène des nations, mais des vêtements troués et déchirés.
11 - Les Etats à double casquette et les âmes de comptoir
Observez
les tenanciers en loques des Etats à double casquette et dont l'étranger
achète en sous-main des lambeaux : jamais des juges intègres et habilités à
trancher de la vaillance des nations ne les absoudront, parce que leur
capitulation est à mettre au compte de la couardise des âmes de comptoir.
Pourquoi les défaites de valets ne soulèvent-elles jamais la pitié, sinon
parce que seuls les échecs de la droiture d'esprit trouvent grâce aux yeux
du tribunal de la postérité? Malheur aux vaincus qui se seront déshonorés
pour avoir placé leur encéphale sous le joug des verdicts de leur
vainqueur!
Mais,
encore une fois, comment expliquer que la simplicité d'esprit des Européens
aille jusqu'à leur faire croire que les bases militaires américaines
présentes sur leur territoire seraient casquées pour les beaux yeux de la
déesse Liberté, comment expliquer que l'empire américain parvienne, l'arme
au pied, à élever l'Ukraine au rang de pôle d'une expansion militaire
réputée mondiale du Kremlin, comment expliquer qu'une amende de neuf
milliards d'euros convainque les vassaux au grand cœur qu'il est juste de
piller leur caisse, sinon parce que la cervelle des évadés de la zoologie
s'est enfumée des vapeurs du Bien et du Mal?
Et
pourtant, une France coupable de vassalité parathéologique sous les dehors
de sa pleutrerie monétaire n'est pas le radeau de la Méduse dont les
civilistes disent que les naufragés bénéficient du statut d'un "état
de nécessité" - lequel va jusqu'à les délivrer de la condamnation
pénale pour cause d'anthropophagie. Mais l'"état de nécessité"
d'une France atteinte seulement de cécité atlantiste ne sauvera pas
l'honneur de la nation au prix de quelques milliards jetés dans la bourse
de son maître.
Un Etat qui
aura rendu les armes au profit d'un pilleur de son gousset, un Etat vissé à
l'établi de ses piétés pseudo-démocratiques, un Etat qui aura condamné
toute sa population à proclamer vertueux un créancier sans scrupules, un
Etat qui versera sans vergogne et l'échine basse une somme colossale à un
justicier enrubanné des dévotions du profitable, un Etat qui aura accepté,
les mains jointes, qu'un procureur étranger joue les moralisateurs
internationaux au profit de sa propre cassette, un Etat qui aura joué
docilement le rôle d'accusé sans seulement avoir récusé son juge à haute et
intelligible voix, un Etat aux caves vidées de leur or et qui, à
l'audience, aura quémandé la grâce d'un tribunal irrégulier, un tel Etat se
montre moins validable sur les planches du ridicule que celui de Vichy sur
les planches de la défaite militaire.
Pis que
cela: au même instant et pour la première fois, on aura entendu le chef
d'un gouvernement européen enchaîné à son vainqueur depuis 1945, celui
d'une Italie peuplée de plus de soixante millions d'habitants, mais
quadrillée par cent quarante places fortes américaines incrustés à
perpétuité sur son territoire, on aura entendu, dis-je, une Italie menottée
à jamais dans le prétoire appeler le Vieux Monde à "retrouver son
âme". Où était-elle donc passée? Une civilisation coiffée des
auréoles de la démocratie peut-elle égarer non seulement sa bourse, mais
jusqu'à son âme en chemin? Qu'adviendra-t-il des Européens à la recherche
de leur âme s'ils l'ont perdue à force de brandir, de Hambourg à la Sicile,
le drapeau d'une Liberté dont leur vainqueur tiendra éternellement la hampe
à leur place?
13 - De la hauteur d'esprit des Etats souverains
Ecoutons en
premier lieu le jeune chef de gouvernement qui nous rappelait, au début de
l'été, que l'âme d'une civilisation est mortelle et qu'elle peut rouler
dans l'ornière; puis observons les plateaux de la balance à peser l'idée
supérieure que les Etats se font d'une justice dont le fléau indiquerait le
poids de l'intelligence, de la raison et de l'éthique d'une nation
redressée. Quelle fragilité que celle de la balance qui enregistre les
messages et quelquefois les prophéties de la vraie justice de l'humanité!
Une France
qui condamne ses vigies à poser sur les plateaux de Thémis la seule
question décisive, celle de l'âme de leur pays, une France des sentinelles
et qui aura osé dire un instant, aux côtés de M. Renzi, que l'humanité
éveillée se reconnaît à l'esprit de justice qui lui donne son élan et son
souffle, une France qui aura crié par la voix d'un Romain que l'Europe a
perdu son âme, une France de la raison et de la logique qui attisent le feu
de la pensée mondiale depuis deux millénaires, une telle France peut-elle
reconnaître son effigie d'autrefois dans le miroir d'un Etat sali et avili
sur la scène internationale et qui aura perdu l'âme dans laquelle l'esprit
de justice trouvait son assiette?
Pour tenter
de le comprendre, je me demanderai, la semaine prochaine, quelles sont les
relations que les civilisations supérieures entretiennent avec leur âme et
comment il se fait que leur génie propre s'exprime toujours et
nécessairement par la voix de leur justice.
L J'écrivais
le 25 juillet .
A partir de
cette date, et compte-tenu qu'on ne luttera efficacement contre le naufrage
de la langue française que si le Président de la République et le Premier
Ministre se voient directement mis en cause, je relèverai quelques-unes de
leurs fautes.
M. Manuel
Valls 1 confond aussi et ainsi. Aussi demande
l'inversion, ainsi l'exclut. On dit: Ainsi nous sommes
satisfaits.
2 - M.
Hollande ignore que le verbe impulser n'est pas français.
Le 23 août
2014
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