Nouveau sur le site de :
L'Europe, un asile d'aliénés
La modernité de L'Eloge de la folie d'Erasme
Quel
spectacle à donner le vertige aux historiens, aux psychologues, aux
politologues, aux chroniqueurs, aux anthropologues, aux mémorialistes, aux
sociologues, aux psychanalystes, quel spectacle, dis-je, pour ces usagers de
leur cervelle que celui de la chute subite de Paris, de Berlin, de Londres, de
Rome, de Madrid dans l'abîme d'une démence inconnue des Tacite, des Thucydide
et des Tite-Live! Si Erasme revenait nous aider de ses sarcasmes, il nous
raconterait les exploits d'un César de la démocratie mondiale qui
contraindrait, en pleine paix et au seul profit de son propre sceptre,
vingt-huit Etats européens à déclarer une guerre économique sans merci à la
Russie. Puis, l'auteur de L'Eloge de la folie nous narrerait d'une plume alerte
l'indignation des va-t-en guerre quand, ô surprise, l'ex-empire des tsars eut
l'effronterie, à laquelle personne ne s'attendait, de rendre la pareille à ses
agresseurs.
Mais,
depuis que l'Europe s'est soudainement réfugiée dans l'asile d'aliénés qu'elle
est devenue à elle-même, Moscou a le toupet de s'interroger sur la singularité
de la sclérose neuronale qui a frappé de plein fouet une civilisation née des
Archimède et des Euclide, des Copernic et des Newton, des Sophocle et des
Cervantès.
Erasme n'était pas un aliéniste
rompu à la radiographie philologique de la démence dont souffre l'humanité,
sinon il aurait observé avec stupéfaction qu'il existe une folie intellectuelle
d'origine psychogénétique et des folies collatérales. Les Esculapes de ces
dernières les qualifient de dérivées, d'annexes ou de bénignes. Les folies
enracinées sont codifiées, officialisées, règlementées, légalisées,
internationalisées, statufiées, dogmatisées, théologisées, rigidifiées et
armées d'instruments de coercition terrifiants, dont les tortures éternelles
sous la terre. Puis, dans la périphérie des délires mineurs, on voit paraître
des dérangements cérébraux localisés et imposés aux neurones malades de la bête
par les pactes de fer que toutes les Eglises scellent avec les Etats dévots.
Seuls
des dérèglements marginaux d'Adam sont tenus pour rigolos parce qu'ils
demeurent minoritaires, subsidiaires et fantaisistes, de sorte que leur
nocivité est censée échapper à la pathologie native de la créature. C'est à
prix d'or que le clergé roumain d'aujourd'hui vend encore aux fidèles des
meubles et des tapis à usage posthume. Mais il s'agit d'une survivance déjà
étiquetée par Erasme: les marchands d'immortalité, rappelle-t-il,
s'enrichissent depuis des siècles d'un commerce florissant avec les trépassés:
"Ces docteurs de rien s'enrichissent de si belles choses sur l'enfer ! Ils
connaissent les appartements divers du feu éternel, sa nature singulière, ses
multiples et les emplois distincts des mauvais esprits." (L'Eloge de la
folie, trad. Diéguez)
Erasme
avait élevé la folie au rang d'un personnage historique. Mais il a fallu
attendre Shakespeare, Swift et Cervantès pour en faire le principal acteur du
monde. Shakespeare lui a donné les traits du roi Lear, Swift observe à la loupe
la minusculité de l'encéphale des Lilliputiens, Cervantès démontre l'avortement
du germe de sagesse des chrétiens, dont les saints ont revêtu d'une majuscule
la Folie capable d'observer la folie des animalcules - car il faut monter sur
une hauteur pour observer les microbes de leur foi.
Le XXIe
siècle illustre un tournant dans l'histoire mondiale de la folie. Mais, cette
fois-ci, c'est au tour du mythe de la Liberté de professer un catéchisme
planétaire qui permet à Lucifer de faire tomber dans la sotériologie politique
une Europe en panne d'un Traité de la démence de l'humanité.
Mais ce
n'est plus sur des sentiers subalternes que la folie court le guilledou, c'est
le cancer généralisée d'une folie innée qui multiplie ses tours; et cette
nosologie galopante inquiète les aliénistes russes les plus célèbres. Car,
disent-ils, les sanctions économiques promulguées à notre encontre ne sont en
rien une variante adventice d'un mythe central de la Liberté considéré en son
essence et quintessence et qui violeraient le droit international sur quelques
lopins seulement du droit public - ces ramifications sont
anticonstitutionnelles, donc sacrilèges. Un gouvernement ne saurait se réclamer
de l'orthodoxie démocratique et, dans le même temps, interdire aux populations,
et au nom même de leur foi, le droit de vendre à qui bon leur semble les
produits de leur industrie, de leur commerce et de leur agriculture. Il s'agit
de l'arme de guerre inaugurée par un tyran au début du XIXe siècle - Napoléon
l'a imaginée contre l'Angleterre et l'a baptisée le blocus.
Mais il
y a plus: ce n'est nullement un petit César local et fièrement dressé sur les
ergots de sa nation, mais un César de stature internationale qui impose leur
auto- strangulation économique aux démocraties européennes vassalisée par sa
couronne depuis 1945. Du coup, les gouvernements devenus les esclaves de son
sceptre sont menacés d'une accusation redoutable - et sur leurs propres arpents
- celle de trahir purement et simplement leur patrie. Car une démocratie
prosternée devant un despote mondial renvoie à une théologie qui nierait
l'existence même du Dieu qu'elle prétendrait vénérer. Il s'agit donc d'une
folie inconnue des hectares assermentés de l'orthodoxie d'Erasme, qui
s'indignait seulement qu'on rabrouât les gens de Lettres coupables de quelques
plaisanteries bien senties sur une religion aux fondements à l'abri du
badinage.
Il
s'agit donc d'observer les traits originels de la Démocratie messianique et de
son Saint Esprit en folie - le mythe de la Liberté - afin de comparer les
apanages de sa sainteté avec le fonctionnement réel des trois monothéismes sur
notre astéroïde. Car le dieu américain illustre l'ubiquité de sa puissance
militaire d'un côté et l'ubiquité de sa sotériologie verbale de l'autre. Quant
à la roue des sacrifices cultuels que le Nouveau Monde fait tourner sans
relâche, elle est fabriquée sur le même modèle que celui du Dieu unique.
C'est
la conversion subite du Continent européen a une folie confusible avec un
blasphème universel qu'il s'agit de comprendre. Les embarras des aliénistes
russes les plus illustres - les Dostoïevski, les Tolstoï, les Soljenitsyne -
ont fait tellement progresser la science des pathologies cérébrales du genre
humain que nous remettons à la semaine prochaine de les suivre dans la
spéléologie post-erasmienne de la folie.
Le 5
décembre 2014
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire