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05 décembre 2008

Liberté d'expression et flou juridique


Avertissement : Le site LEMONDE.FR invitant à partager ses articles, je crois pouvoir reproduire ci-dessous l’excellente analyse de Luc Vinogradoff sur le flou juridique qui recouvre les commentaires des internautes, flou juridique qui ouvre, selon moi, la porte grande ouverte à tous les abus aussi bien par la voie judiciaire qu’au couperet sans appel de la censure du Prince.

La liberté d’expression tant de la presse et des médias que celles des citoyens est de plus en plus contrôlée arbitrairement, remise en cause et menacée dans notre pays et c’est notre devoir de citoyen que de protester contre ce bâillonnement abusif de la liberté d’expression, notamment quand elle consiste à informer sur des faits réels et incontestables.

Si j’ai outrepassé mes droits en reproduisant son article sur mon blog, je demande au MONDE.FR de bien vouloir m’inviter à supprimer cette reproduction, et je ne manquerai pas aussitôt d’obtempérer à sa demande.

Reproduction intégrale :

Les commentaires d'internautes dans le flou juridique

LEMONDE.FR | 03.12.08 | 16h24 • Mis à jour le 04.12.08 | 14h35


Ce qu'il convient désormais d'appeller "l'affaire de Filippis" a provoqué une levée de bouclier autant chez les journalistes que dans la sphère politique. L'interpellation et la mise en examen de Vittorio de Filippis, PDG de Libération entre juin et décembre 2006, est le résultat d'une plainte en diffamation déposée par le fondateur de Free, Xavier Niel. Pendant cette période, le quotidien consacre six articles aux démêlés judiciaires de M. Niel, reconnu coupable de recel d'abus de biens sociaux. Ce dernier porte alors plainte, non pas contre une information parue dans l'un de ces articles, mais contre un commentaire d'internaute publié sous l'un d'entre-eux. La suite est connue : la procédure pour diffamation suit son cours dans l'indifférence générale jusqu'à l'interpellation musclée et la mise en examen du journaliste, considéré comme responsable car également directeur de la publication. Depuis la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, il existe en effet le principe d'une présomption de responsabilité pénale du directeur de la publication.

Selon la loi pour la confiance sur l'économie numérique (LCEN), en vigueur depuis 2004, il existe trois acteurs sur le Web : les fournisseurs d'accès à Internet, qui donnent l'accès et ne sont pas responsables du contenu des sites ; les hébergeurs, qui assurent la mise à disposition d'informations au public mais ne sont pas soumis à l'obligation de surveillance ; et enfin les éditeurs, professionnels ou non, qui sont considérés comme responsables du contenu. Or, relève Me Eric Barbry, avocat spécialisé dans le droit sur Internet, "ce sont des définitions simples mais totalement dépassées qui ont été trouvées il y a presque dix ans". "Un environnement Web 2.0, où on laisse la possibilité aux internautes de s'exprimer, est apparu depuis, explique-t-il. On découvre un quatrième acteur, les personnes qui commentent les articles ou les blogs, et on ne sait pas où les mettre. Les réactions et les commentaires de tiers restent une zone juridique floue", explique l'avocat. Dans le cas de Libération, M. de Filippis est poursuivi en tant qu'éditeur du site du quotidien. Pourtant, aucune loi ne dit explicitement que le directeur de la publication peut être considéré comme éditeur sur Internet. Cela reste à l'appréciation des magistrats qui interprètent seuls la législation. "On peut aussi considérer que l'internaute qui a écrit le commentaire est éditeur, ce qui ferait de Libération dans ce cas précis un hébergeur. Un hébergeur n'est responsable des contenus hébergés que s'il refuse des les enlever", note Me Barbry.

Le journal a pourtant bien retiré le commentaire incriminé dès qu'il en a appris l'existence. David Corchia, responsable de la société qui s'occupe de la modération sur Libération.fr, affirme que le texte litigieux a été mis en ligne "le 22 octobre 2006, de 22 h 30 jusqu'à 9 h 15 le lendemain, lorsqu'il a été signalé aux responsables du site et retiré". M. Corchia explique ce retard par le fait que l'équipe de modérateurs travaillait de 9 heures à 22 heures. Quant à l'apparition même de ce message, elle résulte du fait qu'en 2006, sur Libération.fr, les commentaires étaient modérés après publication. Depuis, le site est passé au système de modération en amont.

"A UN MOMENT, LE LÉGISLATEUR DEVRA TRANCHER"

L'apparition du Web communautaire a donc brouillé les pistes, rendant plus difficile la différenciation entre le statut d'hébergeur et celui d'éditeur. Cela est dû, selon plusieurs juristes, au retard de la législation dans ce secteur en France. La LCEN, et la définition des acteurs qui existent en ligne, découle directement d'une directive européenne adoptée en 2000, que certains jugent obsolète puisqu'antérieure à l'avènement des blogs et des sites participatifs. Bruxelles refuse pour l'instant de bouger et laisse très peu de marge de manœuvre aux pays, qui doivent donc trancher au cas par cas sans pouvoir se baser sur des législations solides.

Ainsi, des jugements sur des affaires presque similaires peuvent varier d'un cas à l'autre, comme dans le cas du litige qui oppose le site participatif Fuzz.fr à l'acteur Olivier Martinez. La condamnation en première instance du site, accusé d'atteinte à la vie privée pour avoir publié un lien fait par un internaute renvoyant vers un blog, a été annulée il y a quelques jours par la cour d'appel de Paris. Le statut juridique de Fuzz.fr est passé de celui d'éditeur, et donc responsable du contenu fabriqué par les internautes, à celui de simple hébergeur.

Compte tenu de sa médiatisation, la plainte de Xavier Niel contre Vittorio de Filippis et Libération, si elle aboutit, pourrait encore créer une nouvelle jurisprudence. "Si on considère que tous ceux qui permettent à des internautes de poster des commentaires sont éditeurs, il vaut mieux fermer tout de suite les zones de commentaires", estime Me Barbry. Ce dernier souligne la nécessité de créer le plus vite possible un statut juridique pour les internautes qui postent des commentaires. "A un moment, le législateur devra trancher, assure-t-il. Soit celui qui ouvre un espace de communication est responsable de tout ce qui s'y dit, soit il n'est responsable que de ce qu'il écrit et n'est que l'hébergeur du contenu des autres."

Luc Vinogradoff


Les réformes paradoxales de la diffamation

La mise en examen de Vittorio de Filippis intervient également dans un contexte politique où la diffamation pourrait être dépénalisée. C'est tout du moins le souhait du président Nicolas Sarkozy, qui a publiquement appelé, lundi 1er décembre, a appliquer le plus rapidement possible les propositions de la commission Guichard. Celle-ci prône une réforme du code pénal qui verrait la dépénalisation de la diffamation "à l'exception de celles présentant un caractère discriminant (raciste, sexiste)". Mais paradoxalement, les parlementaires travaillent en même temps sur un texte visant à durcir le régime de la diffamation, l'injure et la provocation sur Internet. Alors que dans un média écrit, on ne peut plus être poursuivi pour ces motifs trois mois après publication, ce projet de loi prévoit de rallonger le délai à un an pour toute publication en ligne qui ne soit pas une reproduction d'un media papier ou audiovisuel. Approuvé au Sénat, ce texte doit maintenant être examiné à l'Assemblée.


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